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Marchés, prix et concurrence

par Alain Grandjean, Ollivier Bodin
publié le 5 mai 2025
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Marchés, prix et concurrence

par Alain Grandjean, Ollivier Bodin
publié le 5 mai 2025
Group 55
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Introduction

L’activité économique (achat, production, distribution, vente, consommation, gestion des déchets) se fait en large partie par des transactions monétaires, où le bien ou le service vendu et acheté l’est à un prix accepté par l’acheteur et le vendeur. Nous allons ici nous intéresser au fonctionnement des marchés, qui permettent ces transactions et la fixation des prix. Nous exposerons aussi les propriétés et limites des marchés ainsi que le rôle de la puissance publique dans leur apparition et leur régulation.

La capacité des marchés à fixer des prix et le rôle de ces prix dans la marche des affaires en est une propriété remarquable. Mais la main invisible n’existe pas, et il est dangereux de prêter au marché des propriétés magiques. note1 Contrairement à une idée reçue note2, les marchés ne s’équilibrent pas spontanément. Nous en verrons les défauts, dits défaillances de marché.note3 Dès lors nous verrons que, face aux immenses enjeux actuels, comme le changement climatique :

  • L’intervention de la puissance publique pour réguler les marchés est légitime et nécessaire.
  • Les prix (éventuellement issus d’une monétarisation construite par la puissance publique note4) ne peuvent pas être les seuls signaux note5 et les seules contraintes envisagées pour modifier les comportements et faire évoluer la société. Le rôle de la loi, des règlements, de la morale et du sens des responsabilités envers les autres humains et la société ne peut être oublié.
  • Les travaux sur les entreprises et les biens communs, montrent que d’autres arrangements institutionnels alternatifs ou complémentaires sont nécessaires à tous les niveaux.

Ce module a bénéficié de la relecture et des commentaires de Florence Al Talabani et Yannick Saleman.

 

L'essentiel

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les marchés !

Inscrivez-vous à notre webinaire pour explorer le contenu de ce module avec Alain Grandjean, président de The Other Economy et co-auteur, le jeudi 22 mai à 8h30.

Quelques notions essentielles pour comprendre le(s) marché(s)

1.1 Quelques définitions

Dans ce module, nous traiterons le marché dans trois perspectives différentes qu’il est bon de garder en tête. L’une est empirique et met la focale sur l’organisation et le cadre réglementaire des marchés tels qu’ils se présentent dans la réalité. Ces organisations ont un point en commun : elles permettent à un vendeur ou à un acheteur d’identifier des contreparties à la transaction souhaitée, tout en disposant d’informations sur les conditions de transaction similaires, en particulier les prix. La deuxième perspective est celle de la discipline économique, pour laquelle le marché est un objet d’analyse et de théorisation privilégié, avec des divergences importantes entre les écoles de pensée. La troisième est le marché comme principe politique, devenu dominant depuis le début des années 90, ordonnant le système économique par opposition à des économies centralisées et/ou dirigées. Commençons donc par quelques définitions.

1.1.1 Les marchés, au sens empirique

Au plan empirique, le terme marché peut désigner :

  • un lieu d’échanges physique (comme les marchés traditionnels où se vendent et s’achètent des produits alimentaires et autres) ou virtuel (comme les bourses d’actions).
  • l'ensemble des échanges concernant un secteur de l’économie (marché de l’immobilier, marché du blé…).
  • l’ensemble des échanges concernant une région (marché chinois).

Nous verrons plus loin que le fonctionnement de ces marchés empiriques n’est pas spontané, mais nécessite l’intervention de la puissance publique (en termes de droit de la propriété, de droit de la concurrence notamment), et nous verrons comment les économistes ont essayé et essaient de comprendre ce fonctionnement.

1.1.2 Les marchés au sens économique : la théorie libérale est aujourd’hui dominante

Cette conception repose sur une vision idéalisée du marché et pousse à son extension à tous les secteurs de la vie.

Depuis le début des années 1980, les discours et la pratique politiques, soutenus par les thèses d’économistes libéraux comme Friedrich A. Hayek note6 ont poussé à étendre la sphère marchande. L’argument est le suivant : le mécanisme met au centre de la décision ceux qui sont directement concernés. La concurrence permet de dégager un prix qui reflète la rareté relative du bien échangé, ainsi que l’intérêt que les uns et les autres lui prêtent, en fonction des informations dont ils disposent (ou qu’ils recherchent préalablement). Cette vision repose sur le postulat très discutable que les acteurs économiques sont rationnels. ficherationalite

Le producteur (agriculteur, industriel, société de services) est motivé pour obtenir des informations aussi précises que possible sur les besoins de ses clients, leur consentement à payer, ainsi que sur ses propres coûts et leur structure (coûts fixes, coûts variables), ses méthodes de production. Il peut agir pour améliorer le service à ses clients, innover, produire autrement etc. Le consommateur fait ses choix d’achat en fonction de ses désirs, son budget etc. Hayek a insisté sur le fait qu’une administration ne peut avoir la capacité d’accéder à toutes ces informations et de les traiter correctement. Il en déduit un plaidoyer unilatéral sur le marché comme l’institution la plus efficace.

Pour autant, ni le marché ni l’administration ni personne ne peuvent disposer de toutes les bonnes informations au bon moment. Et, plus précisément, les informations peuvent être inégales entre vendeur et acquéreur, ce qui est une des justifications d’une intervention des pouvoirs publics ou du recours à d’autres modes de coordination. Nous y revenons dans l’Essentiel 3.1, sur le fonctionnement des marchés.

1.1.3 Le principe du marché et de la concurrence comme vision politique

Le marché n’est pas qu’une réalité empirique ou à l’inverse un objet d’étude académique. C’est aussi une vision politique et parfois l’objet d’une croyance quasi-religieuse.notefoucart7 Avec la naissance de l’économie politique apparaît l’idée, révolutionnaire à l’époque, d’une autonomie (Karl Polanyi note8 parle de désencastrement) de l’économie et des choix individuels par rapport aux rapports sociaux et politiques. Dès ses débuts, la science économique a une visée normative donc politique, et le cas du marché en est emblématique, comme le montrent ces quelques exemples historiques marquants.

Dès le 18e siècle, les économistes participent de manière active et efficace à des débats majeurs (Thomas Malthus dans le débat relatif aux lois sur les pauvres ou David Ricardo dans celui relatif au libre-échange) qui ont des impacts politiques considérables. Le libre-échange poussé par David Ricardo fichericardo, par exemple, modifie les rapports de force entre les propriétaires fonciers et les industriels, et a des effets sur les conditions de travail des travailleurs. L’activisme des économistes néoclassiques est permanent (même si ses effets ne doivent pas être surévalués). Ils tentent de montrer, à l’aide de raisonnements et de modèles mathématiques, que l’optimum c’est bien le marché (en le corrigeant, si nécessaire, de ses défaillances). Mais ces raisonnements et modèles peinent à convaincre : ils supposent des simplifications extrêmement fortes de la réalité économique et sociale, dont dépendent au premier ordre leurs conclusions.

Ce caractère politique se manifeste à l’inverse dans les œuvres de Karl Marx et de ses successeurs, et dans la reprise en main par le pouvoir politique des leviers économiques, dans la vision communiste installée en Russie à partir de 1917 puis en Chine avec Mao.

L’ampleur de la crise de 1929 (voir Essentiel 5.2) est en partie due à la croyance, évoquée ci-dessus, en la capacité des marchés à retrouver leur équilibre par eux-mêmes. Les autorités ont pensé pendant des mois, et ce en dépit de la crise économique majeure qui s’amplifiait sous leurs yeux, qu’il fallait » laisser faire , laisser passer».note9

Après la deuxième guerre mondiale, la création du GATT puis de l’OMC, en parallèle de la mise en œuvre du marché commun puis unique en Europe, font du libre-échange (donc de la généralisation du marché) l’idéal économique vers lequel aller. C’est évidemment un choix politique, il y a bien des alternatives entre libre-échange généralisé et protectionnisme unilatéral.

Depuis, au sein des différents pays (en Europe et en France, mais partout dans le monde sauf dans les pays communistes), les principaux partis politiques se positionnent sur ce qui doit être de l’ordre du marché et ce qui doit ne pas l’être. La ligne de partage n’est pas technique mais bien idéologique, avec des partis soutenant une libéralisation et une privatisation maximales, alors que d’autres souhaitent une planification et nationalisation de certaines entreprises, y compris dans le domaine du crédit.

En France, le Commissariat Général au Plan, pour l'économie, et la DATAR,note10 pour l'aménagement du territoire, ont eu leurs heures de gloire jusque dans les années 80. Le tournant de 1983 a conduit à les marginaliser politiquement. Plus généralement, les années 80 (les années Reagan et Thatcher) qui suivent les crises pétrolières des années 70, voient s’installer la domination intellectuelle et politique des idées néolibérales, très pro-marché. Malgré les crises financières, et en particulier celles de 2008-2009, ces idées restent puissantes.

Notons une innovation organisationnelle française, la création d’un Secrétariat général à la planification écologique en 2022. Cet organisme a tout son sens, comme nous le montrons dans ce module : le marché ne peut pas à lui seul tenir compte de la Nature. L’histoire montrera si cette innovation résistera au temps. Mais le débat autour de ce type de structure est bien politique : la notion de planification écologique a été lancée par Jean-Luc Mélenchon et le parti le Front de Gauche dans les années 2010,note11 puis reprise par un président de la République se réclamant de centre droit 10 ans plus tard…

Plus récemment, les libertariens note12, sur lesquels s’appuient, aux États-Unis Donald Trump et, en Argentine, Javier Milei, souhaitent la suppression de l’État et des services publics, au mépris de leurs citoyens et de ce que nous démontrons dans le présent module : le marché ne peut pas tout, et surtout, pas tout pour tout le monde. Les politiques libertariennes ne peuvent que profiter à une caste écrasant l’immense majorité des citoyens. On ne peut pas voir là que des choix dévastateurs pour la cohésion sociale et la Nature : il y a, derrière ces positions, une idéologie de la loi du plus fort totalement assumée et un cynisme total. Ses zélateurs savent bien que ce sont eux qui en tirent profit, contre tous les autres. .

1.2 Les échanges structurent l’économie

Chaque jour, des milliards de personnes, d’entreprises, d’associations et d’administrations publiques utilisent une forme particulière de transactions, les échanges monétaires, qu’ils décident de façon autonome.note13 Ces échanges portent sur des milliards de produits note14, de services rendus, de mise à disposition d’une force de travail, de ressources naturelles, de droits divers (par exemple, propriété intellectuelle ou d’usage d’une infrastructure) et d’actifs financiers. Ces échanges répartissent, entre différents usages, une partie de la production totale d’une économie, redistribuent des créances et des revenus, et les droits d’exploitation de certaines ressources naturelles.

Pris ensemble, ces échanges forment le flux continu de biens et services entre producteurs et/ou extracteurs de ressources naturelles, et entre ceux-ci et consommateurs. Ils déterminent la distribution primaire des revenus.note15

1.3 Des marchés sont indispensables pour organiser les échanges

Les marchés permettent ces échanges, régularisent les flux et contribuent à l’intégration et à la mise en cohérence des différents secteurs de l’économie. Sans marché organisé, les transactions dépendraient de rencontres aléatoires. Acquéreurs ou vendeurs n’auraient pas la possibilité de prévoir et planifier les transactions nécessaires à leur activité, production, vente ou consommation. Ils devraient discuter du prix et négocier en permanence (ce qui se fait dans certains marchés traditionnels, mais plus dans les économies modernes, notamment pour des raisons juridiques).

Notons que les marchés, tout comme le commerce, sont nés bien avant le début du premier millénaire avant J.C. et ailleurs qu’en Europe.note16 L’expansion de la sphère marchande s’est accélérée avec la révolution industrielle et la division du travail, ainsi que durant les phases d’expansion du commerce mondial qui se sont succédées depuis le 19e siècle. Il apparaît maintenant impossible de se passer de tels échanges, à l’initiative de l’acheteur et du vendeur. Les régimes dictatoriaux ou totalitaires qui l’ont tenté pour consolider leurs pouvoirs ont échoué.note17 Au plan politique, ces tentatives visent à supprimer une liberté économique fondamentale : la capacité à ne pas dépendre du pouvoir politique pour se nourrir et satisfaire ses besoins . Par ailleurs, les produits proposés n’étaient satisfaisants ni en quantité ni en qualité.note18 Des pénuries ont été constatées, tout comme des gaspillages innombrables. Notons à l’inverse que l’État est indispensable au fonctionnement des marchés, ne serait-ce que pour assurer le respect des transactions (Voir l’Essentiel 3).

Quant à l’environnement, il n’était pas plus pris en considération note19 que dans un système capitaliste. Mais, à l’inverse, favoriser les transactions marchandes n’est la garantie ni d’un régime politique démocratique ni d’une prospérité partagée.note20

1.4 L’État décide de ce qui relève du marché

En réalité, dans aucun pays, les transactions ne sont toutes monétaires ni ne se font toutes sur des marchés ou bourses établis. Les transactions non marchandes peuvent relever du don interpersonnel note21 ou de la redistribution, du troc, du service public ou d’un rationnement quantitatif par une autorité centrale.note22 La décision de ce qui est redevable d’un échange marchand et de ce qui ne l’est pas est largement une décision politique. Le pouvoir politique peut interdire ou réguler la marchandisation de certaines transactions pour des raisons éthiques et/ou de protection des individus (dons d’organes et/ou de sang, prostitution, gestation pour autrui, drogues, armes).note23 À l’inverse, le pouvoir peut décider de garantir l’accès à certains services publics (santé, éducation ou logement) sans contrepartie monétaire (ou seulement partielle) et sur la base de critères non-monétaires et sociaux. Il peut aussi imposer par la loi des régimes assurantiels, comme le régime public des retraites, évinçant totalement ou partiellement la sphère marchande de ce secteur. Pour des raisons économiques et financières, la collectivité peut aussi décider ou non de transférer à la sphère marchande la construction et l’usage de certaines infrastructures (routes vs autoroutes payantes). Enfin, le mode d’exploitation de ressources naturelles, y compris le foncier, est un enjeu majeur pour chaque société. Il peut être marchand tout en étant plus ou moins régulé, ou conserver le statut d’un bien commun fichetypedebiens et être géré par accord des parties prenantes sur leurs droits et obligations respectifs.

1.5 Les activités non marchandes sont aussi substantielles

Par ailleurs, les activités non marchandes (sans rémunération monétaire) sont nombreuses et importantes socialement et économiquement : le travail domestique (cuisine, bricolage, éducation), les activités bénévoles (associations caritatives, sportives, ludiques, etc.), les tâches effectuées sans réelle contrepartie rémunérée (par sens du service, du devoir, par dignité …). Elles représentent une part importante de l’activité d’un pays. Selon une étude de l’OCDE un peu ancienne mais révélatrice, le travail non rémunéré équivaudrait à un tiers du PIB note25 dans les pays membres de l’OCDE. Une étude plus récente mais limitée au care-work note26 montre qu’il représente 9% du PIB mondial.note27

Le partage entre la sphère marchande et non-marchande est variable dans le temps et d’un pays à l’autre, en fonction des évolutions culturelles et idéologiques, des technologies et opportunités économiques et de l’issue des conflits sociaux et politiques.note28 Les entreprises participent aussi à cette variabilité. Elles peuvent décider de produire au sein de leurs organisations certains biens (voir Essentiel 4.3) pour économiser des coûts de transaction note29 ou, au contraire, d’externaliser la production afin de pouvoir mettre en concurrence des prestataires externes.

1.6 Les mécanismes de marché amènent informations et innovations et facilitent la rencontre de l’offre et de la demande

Un marché permet d’aider les entreprises offreuses (par la connaissance des historiques de ventes) à connaître les consentements à payer de ses clients et prospects, pour quels produits et services, et d’anticiper les innovations à envisager. Pour les consommateurs (citoyens ou entreprises), le marché permet de connaître les offres qui leur permettraient de satisfaire leurs besoins ou leurs désirs. Bref le marché permet un rapprochement (si ce n’est une égalité) entre l’offre et la demande.

Le prix est une information qui est évidemment déterminante, pour l’acheteur comme pour le vendeur : c’est une information qu’ils connaissent nécessairement, contrairement à d’autres qui peuvent être cachées volontairement ou simplement non divulguées. Ils lui portent donc nécessairement une attention toute spéciale. Il est légitime, du point de vue de la théorie économique, de porter une considération spécifique au rôle de cette information dans la décision économique. Toutefois, une décision éclairée suppose une connaissance des propriétés du produit acheté, durabilité, impact potentiel sur la santé et l’environnement, entre autres. Il existe en outre des attentes croissantes sur la traçabilité de l’origine des produits (qui peuvent de plus en plus être satisfaites par divers procédés numériques). Des dispositifs légaux sont nécessaires pour inciter les entreprises à fournir ces informations et permettre, le cas échéant, des recours devant les tribunaux en cas de désinformation.

L’aiguillon de la concurrence a un effet positif pour le consommateur -et plus généralement l’acquéreur- qui peut comparer des produits et leur rapport qualité-prix. Il n’est pas en situation de dépendance d’un seul fournisseur ou prestataire. C’est aussi une source d’innovation.

1.7 Comment (et qui peut) réguler les prix du marché ?

Les informations décentralisées et relatives à des millions d’agents économiques que traitent les marchés ne peuvent être connues d’une autorité administrative dont la capacité à fixer un prix est limitée. Mais la concurrence n’est pas un régime qui s’impose et se stabilise spontanément sans intervention d’un pouvoir régulateur. Et la puissance publique intervient directement dans certains cas pour corriger des effets non souhaités de la libre fixation des prix et de la concurrence, comme en France pour le prix de tous les livres, ou dans de nombreux pays pour certains loyers. Et comme cela se peut se produire en cas de crise sur des produits de première nécessité comme l’énergie note30 ou l’alimentation.

Le pouvoir des consommateurs (le concept de consom’acteur) est un pouvoir décentralisé qui est une condition importante de la liberté de choix. Il permet en principe au consommateur de choisir, dans la limite de ses moyens et au vu des prix relatifs, ce qui lui semble le plus utile. En achetant, le consommateur peut influencer la vie économique. Ce pouvoir a cependant des limites, et il serait naïf de croire qu’il suffit à régenter la vie économique. Les entreprises influencent les choix des consommateurs par des campagnes publicitaires fichepub qui peuvent s’appuyer sur des recherches avancées en psychologie comportementale et sur des masses de données statistiques.note31 Elles disposent d’informations que ces consommateurs n’ont pas – et qui ont été démultipliées considérablement dans les cas des entreprises du secteur numérique. Elles ont accès aux pouvoirs politiques par l’intermédiaire des associations professionnelles et, pour les plus grandes, directement. Ceci leur permet d’exercer une pression sur les normes, les règlements, la fiscalité, autant d’éléments qui in fine impactent le choix du consommateur. Des contre-pouvoirs citoyens sont donc nécessaires.

1.8 La liberté d’entreprendre est une liberté politique essentielle

Pouvoir travailler contre une rémunération décente ou entreprendre librement (sous réserve du respect de règles sociales et environnementales) et dès lors pouvoir ainsi gagner sa vie, est une liberté fondamentale. La privation de cette liberté conduit à une dépendance économique politiquement dangereuse si elle se généralise. Inversement, veiller à ce que chacun puisse développer des capacités qui lui soient utiles et vivre décemment est un devoir de justice de toute société et un gage d’une cohésion durable de cette dernière. La liberté d’entreprendre ne doit donc pas être confondue avec l’obligation de le faire pour vivre, voire survivre. Les négociations collectives et le droit du travail sont nécessaires pour compenser l’inégalité de fait entre salariés et l’entreprise et ne pas laisser les conditions du contrat de travail dépendre de la seule négociation individuelle. Adam Smith lui-même n’était pas dupe de cette asymétrie. Dans la Richesse des Nations, le livre fondateur du mythe de la main invisiblenotemaininvisible32, il écrit : Il n’est pas difficile de prévoir lequel des deux partis (maîtres ou ouvriers), dans toutes les circonstances ordinaires, doit avoir l’avantage dans le débat, et imposer forcément à l’autre toutes ses conditions. Les maîtres, étant en moindre nombre, peuvent se concerter plus aisément ; et de plus, la loi les autorise à se concerter entre eux, ou au moins ne leur interdit pas, tandis qu’elle l’interdit aux ouvriers. Nous n’avons point d’actes du Parlement contre les ligues qui tendent à abaisser le prix du travail ; mais nous en avons beaucoup qui tendent à le faire hausser… On n’entend guère parler, dit-on, de coalitions entre les maîtres, et tous les jours on parle de celle des ouvriers. Mais il faudrait ne connaître ni le monde, ni la matière dont il s’agit, pour imaginer que les maîtres se liguent rarement entre eux. Les maîtres sont en tout temps et partout dans une sorte de ligue tacite, mais constante et uniforme, pour ne pas élever les salaires au-dessus du taux actuel. Violer cette règle est partout une action de faux frère et un sujet de reproche pour un maître parmi ses voisins et ses pareils.note33

Nous verrons à l’Essentiel 8 combien la construction du marché européen a été, et est toujours, très régulée, avec un très haut niveau d’intervention des administrations européennes et nationales travaillant en liaison étroite avec les associations professionnelles.

Pour en savoir plus

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Adam Smith, La richesse des nations, 1776
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Friedrich Hayek La route de la servitude (6e édition), PUF Quadrige, 2013
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Karl Polanyi La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard 1983
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Des marchés et des dieux, Stéphane Foucart, Grasset, 2018.
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Lire la recension du livre de Stéphane Foucart par Marion Cohen sur le blog Chroniques de l’Anthropocène (blog d’Alain Grandjean) (18/10/2018)
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Le livre de référence de Marcel Mauss, Essai sur le don, Flammarion, réédition en 2021, publication originale en 1925
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Michael Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter, Seuil, 2014

Équilibre des marchés : un mythe à la vie dure malgré les faits

2.1 La fameuse loi de l’offre et de la demande : la réduction des marchés au couple quantité / prix

Dans ce chapitre, nous nous intéressons à une vision particulière des marchés, la vision dite néoclassique (voir encadré) qui met en avant le prix et le rôle qu’il joue pour relier  offre  et demande. Nous verrons d’autres approches dans l’Essentiel 5. Mais cette vision dominante, enseignée dans tous les cours d’économie, mérite un focus particulier. L’idée de départ est que, sur un marché donné, le prix d’un produit se forme par confrontation d’une offre et d’une demande. Les quantités offertes augmentent avec le prix, celles demandées diminuent et il existe des prix d’équilibre égalisant offre et demande sur tous les marchés. À ces prix, chaque vendeur et chaque acquéreur est satisfait car il trouve une contrepartie qui lui convient.

Qu’est-ce que la théorie néoclassique en économie ? Présentation synthétique

L'économie néoclassique est un courant de pensée fondé au 19e siècle par les économistes Léon Walras, William Stanley Jevons, Carl Menger, Alfred Marshall, et largement dominant dans la pensée économique contemporaine. Elle repose sur plusieurs concepts clés de base :

  • La rationalité des agents économiques ficherationalite : les individus sont considérés comme des acteurs rationnels qui cherchent à maximiser leur satisfaction (appelée utilité par les économistes) assimilés à la consommation pour les individus et au profit pour les entreprises.
  • La place centrale des marchés comme institution de coordination des comportements individuels pour les faire converger vers une situation optimale : l'économie est vue comme un ensemble de marchés interconnectés, qui, grâce au prix tendent naturellement vers un équilibre où l'offre égale la demande.
  • Le rôle des prix : les prix jouent un rôle central en tant que signaux permettant d’allouer efficacement les ressources dans l’économie.
  • L’individualisme méthodologique : l’analyse part des comportements individuels pour expliquer les phénomènes économiques globaux. Elle ne considère pas les institutions comme des acteurs en tant que tels.

Enfin mentionnons le fait que l’école néoclassique repose dès son origine sur des mathématiques (l’utilité est une fonction, ficheutilite les préférences des individus sont des ensembles mathématiques, les préférences d’un individu sont généralement représentées par un ensemble mathématique appelé courbe ou surface d'indifférence, souvent convexe, etc.). Sur ce sujet, voir notre fiche sur les mathématiques en économie. fichemaths

Pour Friedrich A.Hayek, ce qui doit être enseigné est bien que les prix dégagés par la juste conduite des participants du marché – c’est-à-dire des prix concurrentiels, exempts de fraude, de monopole ou de violence – étaient tout ce que la justice demandait.note34

Dans cette vision, les producteurs produiraient au juste prix la juste quantité de produits, celle qui serait achetée à ce prix par les consommateurs. Il n’y aurait donc ni invendus ni pénurie. Les marchés s’équilibreraient donc spontanément, au sens où la confrontation décentralisée de l’offre et de la demande conduirait automatiquement à prix d’équilibre. La vision de l’équilibre du marché est interprétable dans deux sens différents et complémentaires dans la perspective des économistes néoclassiques.

Le premier sens est une hypothèse empirique. Il existe un mécanisme qui établit le prix d’équilibre sur les marchés. Le deuxième sens est normatif : lorsque toutes les transactions se font au prix d’équilibre, les transactions sont optimales au sens de Pareto : il est impossible d’améliorer la satisfaction d’un agent sans détériorer celle d’un autre.

2.1.1 La théorie néoclassique de la formation des prix

Intéressons-nous d’abord aux transactions sur un ou un nombre limité de marchés fortement interconnectés.note35 On parle alors d’équilibre partiel. Le mécanisme de formation des prix dépend de la structure du marché ou des marchés. Par exemple, si le vendeur détient un monopole et est confronté à une foule d’acheteurs, il sera seul maître du prix qu’il fixera au niveau qui maximise son bénéfice (éventuellement par tâtonnement). S’il n’y a que quelques vendeurs (oligopoles), le prix sera fixé soit par entente (en général interdite par le droit de la concurrence), soit par observation réciproque et ajustements successifs (équilibre de Cournot note36).

Les économistes néoclassiques ont développé l’idéal type du marché parfaitement concurrentiel en lui associant les attributs suivants :

  • atomicité (aucun vendeur ou acheteur n’a une part de marché lui permettant d’influencer le prix) ;
  • le marché est défini par un produit homogène dont les acheteurs connaissent les qualités aussi bien que les vendeurs ;
  • il n’y a aucune restriction à l’entrée ou à la sortie du marché ce qui maintient la pression concurrentielle ;
  • des acteurs rationnels (homo economicus) ficherationalite utilisant logiquement les informations disponibles, maximisent leurs bénéfices et leur fonction d’utilité. ficheutilite

En l’absence d’acteurs dominants, Il faut y ajouter un mécanisme de formation du prix d’équilibre auquel toutes les transactions s’exécutent. Ce mécanisme suppose idéalement une communication parfaite, continue et sans coûts de tous les participants. Chaque acheteur potentiel connaît et choisit entre les offres de tous les vendeurs potentiels.note37 Cette hypothèse pourtant cruciale n’est pas tenable en général : la formation des prix et l’exécution de toutes les transactions doivent être organisées. L’économiste Léon Walras, qui le premier a représenté mathématiquement le marché concurrentiel, avait bien vu la difficulté et introduit à cet effet un deus ex machina, le commissaire-priseur qui, par tâtonnement, identifie le prix auquel chaque vendeur trouve un acheteur et réciproquement.

2.1.2 Le marché donnerait des prix optimaux : une certaine vision de l'optimum social

Qu’en est-il de l’évaluation normative de cet équilibre partiel ? Le prix d’équilibre correspond à une situation optimale selon Pareto dans le sens suivant : à ce prix, tous les gains d’échange sont réalisables et il n’est pas possible de réaliser d’autres échanges mutuellement avantageux. Par construction, ceci n’est pas vrai à un autre niveau de prix. Si le commissaire-priseur de Walras se trompe et annonce un prix supérieur (ou inférieur) au prix d’équilibre, des vendeurs (ou acheteurs) ne trouveront pas de contrepartie et certains seraient prêts à baisser (ou augmenter) leur prix pour réaliser un échange qui resterait mutuellement avantageux sans dommage pour les autres participants.

À la suite de Léon Walras, les économistes néo-classiques ont en outre exploré deux questions : la possibilité et l’unicité d’un équilibre généralisé, c’est-à-dire un équilibre où tous les marchés sont en équilibre concurrentiel comme décrit ci-dessus ; et celle de l’optimalité sociale d’un tel équilibre. Tout en continuant à laisser de côté la question de la formation effective des prix, Arrow et Debreu ainsi que McKenzie ont identifié en 1954 les conditions nécessaires à un tel équilibre, qui s’ajoutent à celles définissant un marché concurrentiel.note38

Une de ces conditions est celle de rendements d’échelle non-croissants dans la production.note39 Les prix concurrentiels  agréés entre des consommateurs/producteurs rationnels ficherationalite et disposant du même niveau d’information reflètent la productivité relative des entrants et l’utilité  ficheutilite relative des productions. L’affectation des ressources correspondant à l’équilibre est optimale selon Pareto : substituer la production et donc la consommation d’un bien à celle d‘un autre se ferait nécessairement au détriment de l’utilité d’au moins un autre consommateur/producteur. Il s’agit là d’une définition d’une utilisation optimale des ressources qui est indifférente à la répartition des revenus prévalant à l’équilibre et qui s’appuie sur une conception individualiste de la satisfaction.note40 Nous allons voir par la suite que nombre d’hypothèses cruciales pour la réalisation d’un équilibre général ne sont pas remplies dans la réalité.

2.1.3 Le fonctionnement des marchés dans la réalité : des mécanismes institutionnalisés

Revenons à l’hypothèse sur le fonctionnement des marchés. Il semble bien que les actes d’échange au niveau personnel ne créent des prix que s’ils ont lieu dans un système de marchés créateurs de prix, structure institutionnelle qui n’est en aucun cas engendrée par de simples actes fortuits d’échange.note41 Les marchés concrets, c’est-à-dire les organisations qui régulent les transactions marchandes et permettent leur expansion, sont en réalité depuis toujours, le produit de décisions politiques qui les rendent possibles (marchés locaux hebdomadaires, liberté d’établir un commerce, de fournir un service), qui les encadrent (conditions sanitaires, qualifications professionnelles, divers dispositifs juridiques ...) et fixent des normes et standards (Voir l’Essentiel 3). Dans certains cas note42, la puissance publique délègue à une agence une fonction de régulation juridiquement définie. Ces décisions sont souvent issues d’un partenariat ou d’une coopération privé/public et peuvent dépendre de technologies très pointues (marchés financiers globalisés, plateformes numériques etc.).

Les historiens montrent que dès le 13e siècle, la création et la réglementation des marchés hebdomadaires en France étaient une prérogative royale.note43 Ces marchés favorisaient la mise en relation des producteurs et des consommateurs en fixant un lieu et des dates fixes. Les autorités délivraient des services complémentaires en sécurisant la place contre les voleurs et en veillant à la justesse des poids et mesures. Et bien entendu, ils dégageaient ainsi une source de revenus fiscaux. En 1220, dans une œuvre en langue allemande, on peut lire : Jamais un marché ne pourra être correctement organisé, si le naïf peut y être trompé.note44 Le rôle qu’une puissance régulatrice doit jouer dans la formation des prix avait d’ailleurs été reconnu au moins depuis la Grèce antique. Platon s’interroge :

Mais dans l'intérieur même de la cité, comment les citoyens se feront-ils part les uns aux autres des fruits de leur travail ? Car c'est dans ce but qu'on s'est associé et qu'on a formé un État. Il est évident que ce sera par vente et par achat. De là la nécessité d'un marché et d'une monnaie, signe de la valeur des objets échangés.

Platon, La République, Livre 2

Les plateformes numériques et les réseaux sociaux créent des places de marché

Pour partie, les plateformes numériques grand public en réseauxnote45, comme Uber, Airbnb, Booking ou Amazon, qui ont émergé au cours des 20 dernières années à l’initiative d’entrepreneurs privés, procèdent de la même logique que les pouvoirs royaux ou seigneuriaux qui organisaient des marchés publics. Elles exploitent leur propre capacité de mise en relation et de communication pour étendre, voire créer de nouveaux marchés. Elles fournissent, le cas échéant, des services complémentaires, comme la sécurisation des transactions ou la livraison des biens. Elles gagnent de ce fait un pouvoir de régulation des deux côtés, offre et demande, qu’elles utilisent bien entendu pour maximiser leurs bénéfices privés et s’opposer à l’émergence d’organisations qui mineraient leur position de domination. L’expansion des marchés qu’elles suscitent peut cependant avoir des conséquences politiquement ou socialement dommageables sur d’autres marchés (taxi, marché immobilier, livres et libraires, relations de travail), ce qui peut nécessiter une réponse des pouvoirs publics et de nouvelles réglementations.note46

La réglementation des marchés, donc leur fonctionnement et les prix qui s’y forment, n’est en réalité jamais figée. Son évolution peut devenir nécessaire pour donner suite à l’émergence de nouveaux modèles d’affaires, de changements d’orientation politique ou de nouveaux objectifs de politique publique, comme la transition énergétique. C’est pourquoi, une question essentielle qui se pose toujours est qui fait les règles, pour qui, avec quels objectifs.note47

2.1.4 De multiples mécanismes de formation des prix co-existent dans notre société

Les mécanismes de formation des prix eux-mêmes prennent des formes variées, et le plus rarement celle du commissaire-priseur comme supposé par Léon Walras. Ces mécanismes sont le fruit de négociations entre les participants, en général inégaux. Ceci peut légitimer une intervention de la puissance publique pour valider les arrangements ou corriger des biais dans ces mécanismes. La multiplicité de ces derniers reflète l’hétérogénéité des participants et des produits.

Listons, outre les marchés en ligne déjà mentionnés  :

  • Les bourses, devenues électroniques, où s’exécutent en instantané des ordres d’achat et vente – parfois générés par des logiciels informatiques – pour des produits standardisés et dématérialisés (des actions, des obligations, des promesses de livraison de matières premières, …) ; le marché de gros de l’électricité et le marché ETS de quotas de CO2 note48 fichemarcheelectricite en aussi sont des exemples particuliers.
  • Les divers commerces de services et de biens de consommation ayant pignon sur rue ; en règle générale, ils fixent un prix non négociable, charge à l’acheteur de comparer entre différents commerces et au commerçant de l’ajuster en tenant compte de ses ventes. Mais il existe aussi des marchés sur lesquels la négociation est de mise.
  • Les commerçants eux-mêmes lorsqu’ils sont petits peuvent être réduits à accepter les prix imposés par les grossistes ou les producteurs ou inversement, comme les chaînes de supermarchés, être en mesure de négocier leurs prix d’achat.
  • Des criées et enchères pour des produits assez homogènes qui doivent être vendus rapidement (poissons, récoltes).
  • Des enchères pour des œuvres d’art, des biens immobiliers ou pour des liquidations de stock dont le caractère est d’être unique même si en concurrence avec d’autres biens similaires.
  • Des négociations bilatérales de contrat.
  • Des négociations collectives (salaires, prix de produits agricoles entre agriculteurs, industriels et grande distribution).
  • Des appels d'offres.

À cela s’ajoutent les interventions de la puissance publique. D’une part, en interdisant les ventes à perte, et d’autre part, en interdisant les ententes et en établissant les règles du jeu concurrentiel. Elle intervient parfois directement dans la formation des prix. Il peut s’agir :

  • De décisions administratives de fixation ou d’encadrement des prix ; c’est encore le cas en France pour le tarif de l’électricité, de certains produits alimentaires (loi EGALIM) et de quelques loyers de logements soumis à la loi de 1948 note49… mais il y en avait beaucoup après-guerre, qui a connu une période de rationnement. De même, suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, plusieurs pays ont mis en place des actions modérant les hausses de prix de biens de première nécessité (énergie, alimentation), devenus inabordables pour une partie de la population et/ou des entreprises.
  • D’interdictions de certaines transactions, comme, toujours à la suite de la guerre d’Ukraine, l’achat de gaz russe, par exemple.
  • De la fixation d’un salaire minimum.
  • D’interventions économiques de la puissance publique dans un processus décentralisé (ex : le prix du livre en France est encadré par la loi Lang, et aucun libraire ne peut faire une ristourne de plus de 5% sur un livre neuf par rapport au prix affiché ; ce dispositif a sauvé les petites librairies de la concurrence des grandes enseignes).
  • L’agriculture depuis l’après-guerre a été pilotée avec des interventions sur les prix et/ou sur les quantités produites.fichepac

2.2 L’équilibre général : de la théorie à l’idéal normatif dominant

En réduisant l’analyse du marché à la relation prix/quantité et en la désencastrant du contexte institutionnel, les économistes néoclassiques réussissent cependant un coup idéologique de maître. Cette analyse permet de relier deux significations du mot économie, utilisation optimale des moyens pour parvenir à une fin, et organisation sociale empirique de la production, des échanges et de la consommation.

Le recours à la théorie des marchés concurrentiels permet de développer une vision d’ensemble du fonctionnement de l’économie, traduite par l’existence d’un équilibre général qui remplit en plus certains critères d’optimalité. Nous verrons cependant, dans l’Idée reçue n°2, que l’autorégulation des marchés et l’existence même d’un équilibre général dépend de nombreuses hypothèses cruciales, dont la levée remet fondamentalement en cause les conclusions.

Le marché n’en a pas moins acquis un rôle fondateur note50 dans les explications du fonctionnement des économies et son expansion est devenue un objectif s’imposant naturellement, et prétendument neutre, avant de devenir un programme politique. Le marché est alors présenté, d’un point de vue normatif, comme un idéal de fonctionnement de l’économie (comme on l’a vu en 2.1.1) et non plus un outil d’analyse et d’explication.

La base idéologique et de philosophie politique d’une économie de marché est la représentation, très séduisante au premier abord, d’un système qui allie liberté individuelle maximale et efficacité (au sens de Pareto). Pour Milton Friedman, un des apôtres les plus fervents du néolibéralisme, le marché est LE mécanisme démocratique par excellence: Le principe politique sous-jacent au mécanisme de marché est l’unanimité. Dans un marché idéal libre reposant sur la propriété privée, aucun individu ne peut forcer un autre, toute coopération est volontaire, tous ceux qui coopèrent en bénéficient ou n’ont pas besoin de coopérer. note51

Cette approche évacue toutes les questions politiques, sociales et éthiques et traite la question des inégalités de revenus indépendamment du processus économique. Si le marché produit une distribution des revenus non souhaitable, une redistribution par l’impôt direct et des transferts peut intervenir, mais en veillant à ne pas toucher au mécanisme de prix et des salaires. Il est certes reconnu que le marché a besoin d’une institution tierce pour fonctionner, l’État. Mais le rôle de ce dernier se limite à sécuriser la propriété et l’exécution des contrats et à corriger les défaillances du marché note52, un point sur lequel nous reviendrons. Pour ces économistes, l’État ne crée pas le marché : il doit garantir les conditions minimales de son fonctionnement et, le cas échéant, apporter les corrections nécessaires pour rapprocher la réalité des transactions de l’idéal concurrentiel.

Bear and Bull, les deux principaux déséquilibres de marché

Un marché n’est, en pratique, jamais en équilibre au sens où toute l’offre souhaitée trouverait acheteur et inversement .

Un marché vendeur est dominé par les vendeurs : tous les produits offerts trouvent acheteur, ce sont donc les vendeurs qui sont en position de force. Pour un prix donné, la demande est supérieure à l'offre : la demande est donc rationnée, les vendeurs peuvent augmenter les prix, puisque la demande suivra. La demande excédentaire se réduira (jusqu'à s'annuler à l'équilibre, s’il se produit).

Un marché acheteur c’est l’inverse ; il est dominé par les acheteurs car l’offre est supérieure à la demande. L'offre est donc rationnée par la demande et les vendeurs doivent baisser leurs prix pour tenter de l’écouler (partiellement).

Dans le premier cas (marché  vendeur ), les prix sont orientés à la hausse. À l’extrême, on observe une surchauffe voire une bulle. Dans le deuxième cas (marché acheteur), les prix sont orientés à la baisse ; à l’extrême on observe une dépression voire une récession ou une crise économique majeure, comme en 1929 ou en 2008.

Prenons deux exemples. Dans le secteur immobilier, une situation de marché acheteur se reconnaît au fait qu’il y a de nombreux biens en vente qui ne trouvent pas acheteur. Les prix sont orientés à la baisse. Concrètement, un propriétaire voulant vendre rapidement doit attendre ou baisser ses prétentions. Dans le cas du marché vendeur, c’est l’inverse : l’acheteur doit se dépêcher pour acheter, il y a peu de produits disponibles et les prix montent. Le vendeur peut attendre en espérant augmenter ainsi son prix de vente.

Dans le secteur financier, la Bourse est le lieu idéal d’observations de ce type de déséquilibres. Quand les cours montent car il y a plus d’achats que de ventes, situation de marché vendeur, la Bourse est euphorique. On peut assister à la formation d’une bulle. À l’inverse, quand l’anxiété gagne les marchés, ce sont les acheteurs qui dominent, les vendeurs ne trouvant pas à vendre tout ce qu’ils veulent vendre. Les cours baissent et, éventuellement, s’effondrent dans un crash.

On y parle de bear (l’ours, baissier) et de bull (le buffle haussier). Un bear market est dominé par des comportements baissiers. Un bull market est haussier.

2.3 La théorie de l’équilibre général : une illusion éloignée des faits

La théorie des marchés ne s’est cependant pas arrêtée avec l’identification abstraite d’un équilibre général concurrentiel. Les contributions ultérieures ont levé certaines des hypothèses faites dans la théorie mathématique initiale, et en ont étudié les conséquences. Nous reviendrons dans l’Essentiel 3 sur la régulation des marchés, sur quelques défaillances du marché et les solutions que l’on peut leur apporter. Contentons-nous de décrire ici quatre phénomènes qui remettent en cause l’existence d’un équilibre général dans des marchés à structure stable.

2.3.1 Offres et demandes effectives et notionnelles

Le premier repose sur la distinction entre une demande (ou offre) qui est effective et une demande notionnelle. En l’absence du commissaire-priseur walrasien, un vendeur peut ne pas trouver son acquéreur. Son offre notionnelle (celle qu’il était prêt à satisfaire si une demande équivalente s’exprimait) ne se réalisant pas, il reste avec un stock d’invendus qui contraint sa demande effective en deçà de sa demande notionnelle, c’est-à-dire celle correspondant à une situation dans laquelle il aurait réalisé la vente prévue. Un exemple typique est celui d’une situation où les chômeurs dépensent moins que s’ils étaient en activité, ce qui décourage les entreprises à produire plus.

Nous reviendrons plus en détail sur ce point majeur dans l’Essentiel 5. L’idée de la possibilité d’un équilibre général résultant du seul jeu de l’offre et de la demande repose sur la loi de Say, dite loi des débouchés. ficheloidesay Selon cette loi, appelée aussi loi des débouchés, l’offre crée sa propre demande, car la production génère un pouvoir d’achat équivalent à cette production qui trouvera donc acheteur. Il est bien vrai que le coût de la production pour une entreprise est bien égale aux revenus (des salariés, des fournisseurs, des sous-traitants, des banquiers etc.) qu’elle distribue. Mais pour que l’entreprise puisse financer ces dépenses, encore faut-il qu’elle vende toute sa production. Ce sont donc les ventes qui génèrent le pouvoir d’achat et pas la production par elle-même. Le raisonnement de J.B. Say est circulaire et repose implicitement sur la conclusion qu’il veut en tirer. La crise de 1929 viendra montrer cette erreur de manière spectaculaire et malheureusement très violente pour ses victimes.

2.3.2 Les phénomènes spéculatifs

Le deuxième repose sur un mécanisme de formation de prix entretenant des bulles spéculatives (voir encadré). C’est le cas lorsque les intervenants sur le marché agissent non pas selon une rationalité économique, mais sur ce qu’ils pensent que sera le comportement des autres intervenants. Ce genre de phénomènes émerge le plus souvent sur les marchés d’actifs financiers. Une réglementation financière est nécessaire pour en maîtriser les conséquences négatives (voir l’Idée reçue n°4 Les marchés financiers seraient efficients). Mais d’autres actifs comme les actifs immobiliers, voire des bulbes de tulipes comme en 1636-1637 note53, peuvent aussi être l’objet de mouvements spéculatifs.

Qu’est-ce qu’une bulle spéculative ?

La bulle spéculative désigne une situation où les prix d’un actif, comme des actions, des biens immobiliers, ou des matières premières, augmentent de manière excessive. Il arrive un moment où les acteurs, en général brutalement et de manière aussi moutonnière qu’ils étaient acheteurs, se mettent à vendre les actifs en question et font exploser la bulle : les prix chutent rapidement. C’est le célèbre cas de la crise de la tulipe. En 1635 il fallait 100 000 florins note54 pour acheter un lot de 40 bulbes. Une semaine après l’explosion de la bulle, en 1637, les tulipes ne valent pas le centième de leur valeur antérieure.

C’est également le cas de la bulle internet à la fin des années 1990, où les actions des entreprises technologiques ont vu leur prix grimper de manière exagérée avant d'éclater en 2000. On peut aussi, bien sur, citer le cas de la bulle des subprimes note55 des années 2000, qui a provoqué la crise financière mondiale de 2007-2008.

Le propre d’une bulle spéculative c’est qu’elle ne se caractérise clairement comme telle qu’après son éclatement. D’une part son éclatement est imprévisible et d’autre part des situations de fortes hausses du prix des actifs n’y conduisent pas toujours.

On considère souvent qu’une bulle se produit lorsqu'un grand nombre d'investisseurs achètent des actifs dans l'espoir que leurs prix continueront d'augmenter, sans tenir compte des facteurs économiques sous-jacents qui justifieraient une telle hausse. Mais cette explication repose sur l’idée qu’il existerait pour un actif donné une valeur fondamentale (en général calculée comme la somme actualisée fichetauxactualisation des rendements annuels futurs). Cette idée est difficile à soutenir : comment croire que la valeur du titre Tesla est justifiée par les perspectives économiques de l’entreprise ? Sa capitalisation boursière est en février 2025 de 1000 Mds de dollars, soit un multiple de 160 fois son bénéfice. Même les multiples des géants de la Tech les plus valorisés (Apple, Microsoft, Nvidia, Google, Meta) sont bien inférieurs, entre 20 et 50 (tout en étant très élevés).

Dès lors, les prix des actifs sont la résultante de comportements d’achats et de ventes plus ou moins rationnels, qui tiennent plus ou moins compte des performances économiques des entreprises ou des actifs sous-jacents. Ils sont aussi soumis à des effets systémiques politiques ou autres. Les bulles spéculatives sont donc aussi difficiles à détecter qu’à éviter.

2.3.3 Les situations de monopoles naturels

Les monopoles dits naturels sont par exemple les réseaux (ferrés, routiers, électriques, d’eau, etc.) Pour l’opérateur du réseau, le coût marginal monétaire d’un utilisateur supplémentaire est nul ou très faible (un peu plus de maintenance). Mais les coûts fixes justifient de fixer un prix nettement supérieur au coût marginal. L’opérateur étant en situation de monopole, ce prix doit faire l’objet d’une réglementation lorsque le réseau n’est pas public.

Pour l’exemple de l'électricité, voir notre fiche sur l’ouverture à la concurrence du secteur électrique.fichemarcheelectricite

2.3.4 L’exemple des rendements croissants : l’écart entre la théorie et la réalité

L’hypothèse originelle de rendements d’échelle non-croissants

La notion de rendement décroissant se comprend intuitivement : il existerait un point au-delà duquel augmenter le nombre d’heures de travail, à nombre de machines constant, n’augmente pas proportionnellement la production. Le coût de la dernière unité produite est supérieure à celui des précédentes. Ou, dit autrement, la rentabilité de cette dernière unité est inférieure à celle des précédentes. David Ricardo a fait du rendement décroissant une loi économique en observant le cas de l’agriculture. Dans ce domaine à l’époque, en effet, les terres agricoles étaient mises en culture par ordre décroissant de rendements : les bonnes terres en premier, les mauvaises en dernier. C’est le cas aujourd’hui des gisements miniers pour une ressource énergétique ou minérale; mais comme nous allons le voir c’est loin d’être aujourd'hui un cas général.

Cette hypothèse centrale de coûts croissants de la dernière unité produite (donc de rendement décroissants) est indispensable dans l’établissement de la théorie d’équilibre général. En effet, les entreprises sont ainsi limitées dans leur production : il arrive un moment où elles n’ont pas intérêt à produire plus. Si la demande d’un produit augmente, elles peuvent en augmenter le prix -jusqu’à une certaine limite- ce qui fixe le prix. À l’inverse, si la demande baisse, elles peuvent baisser leur production sans pertes (puisqu’elles réduisent des productions marginalement moins rentables).

À l’inverse, , si -et tant que- le coût de la dernière unité produite reste égal ou inférieur à la précédente, l’entreprise a intérêt à augmenter ses ventes et sa production. Alors les entreprises les plus grandes, ou dont l’assise financière permet de grandir plus vite, peuvent mener une guerre des prix tout en couvrant leurs coûts fixes. Cette guerre ruine progressivement les entreprises plus petites. Des concentrations s’en suivent et le marché ne trouvera un nouvel équilibre qu’avec l’émergence d’oligopoles ou d’un monopole capables de contrôler les prix.

L’écart entre la théorie et la réalité

Dans les faits, des rendements d’échelle croissants peuvent être observées dans de nombreux secteurs. On voit alors se former des monopoles ou de fortes concentrations et des oligopoles.

Dans l’informatique, et notamment l’industrie du logiciel, les rendements sont croissants.note56 Ce sont des industries à coûts fixes, et à coût marginal nul : la dernière copie d’un logiciel ne coûte rien. Le coût principal est celui de la constitution de l’équipe, de ses frais de fonctionnement et du développement du logiciel, qui sont des coûts fixes. Dans ce cas, l’entreprise ne vend pas en fonction du prix de revient de l’unité vendue (avec une marge éventuelle) mais a toujours intérêt à vendre le maximum de produits, tout en évitant un effondrement du prix.

De nombreuses industries ont des coûts fixes élevés et des coûts marginaux faibles. Qu’on pense à l’édition ou à l’audiovisuel. Dans le domaine de l’énergie, les énergies très capitalistiques comme le nucléaire ou le solaire ont des coûts marginaux très faibles ou nuls (pour plus de détails, voir notre fiche sur le marché de l’électricité et celle sur le coût de financement des ENR).fichemarcheelectricite

Le rendements croissants s’observent aussi dans le secteur automobile, où les dix premiers des cinquante constructeurs mondiaux assurent 70% de la production totale.note57 Le secteur bancaire, qui s’est considérablement concentré, est à rendements croissants du fait notamment des mécanismes de création monétaire. Plus le réseau d’une banque est important, moins elle a à subir de fuites et plus elle peut donc créer de l’argent et faire des marges sur ses activités de prêts. Mais la taille joue aussi sur l’absorption des coûts fixes liés au juridique, à la publicité et au marketing et aux coûts de structure.

Dans les industries plus classiques, les coûts fixes sont généralement élevés et il n’est pas du tout évident que les coûts marginaux des produits vendus soient décroissants. Les industriels sont tous à la recherche de progrès techniques qui visent à permettre l’inverse.  Dans de nombreux secteurs, les coûts de revient baissent avec la hausse de la production cumulée (c’est la notion de courbe d’expérience, voir encadré).

La notion de courbe d'expérience

Cette notion a été découverte aux États-Unis à la fin des années 1960 par Bruce Henderson. Les ventes de microprocesseurs croissaient de façon explosive, et leur prix avait été divisé par dix entre 1964 et 1968. Henderson formula une règle simple : les prix baissent de 25% chaque fois que la production cumulée d'une industrie (baptisée expérience) double. Cinquante ans plus tard, cette règle explique pourquoi, l'expérience de l'industrie ayant été multipliée, en ordre de grandeur, par 1 milliard, les prix des microprocesseurs ont été divisés par 1 million. Et voilà pourquoi chacun a dans la poche, avec son smartphone, un produit qui aurait valu 200 millions de dollars il y a cinquante ans !

Source : Voir La leçon de l’expérience, billet de Xavier Fontanet, ancien PDG d’Essilor, sur les Échos (08/02/2018).

De tels secteurs contrôlés par des oligopoles posent à la politique de la concurrence un dilemme. La concentration est défavorable aux consommateurs car elle permet aux entreprises de fixer des prix élevés, pas ou peu atténués par la concurrence. Elle permet aussi aux quelques entreprises dominantes d’influencer plus facilement la réglementation (voir Essentiel 3 et notre module sur l’Entreprise). D’un autre côté, imposer une réduction des tailles des entreprises pour accroître la pression concurrentielle peut empêcher que ne soient réalisées des économies d’échelle. Certains observateurs considèrent ainsi que la politique de la concurrence européenne (voir Essentiel 8) trop rigoureuse a empêché l’émergence de champions européens, notamment dans les secteurs fortement innovants du numérique. Une autre cause pourrait cependant être la fragmentation des budgets européens de recherche comparés au budget fédéral des États-Unis. Notons en effet que la politique de la concurrence n’a pas empêché la consolidation de grands groupes européens à dimension mondiale dans les secteurs de l’automobile, la chimie ou la banque, ni, lorsque quelques États ont été prêts à coopérer, l’émergence du seul groupe aéronautique capable de faire concurrence à Boeing.

En conclusion, ces exemples montrent que les rendements croissants sont plutôt la norme que l’exception. Pourquoi donc les économistes néoclassiques se sont focalisés sur les rendements décroissants ? Pour deux raisons. Historique d’abord : il est bien exact que les terres étaient mises en culture par ordre de rendements décroissants. L’agriculture étant dominante au 18e siècle, l’hypothèse a été étendue sans réserve aux autres secteurs. Le machinisme n’avait pas encore fait ses preuves. L’autre raison est moins noble : la démonstration du théorème d’équilibre général repose sur l’hypothèse des rendements décroissants… Mettre en évidence trop clairement ce simple constat c’est risquer de faire descendre de son piédestal ce bel édifice théorique.

2.4 Les travaux de l’école néoclassique face aux imperfections de marché

Les économistes ont cependant constaté assez rapidement que les rendements peuvent être croissants. Citons entre autres l’économiste Joan Robinson, d’inspiration keynésienne et marxiste, qui constate que les entreprises cherchent à bâtir des monopoles qui leur permettent de fixer leurs prix et de faire davantage de profits. C’est ce que l’économiste Edward Chamberlin nommera plus tard concurrence monopolistique. En 1977, les économistes Avinash Dixit et Joseph Stiglitz mettent au point un modèle de concurrence monopolistique note58 (qui montre comment les rendements croissants à l'échelle interagissent avec la diversité des produits sur des marchés imparfaitement concurrentiels).

Ces questions sont au centre de l’école de l’économie industrielle dont Jean Tirole (prix Nobel d’économie notenobel59 en 2014 ) est l’un des piliers.note60 Cette école apporte des outils et concepts nouveaux pour analyser les structures de marché, (monopole, oligopole, concurrence monopolistique), les comportements stratégiques des firmes (prix, innovation, barrières à l’entrée, différenciation) et les effets de ces comportements sur l’efficacité économique et le bien-être des consommateurs.

Elle en déduit des régulations nécessaires dans un monde où les marchés imparfaits sont la norme, pour éviter les abus de position dominante tout en générant des incitations à l’innovation et à l’investissement. Ces travaux suggèrent des dispositifs tarifaires dans le domaine des industries de réseau ou pour encadrer les plateformes numériques. Néanmoins, ces travaux, en voulant corriger les imperfections de marché, restent inscrits dans le même cadre intellectuel : celui du marché comme référence centrale vers laquelle l’économie réelle doit converger. Ils ne permettent pas d’envisager, ni même de penser à, d’autres types de dispositifs de coordination.

Pour en savoir plus

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Michel Devoluy L'économie : une science "impossible" - Déconstruire pour avancer, Vérone Éditions, 2019
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Benjamin Coriat, Le bien commun, le climat et le marché. Réponse à Jean Tirole, Les Liens qui Libèrent, 2021
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Jean Tirole, Théorie de l'organisation industrielle, Economica, 2015
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Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2018
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Michel Volle, iconomie, Xerfi et Economica 2014
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Voir également Rendements croissants sur le blog de l’auteur, Michel Volle

Faire fonctionner et réguler des marchés concurrentiels

En 2008, intervenant au Sénat américain sur les causes de la crise financière, celui qui avait été un fervent défenseur des marchés libres, Alan Greenspan, président de la Federal Reserve (la Banque centrale états-unienne) jusqu’en 2006, reconnaissait s’être trompé sur les supposées capacités autorégulatrices des marchés financiers. Quelques mois auparavant, Sir Nicholas Stern avait déclaré que le dérèglement climatique était le plus grand échec du marché de tous les temps. En mars 2021, le laboratoire Servier était condamné au pénal en première instance pour avoir commercialisé un médicament avéré dangereux, le Mediator, qui a provoqué plusieurs centaines de morts. Mais l’Agence nationale de sécurité du médicament était également condamnée pour ne pas avoir suspendu suffisamment rapidement l’autorisation de mise sur le marché du médicament. En 1976, la catastrophe industrielle de Seveso note61, en Italie, cause 30 morts directs et une catastrophe écologique. Le dieselgate, l’utilisation frauduleuse de techniques réduisant les quantités de matières polluantes émises par les voitures du groupe Volkswagen, a permis de mettre un terme à des pratiques assez générales dans l’industrie automobile qui portaient de graves préjudices à la santé humaine et au climat.

Ces exemples montrent l’importance de réglementations dans la poursuite de l’intérêt général et la nécessité de disposer des capacités à les faire respecter. Il n’y a en réalité aucune raison de penser que les marchés, c’est-à-dire en réalité des entreprises privées motivées par la maximisation de leurs profits, laissés à eux-mêmes servent l’intérêt général. Dans cet Essentiel, nous allons d’abord passer en revue les différentes défaillances du marché qui nécessitent une correction et les divers instruments à disposition pour les corriger.

L’approche actuelle des politiques publiques, qui consiste à chercher à corriger les défaillances des marchés est révélatrice d’un cadre de pensée de l’économie de marché, dans lequel la politique économique est conçue pour réduire l’écart entre l'idéal type des marchés concurrentiels et la réalité.

3.1 Faire fonctionner les marchés

Avant de nous intéresser aux défaillances des marchés, rappelons les règles indispensables à leur fonctionnement dans la pratique, et soulignons qu’il n’y a rien de naturel dans ces règles.

3.1.1 Le droit de propriété est à la base des marchés

La première règle est qu’il n’y a marché que si les droits de propriété sont clairement établis et que leurs détenteurs sont persuadés de pouvoir les faire respecter. Ce que l’on appelle communément une économie de marché est en réalité une économie des droits de propriété privés ou publics définis de telle façon qu’ils soient transférables. La définition des droits est loin d’être triviale et varie selon l’objet : propriété foncière, propriété intellectuelle (droits d’auteur, brevets), propriété par le biais d’actifs financiers (actions). Leur protection peut être plus ou moins solide, plus ou moins difficile à faire respecter, plus ou moins dépendante de l’appréciation par des juges. La définition exacte des droits de propriété note62 est toujours politique et donc susceptible d’évoluer notamment pour pouvoir saisir des nouvelles opportunités économiques et de profits. Les décisions politiques guident à la fois la rapidité des restructurations économiques et leurs conséquences sociales. Les exemples historiques ne manquent pas. Un des plus célèbres, considéré par Karl Marx comme décisif pour l’expansion du capitalisme, est le mouvement des enclosures fichetypedebiens, la transformation au Royaume-Uni de biens communaux, ou ouverts à une utilisation en commun, en grandes parcelles bordées de haies au bénéfice exclusif d’un élevage de moutons. Débuté au 13e siècle, il a trouvé son point d’orgue dans l’adoption, à la fin du 18e siècle et au début du 19e siècle, d’une législation mettant pratiquement fin aux propriétés communales et permettant leur transformation en grandes propriétés privées.note63 Un exemple actuel est l’appropriation par Total de terres appartenant à l’État tanzanien mais utilisées jusque-là traditionnellement par des paysans.note64 La propriété intellectuelle, c’est dire la privatisation de l’usage de la connaissance, par nature un bien commun qui ne s’use pas quand il est utilisé, est un enjeu politique majeur avec des conséquences distributives immenses note65 (voir aussi l’idée reçue n°11La marchandisation de la connaissance par des brevets très protecteurs garantit un rythme d’innovation rapide). Au cœur de l’industrie numérique, les questions de sécurité des données et de propriété des données personnelles sont des enjeux majeurs, qui divisent le monde, l‘Europe étant plus protectrice, avec la loi RGPD et le Digital Services Act. Quant à l'intelligence artificielle, son emploi pose de nombreuses questions de propriété intellectuelle (notamment pour l’entraînement des systèmes d’IA) que nous n’aborderons pas ici.

3.1.2 Sans tribunaux, pas de marchés

La deuxième condition de fonctionnement d’une économie de marché ouverte est la confiance dans le respect et l’exécution des engagements contractuels. En général, la justice d’État est en charge. Mais il arrive que les contractants conviennent, dans le contrat même, de recourir à des tribunaux d’arbitrage privés, notamment pour des contrats de commerce international.note66 En contrepartie de la protection des parties contractantes, la loi encadre la liberté contractuelle.

Aux yeux de la loi, tous les contrats ne sont pas autorisés et respectables, soit du fait de la personnalité des contractants (abus de faiblesse, minorité), soit du fait de l’objet de la transaction (prostitution, gestation pour autrui, drogues), soit du fait de clauses abusives.

La pièce de Shakespeare, le Marchand de Venise, porte au paroxysme le dilemme de la puissance publique face à une situation où faire respecter un contrat -une nécessité pour protéger l’ordre économique- aurait des conséquences contraires à l’ordre suprême de la cité qui est de protéger la vie des citoyens. Un problème similaire se pose actuellement avec le Traité sur la Charte de l’Énergie (TCE). fichetce Ce Traité qui vise à protéger les investissements internationaux privés dans l’énergie contre des expropriations ou des modifications de la législation affectant les profits s’avère maintenant extrêmement coûteux pour les États qui souhaitent mettre en œuvre un désengagement des énergies fossiles pour lutter contre le réchauffement climatique. Rappelons que dans la pièce de Shakespeare, la protection de l’intégrité physique des citoyens finit par prévaloir sur le respect du contrat par une menace amenant le créancier à renoncer de son propre chef. Il peut certes avoir son dû, mais il sera poursuivi pour les conséquences incidentes.

Pour en savoir plus

Pour mieux comprendre les institutions qui permettent de faire fonctionner le marché à travers un classement en quatre catégories : - celles qui créent le marché - celles qui le réglementent - celles qui le stabilisent - celles qui le légitiment
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Dani Rodrik, Arvind Subramanian et Francesco Trebbi, «Institutions Rule: The Primacy of Institutions over Geography and Integration in Economic Development», NBER Working Paper 9305, October 2002 (Cambridge,Massachusetts: National Bureau of Economic Research).

3.2 Structurer les marchés : lutter contre la concentration

L’attention doit se porter sur les inégalités entre les intervenants. C’est tout le sens des politiques de la concurrence, dont on verra des exemples européens dans l’Essentiel 8. Donnons juste ici un exemple américain. Le Sherman Antitrust Act, de 1890, est la première loi du droit moderne de la concurrence rendant illégales certaines pratiques anticoncurrentielles :

  • Les ententes et cartels (accords entre entreprises visant à restreindre la concurrence, comme la fixation des prix ou la répartition du marché) ;
  • Les monopoles : la loi interdit également la création ou la domination de marchés par une seule entreprise de manière à éliminer la concurrence. Si une entreprise utilise une position dominante pour exclure les concurrents ou fausser la concurrence, elle viole la loi.
  • Les pratiques commerciales déloyales, comme l'usage de moyens coercitifs pour écarter des concurrents, ou encore l'exploitation de partenariats et d'accords commerciaux de manière à nuire à la concurrence.

La littérature sur la question est extrêmement riche et nous nous contenterons ici de quelques exemples.

3.2.1 De nombreux secteurs économiques sont dominés par quelques entreprises

Le secteur du numérique est le premier qui vient à l’esprit, qu’il s’agisse du hardware et du software note67 (Apple, Microsoft, Google, Acer, Nvidia, Samsung, Huawei…) ou des plateformes (Facebook, Amazon, Uber… et leurs équivalents chinois (Alibaba, Temu…). Par ailleurs, de très nombreux secteurs industriels ou de services traditionnels sont dominés au niveau mondial par un nombre très faible d’entreprises. On a déjà vu quelques exemples plus haut. Complétons. Quatre entreprises, Maersk (USA), MSC (Italie), CMA CGM (France) et Cosco shipping (Chine) représentent la moitié du commerce maritime mondial. Le secteur agricole note68 est caractérisé par un grand nombre d’exploitations agricoles entourées en amont et en aval d’entreprises très puissantes au niveau mondial. Quatre entreprises, John Deere (USA), CNH industrial (Pays-Bas), Kubota (Japon) et AGCO (USA) capturent 53% du marché des engins agricoles. Quatre entreprises, Bayer-Monsanto (Allemagne), Syngenta-ChemChina (Chine), Dupont-Dow (USA), BASF (Allemagne), capturent 84% du marché des produits phytosanitaires. En aval des agriculteurs, le commerce des produits agricoles est effectué à 90% par quatre entreprises Cargill (USA), Louis Dreyfus (France), Archer Daniels Midland (USA), Bunge (USA). À cela s’ajoute la concentration dans la production et la distribution de marques apparemment distinctes de boissons note69 comme la bière. L’industrie pharmaceutique est également très concentrée. Les cinq premiers groupes à l’échelle mondiale (Johnson & Johnson, Roche, Pfizer, Bayer et Novartis) représentent environ un quart du marché.note70 (Cette liste de secteurs fortement concentrés ne prétend évidemment pas à l’exhaustivité).

Nous développons, dans le module L’entreprise à l’ère de l'Anthropocène, les conséquences néfastes qu’a une telle concentration (et le gigantisme des entreprises qui en découle).

3.2.2 Les principaux facteurs de la concentration de l’économie

Outre la logique économique de rendements croissants, ces concentrations ont été principalement favorisées par trois facteurs : la libéralisation des échanges mondiaux, la baisse des coûts unitaires des transports, en particulier par le gigantisme des cargos,note71 et l’extension géographique et dans la durée de la protection de la propriété intellectuelle.note72 Les concentrations permettent de fragmenter géographiquement les chaînes de production note73 en poursuivant des stratégies d’intégration verticale, allant de l’accès aux matières premières à la commercialisation, et de réaliser de ce fait des économies d’échelle. Elles permettent aussi de diluer les risques juridiques (sociaux ou environnementaux notamment) qui ne remontent pas à la société mère.

3.2.3 Des conséquences négatives pour l’ensemble de la société

De telles concentrations posent différents problèmes. Le premier assez classique est l’impact direct et immédiat sur les acheteurs : des prix trop élevés par rapport aux coûts et un affaiblissement de la qualité. Le deuxième problème résulte de la capacité d’influencer le législateur ou les agences en charge de la surveillance,note74 y compris par des chantages à l’emploi. Le troisième, particulièrement visible dans le secteur agricole, est la capacité de façonner les modes de production dans l’ensemble du secteur. La dépendance économique de nombreux agriculteurs est devenue telle qu’il leur est devenu extrêmement difficile de sortir du modèle agricole intensif. L’agroécologie, malgré sa capacité à nourrir le monde fichenourrir tout en respectant la planète, se heurte frontalement aux intérêts de ces entreprises qui ont façonné le modèle actuel, et l’ont fait adopter par la majorité des acteurs agricoles, des consommateurs, et par les pouvoirs publics. Dans le secteur des produits pharmaceutiques, la fragmentation géographique des chaînes de production contribue à restreindre l’offre avec, comme conséquence, des pénuries de médicaments de base. Dans le secteur de l’énergie, l’absence de concurrence et la capacité d’influencer les décisions politiques permet aux entreprises dominantes de gérer la vitesse de substitution d’énergies fossiles par des énergies renouvelables à un rythme maximisant leur rentabilité financière, mais qui reste trop lent note75 du point de vue du changement climatique.

Confrontées à de telles concentrations, les autorités en charge de la concurrence ne sont pas en position de force. Elles ne peuvent pas poursuivre l’objectif illusoire d’une concurrence atomistique. Lorsque les autorités européennes de la concurrence sont amenées à juger des concentrations, elles mettent en balance les avantages potentiels qui résulteraient d’économies d’échelle et de la sécurisation des chaînes de production, notamment lors de concentrations verticales, avec l’affaiblissement de la pression concurrentielle. Elles doivent veiller à ce que le marché reste contestable note76, c’est-à-dire que les entreprises établies ne soient pas en mesure de mettre des barrières à l’entrée.note77

3.3 Corriger les principales défaillances du marché

Une première catégorie de défaillances note78 des marchés qui doivent être corrigées sont ce que l’on appelle les externalités, ficheprixnature c’est-à-dire l’impact effectif ou potentiel des activités sur les populations, les activités de tiers ou sur l’environnement. Les émissions de polluants (liquides solides ou gazeux), de gaz à effet de serre, les nuisances sonores, les risques de catastrophes industrielles en sont des exemples.

Une deuxième catégorie de défaillances est liée à l’information nécessaire pour une transaction en connaissance de cause. Les consommateurs doivent pouvoir être assurés que ce qu’ils consomment ne leur portera pas atteinte. Ils peuvent également souhaiter savoir si les biens qu’ils achètent sont produits dans des conditions respectant les travailleurs et l’environnement. La multiplicité, la diversité et la complexité des biens consommés empêchent une évaluation individuelle, qui serait au demeurant inefficace car l’information est un commun. fichetypebiens

Troisièmement, les pouvoirs publics doivent réglementer les monopoles naturels, en particulier les réseaux d’infrastructure de transports, d’énergie ou l’exploitation de ressources naturelles (mines, eau, etc.). Ce qu’ils peuvent faire soit en en faisant une propriété publique, soit en fixant des conditions à leur exploitation.

Le marché des tacots ou la sélection adverse

Une information asymétrique entre un vendeur qui est en mesure de différencier si un produit est de bonne qualité et un acheteur qui ne l’est pas, est aussi une cause de défaillance majeure du marché. La métaphore du marché des tacots, pour les voitures d’occasion, présentée par George Akerlof dans son article Market for Lemons, en 1970 l’illustre bien. Dans une version simplifiée, l’acheteur n’est pas prêt à payer plus que la valeur qu’il donne au mauvais produit et le vendeur n’est pas prêt à vendre le bon produit au prix du mauvais. La préférence de l’acheteur est cependant pour le bon produit, même payé au prix qui serait demandé par le vendeur. L’incertitude sur la qualité fait que soit la transaction ne se fait pas, soit l’acheteur achète le mauvais produit au prix inférieur demandé par le vendeur (qui aurait aussi préféré vendre le meilleur produit). La solution est suboptimale des deux points de vue. La remédiation peut venir d’une garantie crédible donnée par le vendeur, le cas échéant combinée avec le certificat de passage à un contrôle technique administré ou régulé par l’État.

3.3.1 Le court-termisme des marchés : la tragédie des horizons

Quatrièmement les marchés sont myopes, et engendre la tragédie des horizons, selon une expression due à Mark Carney, alors président du fonds de stabilité financière et gouverneur de la Banque d’Angleterre, qui a utilisée en 2015 et popularisée cette remarquable formule, à propos du changement climatique.note79 Il est clair que, dans ce domaine, la loi du marché ne permet pas de prendre en considération des effets économiques (positifs ou négatifs) se révélant à long terme. Les marchés sont court-termistes pour une raison mathématique simple. Les calculs des acteurs économiques et notamment financiers se font en actualisant les revenus et les dépenses présentes et à venir. Pour les entreprises cotées, le taux d’actualisation ficheactualisation est nécessairement voisin du taux avec lequel elles se financent, à savoir, le taux pondérant le coût des capitaux propres et celui de l’endettement. Pour prendre un exemple, si le rendement attendu par les actionnaires des capitaux propres est de 15%, si la dette est levée au taux de 3% et si elle représente 60% du financement, le taux pondéré est de 7,8%.note80

La pratique habituelle en France pour les grandes entreprises est d’utiliser un taux compris entre 8% et 12%. Un taux de 10% conduit à un doublement des valeurs tous les 7 ans, donc une multiplication par 16 en 28 ans. Autant dire que les horizons considérés avec ce type de calcul sont très courts (puisqu’à l’inverse une dépense ou un revenu apparaissant dans 28 ans vaut un seizième de ce qu’il vaudrait aujourd’hui !). Une autre manière d’exprimer la même chose, c’est de faire le constat que les investissements réalisés par ces entreprises doivent, selon les directions financières, être rentabilisés en ordre de grandeur sur 3 ans.

Ce court-termisme constitue clairement une défaillance de marché. Il ne concerne pas que le changement climatique mais l’ensemble de la problématique du développement durable. Le marché est intrinsèquement trop court-termiste pour prendre en considération, par lui-même, les questions de long terme. Certes certains actionnaires ont, au moins pour une partie de leur patrimoine, des horizons longs et cherchent à obtenir des plus-values à long terme plus qu’un rendement immédiat.

Mais ce n’est pas la majorité d’entre eux. Pour réintégrer le long terme dans le choix des entreprises et des financiers, il faut donc une action résolue des pouvoirs publics.

Enfin, il n’y a aucune raison de penser que les mécanismes de marché conduisent à une distribution des revenus socialement et politiquement acceptable. Il en est de même pour l’accès à certains biens ou services de première nécessité, comme l’assurance maladie ou l’ouverture d’un compte bancaire.

À titre d’exemples, nous reviendrons plus en détails dans les Essentiels suivants sur la réglementation de deux types de transactions très particulières, que la théorie néoclassique assimile à un marché : les produits financiers et les ressources naturelles.

Pour en savoir plus

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David Cayla, L’économie du réel, face aux modèles trompeurs (De Boeck, 2018).

3.4 Investissements, incitations, réglementations, tarification : comment l’État peut corriger les défaillances des marchés

Nous allons nous contenter ici d’identifier différents instruments de politique publique qui permettent d’orienter les marchés. Ils peuvent être rangés dans trois grandes catégories : les investissements publics, les incitations financières (taxation et tarification, transferts et subventions, politiques de crédit) note81 et la réglementation. Parmi les instruments de réglementation, mentionnons les obligations de transparence et de protection de la nature, les interdictions de collusion ou de discrimination, les mandats (obligations de fournir certains services), les obligations prudentielles (assurances, capital propre), le droit du travail, y compris la consultation et la participation des salariés aux décisions de l’entreprise (codécision paritaire ou non), les normes de pollution et de sécurité -qui peuvent se traduire soit par des obligations de résultat (émissions maximales de polluants) soit par des prescriptions de moyens (mesures anti-explosion ou anti-incendie).

En général, les politiques doivent combiner plusieurs instruments. Une des raisons en est la nécessité de prendre en compte l’impact des mesures sur l’ensemble des objectifs poursuivis, notamment sur la distribution des revenus. Une autre est que plusieurs marchés peuvent être défaillants. Au premier abord, l’idée de combattre le réchauffement climatique en taxant très fortement toutes les émissions de gaz à effet de serre indépendamment de leur origine paraît séduisante. Ceux qui préconisent une telle approche suggèrent de redistribuer les revenus fiscaux pour compenser les pertes de pouvoir d’achat des plus vulnérables. Mais se pose, par exemple, aussi le problème de l’accès au crédit et de l’intérêt pour un investisseur, même aisé, d’un investissement lourd dans une rénovation thermique dont le rendement n’est assuré qu’à très long terme, et qui n’a pas toutes les informations lui permettant de juger la nécessité des moyens et la qualité des résultats. Cet investisseur, réfléchissant à plus court terme, verrait son capital liquide et disponible à court terme ou sa capacité d’endettement amputés, sans contrepartie immédiate et sans certitude que des innovations technologiques ne rendront pas son investissement obsolète à plus brève échéance que prévu. Cette défaillance du marché pourra être corrigée en combinant une obligation légale d’agir, une subvention et certification des moyens et résultats par des organismes agréés.

Pour en savoir plus

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Laurence Scialom, La fascination de l’ogre – ou comment desserrer l’étau de la finance, Fayard, 2019
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Brett Christophers The Price is Wrong, Why Capitalism Won’t Save the Planet, Verso, 2024

L’économie ne se réduit pas au couple marché - État

Dans les Essentiels précédents, nous avons analysé les processus économiques en termes binaires : d’un côté, les marchés ; de l’autre, l’État - sécurisant les transactions et régulateur. Nous allons voir que cette vision binaire, dominante chez beaucoup d’économistes, appauvrit l’analyse des relations économiques et le débat sur les politiques publiques. Il peut facilement conduire à des erreurs de diagnostic et de prescription. Nous décrivons ici d’autres façons de contribuer à la coordination des activités économiques. Ces modes de coordination complètent ou se substituent à l’État et/ou au marché et interagissent avec ces derniers. Ils passent souvent sous le radar mais n’en sont pas moins indispensables à la compréhension du fonctionnement de l’économie.

4.1 L’importance des réseaux relationnels, en particulier sur le marché de l’emploi

La formation des salaires et les relations de travail sont largement façonnées par différentes institutions et réglementations, héritage de décennies de combats politiques et sociaux. Parmi ces institutions, citons le droit du travail, les droits sociaux annexes (retraite, assurance maladie, assurance chômage), le droit de grève, le droit d’association et de représentation par des organisations professionnelles ainsi que le dialogue social.note82 Des réseaux relationnels complètent ces institutions formelles.

Comme on l’a vu à la fin du premier Essentiel, Adam Smith s’amusait de ceux qui croyaient que le salaire d’équilibre était lié à la main invisible notemaininvisible32 d’un marché concurrentiel. Il pointait l’existence de coalitions tacites entre patrons qui permettaient, avec la complicité des autorités, de maintenir les salaires à un niveau bas. Ceci se faisait d’autant plus facilement que les coalitions de salariés étaient pour leur part interdites et réprimées.

Le mécanisme qui tient la coalition est réputationnel, c’est-à-dire le risque d’être exclu d’un réseau social favorisant les transactions entre personnes dignes de confiance. Nul doute en effet que les membres de cette élite entrepreneuriale utilisaient leur pouvoir collectif pour d’autres choses que seulement maintenir les salaires à un niveau peu élevé. On peut supposer qu’au sein de cette coalition, les informations circulaient sur les personnalités des ouvriers, sur la confiance que l’on pouvait accorder à tel marchand étranger , voire sur la situation financière de tel membre de la coalition et sur la meilleure façon d’organiser, puis d’utiliser, le pouvoir politique pour protéger ses droits de propriété et rentes.note83

À notre époque et à l’autre bout de l’échelle sociale de la coalition identifiée par Smith, les réseaux d’immigrés établis dans les pays-hôtes (diaspora) permettent d’illustrer certains mécanismes qui émergent lorsque les institutions formelles ou le marché sont défaillants. La raison principale de l’émergence de tels réseaux est la réplication, dans le pays-hôte, de solidarités ou reconnaissances mutuelles existantes dans le pays d’origine. Ces réseaux sont pour leurs membres source de soutien économique et social, dans la mesure où ils favorisent des transactions entre eux, grâce à une confiance mutuelle ou une solidarité spontanée ancrée dans l’appartenance à une même communauté. Ils sont aussi source d’informations pour les nouveaux arrivants sur les opportunités offertes par le pays-hôte, notamment en matière d’emplois informels, même en situation illégale.note84 À l'inverse, l'appartenance d’un salarié à une diaspora peut être une source d’informations pour un employeur potentiel, et en même temps constituer une garantie implicite de la part de la diaspora que le service promis sera fourni. De façon similaire, les réseaux d’anciens élèves d’écoles professionnalisantes reconnues, parfois organisés en association formelle, font circuler l’information et peuvent garantir certaines qualités, de même que des réseaux fondés sur des communautés de croyance.

Pas plus que les marchés, les réseaux ou associations ne sont cependant la panacée. Ils peuvent avoir, comme les marchés, des effets négatifs externes majeurs nécessitant une intervention de l’État. Ils peuvent développer des économies parallèles et du clientélisme excluant les non-membres plutôt que de renforcer les liens de la communauté avec les tiers. Ils peuvent aussi développer des structures claniques et patriarcales. Que l’on songe à la criminalité organisée, dont les méthodes pour discipliner les membres sont en outre, en général, coercitives et punitives jusqu’à l’extrême.note85

4.1.1 Réseaux, associations professionnelles et représentation de la société civile

L’émergence de réseaux réputationnels ou la constitution d’associations peut aussi être un moyen de sécuriser des transactions entre entreprises. Elle est, en général, d’autant plus probable et nécessaire que l’État est faible (et que l’accès à la justice est coûteux, peu fiable ou inéquitable). L’État peut aussi considérer que l’investissement qui lui serait nécessaire pour réguler un marché très particulier est disproportionné par rapport à l’intérêt général ou que le marché peut être trop facilement délocalisé et se mettre hors de portée de la juridiction pour qu’il puisse le réguler efficacement. Dans tels cas, les membres de réseaux informels peuvent être incités à se constituer en associations formelles et fixent leurs propres règles et procédures d’arbitrages de conflits. C’est par exemple le cas du New York Diamond Dealers Club. L’appartenance à cette association est également un signal à l’attention de tiers sur le respect de certaines normes qu’ils peuvent attendre et les possibilités d’arbitrage. Dans ce cas, ce Club se substitue au système juridique légal tant pour les relations entre ses membres que dans ses relations avec des tiers. Le Club a aussi une fonction de représentation vis-à-vis des pouvoirs publics lorsque des intérêts généraux sont en jeu.

Les réseaux formels ou informels de (re)connaissance mutuelle peuvent être le complément nécessaire des systèmes juridiques pour créer la confiance nécessaire dans les relations commerciales. C’est ce qu’ont montré des études empiriques réalisées dans des pays d’Europe centrale et orientale pendant la période de transition qui a suivi la chute du mur de Berlin. À la fin des années 90, le diagnostic était que le système juridique avait fait suffisamment de progrès pour réguler efficacement en dernier recours les droits de propriété et les transactions, mais qu’il était important que les gouvernements soutiennent le développement d’institutions comme des chambres de commerce ou des associations professionnelles capables de faire circuler une information fiable et non discriminante.note86 La contribution des réseaux formels et informels à une coopération fructueuse et au miracle économique des pays de l’Asie orientale a également été reconnue.note87

Dans les économies fortement réglementées comme celle de l’Union européenne, les associations professionnelles jouent un rôle important comme interlocuteur privilégié des administrations et des pouvoirs politiques dans la fabrique de la loi. L’argument mis en avant est que ces associations font converger et agrègent les perceptions et opinions de leurs nombreux membres ce qui facilite la tâche du législateur et qu’elles peuvent mettre à disposition une expertise supérieure à celle de l’administration. Bien entendu se pose alors immédiatement la question des contre-expertises et des contrepoids à apporter aux lobbies. La prolifération des organisations non gouvernementales (ONG) de défense d’intérêts communs, par exemple en matière de défense environnementale, de lutte contre la fraude fiscale, de respect des droits fondamentaux dans le cadre d’activités économiques dans des pays à faible capacité administrative et judiciaire fait partie de la réponse. Leur capacité à être un contrepoids efficace dépend cependant principalement de trois facteurs : leur sécurité (qui n’est pas toujours assurée - voir les assassinats d’activistes environnementaux en Amérique du Sud), les ressources dont elles disposent et leur reconnaissance de jure et de facto comme acteur légitime dans les processus de décision politique, administratif et judiciaire.

4.1.2 Banques coopératives

Un secteur dans lequel les relations et la connaissance mutuelle jouent un rôle particulièrement important en Europe (avec toutefois des différences de degré selon les pays) est celui des banques coopératives. Ces banques accordent traditionnellement une part importante du crédit bancaire, dans de nombreux pays européens notamment en Allemagne (20% du crédit bancaire en 2022) note88 et en Italie (21% du crédit bancaire aux PME) note89 ou en France avec le réseau bancaire des Crédit Agricole, Crédit Mutuel et du Groupe des Banques Populaires et des Caisses d’Épargne. Les unités territoriales sont relativement petites, avec un fort ancrage dans l’économie locale. Elles sont spécialisées sur des petites et moyennes entreprises locales ou des entreprises familiales. En utilisant les informations obtenues au travers de leur réseau de clients et coopérateurs, elles peuvent accorder de façon informée des crédits à des entreprises dont la transparence serait insuffisante pour des banques commerciales qui sélectionnent leurs débiteurs sur des critères comptables normalisés.

Sous la pression des régulateurs, mais aussi d’une logique financière ou économique, les banques coopératives se sont constituées en réseaux ou sont intégrées dans des structures verticales ce qui leur permet d’abord de gagner en crédibilité en signalant ou garantissant un soutien mutuel si nécessaire en cas de problèmes de liquidité ou de solvabilité et, selon le degré d’intégration, de réaliser des économies d’échelle sur des infrastructures communes (par exemple, informatique). Plusieurs modèles ont émergé en Europe au cours des dernières années. Cela va de réseaux de banques qui sont indépendantes, mais bénéficient d’un système de protection institutionnel (IPS) et sont supervisés par le niveau national (Allemagne, Autriche, Espagne), à des groupes entièrement intégrés dans lesquels les banques locales ne sont que des antennes ne disposant pas de capital propre (Portugal et Luxembourg), en passant par des conglomérats impliquant une relation maison mère-filiale (France, Italie) et supervisés au niveau européen.

Ce système peut cependant aussi avoir des faiblesses. Comme le notait le gouverneur de la Banque d’Italie dans une intervention de 2018, le pas est vite franchi entre une banque qui soutient les intérêts locaux et une banque piégée par la région.note90 Du point de vue des superviseurs financiers, des réformes de la gouvernance en conformité avec les exigences prudentielles renforcées après la crise financière, et l’adoption de méthodes d’évaluation du risque crédit conformes aux standards comptables semblaient s’imposer, y compris au vu de la nécessité de réduire le stock de créances douteuses. Mais le risque de cette approche orthodoxe est aussi de détruire une capacité de financement d’activités économiques locales soutenables.

La contribution des réseaux et des coopérations/coopératives à l’activité économique est largement délaissée par la recherche économique. Cette dernière a développé une vision de l’économie désencastrée de la société et qui ne serait constituée que de marchés et d’États. À titre illustratif, le tableau ci-dessous contient le nombre de références académiques renvoyées par la banque de données bibliographiques Econlit qui remonte jusqu’en 1900.

Références bibliographiques (1900-2023) renvoyées par Econlit (22/08/2023)

Module Marches Banques cooperatives 4.1.2

4.2 La gestion des communs : le travail d’Elinor Ostrom

Elinor Ostrom, politiste et néanmoins corécipiendaire en 2009 du Nobel d’économie note91, s’est attaquée à la représentation binaire de l’économie. Elle a montré que cette représentation était particulièrement préjudiciable lorsqu’il s’agit de conserver un commun, par exemple une ressource naturelle en quantité limitée ou seulement renouvelable à un rythme fini : le climat, les nappes aquifères, les ressources halieutiques, une prairie, une plage. La représentation métaphorique par les économistes de ces problématiques est celle d’une tragédie conduisant inéluctablement à un échec, sauf intervention d’un pouvoir coercitif (l’État) ou appropriation privée du commun. La métaphore de la tragédie la plus connue est celle proposée par l’économiste Garret Hardin note92 : un pâturage laissé en libre accès que chaque éleveur exploitera au maximum car il anticipera la surexploitation de la prairie, les autres éleveurs faisant de même. Bien entendu, ce résultat est dû à l’hypothèse d’un libre accès et à l’approche non réfléchie et non-coopérative des éleveurs. Cette métaphore peut être reformulée en termes d’un jeu stratégique similaire à celui du dilemme du prisonnier, ce qui facilite sa validation par les économistes postulant l’absence de toute prédisposition des humains à la coopération. Si la métaphore utilise l’image de la prairie, les mêmes raisonnements sont aussi souvent plaqués sans différenciation sur un commun financier ou monétaire note93, ou aux questions de coopération internationale (commerce international, aide au développement, protection de la biodiversité, lutte contre le changement climatique, contre l’évasion fiscale…).

4.2.1 Gestion par l’État ou privatisation sont de fausses solutions

Elinor Ostrom montre deux choses note94 : la première est que les solutions en général préconisées, coercition par une puissance étatique (l’État Léviathan) ou privatisation, aussi séduisantes soient-elles au premier abord, ne sont que rarement opérationnelles. Une solution étatique efficace suppose que l’État dispose des informations pertinentes sur la charge assurant la régénération de la prairie, les comportements des éleveurs, sur le bon niveau de sanction et qu’il maîtrise le coût de la gestion.note95 La solution par la privatisation suppose qu’il soit possible de diviser le commun de façon acceptée (à la majorité simple ou qualifiée, à l’unanimité, par un dictateur ?), ce qui pose problème en cas d’hétérogénéité des parcelles. La solution de privatisation devient encore plus problématique, sinon impossible, lorsque le commun est fluctuant ou difficile à encercler comme les ressources aquatiques ou halieutiques et plus compliqué encore le climat, qui est un commun mondial.

4.2.2 À quels niveaux gérer les communs ?

Le deuxième constat est qu’il existe des solutions si on lève l’hypothèse de la non-communication entre les parties prenantes, et si l’on suppose que ces dernières sont des êtres sociaux dotés de raison qui ne sont ni muets ni sourds aux arguments des autres et qui souhaitent trouver un compromis profitable (en bref les animaux politiques d’Aristote).

Le programme de recherche mené et inspiré par Elinor Ostrom s’est toujours nourri d’aller-retours entre les observations empiriques et la construction d’une théorie du gouvernement de communs. Le premier constat a été que de nombreux communs ont existé et existent durablement dans de nombreux secteurs et zones géographiques contrairement aux prévisions tragiques.note96 Le deuxième est qu’il est possible de faire émerger certaines régularités sur la façon dont ils sont gérés, même s’il n’existe pas de solution miracle ni de solution unique, ni même nécessairement de solution, tout au moins de solution déjà connue à chaque problème de gestion des communs.

La gestion et préservation de communs dépendent d’un accord entre les parties prenantes. Cet accord porte pour l’essentiel sur les droits et obligations de chacun, les sanctions et le mécanisme de surveillance, ainsi que sur les procédures permettant d’adapter ces règles. L’idée est que les parties prenantes, mieux et plus vite qu’un tiers, par exemple une administration centrale, disposent des informations nécessaires que ce soit pour définir les règles, réagir à des évolutions inattendues dommageables ou pour sanctionner le non-respect des règles. Une autre façon d’aborder la question est de différencier les droits sur le commun et de lever l’hypothèse simpliste du libre accès. Il est, par exemple, possible de distinguer cinq droits différents  sur un domaine ou une ressource naturelle qui peuvent être attribués à des parties prenantes : le simple droit d’accès sans droit de prélever, le droit de prélever, le droit de gestion et de réglementer, le droit d’exclure de l’accès et le droit de vendre ou louer.note97 C’est de leur combinaison que pourra émerger une solution durable et acceptée pour l’exploitation de la prairie de Hardin.

Une gestion décentralisée n’exclut pas qu’un niveau supérieur impose une contrainte ou un objectif. Si la coopération n’est pas spontanée, une solution possible est par exemple qu’un pouvoir tiers interdise l’utilisation du commun avant accord entre les parties prenantes. Ainsi, l’Union européenne est à la fois engagée vis-à-vis de la communauté internationale par l’Accord de Paris sur des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, et engage les États membres sur des objectifs nationaux leur laissant un large choix des moyens et sur la façon dont ils vont mobiliser les acteurs nationaux. Autre exemple, les causes de la raréfaction des ressources en eau dans certaines régions européennes nécessitent de dégager un équilibre entre ce qui devra être imposé par un pouvoir supérieur, juridictionnel ou politico-administratif, pour ajuster la demande totale à une offre durable, et ce qui relèvera d’un accord entre les différents usagers.

L’exemple de la prairie de Hardin montre que la durabilité d’un commun est mise en danger si son accès ne peut pas être restreint par les acteurs locaux. La question se pose avec acuité quand une prestation de services est associée à la gestion d’une ressource naturelle d’un territoire par définition non extensible, par exemple domaine skiable. La communauté de professionnels résidents locaux, par exemple des guides alpins, a un intérêt à sa sauvegarde et réputation (sécurité). Autoriser des venues opportunistes et épisodiques de passagers clandestins, professionnels étrangers au territoire, peut facilement conduire à détériorer l’intérêt des locaux à cette sauvegarde.

La question de la pertinence des enseignements d’Ostrom se pose au moment de la crise de communs globaux, le climat, la biodiversité et la pollution des océans, avec en cascade la crise de communs locaux, la santé publique, l'assèchement de nappes phréatiques, la déforestation par embrasement ou coupes, la qualité de l’air dans les agglomérations et à proximité des sites industriels et de l’eau. Nous reviendrons sur cette contribution dans l’Essentiel 7, consacré à la marchandisation de la nature.

4.2.3 Face aux crises écologiques, faire le lien entre local et global

Dans la pratique, la lutte contre le changement climatique nécessite la mobilisation de tous les niveaux de décision, du local au mondial. Insistons sur l’échelon territorial. Une grande partie des réductions nécessaires de gaz à effet de serre suppose une restructuration de l’usage de la voie publique dans les villes et métropoles ainsi que de l’usage et entretien des sols et des ressources en eau dans les campagnes. La rénovation thermique des immeubles collectifs et des communautés décentralisées de production/consommation d’électricité à partir d’énergies renouvelables fait aussi partie des solutions. C’est donc bien une gouvernance capable de relier le local et le global qui est nécessaire. Si le signal-prix peut aider, il n’est en rien suffisant. Le déploiement des véhicules électriques suppose une mise en cohérence du rythme de déploiement des recharges électriques (privées et publiques), de celui de l’adaptation des réseaux électriques et de celui des ventes de véhicules. Les coordinations entre régions, départements et communes pour les réseaux de transport collectif sont décisives, tout comme les aides souvent locales à la rénovation des passoires thermiques souvent habitées par des personnes à faible niveau de ressources incapables d’investir quel que soit le prix de l’énergie. De la même manière, les banques de proximité peuvent ou non jouer un rôle pour accompagner les PME et les ménages dans cette transition. Enfin les investissements à réaliser doivent généralement tenir compte de la dérive climatique, pour laquelle le signal prix carbone ne donne aucune information.

Une vision idéalisée des marchés ne permet pas de construire des politiques publiques efficaces, même si elles doivent jouer sur le signal-prix et, le cas échéant, selon des modalités qui peuvent être variables selon de nombreux critères, loin de la pureté des modèles. Dans tous les cas, elles doivent mobiliser d’autres instruments et une architecture de gouvernance complexe du local à l’international.

4.3 Une partie de l’activité des entreprises a lieu en dehors des marchés

À l’origine, la théorie néo-classique s’est concentrée sur les transactions marchandes. Dans cette vision, l‘entreprise est réduite à une fonction (mathématique) de production et l’entrepreneur à un deus ex machina combinant de façon efficiente les facteurs de production.note98 Cette hypothèse est contre-intuitive lorsque l’on observe les économies modernes façonnées par des entreprises à l’organisation complexe. Elle est cependant au fondement du postulat que l’idéal type du marché concurrentiel est censé produire un équilibre optimal.

4.3.1 Les contrats de travail

Dans cette simple expression, la théorie néo-classique est incapable d’expliquer l’existence d’entreprises capitalistes qui organisent les productions et services en interne, non pas sur la base d’échanges marchands, mais selon des règles définies et mises en œuvre dans un système hiérarchique. Ceci est particulièrement visible dans les relations de travail. À l’inverse d’un contrat de services avec une contrepartie indépendante note99, le contrat de travail n’est pas une transaction marchande dans le sens d’un échange monétaire sur un service ou un bien. Il crée un lien de subordination explicite dans les limites définies par la loi et le contrat de travail. Ce lien de subordination permet à l’employeur de contrôler non seulement le produit mais aussi quelle tâche est exécutée et la façon dont elle est exécutée. Plus généralement, les mouvements de services ou de biens entre deux départements d’une même entreprise ne sont pas des échanges marchands, mais entretenus par des routines ou des instructions.note100

4.3.2 Éviter les coûts de transaction : les relations entre services internes dans les entreprises

Ronald Coase a pointé le premier, en 1937, qu’il n’était pas possible de se contenter d’une vision selon laquelle le système économique travaille de lui-même grâce au mécanisme de prix, alors qu’il existe de nombreuses situations dans lesquelles les activités économiques sont induites par des instructions données dans des systèmes hiérarchiques (les entreprises).note101 La question a été reprise pendant les années 1960 par Kenneth Arrow et Oliver Williamson.note102 Leur question de recherche était à l’origine de trouver une explication pour l’intégration verticale d’entreprises.note103 Si le marché est efficient, quel est l’intérêt pour une entreprise de fusionner avec des partenaires en amont ou en aval ?

La réponse, inspirée par l’article de Coase (1937) est que le recours au marché a un coût dit de transaction. Ces coûts de transaction se composent pour l’essentiel des coûts d’obtention de l’information sur d’éventuelles contreparties, des coûts de publicité, d’information sur le bien échangeable, de négociation, de finalisation et de surveillance de bonne fin d’un contrat ainsi que des risques de défaillance d’une des parties.

Certaines transactions peuvent se faire à moindre coût au sein de l’entreprise. On dit alors qu’elles sont internalisées. Prenons l’exemple d’une entreprise de construction qui a besoin d’études de stabilité. Cette entreprise peut mettre, à chaque nouvelle construction, en concurrence des bureaux d’études tiers : mais ceci nécessite, entre autres, qu’elle établisse avec autant de précision possible les termes de référence, qu’elle partage des informations qu’elle préfèrerait tenir confidentielles, qu’elle s’assure que l’étude sera accomplie à temps (avec le risque d’une procédure judiciaire) et que le bureau aura travaillé en tenant compte de son intérêt (minimisation des coûts de construction en tenant compte de la réglementation). Elle peut aussi développer une relation de confiance avec un bureau d’études et ne plus travailler qu’avec lui, construction après construction, ce qui lui permet de réduire les risques sur la qualité du résultat ; ou intégrer le bureau d’études dans sa propre structure ce qui lui permet, en outre, de contrôler la façon de faire. Une telle intégration peut, au demeurant, nécessiter d’investir dans des mécanisme internes de contrôle et d’incitation pour pallier d’éventuelles asymétries d’information entre le manager et l’exécutant.note104

4.3.3 Intégration verticale, sous-traitants et coordination hors marchés

Les entreprises statutairement établies ont un autre avantage : celui de leur durabilité et de la plus grande transparence sur leur gouvernance, y compris les conditions légales de leur faillite. La prévisibilité pour ceux qui les financent, actionnaires ou créanciers, s’en trouve accrue ce qui en facilite l’engagement. Les entreprises peuvent, de ce fait, accroître leurs sources de financement. Ceci facilite en retour leur capacité à réaliser des économies d’échelle et à bénéficier de l’accumulation d’expériences et à préserver en leur sein des savoir-faire.

Les accords internationaux de protection des investissements ainsi que de la propriété intellectuelle et la libéralisation et expansion des marchés financiers ont, au cours des dernières décennies, accru les opportunités offertes aux entreprises pour se développer globalement. L’intégration verticale de la production a changé de visage : les chaînes de production typiquement centralisées se sont fragmentées. Cette fragmentation a conduit les entreprises multinationales à sous-traiter, à délocaliser et à saisir des opportunités qui s’offrent dans différents pays en termes de coûts du travail, de (faiblesse de la) protection de l’environnement et/ou de fiscalité et le cas échéant de responsabilité civile ou pénale. Même si les entreprises concernées sont juridiquement indépendantes, cela n’atténue en général pas la dépendance des fournisseurs à leur donneur d’ordre et le besoin de coordination hors marché.

On comprend alors que les limites de l’entreprise, le choix acheter ou produire, internaliser ou externaliser certaines activités, être propriétaire ou non des entreprises de fournisseurs ou de clients ne soient pas figés et soient sujets à des expérimentations successives.

Pour en savoir plus

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Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, De Boeck, 2010
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Garrett Hardin, La tragédie des communs,1968 (édition française : PUF, 2018)
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Ronald H. Coase, The nature of the firm, Economica, 1934
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David Bollier, Think Like a Commoner: A Short Introduction to the Life of the Commons, New Society Publishers, 2014
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Josette Combes, Bruno Lasnier, Jean-Louis Laville, L'économie solidaire en mouvement, Eres, 2022
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Duncan Watts, Six Degrees: The Science of a Connected Age, W. W. Norton, 2003

L’autorégulation des marchés au regard de l’Histoire

Le mythe fondateur de l’équilibre des marchés date comme on l’a vu de la fin du 18e siècle, début de la révolution thermo-industrielle. Le 19e siècle a connu de nombreuses crises économiques, que les économistes de l’époque et du début du 20e siècle ont appelé cycles économiques. La crise de 1929 a constitué un tournant majeur : cette crise ne s’est pas résorbée d’elle-même. La nécessaire intervention de l’État est alors théorisée, contre la pensée classique, par l’économiste John Maynard Keynes. La guerre vient sortir les économies occidentales de la crise, et l’après-guerre fait émerger des modèles d’économie régulés de diverses manières et parfois dirigés. En parallèle, la révolution keynésienne fait émerger une contre-révolution : le néolibéralisme qui inspire les modèles économiques les plus libéraux. Reprenons plus en détail ces quelques points.

5.1 Les cycles économiques du 19e siècle

Le 19e siècle est marqué par l'émergence et le développement du capitalisme industriel, et connaît des cycles économiques note105, appelés cycles de Juglar, du nom de l’économiste qui les a identifiés le premier, alternant phases de croissance et de récession. Les crises économiques, points de retournement marquants, traduisent les tensions et déséquilibres du système. Clément Juglar en repère une dizaine tout le long du 19e siècle, séparées d’une dizaine d’années chacune. En résumé, il montre que ses cycles sont liés à ceux du crédit : dans les phases d’expansion économique, les prix montent, les banques prêtent facilement jusqu’à un point de retournement, qui est en fait une crise de mévente (ou de surproduction). Les banques se mettent alors à couper le robinet du crédit et à hausser les taux d’intérêt. Les prix baissent, les faillites se multiplient jusqu’à ce que la baisse des prix suscite une nouvelle dynamique et une reprise qui va à nouveau susciter innovations et anticipations jusqu’à une nouvelle crise

5.2 La crise de 1929

La crise de 1929 est l’un des événements économiques majeurs du 20e siècle, qui remet en cause fondamentalement le raisonnement économique classique. Les autorités (y compris la Fed aux États-Unis) ont en effet attendu que l’économie se redresse d’elle-même comme dans les cycles du 19e siècle. Il n’en a rien été. Résumons l’histoire de cette crise.

Le 24 octobre 1929, connu comme le Jeudi noir, les investisseurs commencent à vendre massivement leurs actions, provoquant un effondrement des cours. La panique s’intensifie les jours suivants, culminant le Mardi noir (29 octobre). En quelques semaines, la Bourse de New York perd près de 90% de sa valeur et ruine de nombreux porteurs. Cet effondrement boursier marque le point de départ d'une crise économique globale. Aux États-Unis, des milliers de banques font faillite, entraînant la perte des économies de nombreux ménages. Le crédit se raréfie, paralysant l’économie. L’industrie et l’agriculture subissent une chute brutale de leur activité. Le taux de chômage atteint 25% en 1933. Des millions d’Américains se retrouvent sans emploi et souvent réduits à la pauvreté. La crise se propage rapidement au plan international, du fait de l'interconnexion des économies. Les exportations américaines s’effondrent, affectant les pays dépendants de leurs débouchés, comme l’Allemagne et les nations latino-américaines. Les politiques protectionnistes, comme les droits de douane Hawley-Smoot (1930), aggravent la situation en réduisant les échanges commerciaux.

Face à l’ampleur de la crise, les (absences de) réponses initiales des autorités sont issues de la pensée économique classique. Aux États-Unis, le président Herbert Hoover reste attaché à une politique de non-intervention, aggravant les effets de la dépression. Quant au président de la Fed, Roy A. Young, il n’intervient pas pour sauver les banques note106 et , au contraire, resserre les conditions de crédit, aggravant la crise. Ce n’est qu’en 1933, avec l’élection de Franklin D. Roosevelt, que des mesures significatives sont prises. Roosevelt lance un programme de réformes économiques et sociales (le New deal) visant à relancer la demande, soutenir l’emploi et réguler le secteur financier. Ces mesures incluent la création d’une sécurité sociale, des grands travaux et la réglementation bancaire (Glass-Steagall Act).

Au niveau mondial, les gouvernements commencent à s’éloigner du libéralisme économique pour adopter des politiques interventionnistes. En Allemagne, la réponse déflationniste du chancelier Brüning aggrave la situation économique et sociale et facilite la prise de pouvoir d’Adolf Hitler.

La crise de 1929 ne se résorbera pas vraiment : en 1939 c’est la guerre mondiale qui éclate et la montée en puissance d’une économie de guerre qui remet l’économie sur ses rails.

5.3 La critique du laisser-faire par Keynes

John Maynard Keynes est à la fois acteur et observateur engagé de la crise de 1929. Il remet en cause fondamentalement le dogme de l’autorégulation des marchés , qu’on peut appeler celui du laisser-faire, laisser passer. Aux yeux de Keynes, il n'est pas vrai que la crise se résorbera d’elle-même. Il écrit dans son livre fondamental La Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie, publié en 1936 :

La proposition selon laquelle l'offre crée sa propre demande est fallacieuse si elle est interprétée au sens où elle impliquerait que la totalité des revenus créés par la production doit toujours être dépensée en consommation. Une partie peut être épargnée, et si elle n’est pas investie, elle ne contribuera pas à la demande effective

Le chapitre 2, dont est extrait cette citation, est consacré à la critique des postulats classiques, dont la loi des débouchés de J.B. Say ficheloidesay qui sert de base à la théorie de l’équilibre général, le cœur de l’économie néoclassique.

5.4 La vision néolibérale du marché

L’idéologie néolibérale se constitue en particulier sous l’impulsion de Friedrich Hayek en réaction au keynésianisme et aussi à la montée du communisme dans la monde. Pour l’école néolibérale, le marché est le meilleur régulateur des activités économiques et la mission des politiques est en tout premier lieu la protection juridique de la propriété privée et de l’exécution des contrats. Elle est ensuite de ne pas entraver la libre circulation des biens et services, des personnes et des capitaux. L’Etat doit se contenter de fixer les règles du jeu et d’intervenir pour pallier les défaillances du marché et non s’y substituer. Il doit fixer et respecter les règles du jeu économiques. Il doit être régulateur. En un mot, l’État doit être au service des intérêts privés.

L’irréalisme de politiques de la concurrence qui viserait à établir et préserver des marchés atomistiques est reconnu. Les néolibéraux ne sont donc pas opposés par principe aux concentrations économiques. Ils pensent que les politiques de concurrence doivent chercher – avec des nuances entre les juridictions – à trouver le bon équilibre entre les gains d’efficacité engendrés par des économies d’échelle et la lutte contre les abus de position dominante qui mettent des barrières à de nouveaux entrants. C’est aussi le cas pour le marché du travail, qui doit être flexible pour permettre une allocation optimale de la main-d’œuvre et améliorer la compétitivité économique. Les syndicats sont considérés comme des entraves à cette flexibilité.

5.5 Différentes approches du marché cohabitent à travers le monde

Nous allons ici nous intéresser à la manière dont, dans la réalité, les pays au sortir de la Seconde guerre mondiale ont régulé les marchés en fonction de leur culture, de leurs institutions, de leur droit, des rapports de force… et des événements. Nous allons exclure ici le cas de la Chine note107 qui est très spécifique.

Comment y voir clair dans la complexité du monde contemporain ? La première distinction à faire est d’opposer un capitalisme plus libéral, anglo-saxon, et un capitalisme plus coopératif (Europe continentale et Japon). C’est Michel Albert, dans son livre Capitalisme contre capitalisme (Seuil, 1991), qui a proposé cette distinction en appelant rhénan le capitalisme plus coopératif. Cette distinction est assez intuitive. Le monde économique anglo-saxon (États-Unis, en Australie, Canada, Australie, Nouvelle Zélande) croit plus à la nécessité pour chacun de s’en sortir par ses propres moyens, à la réussite individuelle et assimile vite intervention de l’État à privation de liberté et inefficacité. Les entreprises sont là pour servir les intérêts de leurs actionnaires, et c’est ainsi qu’elles œuvrent pour l'intérêt général qui s’identifie à la performance économique. Les difficultés des plus pauvres sont relativisées ou considérées comme une fatalité. À l’opposé le modèle dit rhénan croit à la nécessité de protéger les plus faibles et les plus démunis, et veut tempérer le libre jeu du marché, quand il crée des inégalités excessives voire de la pauvreté. Ce modèle est plus sensible au long terme que le modèle libéral.

Cette grande distinction se retrouve par exemple dans le conflit ouvert (en 2024 et 2025) entre les tenants de la Responsabilité Sociale et Environnementale des entreprises (et de la nécessité d’un reporting extra financier et de contraintes à exercer sur les entreprises pour qu’elles tiennent compte du social et de l’environnement, l’instar de la directive européenne CSRD) et ceux qui considèrent qu’il n’y a pas à contraindre les entreprises de la sorte. Ce conflit est au coeur d’une remise en cause de l’agenda européen du Pacte Vert note108 : derrière une critique pas totalement infondée de règlements trop lourds administrativement, la critique de fond de certains acteurs privés est toujours la même : que les autorités publiques nous laissent faire, nous savons mieux que quiconque ce nous avons à faire.

Cette distinction a été creusée dans la théorie dite de la Variété des Capitalismes.note109

5.5.1 L’approche des Variétés de Capitalisme

Cette théorie distinguent les économies de marché libérales (EML) note110 et les économies de marché coordonnées (EMC, nom donné au capitalisme rhénan). Elle ne s’intéresse qu’aux économies dites développées.

Les premières se caractérisent par une forte concurrence sur les marchés des biens et services, la flexibilité de l’emploi, un système financier réactif et favorisant les restructurations rapides, une protection sociale publique peu développée.note111 Les secondes se différencient des premières par la présence d’institutions facilitant des coopérations mutuellement bénéfiques.

En forçant le trait, une économie de marché coordonnée typique d’un pays développé se caractérise par des participations croisées dans les entreprises, et des associations d’employeurs et entrepreneurs puissantes favorisant la circulation d’informations et le transfert de technologie. Ceci, en retour, crée un climat de confiance favorable permettant un accès à des capitaux patients moins dépendant des résultats à court terme que le recours à des marchés financiers concurrentiels. Les systèmes financiers dans les EMC sont orientés vers des relations de long terme. Les entreprises dépendent moins des marchés boursiers et plus des banques et autres institutions financières pour leur financement. Cela permet de limiter la pression pour des résultats à court terme et favorise l'investissement durable.

En termes de réglementation et gouvernance de l’emploi, la définition des normes pour les produits est largement dans les mains des associations professionnelles. Les salaires sont fixés non au niveau individuel, mais dans des négociations au niveau national ou des branches entre les associations d’employeurs et les syndicats de salariés également puissants. La formation professionnelle est organisée au niveau des branches sous le contrôle des employeurs et des syndicats. Elle s’appuie sur les savoir-faire partagés et répond aux besoins spécifiques des entreprises du secteur. Au sein des entreprises, des droits importants sont accordés aux représentants des salariés ce qui facilite une gestion orientée sur le long terme.

5.5.2 L’approche des cinq capitalismes

L’approche des Cinq capitalismes note112 différencie l’idéal-type des EMC des pays développés en quatre grands groupes. En résumé, elle distingue :

  • les pays scandinaves (social-démocrate), qui accordent un rôle central aux partenaires sociaux et sont très égalitaires par leur protection sociale et l’échelle des salaires avec des politiques de formation et réinsertion professionnelles très actives.
  • le modèle de l’Europe centre-nord (continental), moins égalitaire et où la protection des revenus est limitée aux plus pauvres.
  • les pays du sud-européen (méditerranéen), avec une plus forte protection de l’emploi et une protection sociale moindre que dans le nord de l’Europe.
  • Le quatrième groupe est constitué des économies asiatiques : il repose sur le développement de grandes firmes opérant en collaboration informelle avec l’État et sur un système financier centralisé. Les salariés de ces conglomérats sont protégés de facto par une politique de carrière stable.

Voici un tableau résumant les différences entre ces modèles :

Module marche capitalisme non liberal formes

5.5.3 La mondialisation contre les économies de marché coordonnées

Rappelons d’abord que financiarisation et globalisation ont été le résultat de choix politiques initiés aux États-Unis sous la présidence Reagan et au Royaume-Uni sous Margaret Thatcher et imités dans plusieurs pays. Rappelons également que la montée en puissance de la Chine (avec sa forme très spécifique de capitalisme d’État si l’on ose l’appeler ainsi) a également fortement déstabilisé les économies coordonnées. Ce double mouvement très puissant les a mis en difficulté, à la fois par sa forte attractivité pour les consommateurs (des prix bas issus de la Chine et des innovations permanentes en provenance des États-Unis, notamment dans le numérique et les télécommunications (avec les smartphones et toutes les applications installées) pour simplifier), et par une insuffisante protection des producteurs de la concurrence internationale.

Ces pays ont répondu et continuent de répondre de diverses manières à cette pression. Des adaptations partielles ont lieu, mais, à ce stade, elles n’ont pas conduit à des institutions à l’anglo-saxonne pures. Elles font des perdants et des gagnants et leur mise en œuvre dépend des résistances qui leur sont opposées et de leur impact supposé sur les groupes sociaux susceptibles de former des coalitions politiques majoritaires. Au niveau européen cette résistance est cependant affaiblie par la construction du marché européen (voir Essentiel 8) d’inspiration néolibérale.

Illustrons ce point par l’exemple de l’Allemagne.

La déréglementation du marché du travail initiée par le gouvernement Schröder dans la première moitié des années 2000 n’a pas remis en cause le pouvoir des salariés au sein des entreprises, malgré les pressions du patronat pour revenir sur la représentation paritaire au sein des conseil de surveillance et affaiblir les comités d’entreprises. Les négociations collectives salariales couvrent encore 55% des salariés (contre 65% au début des années 1990 et, pour comparaison, 13% aux États-Unis).

En revanche, la levée des limites réglementaires au travail temporaire et le durcissement des conditions de l’assurance chômage ont conduit à une précarisation des salariés peu qualifiés et à une dualisation des emplois : d’un côté des travailleurs qualifiés bien payés et en CDI de l’autre des travailleurs précaires mal payés. La montée des inégalités qui a suivi et les pressions sur les bas salaires ont conduit, en 2015, sous la pression des syndicats et du parti social-démocrate, à l’introduction d’un salaire minimum.

Au début des années 2000, les banques commerciales ont exercé des pressions, relayées par la Commission européenne, pour que les caisses d’épargne détenues par les pouvoirs locaux et les banques de développement détenues par les Länder (régions) soient soumises au régime commercial commun. La classe politique allemande a quasi unanimement résisté, afin d’éviter le démantèlement prévisible du réseau de caisses d’épargne fortement ancré localement et apprécié par l’électorat. Un compromis a pu être trouvé pour sauvegarder un statut privilégié aux caisses d’épargne.note113 Ce statut de droit public a été préservé jusqu’à aujourd’hui, malgré les pressions récurrentes des banques commerciales et les appels à la privatisation par des économistes orthodoxes.

De tels exemples pourraient être multipliés mais le cas allemand montre bien l’ambivalence de la construction européenne dans sa réaction à la violence du modèle libéral (EML).

5.6 L’anarcho-capitalisme

Bien loin des régulations du marché par l’État que nous venons d’évoquer, l’anarcho-capitalisme note114, auquel se réfèrent Javier Milei, président de l’Argentine, et surtout Donald Trump et son entourage note115, remet en cause l’État dans toutes ses fonctions. Ses promoteurs rêvent de territoires où le business s’affranchit des lois, des taxes, des réglementations environnementales, du droit du travail, etc. pour ne connaître que des transactions. L’historien canadien Quinn Slobodian décrit, dans son ouvrage Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie (Seuil, 2025), des zones qui s’approchent de cet idéal et fragmentent le monde régulé. Il en dénombre 6000 dans le monde note116, de 82 sortes différentes.

Selon les anarcho-capitalistes, les prélèvements obligatoires et les réglementations (législation, décrets, mesures administratives, etc.) sont illégitimes. Et ils considèrent que l’État n’est pas nécessaire pour garantir la propriété privée. Ils sont favorables à la privatisation de tous les services. Ils s’opposent à toute forme de redistribution non volontaire, opérée par l’État, qu’ils considèrent comme du vol.

Inutile de dire que ce système est à la fois extrêmement violent pour tous ceux qui ne pourraient pas survivre par eux-mêmes, et anti-démocratique. Alors même qu’il prétend vouloir se débarrasser de la puissance publique, il nécessite un pouvoir fort (contrairement à l’idée d’anarchisme) pour mater les inévitables soulèvements des damnés du système. Cette idéologie est plébiscitée aujourd’hui aux États-Unis par quelques milliardairesnote117 proches de Trump, obsédés de leur propre enrichissement et totalement indifférents au sort des autres humains.

Il est curieux de noter que cet anarcho-capitalisme n’est pas sans proximité avec ce que les économistes Pierre-Yves Hénin et Ahmet Inselnote118 ont appelé le National Capitalisme Autoritaire (NaCA), dont l’exemple le plus notoire est la Chine et l’exemple le plus proche de nous, la Hongrie. Dans les deux cas, la démocratie disparaît au profit d’une ploutocratie qui accroît la pompe à richesses du bas vers le haut. Il est probable que Donald Trump soit tenté par ces deux visions.

Pour en savoir plus

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La Crise économique de 1929: Anatomie d'une catastrophe financière, John Kenneth Galbraith, Payot
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Bruno Amable, Les cinq capitalismes, Seuil, 2023
Sur l’anarcho-capitalisme
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David Friedman, Vers une société sans État (1973 ; publié en français aux Belles Lettres, 1992)
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Murray Rothbard, L'Éthique de la liberté (1982, publié en français en 2011 aux Belles Lettres)
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Quinn Slobodian, Le Capitalisme de l’apocalypse ou le rêve d’un monde sans démocratie (Seuil, 2025)

Les marchés financiers

6.1 Définition et rôle d’un marché financier

Dans cette partie, nous nous intéressons aux marchés financiers dont le développement et l’ouverture internationale sont le pivot du système économique actuel. Les gestionnaires d’entreprises se sont vus progressivement imposés comme premier, voire unique critère d’évaluation, un rendement financier concurrentiel, déterminé sur des marchés internationaux.

Un marché financier note119 est un lieu, physique ou virtuel, où les acteurs du marché (acheteurs, vendeurs ; qui sont des institutions financières, des entreprises ou des particuliers) négocient des produits financiers qui peuvent être cotés en continu, ou à certains moments de la journée. Les opérations peuvent être automatisées (trading algorithmique, dont une partie est à haute fréquence).

Les marchés financiers assurent des fonctions de financement de l'économie, de placement pour les investisseurs, d'allocation et de gestion des risques ainsi que de liquidité ficheliquidite des titres. Par exemple, pour satisfaire leurs besoins de financement, les entreprises, l'État et les collectivités publiques ont, pour partie, recours aux banques. Ils peuvent aussi procéder à des émissions d'actions, d'obligations et d'autres titres de créance.

6.1.1 Les différents types de marchés financiers

L'émission de ces titres financiers se fait sur un marché dit primaire. Par exemple : à l'occasion d'une introduction en bourse, d'une augmentation de capital ou d'une émission d'obligations.

Une fois l'émission terminée, ces titres seront négociés par différents acheteurs et vendeurs, sur un marché dit secondaire.

Marché primaire et marché secondaire

Module marches 6.1 Marches financiers AMF
Source Autorité des Marchés Financiers

La classification des marchés financiers

Il existe plusieurs types de marchés financiers caractérisés selon différents critères : économiques, organisationnels et par nature d'engagement.

Les marchés se distinguent au plan économique selon les titres financiers qui y sont échangés :

  • le marché des actions pour le financement en capital des entreprises (y compris bancaires) ;
  • le marché des obligations (marché obligataire) pour le financement des entreprises (y compris bancaires), États et collectivités par l'endettement à long terme ;
  • le marché monétaire pour le financement des banques, entreprises et collectivités par l'endettement à court terme (moins d'un an) ;
  • le marché des dérivés pour les couvertures de risque ;
  • le marché des devises (marché des changes ou  Forex) note120 ;
  • le marché des matières premières et quotas de CO2. ficheneutralite

Au plan organisationnel, on distingue les marchés qui sont organisés et les marchés de gré à gré (ou Over The Counter, OTC).

Un marché organisé est un lieu de négociation, sur lequel le mécanisme de diffusion et de confrontation des ordres d'achat et de vente est régi par des règles approuvées par le régulateur de marché (comme l’AMF en France). Une fois la transaction effectuée, une chambre de compensation (comme Euronext à Paris) garantit la bonne fin de l'opération, en veillant au respect des engagements de l’acheteur et du vendeur.

Ce type de marché offre des informations aux parties prenantes (il est transparent dans une certaine mesure) et de la liquidité, avec des règles visant à protéger les investisseurs. Quelques exemples : les bourses d’actions (New York Stock Exchange, Euronext, Tokyo Stock Exchange…), ou d'instruments dérivés (le Chicago Mercantile Exchange, où s’échangent des Contrats à terme (futures) sur matières premières, devises, taux d'intérêt, etc., Euronext Liffe, où s’échangent des options et futures sur indices boursiers, etc.).

Les marchés organisés et régulés ne sont cependant pas à l’abri de dysfonctionnements d’ensemble comme les grandes crises financières nous l’ont appris. Et ils ne sont pas non plus, au plan microéconomique, efficients (voir l'Idée reçue nº4 - Les marchés financiers seraient efficients). Comme l’a montré Robert Shiller note121, les valeurs des titres d’entreprise peuvent être liées à l’euphorie des marchés, à des effets de mode bien plus qu’à des sous-jacents économiques substantiels. Pour autant ces marchés sont plus sûrs et plus susceptibles de régulation, par définition, que les marchés OTC.

Dans un marché de gré à gré (ou OTC), les intermédiaires financiers sont en relation directe : ils négocient et traitent eux-mêmes les termes de la transaction. Généralement note122 la transaction de gré à gré n'est pas prise en charge par une chambre de compensation qui garantirait la bonne fin de l’opération. Les risques sont donc plus élevés dans ce cas pour les parties prenantes note123, en contrepartie de plus de souplesse, de personnalisation et de confidentialité. Au niveau macrofinancier, l’absence de transparence des opérations OTC est source de risques systémiques comme l’a montré la crise de 2008, ce qui a conduit à des tentatives de réglementation.

Quelques exemples : les plateformes électroniques d’échanges de devises comme Reuters Dealing ou Electronic Broking Services, l’OTC Markets Group aux États-Unis, où s’échangent des actions d’entreprises non cotées, etc.

Enfin, on peut distinguer les marchés financiers par la nature de l'engagement pris par les parties prenantes.

  • Sur le marché au comptant note124 : l'acheteur paye le montant convenu et le vendeur livre le titre financier sous un délai qui est généralement de deux jours après la négociation. Ce n’est pas le cas cependant pour le trading haute fréquence (algorithmique), où les transactions se déroulent quasi instantanément. Le délai de règlement, en termes de livraison et de paiement, peut être proche de zéro, dans la mesure où les positions sont souvent ouvertes et fermées dans un temps extrêmement court.
  • Sur les marchés à terme : l'acheteur et le vendeur s'engagent pour une transaction à une date future sur un produit, une quantité et un prix convenu.

6.2 Les innovations financières et leur lien avec l’économie réelle

L’évolution du capitalisme s’est accompagnée d’innovations financières et de la montée en puissance des marchés financiers depuis les premières Bourses du 15e siècle. Une accélération considérable de cette financiarisation de l’économie s’est produite à partir des années 1970 . On peut distinguer deux grandes causes à cette accélération.

D’une part, la fin des accords de Bretton-Woods, décrétée unilatéralement par le président des États-Unis en 1971, a mis fin aux changes fixes entre les grandes devises. La réapparition de ce risque de change a engendré de la part des entreprises un besoin de couverture de risques. En réponse, les contrats à terme sur devises (futures) ont été introduits au Chicago Mercantile Exchange (CME) en 1972. C’était l’un des premiers marchés organisés permettant aux entreprises et investisseurs de se couvrir contre le risque de change. Il est assez clair que ce besoin de couverture est réel : les entreprises industrielles considèrent en général que ce n’est pas leur métier de gérer de tels risques. Elles le transfèrent à un acteur financier, agissant ainsi comme quand elles souscrivent à une police d’assurances (à la seule différence que l’assurance est souvent obligatoire).

D’autre part, les mathématiques financières ont été l’objet d’une innovation fondamentale en 1973, avec la publication de l’article The Pricing of Options and Corporate Liabilities par les économistes Fischer Black et Myron Scholes.note125 Cet article pose les bases d’une méthode mathématique révolutionnaire pour évaluer les options et autres dérivés financiers note126, ce qui a contribué à l'essor des marchés de produits dérivés. À partir de la publication de la formule note127, le Chicago Board Options Exchange (CBOE), la première Bourse spécialisée dans les options, a été fondée en 1973. La formule a rapidement été adoptée pour le pricing des options, et de nombreuses bourses ont suivi l’exemple du CBOE en introduisant des options sur actions et autres produits dérivés. Dans les années 1980, avec l’essor des ordinateurs dans le secteur financier, la formule Black-Scholes est devenue un outil courant pour les traders et analystes financiers qui pouvaient désormais automatiser le calcul des prix d’options.

Brève histoire des Bourses

Une Bourse est un marché financier où s'échangent des actifs financiers, tels que des actions, des obligations, des devises ou des matières premières. Les investisseurs y achètent et vendent ces actifs pour réaliser des profits, en fonction des variations de leur valeur. Les Bourses permettent aux entreprises de lever des fonds en émettant des actions ou des obligations, et en offrant aux investisseurs une plateforme pour investir et diversifier leurs portefeuilles.

Histoire des Bourses en quelques dates

Les premières formes de Bourses remontent au Moyen Âge, avec des échanges organisés dans des villes comme Anvers ou Bruges. Cependant, c’est à Amsterdam, au début du 17e siècle, que la première Bourse moderne a vu le jour en 1602. Ce fut la première à permettre la négociation d'actions publiques, avec la création de la Compagnie des Indes Orientales, une des premières entreprises cotées en bourse. L’essor des marchés financiers a ensuite été marqué par la création de la Bourse de New York en 1792 suivie de celle de Londres en 1801.

La privatisation des Bourses

À l’origine, les Bourses étaient des entités publiques ou semi-publiques, régulées par les États pour garantir leur bon fonctionnement et leur transparence. Cependant, au cours du 20e siècle, plusieurs facteurs ont conduit à leur privatisation progressive. Dans les années 1980 et 1990, avec la montée de la mondialisation et des marchés financiers, les Bourses ont été confrontées à une concurrence accrue. Les échanges électroniques et l'essor des technologies ont permis de rendre les transactions plus rapides et moins coûteuses, ce qui a mis les Bourses traditionnelles sous pression. Les privatisations ont alors été perçues comme une solution pour accroître leur efficacité et leur rentabilité. Ces privatisations ont permis aussi aux Bourses de diversifier leurs activités et d'explorer de nouvelles sources de revenus, tout en maintenant leur rôle de place de négociation des titres financiers.

Par exemple, la Bourse de Londres a été privatisée en 1986 et est devenue une société cotée en bourse. De même, la Bourse de New York a été privatisée en 2006, après sa fusion avec le groupe Archipelago.

La Bourse de Paris

La Bourse de Paris a été fondée en 1724 sous le nom de Bourse des Marchands de Paris, principalement pour faciliter les échanges de marchandises et de titres financiers. Tout au long du 19e siècle, elle s’est développée pour devenir un centre financier majeur en Europe. En 2000, la Bourse de Paris, ainsi que d'autres places boursières européennes (comme celles d'Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne), ont fusionné pour créer Euronext, une plate-forme boursière paneuropéenne. Cette fusion avait pour but de rivaliser avec les autres grandes places financières mondiales, comme la Bourse de Londres et la Bourse de New York, en unifiant plusieurs marchés boursiers, et en offrant une gamme plus large de produits financiers.

Euronext est ainsi devenue l’une des plus grandes bourses d’Europe, avec des marchés de titres et d’options financiers. Elle a rapidement intégré des bourses supplémentaires dans le but de renforcer sa position, comme la Bourse d’Amsterdam , celles de Bruxelles et de Lisbonne. En 2001, Euronext est devenue une société cotée en bourse. En 2007, Euronext a fusionné avec la Bourse de New York (NYSE), formant le groupe NYSE Euronext. En 2014, Euronext est redevenue une société indépendante après son rachat par l'entreprise Intercontinental Exchange (ICE), qui a repris le contrôle de la Bourse de New York, séparant ainsi les deux entités.

Les marchés financiers ont explosé en diversité, en taille et en profondeur. Vu des entreprises et des citoyens (fortunés), ils peuvent être perçus comme des apporteurs de services clés, comme vu ci-avant (apport de financement, de placement, de liquidité et de gestion des risques. Mais ils ont aussi acquis une autonomie par rapport à l’économie réelle : le trading haute fréquence, par exemple, s’est développé parce que c’était dans les intérêts des opérateurs, pas en réponse à une demande de marché. Mais c’est aussi le cas de beaucoup de produits dérivés comme le montre l'économiste et ancien trader Thierry Philipponnat dans son livre Le Capital, de l’abondance à l’utilité (Éditions de l’échiquier, 2017).

L’achat d’un produit dérivé de crédit ou de change ne génère des flux qu’entre financiers et ne peut donc être considéré comme un investissement.

Thierry Philipponnat, 2017

Par ailleurs, nous verrons que contrairement à une idée reçue, les marchés financiers ne sont pas efficients.

6.3 Les marchés fumigènes

Non seulement les marchés financiers ne sont pas efficients, mais ils ont perdu une propriété qui, pour les économistes néoclassiques, est essentielle, à savoir le fait que le prix est une indication de rareté relative. Plus un produit (ou une matière première ou un sous-produit) est rare, plus il est cher. Plus profondément, le prix est une information considérée comme nécessaire pour la prise de décision de l’entrepreneur comme l’exprime clairement Friedrich Hayek :

C’est plus qu’une métaphore de décrire le système de prix comme une sorte de machinerie pour l’enregistrement des changements, ou un système de télécommunication qui permet aux producteurs individuels de regarder simplement le mouvement de quelques indicateurs, comme un ingénieur peut regarder les aiguilles de quelques cadrans, afin d’adapter leurs actions aux changements dont ils ne peuvent jamais savoir que ce que reflète le mouvement des prix.note128

Or dans des marchés très financiarisés, ce n’est pas le cas. La volatilité des prix s'accroît, ce qui brouille le signal-prix. C’est ce qu’a montré Nicolas Bouleau note129 . Résumons les arguments en reprenant ses propos  :

1/ Les prix instantanés, ou prix spot, fournis par les marchés financiers sont très agités. Si l’on compare les prix internationaux de la laine et du coton, on voit que le prix relatif varie souvent du simple au double en l’espace de deux ans. Le prix du pétrole peut varier en période de crise de 1 à 4 en l’espace d’un mois et couramment de 50% en un an. Et comme nous l’avons montré dans une fiche sur l’élasticité-prix de l’énergie ficheprixenergieconsommation, le volume de pétrole consommé au niveau mondial ne semble pas dépendant du prix. On trouverait des agitations similaires pour les prix des métaux (or, antimoine, cadmium, zinc, nickel, palladium, argent) d’ailleurs sans corrélation évidente entre eux ni avec le pétrole.

2/ La raison de cette agitation est la spéculation, ce terme exprimant la possibilité d’achat et de revente instantanée. Imaginons en effet un marché dans lequel on soit contraint de garder ce qu’on achète un certain temps — par exemple le marché réel de l’immobilier compte tenu du délai d’inscription des actes notariés, qui est de plusieurs mois en France. Dans un tel marché, la tendance instantanée est nettement perceptible, et indiquée d’ailleurs par les agences. Le passage au temps continu (achat-revente instantanés) crée une rupture : l’agitation ou la spéculation deviennent déterminantes, en rendant les tendances invisibles ou ininterprétables.

3/ Sur un marché spéculatif, il n’est pas possible de faire apparaître des tendances : les méthodes supposées les révéler sont inopérantes. Si elles donnaient un résultat objectif, ne dépendant pas de la méthode, il serait immédiatement utilisé pour faire du profit et le prix changerait. Pire encore il existe des équipes spécialisées, munies de gros moyens informatiques, mathématiques et statistiques, sur tous les continents, qui passent leur temps à détecter la moindre possibilité d'arbitrage et parviennent à en tirer profit. Mais justement, cela met de telles lectures de tendance hors de la portée des acteurs économiques. Impossible alors pour un entrepreneur ou même un trader isolé de faire mieux que ces équipes spécialisées.

Cette caractéristique de brouillage a une conséquence très profonde en matière environnementale. Elle implique que le prix n’informe pas sur la rareté de la ressource.note130 Que le prix du pétrole ait dépassé les 140 dollars le baril en 2008 (qui est son cours historiquement le plus élevé) n’est pas un indice qu’il allait manquer et inversement un prix bas pourrait s’observer avant une vraie pénurie. Ceci remet en cause la célèbre règle de Hotelling note131. fichehotelling

Pour en savoir plus

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Robert Shiller Exubérance Irrationnelle, Valor, 2020
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Nicolas Bouleau, Martingales et marchés financiers, Odile Jacob, 1998
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Nicolas Bouleau, Le mensonge de la finance, Éditions de l’Atelier, 2018

Marchés et environnement : peut-on marchander avec la nature ?

La comptabilité d’entreprise et les comptes faits par les ménages n’intègrent pas les impacts positifs ou négatifs de notre activité sur la nature ni les services rendus par la nature note132 ; en effet celle-ci ne se fait pas payer pour les services rendus ni pour les préjudices qu’elle subit et, à l’inverse, ne paie pas les hommes pour d’éventuelles réparations dont elle bénéficierait. Du coup, les calculs économiques des acteurs économiques basés sur ces comptes ne tiennent pas compte de ces impacts et ces services. Seul compte ce qui est compté. Dit autrement, le prix ne représente pas l’ensemble des coûts et bénéfices engendrés par l’activité économique.

Ce simple constat peut justifier, au plan économique, la création de dispositifs pour réintégrer ces coûts et bénéfices dans la vie économique, en faisant simplement l’hypothèse non pas d’une rationalité des acteurs économiques ficherationalite au sens de la théorie néoclassique, mais plus modestement au sens où ces acteurs tiennent compte, dans leurs décisions d’achat, du prix et des qualités des biens et services achetés.

On peut imaginer (et constater la présence de) plusieurs dispositifs visant à prendre en compte la Nature ficheprixnature :

  • des interdictions (c’est le cas des réserves naturelles terrestres ou maritimes qui interdit les activités humaines dans la zone concernée, ou de l’interdiction de la mise sur le marché de produits toxiques) ;
  • des réglementations limitant des prélèvements, des déchets ou des pollutions /destructions ou demandant de les traiter (dans le cas des déchets) note133 ou de les compenser (dans le cas des prélèvements ou des pollutions) note134 ;
  • une monétarisation des services et pollutions par des dispositifs de taxes, subventions, paiements pour service environnemental, ou par voie judiciaire ;
  • une monétarisation par la création de marchés de droits échangeables ;
  • la création de dérivés climatiques (voir encadré) ;
  • une gestion communautaire des ressources naturelles (où la dimension économique est internalisée par la communauté).

Les dérivés climatiques

Un dérivé climatique est un instrument financier qui peut être utilisé pour se prémunir contre des risques liés au climat. Les dérivés climatiques sont des contrats dont les paiements dépendent, d’une façon ou d’une autre, du climat. Les sous-jacents peuvent être, par exemple, la température, les précipitations, les chutes de neige ou le brouillard, même si la température reste le sous-jacent le plus souvent rencontré.

Il est difficile de chiffrer la taille réelle du marché des dérivés climatiques (créés en 1996). Après avoir débuté dans le secteur de l’énergie, d’autres secteurs économiques, tels que le tourisme ou l’agriculture, commencent à voir les bénéfices financiers d’une couverture contre les aléas météorologiques. Les agriculteurs peuvent utiliser les dérivés climatiques pour se protéger contre de mauvaises récoltes dues à la sécheresse ou au froid ; des parcs d’attractions peuvent souhaiter se protéger contre des week-end pluvieux durant la saison estivale…

Ces produits sont techniques et plutôt coûteux et il est assez illusoire pour une entreprise de croire qu’elle s’évitera ainsi une réflexion approfondie sur ses risques climatiques, et ce d’autant, qu’en Europe, cette réflexion devrait devenir obligatoire du fait de la CSRD.

Voir https://meritis.fr/blog/les-derives-climatiques-applications-concretes et https://www.forbes.fr/business/les-derives-climatiques-une-solution-pour-les-entreprises-qui-cherchent-a-se-proteger-contre-les-risques-lies-aux-aleas-climatiques/

Ces dispositifs peuvent concerner le climat et la réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’usage de l’eau, de la forêt et des espaces naturels, tout comme les pollutions chimiques, l’extraction de ressources (les mines), etc.

Nous nous concentrons ici sur les solutions de marchés appliquées au cas des émissions de GES en discutant de leur justification, de leurs limites, et des alternatives telles que prônées dans la suite des travaux d’ Elinor Ostrom. Mais évoquons d’abord le débat au sein des économistes entre taxe carbone et quotas, qui repose tous les deux sur l’idée qu’ils comblent une défaillance de marché.

7.1 Taxe carbone ou marchés de quotas ?

On doit à Arthur Pigou note135 l’idée qu’une taxe permet de remédier à la défaillance de marché évoquée ci-dessus. La mise en place d’une taxe incite le pollueur à réduire la pollution dont il est responsable, alors qu’il ne l’est pas spontanément. À défaut d’une action de réduction de sa part, la taxe sanctionne la pollution selon le principe pollueur-payeur note136, l’argent prélevé pouvant financer des actions publiques pour la réduire.

En matière climatique, la taxe carbone est l’application de ce principe. On peut évaluer son impact en matière de réduction d’émissions en évaluant l’élasticité de la consommation de produits soumis à cette taxe ficheprixenergieconsommation, à son montant.

On doit à Ronald Coase et à John Dale, l’idée théorique, à la fois plus audacieuse et plus discutable note137, de corriger les allocations de droit quand elles ne seraient pas adaptées (et ne permettraient pas en particulier la création d’un marché). Autrement dit, pour Coase, si l’attribution initiale d’un droit (à polluer dans une certaine limite, par exemple) n’est pas efficace, alors la création d’un système d’échange (un marché donc) corrigera la situation.

7.1.1 Quel est le principe d’un marché des quotas d’émissions

C’est dans le protocole de Kyoto (négocié en 1997 et ratifié en 2005) qu’est décidée la mise en en place d’ un dispositif de quotas de CO2. Cette idée est apportée par la délégation américaine forte de l’expérience réussie de quotas de SO2.note138 Ironie de l’Histoire, les Américains ne ratifieront pas l’accord et les Européens, initialement plus favorables à un dispositif fiscal, seront les premiers à mettre en place un marché de quotas. Lancé en 2005, l’Emissions Trading System (ETS) crée des droits à émettre et les rend échangeables sur un marché – en l’occurrence accessibles aux obligés (les entreprises émettrices de CO2, soumises à ce système) et aux acteurs financiers, de sorte de permettre l’émergence de produits financiers dérivés.

Un marché de quotas consiste à allouer à un site industriel un plafond annuel d’émissions, de créer des quotas de CO2 échangeables, et de contraindre les industriels à acheter des quotas s’ils dépassent le plafond d’émissions sachant qu’ils peuvent en vendre dans le cas inverse. La confrontation des besoins et des excédents sur le marché permet de fixer un prix au quota. En savoir plus sur les marchés de quota CO2 dans notre fiche Neutralité et compensation carbone. ficheneutralite
Le premier intérêt, pour les concepteurs de ce dispositif, c’est que le montant alloué permet de contrôler les émissions autorisées ; ce que ne fait pas une taxe, dont l’effet sur les quantités de pollution émises est incertain. Deux autres arguments sont mis en avant par les promoteurs de ce marché : il ne s’agit pas d’un instrument budgétaire ou fiscal, ce qui permet de ne pas soumettre les sommes correspondantes à des logiques budgétaires et fiscales. Ils décentralisent aux obligés les arbitrages à réaliser, en fonction de leurs connaissances de leurs contraintes et possibilités, ce qui est, à leurs yeux, plus efficace que toute solution centralisée.

7.1.2 Le marché européen de quotas carbone (ETS)

Cependant la raison principale du choix de l’ETS au sein de l’UE est institutionnelle : les États membres sont souverains au plan fiscal. Une taxe carbone européenne, pour être mise en place, requiert l’unanimité des membres, ce qui est impossible à obtenir en pratique. L’ETS n’avait besoin que d’une directive, qui ne nécessite que la majorité qualifiée du Conseil européen (et de ne pas être bloquée au Parlement). Dès lors, le dispositif au sein de l’UE est hybride : les émissions les plus concentrées sont soumises à l’ETS, et les autres à des taxes le cas échéant, ce qui est le cas pour la France, la Suède, la Finlande, le Danemark, les Pays-Bas et la Slovénie.

Cette situation pourrait évoluer avec l'ETS 2, prévu pour 2027, qui prévoit un deuxième marché de quotas pour les émissions du bâtiment et du logement.

Nous ne rentrons pas plus dans le détail de ces dispositifs ici, ni de leur évolution ni de leur évaluation, pour nous concentrer sur la double controverse qui anime les économistes sur ces questions.

7.1.3 Les crédits carbone et le marché volontaire du carbone : réduire ou compenser

Parallèlement aux marchés de quotas s’est développé le recours à des crédits carbone. Il s’agit de mécanisme de financement, par un acteur privé, d’actions de réduction d’émissions de GES dont il n’est pas l’origine, ni directement ni indirectement (qui ne font donc pas partie de son scope 3 note139). Le crédit carbone est la contrepartie d’une telle action de décarbonation. Ces crédits carbone peuvent être ensuite échangés sur un marché, aujourd'hui volontaire, non lié à une réglementation internationale et non réglementé. Un acteur privé peut donc les acheter et ainsi, théoriquement, contribuer à la réduction de GES ou à leur séquestration.

Sans entrer ici dans les détails (voir notre fiche Neutralité carbone et compensation des émissions ficheneutralite) mentionnons les deux problèmes principaux que posent ces crédits carbone dans le cadre d’ un marché volontaire.

D’une part, si ces crédits sont certifiés par des agences ou des cabinets de conseil, ils ne sont pas toujours une preuve solide d’une action efficace et durable, comme l’a notamment révélé une grande enquête publiée dans le Guardian note140 en 2023.

D’autre part les entreprises qui achètent ces crédits s’en servent, la plupart du temps, pour compenser leurs propres émissions, et du coup ne lancent pas les actions correspondantes de réduction d’émissions qui doivent pourtant être faites dans une optique d'émissions nettes nulles à terme : en effet les puits disponibles sont très insuffisants pour neutraliser les émissions actuelles. Il faut donc agir sur les deux plans.

L’argument mis en avant par les économistes c’est qu’il serait souhaitable, au plan de l’efficacité économique, de réaliser les opérations les moins coûteuses (celles qui génèrent des crédits). Cet argument ne tient que si les émissions compensées faisaient l’objet de travaux (y compris de recherche) visant à les réduire, mais ce n’est pas le cas tant qu’il est possible d’acheter des crédits peu coûteux. Elles disparaissent des radars en quelque sorte.

Tant que, via les mécanismes de marchés de crédit carbone, il sera moins cher de compenser ailleurs, que de réduire ses propres émissions, la nécessaire transformation en profondeur de l'économie n'aura pas lieu.

Les marchés de crédits carbone sont une illustration parfaite du fait que la croyance dans les marchés comme solution absolue peut avoir des conséquences néfastes pour la société.

7.2 Mécanismes de marché et biodiversité

7.2.1 Les biobanques

Aux États-Unis, certains acteurs financiers se sont penchés sur le sujet dans les années 80. C’est à cette époque que naissent les biobanques note141, des institutions privées, sociétés financières ou d’assurances, qui attribuent un coût aux divers éléments constitutifs de la Nature (une espèce menacée, un espace naturel…) et vendent des titres ou certificats de biodiversité à des entreprises pour des permis de construction. Concrètement, les biobanques acquièrent des terrains sur lesquels vivent des espèces en voie d’extinction et procèdent à la vente de titres à des entreprises afin de financer l’achat desdits terrains. Les entreprises ont ainsi la satisfaction d’avoir agi pour la sauvegarde de la biodiversité (et la possibilité de communiquer sur leur bonne action) tout en continuant à construire des sites plus ou moins polluants.

Cette opération permet, en principe, de satisfaire les intérêts des entreprises, des biobanques, ainsi que de la Nature. En effet, en achetant des titres aux biobanques, les entreprises obtiennent des certificats de bonne conduite valorisés par leur clientèle et plus généralement les investisseurs ; les biobanques vont, elles, s’enrichir, et une espèce menacée sera théoriquement protégée.

À titre d’exemple, la biobanque Malua Bank créée en 2008, a acheté pour 34 millions d’euros, 34 000 hectares de la forêt de Sabah (île de Bornéo, Malaisie) abritant des orangs-outans dont l’espèce est menacée. La biobanque vend des certificats orangs-outans à des entreprises qui pratiquent l’extraction d’huile de palme afin que ces dernières puissent être dispensées de suspendre leurs activités destructrices. Cependant, l’huile de palme a provoqué une réelle levée de boucliers chez les défenseurs d’animaux et de l’environnement.

7.2.2 Les certificats biodiversité

Rappelons le contexte. Comme le rappellent les rapports de l’IPBES note142, il est urgent d’agir pour inverser le déclin de la biodiversité. Le cadre mondial de lutte contre l’érosion de la biodiversité est issu de la COP15 Biodiversité de Kunming-Montréal qui s’est déroulée en 2022. Il pose des objectifs globaux pour cette action, dont la mobilisation des financements nécessaires privés et publics. C’est la teneur de la cible 19, qui appelle à augmenter sensiblement et progressivement les ressources financières […] y compris privées. Il y est mentionné explicitement la promotion de systèmes innovants, dont les crédits biodiversité. La présidente de la Commission européenne a donné une impulsion en septembre 2024 note143 pour la mise en place de crédits nature à l’instar du marché de quotas carbone.

Ces certificats visent à garantir l’intégrité et la non-additionnalité d’une action de restauration de la biodiversité.notepivin144 L’idée sous-jacente est qu’ils soient susceptibles de servir de support à un financement privé de la part d’un acteur qui cherche à contribuer à cette lutte contre la perte de biodiversité, puis à un marché d’échanges.

Les problèmes révélés par les marchés volontaires de certificats carbone ficheneutralite vont se poser ici . Il est donc impératif que les leçons en soient tirées. En particulier, il est indispensable que de tels marchés, pour la biodiversité, soient réglementés et non volontaires. Mais, en plus, la certification biodiversité est plus difficile pour plusieurs raisons.notepivin144 Citons les deux principales.

  • Il n’y a pas de métrique reconnue universellement en matière de biodiversité.
  • Les enjeux concrets ont une beaucoup plus forte dimension territoriale et locale pour le carbone.

7.3 Les limites du signal-prix

La première controverse sur le fait de compter sur les marchés pour préserver l’environnement - que ce soit le climat ou la biodiversité - concerne l’efficacité du seul signal-prix (qu’il soit issu de quotas ou d’une taxe). Jean Tirole prix Nobel note145 d’économie recommande, comme la très grande majorité des économistes, une solution par le marché, c’est-à-dire de faire payer les émissions de carbone à un même prix pour l’ensemble des pays, des secteurs économiques et pour tous les acteurs.note146

Cette idée est dominante, au sens où elle est portée par les économistes les plus écoutés en Europe, comme Jean Tirole ou Christian Gollier. On a évoqué plus haut sa logique de base. Le raisonnement de ces économistes est plus profond ; ils considèrent que le marché est la seule organisation institutionnelle performante, car elle se fonde sur l’intérêt des acteurs dont, à leurs yeux, la confrontation conduit à une efficacité optimale, sauf cas de défaillance de marché. Le cas des émissions de GES étant reconnu comme constituant une telle défaillance, ils proposent la correction par un signal-prix et la considèrent comme nécessaire et suffisante. Ils considèrent que toute autre intervention publique (par des subventions des règlements ou autres) est nécessairement plus coûteuse (même si ces coûts sont cachés) et au fond superfétatoire.

D’autres économistes attirent l’attention sur les limites du signal-prix. Tout d’abord, sur un plan empirique, on peut constater les insuffisances suivantes :

  • Le niveau du signal-prix est très difficile à calibrer correctement.note147
  • L’augmentation des prix qui découle d'un tel dispositif pèse au final sur les consommateurs, ce qui rend les citoyens hostiles à ce type de fiscalité. En d’autres termes, le rôle de l’État est plus vu comme protecteur contre les défaillances / excès des marchés (en cas de hausse des prix des énergies par exemple, l’État est sollicité pour la limiter et il est dans ce cas considéré comme légitime) que comme incitateur. L’incitation par une taxe est plutôt vu comme un impôt de plus dont l’usage échappe aux citoyens qui n’en voient que le poids. C’est l’expérience des Gilets Jaunes en France.
  • Les estimations du niveau de prix à mettre en place pour, qu’à lui seul (sans autres politiques publiques), il suffise à infléchir les émissions conformément aux trajectoires de l’accord de Paris, sont très élevées par rapport au niveau actuel (par exemple 256 euros par tonne note147-2 en France en 2030, le niveau actuel étant de 45 euros et ayant suffi à déclencher le mouvement des Gilets Jaunes).
  • Ce niveau de prix ne peut être indépendant du prix du sous-jacent (en l’occurrence pour la taxe carbone, le prix de l’énergie) car les consommateurs sont sensibles au prix TTC et pas au prix du carbone qui n’en est qu’une partie. L’idée d’une fiscalité élastique note148 a été mise sur la table , en améliorant celle de la TIPP flottante, testée puis abandonnée en 2000-2002. Mais cette suggestion s’éloigne de la pureté du raisonnement économique qui fonde la taxation.
  • Les citoyens ne peuvent instantanément changer leur fonctionnement, surtout si cela nécessite des investissements (véhicule, moyen de chauffage etc.), et encore plus s’ils ne voient pas d’alternatives (par exemple en transport public).
  • Dans les faits, l’arsenal de mesures publiques est beaucoup plus complet (information, formation, réglementations, normes, dépenses publiques, subventions…).

7.4 Une approche par le marché exclusivement ne permettra pas de décarboner de l’économie

Pour l’économiste orthodoxe Jean Tirole, il est vrai que la politologue Elinor Ostrom, prix Nobel d’économie en 2009, a montré comment de petites communautés stables sont capables, dans certaines conditions, de gérer leurs ressources locales communes sans se retrouver victimes de cette tragédie, grâce à des mécanismes informels d’incitation et de sanction.note149 Mais ces approches informelles pour limiter le problème du passager clandestin ne sont évidemment pas applicables au changement climatique, car dans ce cas les parties prenantes sont les 7 milliards d’individus qui habitent actuellement la planète ainsi que leur future descendance.note150 Il recommande, comme on l’a vu plus haut, une solution par le marché.

À rebours, Elinor Ostrom a fait des propositions tirant profit des leçons apprises pour gérer les communs.note151 Elle met en avant une approche polycentrique selon laquelle plusieurs communs, des locaux au global, seraient articulés entre eux. Cette approche tirerait partie des co-bénéfices de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (amélioration de la qualité de l’air) et des complémentarités potentielles entre adaptation (localement indispensable) et atténuation (aux effets globaux). Les échanges d’expériences et l’évolution induite des normes sociales seront facteurs d’un regain de confiance limitant les comportements opportunistes. Cette approche se distingue autant de l’approche par le marché et les prix, irréaliste (voir l’Idée reçue 5 sur la privatisation de la Nature), que d’une approche étatique autoritaire. Pour Elinor Ostrom, le problème d’une action collective ne disparaît pas si c’est un gouvernement qui traite une externalité. Même un gouvernement doit pouvoir s’appuyer sur une volonté de coopérer de ses citoyens.note152 La pertinence de cette proposition ne devrait pas être rejetée d’un revers de main. C’est en effet pour une bonne partie au niveau local que va se jouer le succès ou l’échec de la transition écologique qu’il s’agisse d’adaptation ou d’atténuation.

Pour en savoir plus

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Arthur Pigou, The Economics of Welfare, 1920
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Alain Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit, Points, 2009
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Elinor Ostrom, A polycentric approach for coping with climate change, World Bank, 2009
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Benjamin Coriat, Le bien commun, le climat et le marché. Réponse à Jean Tirole, Les Liens qui Libèrent, 2021
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Alain Grandjean et Julien Lefournier, L’illusion de la finance verte, Éditions de l’Atelier, 2021
Sur les marchés de carbone
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Comment les entreprises polluantes ont transformé les quotas gratuits de CO₂ en un marché de plusieurs milliards d’euros, Guillaume Delacroix, Emmanuelle Picaud et Luc Martinon, Le Monde (30/05/2023)
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Vidéo (en anglais) John Oliver - Carbon offsets (22/08/2022)
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Christian Gollier, Le climat après la fin du mois (Alpha, 2019), qui montre que les économistes de culture néoclassique font toujours du signal-prix carbone la mesure centrale de lutte contre le changement climatique.
Sur la biodiversité
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IPBES, Thematic Assessment Report on the Interlinkages among Biodiversity, Water, Food and Health, 2024 et Thematic assessment of the underlying causes of biodiversity loss and the determinants of transformative change and options for achieving the 2050 Vision for Biodiversity, 2024

Le cas particulier du marché européen

Depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a progressivement créé des institutions et des règles pour construire un vaste marché intégré. Ce projet est fondé sur l’idée théorique de l’efficacité du marché mais aussi, à la sortie de la deuxième Guerre mondiale, sur l’idée du doux commerce chère à Montesquieu.note153 Cette démarche, percutée par des événements marquants comme la chute du mur de Berlin, les guerres en Yougoslavie, la montée en puissance de la Chine, la crise de 2008 ou encore la guerre en Ukraine, a évolué au fil du temps pour répondre à de nouvelles dynamiques économiques et politiques, tout en restant fidèle à son fil rouge. Les principaux jalons de cette intégration sont marqués par quatre grands traités : le Traité de la CECA (1952), le Traité de Rome (1957), l’Acte unique européen (1986) et le Traité de Maastricht (1992).

8.1 Vers le Marché intérieur : une intégration progressive

La création de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1952 vise à placer la production de ces ressources stratégiques sous une autorité supranationale, dans un objectif de paix durable entre la France et l’Allemagne. Il s’agit donc d’abord de l’expression à l’échelle européenne d’un besoin après-guerre de politique industrielle, au sens large, correspondant à l’intervention organisée par l’État pour orienter le marché vers un système productif qu’elle juge préférable, selon des critères d’utilité publique définis politiquement.note153-2 C’est ainsi que la France a mis en place au sortir de la guerre le Commissariat Général au Plan (CGP), outil de planification anti-hasard, après les errements libéraux de l’entre-deux-guerre.

L’orientation de la construction européenne va cependant changer progressivement, pour au contraire remettre en avant le pouvoir du marché. Le Traité de Rome (1957) prolonge ainsi l’ambition de la CECA en créant le Marché commun pour éliminer les droits de douane et adopter un tarif extérieur commun. Cette intégration économique s’approfondit en 1986 avec l’Acte unique européen, qui supprime les barrières commerciales internes. L’arrêt Cassis de Dijon (1979) note154 et les idées néolibérales des années 1980 accélèrent ce mouvement, culminant en 1992 avec la réalisation du Marché intérieur. Le parallèle avec la disparition des velléités de politique industrielle en France est frappant : le CGP, en déshérence progressive, est encore affaibli par les chocs pétroliers et ce tournant néolibéral, et cesse de publier un Plan en 1993.

8.2 Les politiques européennes de la mise en place du marché unique

8.2.1 Ouverture des marchés et politique de concurrence

Depuis 1962, en Europe note155, une politique de concurrence vise à éviter et sanctionner les ententes et abus de position dominante. Le 1er janvier 1993 les postes frontières entre les pays de l’Union ont été abolis pour le passage des marchandises. Le fondement économique (et idéologique) élaboré dans le rapport Cecchininotececchini était un diptyque. Le premier pilier était la reconnaissance mutuelle des normes et standard (un bien autorisé à la vente dans un pays l’est aussi dans un autre) ou une harmonisation européenne. Ces normes et standards concernent les produits eux-mêmes (par exemple, sécurité des produits) ou les modes de production (par exemple, respect de l'environnement). Cette approche met en concurrence les producteurs européens alors que la baisse des coûts d’accès à un marché plus vaste leur permet de réaliser des économies d’échelle. Elle s’est accompagnée d’une politique de la concurrence visant à sanctionner les ententes et abus de position dominante.

La Commission européenne dispose de pouvoirs d’enquête et contrôle aussi les fusions pour prévenir les monopoles. La direction générale en charge de cette politique (la DG COMP) est l’une des plus puissantes de la Commission. Ces règles ont conduit la Commission à faire adopter de nombreux règlements et normes politiquement souhaitables ou supposés nécessaires pour que la concurrence soit libre et non faussée.note156 Il en résulte un apparent paradoxe : la naissance et le développement d’une bureaucratie libérale.note157

Pour combler son déficit d’information cette bureaucratie doit coopérer avec les associations professionnelles et les représentants de la société civile (par exemple défenseurs de l’environnement) sans garantie cependant d’un traitement égal entre les différentes parties prenantes au cours d'un processus législatif complexe impliquant la Commission européenne, le Conseil des ministres et le Parlement européen.

Le Traité de Maastricht est venu renforcer les règles européennes visant à favoriser la concurrence au sein de l’UE (voir l’exemple du ferroviaire développé dans l’Idée reçue 7).

8.2.2 Libéralisation de circulation des marchandises, services et capitaux et personnes

Si la libéralisation du commerce des marchandises a été facilitée rapidement, celle des services a été plus lente en raison des réticences nationales, dues en particulier à l’attachement des pays membres aux services publics, dont certains (ferroviaire, télécom, électricité) allaient devoir s’ouvrir à la concurrence. Toutefois, des changements ont eu lieu dans les secteurs financiers, des télécommunications, et des transports. La libre circulation des capitaux, quant à elle, devient totale en 1990.note158

Enfin, le droit à la libre circulation des travailleurs et la liberté d’établissement, reconnus dès le Traité de Rome, sont renforcés et élargis avec Maastricht et les traités suivants. Les libertés de circulation et de séjour, élargies à tous les citoyens européens, indépendamment de leur activité professionnelle, sont inscrites à l'article 3 du traité sur l'Union européenne, et à l'article 21 du traité sur le fonctionnement de l'UE (TFUE). Elles sont aussi garanties par l'article 45 de la Charte européenne des droits fondamentaux.

8.2.3 Politiques sectorielles : agriculture, industrie, et cohésion

La Politique Agricole Commune (PAC), fichepac instaurée en 1962, impulse une profonde restructuration de ce secteur, en promouvant une agriculture productiviste et en poussant au regroupement des exploitations. Cette restructuration a été violente socialement, et écologiquement désastreuse.note159 Les remembrements note160 opérés ont détruit des milliers de kilomètres de haies, havres de biodiversité, et canalisé des cours d’eau, au détriment de leur capacité à réguler les pluies excessives. Quant à l’impact social, il se lit dans les chiffres : les exploitations sont passées en France de 2,5 millions en 1955 note161 à moins de 500 000 en 2020.

Des politiques structurelles, comme le Fonds social européen (1958) et le FEDER (1975), cherchent à réduire les inégalités régionales. Les montants mobilisés ne sont pas anecdotiques : pour la période 2021-2027, l'UE prévoit de mobiliser environ 316 milliards d'euros sur sept ans pour la cohésion économique et sociale, soit environ 45 milliards d'euros par an.note162

À l’inverse, l’industrie est restée principalement sous contrôle national. Il faut voir là non pas une résistance des États (comme dans le cas de la libéralisation des services) mais un vrai biais idéologique. Après une période d’immédiat après-guerre de reprise en main de l’appareil industriel par ces États, la priorité a été donnée d’une manière de plus en plus marquée aux politiques de concurrence pour la distribution des produits et services, censées réduire les coûts pour les consommateurs, même si cela se traduit par des pertes d’emplois et/ou des délocalisations. Ce raisonnement est doublé de celui des avantages comparatifs de Ricardo : on ne peut pas tout faire bien, il est donc inévitable de faire faire par d’autres ce qu’on fait moins bien qu’eux. C’est toute la logique du raisonnement néolibéral, largement partagé par les autorités nationales et européennes.

Une politique industrielle fichepolitiqueindustrielle, elle, se place du point de vue des producteurs. Il aura fallu les crises dues au COVID et à la guerre en Ukraine pour que des politiques industrielles nationales et européennes deviennent légitimes, voire souhaitables et que des mesures de soutien émergent. Au niveau européen, c’est le lancement en 2024 du Règlement pour une industrie zéro net qui vise à faire de l’UE l’épicentre de la production des technologies propres et des emplois verts. En France, ce sont les programmes France 2030, avec des appels d'offres pour soutenir la décarbonation des très grands projets industriels. L’ampleur des enjeux de décarbonation de l’économie et l’échec des politiques de soutien inconditionnel au marché et aux grandes entreprises demanderait pourtant une toute autre approche, plus collective, systémique et pilotée sur le temps long.note153-3

8.2.4 L’absence d’harmonisation de la fiscalité et des politiques sociales

Deux autres domaines, la fiscalité et le social, restent largement nationaux. Bien que des progrès aient été réalisés, notamment en matière de TVA et d’évasion fiscale ficheevasionetparadisfiscaux, les divergences entre États membres et le manque de volonté d’ensemble, s’opposent à une harmonisation. Dans le domaine social, des avancées modestes ont été réalisées pour protéger les droits des travailleurs, comme la directive sur les travailleurs détachés note163 ou la mise en place d’un salaire minimum européen en 2022.

Dès lors, la concurrence entre les multinationales étant faussée par ces disparités, elles inversent la problématique en mettant (quand elles sont assez puissantes pour le faire) les États ou les régions en compétition. Il en résulte une course au moins-disant fiscal et social, aux effets délétères, tant au plan économique (la concurrence étant, au sein de l’Europe, plus vive que la coopération) qu’au plan politique, en termes d’adhésion au projet européen.

8.3 Le Traité de Maastricht : une nouvelle étape

En 1992, le Traité de Maastricht marque un tournant en introduisant l’Union économique et monétaire (UEM). Celle-ci conduit à la création de l’euro, régie par des critères de convergence.note164 Ce traité renforce également la libre circulation des capitaux note165 et développe un cadre pour un marché financier intégré, préfigurant l’Union des marchés des capitaux (UMC), encore en construction. Le Traité renforce la libéralisation des transports et celle de l’énergie (électricité et gaz), en visant à créer à terme un marché unique de l’énergie.fichemarcheelectricite

En parallèle, la création du marché de quotas ETS et de directives sur l’efficacité énergétique et sur les énergies renouvelables ont conduit à une réduction des émissions des gaz à effet de serre note166 grâce à une mutation réellement enclenchée du mix énergétique (avec une réduction de la part des énergies fossiles et la croissance des énergies bas-carbone).

8.4 Défis et perspectives

Cette longue marche vers le tout-marché se heurte aujourd’hui à des réalités qui se rappellent durement à l’Union européenne. Plusieurs promesses, notamment celles qui sont explicitées dans le rapport Delors de 1989 note167, préparant l’Union monétaire n’ont pas été tenues. On peut les résumer en quelques mots. L’Union devait apporter croissance économique et emplois, stabilité économique, convergence des économies, réduction des inégalités sociales et puissance européenne. Force est de constater que, sur tous ces plans, les résultats sont pour le moins discutables.

L’UE a connu, dans les années 2010, une crise de la dette souveraine majeure. Les inégalités restent fortes entre les pays du Nord et ceux du Sud et de l’Est, où le chômage reste élevé. Si l’euro est devenu une monnaie de réserve, il reste loin du dollar et continue de pâtir de l’absence d’une politique étrangère et économique coordonnée. L’absence de politique industrielle et la perte de souveraineté des États européens sont devenues criantes, suite à la crise du COVID et aux conséquences économiques et énergétiques de la guerre en Ukraine. Certes le Green New Deal (Pacte vert en français) est une initiative majeure de la commission Van der Leyen (2019) pour faire de l’Union européenne le leader de la transition écologique. Mais ce projet bute aujourd’hui sur les volets industriels et les craintes légitimes des entreprises face à la concurrence mondiale, notamment américaine et chinoise, de plus en plus agressive. Par ailleurs le passage de critères de convergence -visant initialement à rapprocher les différentes économies nationales- à une discipline budgétaire encadrée par des règles de plus en plus complexes, affaiblit l’Union européenne. Elle fait adopter en 2024 des politiques budgétaires nationales procycliques, fichegouvernanceue alors que la situation économique nécessite l’inverse et que le rapport Draghi note168, appelle à un grand programme d’investissements (800 milliards par an au niveau européen, soit 5% du PIB européen, dont une large partie serait sur fonds publics). Ce rapport, remis à la présidente de la Commission européenne en septembre 2024, se concentre sur trois axes pour redresser la compétitivité européenne : innover et combler le retard technologique ; avoir un plan commun pour la décarbonation et la compétitivité ; renforcer la sécurité et réduire les dépendances.

Au total, les crises récentes ont mis en évidence la nécessité de politiques plus solidaires et résilientes, notamment dans les domaines de l’énergie, de l’industrie et de la défense. La situation géopolitique et les tensions avec la Chine et les USA renforcent cette nécessité. La décision de Donald Trump, début 2025, de s’allier avec la Russie, contre l’Union européenne, est un électrochoc, dont on peut espérer qu’elles sortent les Européens de leur vision, non pas naïve, mais complètement idéologique et déconnectée de la réalité des rapports de force (et de leurs liens consubstantiels avec la réalité économique).

L’Union des marchés des capitaux (UMC) et ses limites

La Commission européenne estime que l'UE a besoin de 620 milliards d'euros supplémentaires chaque année jusqu'en 2030 pour atteindre l'objectif climatique fixé pour 2030. La Cour des comptes européenne a porté ce chiffre à un trillion supplémentaire chaque année.

Des investissements importants, tant de la part du secteur public que du secteur privé, sont donc nécessaires pour financer la transition. Les rapports Letta note169 et Draghi affirment que le développement d'une Union des marchés de capitaux (UMC) est une condition préalable à la résolution des principaux problèmes de financement de l'UE. Ils soulignent qu'une grande partie de l'épargne européenne est investie dans des entreprises situées en dehors des marchés européens. La remobiliser en Europe est présenté comme l'un des principaux moyens de répondre aux besoins de financement de la lutte contre le changement climatique.

En résumé, l’UMC pourrait mobiliser l’épargne européenne pour financer les besoins d’investissement évoqués ci-dessus.

Mais, en l‘état, il s’agit d’une vue de l’esprit. La majorité des investissements verts ne sont pas rentables.note170 Ils n’attireront pas spontanément l’épargne des ménages, car le projet actuel d’UMC ne propose pas de mécanismes concrets pour canaliser les investissements vers des activités durables ; il se concentre sur la stimulation des activités économiques, quel que soit leur impact sur l'environnement. En outre, les principales mesures proposées dans le cadre de l'UMC impliquent un assouplissement des normes prudentielles et des mandats de surveillance actuels. Cet assouplissement réglementaire est proposé sans tenir compte de manière adéquate des risques climatiques croissants et soulève des questions quant à la stabilité financière à long terme. Dans le pire des scénarios, qui n'est pas improbable, l'UMC accroîtrait les risques liés au climat en augmentant le financement des activités à forte intensité de carbone et en affaiblissant simultanément les mesures de protection prudentielles mises en place pour les absorber.

En savoir plus : Voir le feedback de Reclaim Finance déposé sur le site de la Commission européenne le 12 février 2025, dont s’inspire cet encadré.

Mais à ce jour, le marché unique de capitaux (UMC) reste le projet phare de la Commission.note171 Certes, il est indéniable que l’intégration européenne n’est pas complète, que les marchés bancaires note172 et financiers restent fragmentés.note173 Mais s’agit-il des défis les plus pressants et fondamentaux pour l’Europe ? Est-il démontré que les PME et ETI seront plus robustes et plus écologiques en recourant plus aux marchés des capitaux et moins à l'intermédiation bancaire ? Et surtout, comment croire et surtout faire croire que ce projet répond aux défis européens ?

Face aux nombreux défis du 21e siècle (climat, biodiversité, inégalités, déclin des idées démocratiques…), la réponse des dirigeants européens ne peut se limiter à une initiative relative aux marchés des capitaux et aux banques.

Pour en savoir plus

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David Graeber, Bureaucratie, Les liens qui libèrent, 2015
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BD Champs de bataille (Delcourt, 2024) d’Inès Léraud et Pierre Van Hove
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Rapport Letta : Much more than a market, 2024
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Rapport Draghi : The future of European competitiveness, 2024
 

Idées reçues

Le profit serait le guide suprême ou le mal suprême de l’activité économique

Vue sous un angle plus politique et simplificateur, la loi du marché est souvent présentée comme la loi du profit. Les thuriféraires du marché voient dans la recherche du profit un mécanisme qui permet à l’économie d’être aussi efficace que possible. C’est le célèbre point de vue de Milton Friedman, selon lequel les dirigeants d’entreprise doivent se contenter de satisfaire les intérêts des actionnaires (donc en résumé de maximiser le bénéfice de l’entreprise, qui sert de base à la distribution des dividendes et à la valorisation des actions de l’entreprise, donc à celle du patrimoine des actionnaires). Il a été exprimé très clairement par Adam Smith :

Je n’ai jamais vu que ceux qui aspiraient, dans leurs entreprises de commerce, à travailler pour le bien général, aient fait beaucoup de bonnes choses. Il est vrai que cette belle passion n’est pas très commune parmi les marchands, et qu’il ne faudrait pas de longs discours pour les en guérir.

Adam Smith, An Inquiry into the Nature and Causes of the Wealth of Nations

1.1 Commençons par définir le profit

Le profit, c’est le bénéfice d’une entreprise. Après impôt c’est, au plan juridique, la rémunération des actionnaires, qui peuvent se le distribuer en tout ou partie ou le laisser en réserve dans l’entreprise. La recherche du profit est, en général, aussi considérée comme le moteur de la croissance économique. C’est sans doute cela qui légitime le fait d’appeler profit la rémunération des actionnaires. Comment expliquer sinon que les salaires, achats et autres frais financiers, soient appelées charges alors qu’elles aussi devraient être appelées profits (puisqu’elles profitent à ces parties prenantes, comme le profit profite aux actionnaires… et qu’elles sont considérées comme telles au niveau macroéconomique, étant des composantes du PIB).

À l’inverse, la tradition marxiste considère que le profit est du vol note174 et les patrons des exploiteurs. Elle voit dans le profit le mal économique.

Il est donc utile de rappeler ici quelques évidences.

1.2 Générer du profit est indispensable à la survie des entreprises

Dans le système juridique actuel, une entreprise qui vend un produit ou un service doit dégager, à terme note175, chaque année un résultat positif (un bénéfice, dit autrement du profit) ou nul, pour pouvoir continuer à exister, et se financer avec une trésorerie suffisante. Si elle fait appel à des prêts bancaires, en cas de besoins financiers, elle doit pouvoir les rembourser (ce qui suppose de pouvoir, un jour, faire des bénéfices…). Ce bénéfice peut être réinvesti dans l’entreprise - des investissements, souvent nécessaires à sa survie sur la durée et, le cas échéant, à son développement. Une entreprise qui ne peut faire face à des échéances de trésorerie (paiement de fournisseur ou de salarié) doit juridiquement déposer le bilan. Dans le cas inverse, son mandataire social s’expose à des poursuites pénales.

Le profit est donc, dans le système juridique actuel, une condition d’existence durable, et en tout état de cause, d’autonomie de l’acteur. Des millions de TPE/PME en France sont dirigées par des petits patrons heureux de ne pas être salariés, et d’exercer leur métier de manière autonome, même si leur rémunération est faible et qu’ils risquent, en cas de faillite, de vivre des difficultés personnelles. Dans la grande majorité des cas, pour ces patrons, le profit n’est pas un but mais un moyen.

1.3 Le profit n’est pas garant d’une société juste ni d’un environnement sain

À l’inverse, il est clairement dogmatique et faux de considérer que la recherche du seul profit par les entreprises conduise à la satisfaction de l’intérêt général. On l’a vu dans les Essentiels de ce module, le libre jeu du marché (donc de la recherche du profit par les entreprises) doit être encadré pour tenir compte des éléments que les agents économiques n’intègrent pas dans leurs décisions.

Un mouvement profond s’observe en France et dans d’autres pays pour prendre en compte la responsabilité sociale et environnementale (RSE) de l’entreprise. Cette prise en compte conduit les entreprises à rendre compte à leurs parties prenantes à propos des actions qu’elles conduisent sur ses plans (avec un rapport RSE ou Développement Durable, éventuellement intégré aux rapports financiers).

Ce mouvement va clairement dans le bon sens, en cessant de concentrer l’attention des dirigeants sur le seul profit à court terme. Il a surtout l’intérêt de faire émerger des régulations (comme le devoir de vigilance) qui obligent les entreprises à intégrer les intérêts des parties prenantes dans leur décision.

À terme il est cependant insuffisant, car ce qui prime quand même toujours aujourd’hui, c’est la rentabilité du capital financier, qui peut se faire au détriment des autres capitaux (la nature et les humains). La meilleure (seule ?) manière d’intégrer convenablement la préservation de ces capitaux dans la décision du chef d’entreprise c’est de faire évoluer les référentiels comptables de sorte qu’il soit contraint de le faire.

La capacité d’autorégulation des marchés conduisant à une situation optimale aurait été démontrée scientifiquement

Les économistes essaient, depuis des décennies, de modéliser le fonctionnement des marchés, ce qui est très difficile : la formation d’un prix est un processus complexe, où interviennent de multiples facteurs (qualité des produits, rapports de force sociaux, règles juridiques et fiscales, poids relatif des institutions, concurrence entre producteurs, coût de fabrication, de commercialisation, marge demandée par les actionnaires, amortissement des investissements nécessaires, …). Il n’y a pas de commissaire-priseur note176 qui formule des appels de prix. Par ailleurs, il y a en fait des milliers voire des millions de marchés différents.

Aujourd’hui, le marché du travail pour les informaticiens, qui sont très demandés, n’a pas de rapport avec celui des employés de bureau, qui le sont moins. Le marché de la tulipe n’est pas celui du chrysanthème etc., et selon leurs localisations ce ne sont pas non plus les mêmes. En outre les marchés s’interpénètrent, changent de périmètres en fonction des innovations technologiques ; les interactions entre les différents marchés sont d’une complexité redoutable. Enfin, le domaine de l’économie n’est pas séparé des autres domaines (politiques, stratégiques, psychologiques, juridiques etc.). Pour ne prendre qu’un exemple parmi mille, il est impossible de comprendre l’évolution du pétrole sans prendre en compte la politique américaine au Moyen-Orient.

2.1 De la main invisible du marché à la théorie de l’équilibre général : l’évolution des théories classiques et néoclassiques

Adam Smith est le premier économiste à avoir tenté de faire de l’économie une discipline autonome (notamment des questions religieuses et morales). Il a également voulu trouver des lois économiques -à l’image de la physique newtonienne, qui venait de triompher- et a produit à la fois une théorie de la valeur (la valeur d’un bien est le travail qu’il a fallu fournir pour le produire), et une première justification du marché et de la concurrence. À sa suite, les économistes classiques, puis néoclassiques, ont cherché à solidifier sa vision du marché (la célèbre main invisible, même si ce terme qui donne à penser que le marché est tout-puissant et a quelque chose de magique lui a été attribué de manière abusive.notemaininvisible32 Alfred Marshall, l’un des pères fondateurs de l’économie néoclassique, a formulé la loi de l’offre et de la demande, tranchant un débat qui animait les économistes de l’époque : les prix sont-ils fixés par les producteurs (Ricardo) ou par les consommateurs (Jevons) ? Le prix, répond Marshall, résulte de la loi de l’offre et de la demande. Sur un marché donné, l’offre de produits est croissante avec les prix, la demande décroissante. Les deux courbes se croisent au prix de marché.

Le prix de marché devient, non plus le résultat d’un rapport de forces, mais résulte d’une loi ; il en devient le juste prix, la valeur des choses. Adieu la théorie de la valeur travail, bienvenue à une nouvelle théorie de la valeur.ficheutilite note177

Léon Walras, autre cofondateur de l’économie néoclassique, est le premier à avoir tenté de représenter mathématiquement une économie, en visant à montrer (sans y arriver) qu’un ensemble de marchés concurrentiels, où s’échangent des produits, peut atteindre un équilibre (l’offre de chaque produit (pour ce prix) égalant la demande (pour ce même prix). On doit à Gérard Debreu, prix Nobel d’économie notenobel59, d’avoir formalisé rigoureusement la théorie de l’équilibre général de Léon Walras, dans un article publié en 1959, au titre révélateur : La Théorie de la valeur, une analyse axiomatique de l'équilibre économique.note178 Il est souvent enseigné, à tort, qu’il démontre l’existence de cet équilibre.

2.2 Derrière les équations, une vision idéologique : limiter l’intervention de l’État sur les marchés

Avant d’aller plus loin et de montrer que c’est faux (ou pour le moins simpliste, car ce résultat est dépendant de toutes les hypothèses faites explicitement ou implicitement dans le modèle mathématique), il est important de comprendre les enjeux concrets de ces travaux académiques. Les économistes classiques et néoclassiques sont persuadés que les marchés s’autorégulent : un déséquilibre (par exemple une récession, un taux de faillite élevé, un niveau de chômage élevé) ne pourrait être que provisoire et se résorberait naturellement, sauf interventions maladroites des pouvoirs publics. Cette doctrine pousse les pouvoirs publics à limiter leur intervention dans le champ économique, et à étendre le domaine accessible au marché (dans des domaines comme le numérique ou la santé, et via des privatisations d’actifs).

L’ordo-libéralisme allemand est issu de ce mouvement de pensée : aux yeux de ses partisans, l’État doit se limiter à être gardien de règles (la libre concurrence, l’équilibre budgétaire, l’indépendance de la Banque Centrale) et n’a pas à réagir pendant une récession économique (et surtout pas via des surcroîts de dépenses publiques pouvant conduire à un déficit budgétaire). Autre exemple : c’est cette croyance dans les vertus autorégulatrices du marché qui a poussé Hoover à ne pas réagir rapidement pendant la crise de 1929.

Les économistes néoclassiques s’appuient pour fonder cette croyance sur des démonstrations mathématiques qui, pourtant, ne démontrent pas du tout cette propriété. Nous nous nous limitons ici à une analyse rapide de ce sujet central, et renvoyons à la littérature critique note179 qui creuse à fond ce sujet.

2.3 Les 4 principales limites de la théorie de l’équilibre général

Gérard Debreu formalise de manière très abstraite un monde économique et, dans ce cadre formel, il démontre (en collaboration avec Kenneth Arrow et Lionel MacKenzie) l’existence d’un équilibre général, ce que Léon Walras n’avait pas réussi à faire. Cette démonstration (faite au milieu des années 1950) fut considérée alors comme une avancée théorique déterminante. Elle pose pourtant quatre problèmes majeurs.

2.3.1 La représentation de l’économie de ce modèle n’a pas de lien avec la vie économique réelle.

Il suffit de lire le livre de Debreu, La théorie de la valeur (1959) pour s’en convaincre ; il s’agit de mathématiques (pas très sophistiquées note180 mais quand même…) ; les réalités économiques ne sont clairement pas la préoccupation principale de l’auteur. Cette attitude est générale chez les économistes théoriciens qui ont recours à des concepts abstraits, nécessaires pour faire des calculs mathématiques. Pour autant, ceci ne justifie pas une telle distance avec les phénomènes réels et, plus important encore, invalide l’application des résultats théoriques aux réalités économiques. Sur ce sujet, voir notre fiche Du bon usage des mathématiques en économie.fichemaths

2.3.2 Les hypothèses faites implicitement ou explicitement ne sont pas vérifiées dans la réalité

Avant même de parler de vérification, il est utile de savoir quelles sont les hypothèses en question. Citons Bernard Guerrien note181 : On pourrait penser, dans ces conditions, que les principales hypothèses de ce modèle –dont le caractère mathématique nécessite des formulations précises– sont l’objet d’une présentation unanime et sans ambiguïté de la part de ceux qui l’utilisent ou s’y réfèrent. Il n’en est rien. Il suffit, pour s’en rendre compte, de jeter un coup d’œil à ce qu’en dit Wikipédia –qui est censée donner la position de la profession dans son ensemble. Alors que l’entrée en français, "concurrence pure et parfaite" (un nom à rallonge, "originalité" française, hélas!), comporte 5 conditions –"atomicité", "homogénéité", "fluidité" (la composante "pure"), "libre circulation des facteurs", "transparence de l’information" (la composante "parfaite")–, la version anglaise, "perfect competition", en comporte le double, dont 5 qui ressemblent aux précédentes (sans y être identiques), les 5 autres –"coûts de transactions nuls", "pas de rendements croissants", "droits de propriété", "pas d’externalités ", "rationalité des agents" –, n’ayant strictement rien à voir avec elles.note182 note183

Nous reviendrons dans la suite sur certaines de ces hypothèses. Mais on peut rajouter à cette double liste, une hypothèse de plus. Le modèle d’Arrow-Debreu s'applique quand les biens sont décrits précisément, et que le lieu et la date de leur livraison sont aussi précisés (une baguette chez un boulanger n’est pas identique à une baguette chez un autre boulanger…)..

Il aboutit seulement alors à un système complet de prix –nécessaire pour sa démonstration- pour des contrats du type : Une tonne de pommes de terre bonnottes calibrées, livrée à Genève le 5 juin, s'il a plu moins de 85 cm en Valais depuis le 1er octobre. Il est bien évident que l’immense majorité des marchés ne sont pas complets et que les agents économiques sont incapables de tenir compte d’autant d’informations.

Cette incomplétude est bien identifiée par les défenseurs du marché, qui en déduisent qu’il est essentiel de le compléter et en font un justificatif de l’invention sans limite de la finance (et des produits dérivés), dont la fonction sociale serait précisément de conduire à cette complétude.

La concurrence libre et non faussée (ou concurrence pure et parfaite)

L’idéal théorique des économistes néoclassiques et celui des politiques de la concurrence est celui d’une concurrence pure et parfaite, dite aussi libre et non faussée.

Dans cette situation, les entreprises produisent et vendent des biens et services en fonction de leurs capacité propre (sans entente avec des concurrents et sans bénéficier de situation de rente, qui les protègerait de concurrents). Elles n’ont pas de prise sur les prix de marché, qui résultent de la confrontation d’offres et de demandes multiples.

Si cette situation ne se présente pas dans les faits de la manière généralisée que suppose la théorie de l’équilibre général, elle correspond bien à certains cas, qui montre qu’elle a des avantages. Sur le marché du village, les consommateurs sont bien contents que les prix soient limités par la concurrence et cherchent bien le meilleur rapport qualité-prix.

Sur un marché boursier, les échanges permanents sont aussi conformes à cette représentation.

Par ailleurs, les inconvénients des concentrations économiques (voir Essentiel 3.2) sont

bien identifiés : prix élevés, pouvoir économique financier et politique excessif, frein à l’innovation (qui serait le fait de nouveaux entrants).

En revanche, ce qui n’est pas assez dit, c’est que dans les industries à rendements croissants, le libre jeu de la concurrence conduit à ses concentrations (et à non à un équilibre de concurrence avec de multiples acteurs).

La critique faite à l’hypothèse de concurrence pure et parfaite dans la théorie générale n’est donc pas morale mais théorique : c’est une hypothèse qui n’est pas conforme du tout aux réalités observables. C’est aussi le cas de l'hypothèse des rendements décroissants. La vérification de ces deux hypothèses (entre autres) est indispensable pour conclure à l’existence d’un équilibre général et à son optimalité. Comme elles ne sont pas vérifiées empiriquement, on peut en déduire que la conclusion ne l’est pas non plus.

2.3.3. L’équilibre existe théoriquement, mais comment y arriver reste un mystère

À partir du début des années 1970, il devient évident qu'il n'était pas possible, dans le contexte de cette théorie, d'expliquer comment une économie, initialement hors-équilibre, pouvait converger, par une suite d'échanges réalisés hors-équilibre, vers un équilibre. En d'autres termes, on était capable de montrer l'existence d'un équilibre dans un vaste ensemble de situations mais pas d'expliquer comment une économie pouvait l'atteindre dans un cadre d'échanges libres et décentralisés. En 1974, Debreu, Mantel et Sonnenschein (voir encadré) invalident le processus proposé par Léon Walras pour décrire la convergence vers un prix de la rencontre de l’offre et de la demande, montrent qu’elle n’est en rien assurée et qu’il n’est pas démontrable qu’il y ait un unique prix.

Le théorème de Sonnenschein

La forme des fonctions d'offre et de demande sont des éléments essentiels de la théorie du producteur et de la théorie du consommateur. Dans un cadre d'équilibre partiel, il est possible de déduire du seul comportement maximisateur et d'hypothèses sur la fonction d'utilité ou sur la fonction de production, des conditions sur la forme des fonctions d'offre et de demande, par exemple le fait que la demande est une fonction décroissante du prix pour un bien normal.

Le théorème de Sonnenschein montre que de telles propriétés ne s'étendent pas aux fonctions de demande nette (différence entre demande et offre) globales issues de l'addition des offres et des demandes individuelles dans le cadre du modèle de Arrow-Debreu.

Autrement dit, la demande nette globale peut avoir, dans ce cadre, une forme quelconque. Ce qui ne met pas en cause l'existence de l'équilibre, mais son unicité et la stabilité du tâtonnement censé l'y conduire.

2.3.4 Assez curieusement le théorème d’Arrow-Debreu n’a pas cherché à représenter comment se forme le prix sur un marché

L’hypothèse (d’atomicité) selon laquelle les agents sont des preneurs de prix (price takers en anglais) est l’hypothèse centrale du modèle de concurrence pure et parfaite. Les agents ne proposent pas des prix – ils les prennent, d’où qu’ils viennent. L’hypothèse preneur de prix est souvent présentée comme valable dans le cas d’agents très petits, dont les offres et les demandes individuelles se noient dans la masse. Ce qui laisse pourtant en suspens la question centrale de savoir qui fixe les prix. Que les agents soient peu nombreux ou pas, il faut bien que quelqu'un le fasse. Ce mystère reste entier.

2.4 Malgré ses limites, la théorie de l’équilibre général influence les politiques économiques mondiales

La théorie de l’équilibre général n’est donc en rien démontrée. Pour autant, de nombreux modèles mathématiques, et au sein des institutions les plus influentes comme le FMI , la Banque Mondiale, la BCE, utilisent toujours des modèles d’équilibre général.note184 Certes, des efforts sont faits depuis la crise 2008, qui ne pouvait être prévue par ces modèles, pour les améliorer. Mais il est évidemment souhaitable, et ce depuis longtemps, de partir sur des bases entièrement renouvelées (voir le post des Chroniques de l’Anthropocène note185 La Nature au cœur du raisonnement économique), comme le tentent les économistes Gaël Giraud ou Antoine Godin avec le modèle GEMMES.note186

Pour en savoir plus

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Steve Keen, L’Imposture économique, Éditions de l’atelier, 2014
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Gérard Debreu Theory of Value. An Axiomatic Analysis of Economic Equilibrium, Wiley, 1959
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Traduction de "Theory of Value" en français (La théorie de la valeur), Dunod, 1984
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La Nature au cœur du raisonnement économique, billet d’Alain Grandjean sur son blog, sur le rapport du FMI Embedded in Nature (2024)
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Rapport du FMI Embedded in Nature (2024)
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Notre module PIB, croissance et limites planétaires
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Notre fiche Réchauffement climatique : quel impact sur la croissance ?
Sur les modèles climatiques
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Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chaire Énergie et Prospérité, 2024
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Alain Grandjean, Gaël Giraud, Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques : quelles capacités, quelles limites, quels usages ? , Chaire Énergie et Prospérité, 2017

Économie de marché et démocratie iraient de pair

L’émergence du capitalisme industriel en Grande-Bretagne au 18e siècle est corrélative à celle de la démocratie occidentale. Par ailleurs, jusqu’en 2000, les pays développés étaient presque tous démocratiques. Enfin, la principale alternative politique et économique au capitalisme était, jusqu’en 1991, le communisme. Ces trois grands faits ont conduit nombre d’observateurs à considérer que l’économie de marché et la démocratie étaient consubstantiels.

D’autres arguments plus théoriques peuvent être mis en avant. La protection de la propriété privée (y compris de la propriété intellectuelle) et la liberté d’entreprendre et d’échanger sont essentielles au capitalisme (forme contemporaine de l’économie de marché). La démocratie repose, en théorie, sur la pluralité des opinions et la participation des citoyens. Symétriquement dans une économie de marché, les décisions économiques sont prises par une multitude d'acteurs (entreprises, consommateurs, investisseurs) plutôt que par un État centralisé. Ce rejet du pouvoir centralisé favorise les interactions entre les deux systèmes. C’est aussi le cas du besoin de règles claires et stables, nécessaires pour les démocraties et les économies de marché.

Pour autant, les faits ont montré que ce lien fait entre capitalisme et démocratie n’est pas solide. La Chine combine un capitalisme d’État et un régime totalitaire. L’Allemagne nazie était une dictature capitaliste.note187 Le Chili sous Pinochet également. Rappelons à ce sujet la célèbre phrase de Friedrich Hayek :

Je suis totalement opposé aux dictatures, en tant qu'institutions à long terme. Mais une dictature peut être un système nécessaire pour une période de transition. [...] Personnellement, je préfère un dictateur libéral à un gouvernement démocratique dépourvu de libéralisme.

Friedrich Hayek, 1981

La Hongrie incarne elle aussi un national capitalisme autoritaire (Naca voir l’Essentiel 5.6 sur l’anarcho-capitalisme). Quant aux libertariens américains, dont le leader de fait est Donald Trump, président des États-Unis, ils sont ouvertement opposés à la démocratie et favorables à une économie de marché, sans État.

À l’inverse, certaines démocraties, comme les pays nordiques avec des modèles de capitalisme social, ou l’Autriche, pratiquent une intervention étatique importante dans l’économie, qui régule fortement le marché.

De nombreux économistes, dont le premier chronologiquement est l’historien et économiste Karl Polanyinote189, considèrent que les fascismes des années 1930 sont issus du libéralisme et, plus généralement, que le néolibéralisme porte en germe la fin de la démocratie.note190 Donnons ici l’argument principal Karl Polanyi note191 : les politiques économiques libérales visent à transformer au maximum le travail, la monnaie et la terre note192, en ressources marchandes. Ce processus de marchandisation désencastre note193 l’économique du social réduit les espaces de sociabilité, suscite un sentiment permanent d’insécurité et de fragilité et conduit au déclassement d’une partie de la population, qui perd le sens de son travail. Cette absence de boussole et les effets délétères de la mise en concurrence généralisée affaiblissent les piliers de la société note194 et nourrissent le totalitarisme.

En résumé, si la démocratie ne peut guère se passer d’économie de marché (mais peut la réguler fortement), le capitalisme semble au contraire pouvoir fort bien s’accommoder d’absence de démocratie.

L’histoire n’est cependant pas terminée nous prévient l’anthropologue, Peter Turchin, dans son livre Le chaos qui vient. Élites, contre-élites et la voie de la désintégration politique (Le Cherche-Midi, 2025). Son analyse de 700 effondrements politiques et sociaux à travers l’Histoire montrent que le premier facteur d’effondrement est la pompe à richesses (du bas vers le haut) qui fabrique une surproduction d’élitesnote195, sur le dos des classes moyennes et basses. Il n’est donc pas dit que les régimes économiques non démocratiques résistent au temps. Mais en attendant, ils se développent et menacent à court terme la qualité de la vie, voire la vie, de centaines de millions de personnes.

Pour en savoir plus

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Polanyi - La Grande Transformation, Vidéo de la chaîne Youtube Politikon
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Nicolas Postel et Richard Sobel, Que sais-je ? Karl Polanyi, Presses Universitaires de France, 2024
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Peter Turchin, Le chaos qui vient. Élites, contre-élites et la voie de la désintégration politique, Le Cherche-Midi, 2025

Les marchés financiers seraient efficients

C’est Eugène Fama qui a inventé en 1970 l’expression efficience des marchésnote196 (en anglais : efficient market hypothesis, EMH) et aurait démontré que les marchés financiers sont efficients.

Cette théorie, dont nous développons plus en détail les limites dans notre module Rôle et limites de la finance, est depuis largement répandue. Elle est à la base de l’approche dominante dans les milieux politiques et économiques, qui consiste à vouloir limiter l’intervention des pouvoirs publics à la publication d’informations. En effet, selon les tenants de cette théorie, si les bonnes informations sont connues des marchés financiers, comme ils fonctionnent de manière efficiente, ils joueraient correctement leur rôle.note197 C’est pour cette raison que l’approche développée par la Commission européenne dans ses travaux relatifs à la finance durable note198 se limite aux questions d’information et de reporting.

4.1 La notion d’efficience est mal définie

Cela peut paraître étrange pour une théorie reposant sur un modèle mathématique et qui a été récompensée par le prix Nobel notenobel59, mais le terme d’efficience employé par Fama est ambigu.note199 On peut en effet distinguer trois notions :

  • L’efficience allocative

Comme l’écrit Fama : Le tout premier rôle du marché du capital est d’affecter la détention du stock de capital de l’économie. En termes généraux, l’idéal est un marché dans lequel les prix fournissent des signaux appropriés (accurate) pour l’affectation des ressources. 

C’est bien la propriété centrale que les non-spécialistes attendent d’un marché : il alloue des capitaux et du travail à des projets et des entreprises ; il serait souhaitable qu’il le fasse au mieux (sans gaspillages).

  • L’efficience informationnelle

Dans cette acceptation du terme efficience, les marchés financiers informent correctement les acteurs sur la valeur des entreprises : les prix sont corrects. Notons qu’il y a encore un énorme fossé à combler entre cette affirmation, à supposer qu’elle soit juste, et la démonstration que les marchés alloueraient correctement les capitaux pour que l’économie soit efficace (au sens de Pareto ?), et un dernier pas encore serait à faire pour montrer que ce soit suffisant, une économie ne se résumant pas à ses marchés financiers, d’autant moins que de nombreuses sources de financement n’y circulent pas.

  • l’efficience d’arbitrage

C’est ce que Fama a formulé ainsi  en 1991 : un marché est efficient (informationnellement) si une prévision profitable est impossible pour les acteurs du marché : On a rien sans rien. Dans la pratique, les institutions financières paient des arbitragistes, qui font des opérations techniques (par exemple des achats et des ventes de devises sur des plateformes différentes), destinées à assurer un gain positif ou nul de manière certaine, en profitant d'écarts temporaires de prix constatés entre différents titres ou contrats. De fait, leur action contribue à lisser/effacer les distorsions de marché. Mieux ces professionnels travaillent, moins il y a de possibilité de gains sans risque pour les autres acteurs, ce qu’on appelle l’absence d’opportunité d’arbitrage.

Eugène Fama, dans son texte de référence de 1970 note200, utilise une quatrième définition de l’efficience : Un marché dans lequel les prix reflètent toujours "parfaitement" les informations disponibles est dit "efficient". Ceci lui permet de faire des tests statistiques, ce qui a donné un courant abondant de publications note201 et de débats.

Robert Shiller, déjà cité, issu du courant de l’économie comportementale note202, qui a reçu le prix Nobel notenobel59 en même temps qu’Eugene Fama, montre de son côté l’inefficience des marchés, notamment à partir de l’observation de leur volatilité et de leur comportement parfois exubérant.note203

Quoiqu’il en soit et quelle que soit l’issue de ce débat académique, il n’apporte rien au débat économique central, celui qui concerne le premier sens du terme efficience. Eugene Fama a réalisé un coup de force, dénoncé et démonté minutieusement par Nicolas Bouleau note204, qui écrit :

La théorie de l’efficience des marchés n’est pas fausse ou approximative, elle est un échec. Elle ne répond pas à la question posée et projette sur le sujet une brume qui brouille l’intelligence des problèmes.

Eugène Fama a réussi à faire croire que les marchés sont une instance qui permet d’allouer le capital de manière efficace, alors que sa théorie est sans rapport avec cette question politique centrale.

4.2 Au-delà de la question de sa définition, les autres critiques à la thèse de l’efficience

4.2.1 Nous ne sommes pas des homo economicus rationnels

La modélisation d’Eugène Fama repose sur une hypothèse de comportement rationnel des agents économiques qui est remise en cause par les travaux des économistes du comportement (et plus généralement par l’essentiel des travaux de psychologie sociale). Il est d’ailleurs piquant de noter que Robert Shiller, proche de cette école, a eu le prix Nobel d’économie 2013 avec Eugène Fama, précisément en contestant ces travaux grâce à l’emploi d’outils statistiques de Lars Peter Hansen (le troisième récipiendaire du Nobel).

4.2.2 L’efficience des marchés financiers est contredite par les données empiriques

Benoît Mandelbrot (mathématicien, inventeur des fractales) et, à sa suite, Christian Walter (actuaire et professeur de finance) ont montré, à partir de l’analyse de données empiriques, que l’hypothèse (utilisée dans la modélisation d’Eugene Fama, mais surtout dans la plupart des calculs financiers) selon laquelle les mouvements sur les marchés financiers obéissent à des lois de probabilité dites normales ou gaussiennes (dit autrement suivent un mouvement brownien note205) est tout simplement fausse.note206 C’est en particulier à cause de cela que les crises financières se produisent plus souvent et sont d’une plus grande ampleur que ce que prévoient les théories de l’efficience.

4.2.3 Laissés à eux-mêmes, les marchés ne sont pas au service de l’économie et de l’intérêt général

Si la question de savoir si on peut battre les marchés note207 se discute encore, il n’est cependant pas nécessaire de lire ces travaux techniques pour constater que les marchés financiers ne donnent pas toujours les bons prix (et l’explosion des bulles spéculatives sont là pour le montrer). Plus gravement, ils n’allouent pas les capitaux sur les opérations les plus utiles socialement et ne sont pas capables, à eux seuls, de fournir un cadre stable permettant à l’économie de fonctionner correctement.

C’est ce que montrent l’ampleur et la répétition des crises financières, depuis qu’ont été libérés, décloisonnés et déréglementés les marchés (le top départ ayant été donné par Richard Nixon, qui ouvrit le bal en décrochant le dollar de l’or et en ouvrant la porte aux changes flottants, souhaités par les libéraux, Milton Friedman en tête).

On comprend assez facilement que les conséquences et l’échec du communisme réel aient ôté l’envie de retourner dans un système où les prix seraient déterminés par une autorité centrale. Qu‘il faille recourir pour ce faire à des mécanismes de marché, pour toute une série de biens, cela semble acquis. Mais croire en l’infaillibilité des dits mécanismes, c’est précisément tomber dans le dogme. Les marchés, y compris les marchés financiers, ont des défaillances, de mieux en mieux répertoriées tant par la pratique que par la théorie.

Pour en savoir plus

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Alain Grandjean et Julien Lefournier, L’illusion de la finance verte, Éditions de l’Atelier, 2021
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Robert Shiller, Exubérance Irrationnelle, Valor, 2020
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Nicolas Bouleau, Critique de l’efficience des marchés financiers (blog 28/05/2013)
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Gaël Giraud : Illusion financière, Éditions de l’atelier, 2014
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Benoît Mandelbrot, Richard L. Hudson, Une approche fractale des marchés, Odile Jacob, 2009
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Les livres de Christian Walter, Le virus B, crise financière et mathématique, avec Michel de Pracontal, Seuil, 2009

La privatisation de la nature serait la bonne solution à la tragédie des biens communs

L ‘expression tragédie des communs est due à Garrett Hardin note208 qui prend l’exemple de terrains communaux où des éleveurs peuvent librement faire paître leurs moutons et, de ce fait, les surexploitent jusqu’à épuisement. Pourquoi ? Tout simplement parce que l’intérêt de chacun serait de faire paître le plus possible de moutons ; dès lors la capacité de charge des communaux est dépassée, ils sont sur-pâturés et se détruisent, ce qui est évidemment contraire à l’intérêt de tous. Cette tragédie a été vécue en grandeur nature par les pêcheurs de morue en Terre-Neuve. fichemorueterreneuve La morue a disparu alors que les pêcheurs vivaient de cette ressource et n’avaient pas le moindre intérêt à sa disparition, anticipée par les scientifiques.

C’est ce qu’on observe toujours aujourd’hui dans le domaine de la pêche, notamment dans les eaux intercontinentales, où les pêcheurs ont tous intérêt à maximiser leur pêche, sans tenir compte des actions de pêche des autres pêcheurs, ni des limites collectives qu’il faudrait respecter pour éviter une surpêche contraire aux intérêts des poissons, des écosystèmes et… des pêcheurs. C’est aussi le cas du climat : aucun d’entre nous n’a intérêt à limiter ses émissions de gaz à effet de serre, dont le total est pourtant largement supérieur aux capacités d’absorption de la nature, ce qui engendre un changement climatique potentiellement dévastateur pour la majorité d’entre nous.

Garret Hardin met en cause le caractère collectif de la propriété ; sa solution consiste à privatiser le commun, ce qui a été fait historiquement en Angleterre lors du mouvement des enclosures. Ce  mouvement désigne les changements qui, du  12e au 17e siècle, ont transformé, dans certaines régions de l'Angleterre, les règles d’usage et le droit des sols. Ces règles formaient un système de coopération et de communauté d'administration des terres appartenant à un seigneur local. Les enclosures, décidées par une série de lois du Parlement, les Enclosures Acts, à partir du début du 17e siècle, marquent la fin des droits d’usage des communaux -dont un bon nombre de paysans dépendaient- pour aboutir à la privatisation des terres. Les bénéfices pour les capitalistes de l’époque ont été doubles. D’une part, ils sont devenus propriétaires des terres leur permettant d’élever les moutons, source de l’industrie textile naissante. D’autre part, ils ont pu bénéficier de l’apport d’une main d’œuvre abondante et peu exigeante, la perte des droits d’usage affamant la population.

Comme nous l'expliquons dans l'Essentiel 4, les travaux d’Elinor Ostrom ont montré, qu’au cours de l’histoire de la gestion des communs, de multiples arrangements ont été inventés, évitant ladite tragédie, et qu’au plan théorique, l’erreur d’Hardin est de faire porter à la question de la propriété ce qui est à faire porter à la question de l’accès. Un commun fichetypedebiens est défini par le fait que son accès est libre a priori. Les arrangements analysés par Ostrom sont précisément de nature à codifier cet accès et à faire respecter des limitations.

Il n’est donc pas nécessaire, ni nécessairement efficace, de privatiser le commun ; la priorité est d’organiser des limites à son accès. C’est par exemple ce que font les pêcheurs de coquilles Saint-Jacques dans la baie de Saint-Brieuc.note209

Contrairement aux recommandations d’Hardin, les biens communs ne peuvent pas être gérés par un marché concurrentiel qui n’intègre pas, par construction, la valeur de ces communs. L’État ne le peut pas nécessairement non plus.

Il faut inventer des dispositifs institutionnels adaptés. C’est le grand mérite d’Elinor Ostrom d’avoir analysé dans le détail de tels dispositifs dans de nombreux cas différents et d’en avoir induit quelques règles générales.

Le service privé serait toujours plus efficace que le service public : exemple du secteur médical

L’agorathéisme note1 conduit à considérer que l’efficacité est toujours du côté du secteur privé. C’est évidemment faux, comme l’est le point de vue inverse qui défendrait sans nuance, pour une question d’efficacité économique, le service public et sa gestion.

Le cas du domaine médical est particulièrement parlant. Avant d’aller plus loin, précisons que l’évaluation globale d’un système de santé (qui n’est pas le propos de ce module) fait intervenir un ensemble de paramètres : la qualité des soins (au plan physiologique mais aussi relationnel), l’accès aux soins (notamment des plus défavorisés), leur contrôle et régulation, la liberté de choix du patient, l’innovation et la recherche et, pour finir, son coût .

6.1 Coût, couverture, inégalités d’accès…

Dans l’édition 2019 de son rapport Panorama de la santé note210, l’OCDE montre que les systèmes publics (comme ceux en France, Allemagne, et Royaume-Uni) offrent un meilleur accès aux soins de base, alors que les États-Unis, où la couverture est majoritairement privée, enregistrent des coûts de santé parmi les plus élevés note211, sans une amélioration significative des résultats de santé pour tous les groupes socio-économiques.

Une autre étude comparant les États-Unis (majoritairement privé) et le Canada (majoritairement public), publiée dans le New England Journal of Medicine en 2003 note212 -donc avant la mise en place de l’Obamacare-, a montré que le système public canadien était plus efficace en termes de coûts et offrait une meilleure couverture de la population, bien que le système américain ait des avantages pour la rapidité d’accès à certaines spécialités médicales. Des chercheurs ont étudié les différences d’efficacité, et montré que le coût de l'administration est plus élevé aux États-Unis, en raison de la fragmentation des assureurs privés, tandis que le Canada a des coûts administratifs plus faibles grâce à son système public unifié. Une étude publiée dans le Journal of the American Medical Association (JAMA) en 2018 note213, a analysé les dépenses de santé et les résultats en matière de santé dans plusieurs pays européens. Elle a conclu que les systèmes financés par l'État, comme ceux des pays nordiques, étaient globalement plus efficaces en termes de coûts et offraient une meilleure égalité d’accès, tandis que les systèmes privés avaient tendance à favoriser les personnes ayant de meilleures capacités financières. Un article publié dans le Lancet note214, montre, sur la base des études disponibles sur le sujet, que l'augmentation globale de la privatisation correspond souvent à une détérioration de l'état de santé des patients.

Au Brésil, le SUS (Sistema Único de Saúde) offre des soins publics, tandis que les cliniques privées sont souvent réservées aux classes moyennes et supérieures. En Inde, le système de santé est très largement privé. Les soins sont inabordables pour une grande partie de la population. Cela pousse de nombreux Indiens vers des prestataires non agréés et non formés, mettant en danger leur santé et les exposant à des pratiques médicales abusives.note215 Une analyse note216 parue dans la revue de la Proparco (filiale de l’agence française d’aide au développement, l’AFD) met en évidence que, dans les pays à faibles revenus, les services privés sont en général plus coûteux et ne renforcent pas la qualité et l'efficacité des services de santé.

Pour conclure, il semble bien que les systèmes publics sont souvent meilleurs pour assurer une couverture universelle et pour contrôler les coûts de santé, surtout dans les soins primaires et préventifs. Les systèmes privés, quant à eux, peuvent offrir une meilleure réactivité pour certains types de soins spécialisés, mais au prix d’une augmentation des coûts et d’inégalités d’accès.

6.2 La santé : une question de justice sociale avant tout

En particulier, la France a la chance de bénéficier d’hôpitaux de très haut niveau que le monde entier envie. Il n’est certainement pas pertinent de vouloir affaiblir, voire démanteler note217 le système de santé, pour des raisons étroitement comptables. Conserver voire améliorer la santé, accroître la durée de vie en bonne santé, tout ceci est générateur d’activité économique, de recherche, engendre des revenus, mais a donc, en contrepartie, des coûts.

La privatisation des services de santé pose en outre un évident problème de justice sociale. Dans un système entièrement privé, les plus pauvres ne peuvent payer ni soins (pour eux et leur famille), ni éducation de leurs enfants. Les plus riches ont accès aux soins et à l’éducation de la meilleure qualité, ce qui contribuent à perpétuer les inégalités sociales et à créer des catégories sociales immuables. Le contraire exact du modèle républicain à la française.

Pour en savoir plus

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Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, et Fanny Vincent, La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public, Éditions Raisons d’agir, 2019

La suppression des services publics et la fragmentation du marché seraient toujours économiquement souhaitables : l’exemple du ferroviaire

On sait que la construction européenne d’après-guerre s’est fondée, dès la signature du traité de Rome, sur le projet de création d’un marché commun, devenu plus tard unique, et simultanément, d’une politique de concurrence visant notamment à supprimer des monopoles publics.note218 C’est en suivant ces injonctions (qu’elle avait validées, en tant qu’État-Membre fondateur et puissant de l’Union européenne) que la France, à partir de 1986, a privatisé totalement ou partiellement des dizaines d’entreprises note219 -dont des entreprises nationalisées pendant le premier mandat de François Mitterrand.

L’État français avait sans doute une mainmise excessive sur trop d’entreprises, mais les privatisations engagées dans de nombreux secteurs ne sont pas sans poser de sérieux problèmes : création de puissants groupes privés, pouvant influencer massivement dans le sens de leurs intérêts la politique économique et sociale du pays ; perte de maîtrise de certains secteurs industriels, qu’on peut considérer comme stratégiques ; affaiblissement de la capacité à fixer un cap cohérent, voire à faire des plans stratégiques, aptitude pourtant clef pour affronter le défi écologique.

7.1 Rapide histoire de la privatisation et de l’ouverture à la concurrence du ferroviaire en France

Nous nous limitons ici à citer le cas du ferroviaire, stratégique pour la transition énergétique.

Commençons par l’histoire de sa libéralisation, impulsée au niveau européen. En 1991, la Directive européenne 91/440 introduit l'idée de séparation comptable entre l’exploitation ferroviaire et la gestion de l’infrastructure. L’idée sous-jacente, c’est que la concurrence dans l’exploitation (la circulation des trains) est souhaitable (ce qui est discutable), mais pas dans les infrastructures (réseau et gares). La France crée en 1997 le Réseau Ferré de France (RFF), séparé de la SNCF. RFF devient gestionnaire de l’infrastructure, et récupère une partie (20 milliards d’euros) de la dette de la SNCF. La SNCF conserve l’exploitation des trains. À partir de 2001, l’UE produit des paquets ferroviaires. Le premier impose l’ouverture à la concurrence du transport de fret ferroviaire. La France autorise officiellement d'autres opérateurs sur son réseau à partir de 2006. Le deuxième paquet ferroviaire (2004) vise à harmoniser les normes techniques et à ouvrir les services internationaux de fret. Des entreprises privées, comme Euro Cargo Rail, commencent à concurrencer la SNCF. Le troisième paquet ferroviaire (2007) ouvre les services internationaux de transport de passagers à la concurrence à partir de 2010 (exemple : Thalys et Eurostar, qui ensuite fusionnent). Le quatrième paquet ferroviaire (2016) finalise la libéralisation du marché ferroviaire en Europe, en imposant l’ouverture à la concurrence des services domestiques (trains régionaux et grandes lignes). La libéralisation se poursuit en France. Le gouvernement d'Emmanuel Macron met fin, en 2018, au statut de cheminot pour les nouvelles recrues de la SNCF et, en 2020, transforme la SNCF en une société anonyme, l’État restant, pour l’instant, son actionnaire unique. Depuis décembre 2019, des entreprises comme Trenitalia ou FlixTrain peuvent proposer des services commerciaux sur des lignes grandes vitesses (exemple : Paris-Lyon). Pour les services régionaux (TER), les régions peuvent attribuer des contrats à des opérateurs privés ou continuer avec la SNCF (exemple : la région Sud a attribué des contrats à Thello (filiale de Trenitalia) pour certaines lignes en 2021.

L’histoire ferroviaire est révélatrice du manque de discernement de cette politique. La politique suivie a été menée au motif de la soi-disant nécessaire libéralisation du ferroviaire, comme l’explique en détail le politiste Laurent Kestel, dans son livre En marche forcée - Une chronique de la libéralisation des transports : SNCF, cars Macron, et quelques autres (Raisons d’agir, 2018). Elle a conduit de fait à :

  • réduire la part du fret ferroviaire en faveur du fret routier (elle est passée de 20% dans les années 90 à environ 10% en 2024 note220), avec des conséquences désastreuses au plan social note221 et en matière d’émissions de CO2, de congestion routière et d’équilibre des comptes de la route, les camions ne payant pas l’usure des routes à laquelle ils contribuent.
  • accroître la part de marché des cars et du covoiturage dans le transport voyageurs longue distance.
  • réduire la maintenance et dégrader la qualité des voies (l’accident ferroviaire de Brétigny note222, en 2013 en étant l’une des conséquences) ;
  • dégrader la qualité de service et les conditions de travail.

La transition énergétique nécessiterait aujourd’hui un développement accéléré du fret ferroviaire et du ferroutage, dont les émissions de C02 par tonne de marchandise transportée sont bien plus basses que leurs concurrents routiers.note223 La libéralisation a complètement échoué en la matière. Quant au trafic voyageurs, on a vu que la tendance des trente dernières années est à la décroissance, or le ferroviaire est également bien plus bas-carbone que les autres moyens de transport moyenne et longue distance.note224 Dans les deux cas, l’une des raisons évidentes est l’absence de prise en compte, dans la compétition économique entre les modes de transport, de l’avantage du ferroviaire en matière d’émissions de CO2.

Le retard pris sera difficile à combler. Il nécessite en effet de très gros investissements. Le plan de relance note225 envisagé suite à la crise du Covid, en 2020 et 2021, prend en compte cette nécessité, mais avec des moyens qui restent insuffisants. Les restrictions budgétaires, envisagées du fait des règles européennes depuis la fin du COVID, ne permettent malheureusement pas de croire à une évolution sérieuse de la question dans les prochaines années.

Pour en savoir plus

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Laurent Kestel, En marche forcée - Une chronique de la libéralisation des transports : SNCF, cars Macron, et quelques autres, Raisons d’agir, 2018
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La BD Un train d’enfer de Gwenael et Erwan Manac'h, Édition La ville brûle, 2020
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Les propositions de l’alliance Fret ferroviaire français pour le futur, (Fret4F) pour relancer le fret
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Les travaux du chercheur Aurélien Bigo, expert sur les questions de mobilité et transition écologique
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Les publications de l’Autorité de régulation des Transports

Il faudrait monétiser la nature pour la sauver

8.1 Les services rendus par la nature

Les travaux du Millenium Ecosystem Assessment ont caractérisé solidement la notion de services écosystémiques. Citons Wikipédia : L’Évaluation des écosystèmes pour le millénaire distingue quatre catégories de services :

  1. Les services d'approvisionnement sont les produits tangibles tirés des écosystèmes, comme la nourriture, les combustibles, les matériaux ou les médicaments de santé humaine et vétérinaire.
  2. Les services de régulation sont les avantages intangibles assurés par le bon fonctionnement des écosystèmes, comme la régulation du climat, le cycle de l’eau ou encore la pollinisation ;
  3. Les services socioculturels représentent les apports non-matériels de la biodiversité, obtenus à travers la relation qu'entretient l'Homme avec la Nature. [...]Ces services renvoient aux aspects esthétiques, spirituels, récréatifs, éducatifs qu'apporte la nature ;
  4. Les services de soutien sont ceux nécessaires à la production de tous les autres services, assurant le bon fonctionnement de la biosphère.

Cette approche par les services se discute note226 au plan éthique et philosophique, car elle réduit la Nature à un producteur de services économiques dissociés note227, alors qu’elle est un tout, à commencer par une condition d’existence ; c’est aussi une source d’émerveillement, de spiritualité voire de sacré. Elle conduit à l’idée de les valoriser monétairement, par analogie à un service rendu par une entreprise, ce qui peut être source d’accroissement d’inégalités sociales, rendant payant, donc plus difficile d’accès, ce qui était gratuit. Certains économistes poussent cette idée, en croyant qu’il est essentiel de faire prendre conscience de la valeur de ces services, en les exprimant monétairement pour qu’ils soient respectés et gérés avec soin.

8.2 Évaluer la valeur des services fournis (gratuitement) par la Nature

C’est notamment dans cette optique que Pavan Sukhdev note228 a produit un rapport, qui fait l’objet d’un travail permanent au sein du Economics of Ecosystems and Biodiversity (TEEB), et dont la philosophie est explicite :

L'Économie des écosystèmes et de la biodiversité (TEEB) est une initiative mondiale visant à "rendre visibles les valeurs de la nature". Son principal objectif est d'intégrer les valeurs de la biodiversité et des services écosystémiques dans la prise de décision à tous les niveaux. Il vise à atteindre cet objectif en suivant une approche structurée de l'évaluation qui aide les décideurs à reconnaître le large éventail d'avantages offerts par les écosystèmes et la biodiversité, à démontrer leurs valeurs en termes économiques et, le cas échéant, à saisir ces valeurs dans le processus décisionnel.

La valeur attribuée aux services écosystémiques dans ce rapport s'élèverait à un montant de 23 500 milliards de dollars. Et l’érosion de la biodiversité coûterait entre entre 1350 et 3100 milliards d'euros par an.note229

Les valorisations monétaires peuvent être faites en employant de nombreuses méthodes, dont nous n’allons pas rendre compte ici, en nous limitant à deux exemples.

Le service de pollinisation a été évalué dans une étude parue en 2008 note230 à environ 150 milliards de dollars. Un rapport fait par l’IPBES note231 en 2016 sur la pollinisation s’exprime ainsi : on estime que 5 à 8% de la production agricole mondiale actuelle représentant une valeur marchande annuelle de 235 à 577 milliards de dollars (en 2015, dollars des Etats-Unis) à l’échelle mondiale, est directement attribuable à la pollinisation animale.

Plus globalement, en 2014, une étude publiée dans Nature note232 estime la valeur de 17 services écosystémiques à l'échelle mondiale entre 125 000 et 145 000 milliards de dollars (pour un PiB mondial de 60 000 milliards de dollars).

8.3 Pourquoi donner un prix à l’environnement et à la biodiversité est dangereux

Pour autant cette approche n’a dans les faits aucun impact, voire est contreproductive, et ce pour trois raisons.

1. Les acteurs économiques sont peu sensibles, pour leurs décisions opérationnelles aux discours, même chiffrés. Que la destruction de la biodiversité vaille aux yeux d’un théoricien 100 ou 1000, qu’ils y croient ou non, n’a aucun effet discernable sur leurs décisions.

2. Pire, cette valeur peut leur sembler marginale. Le rapport sur la valeur de la biodiversité en France note233, piloté par le professeur Chevassus-au-Louis, propose (en prenant moult précautions méthodologiques) les valeurs suivantes :

Sur la base des études précédentes, il apparaît possible de valoriser les services des écosystèmes des zones tempérées à des niveaux allant de quelques centaines à 1000 voire 2000 €/ha par an.

Quand on a en tête que le prix moyen des terrains constructibles était de l’ordre de 90 euros/m2 en 2019 note234 soit 900 000 euros l’hectare (donc 450 à 900 fois le chiffre précédent), on comprend vite que la valeur des services écosystémiques proposée par ce rapport n’est d’aucun effet sur l’une des décisions importantes en matière de biodiversité, à savoir l’artificialisation en but de construire. Les promoteurs immobiliers vont donc tirer argument de la faible valeur de la biodiversité pour justifier économiquement leurs opérations, dont le bilan socio-économique sera très favorable : beaucoup de valeur créée, pour peu de détruite…

3. Les évaluations faites sont contestables. Un acteur économique a, en général, de la méfiance pour la notion, un peu éthérée à ses yeux, de valeur. Ce à quoi il croit, c’est, comme Saint-Thomas, ce qu’il voit : à savoir des transactions avec des prix. La valeur de la biodiversité n’est pas issue d’une confrontation entre un acheteur et un vendeur ; elle résulte de savants calculs qui peuvent varier fortement. Cela conduit à réduire encore leur crédibilité.

Cette faiblesse de l’effet de la monétarisation de la nature pour limiter sa destruction se rencontre de manière très évidente dans les calculs coûts-bénéfices de l’administration, qui doit faire des bilans socio-économiques des projets qu’elle lance, et tout particulièrement dans le transport. Le constat est toujours le même : la monétarisation du gain de temps permis par une route, une autoroute ou une ligne de chemin de fer (valorisé à un taux horaire fixé par des commissions officielles) est en général très supérieur à la perte économique issue d’une monétarisation des émissions de CO2 ou d’une destruction de biodiversité, avec les valeurs actuellement retenues.

Pour en savoir plus

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Voir notre fiche "Doit-on donner un prix à la Nature ?"
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Les travaux du Millenium Ecosystem Assessment

Le chômage résulterait des rigidités introduites par le droit du travail, qui empêchent le fonctionnement optimal du marché du travail

La théorie selon laquelle un marché équilibre des échanges, au prix… d’équilibre s’applique aussi au marché du travail.note235 Dans ce marché, les individus offrent du travail et les entreprises en demandent (ou, dit autrement, les entreprises offrent de l’emploi et les ménages en demandent). À l’équilibre concurrentiel, le prix du travail est tel que l’offre égale la demande, tout travailleur trouve un emploi et il n’y a donc pas de chômage.

L’application de cette théorie conduit à penser que s’il y a du chômage (donc du travail offert non acheté) c’est que le prix proposé (par l’offreur, en l’occurrence le travailleur) est trop élevé, donc que le marché ne fonctionne pas librement. Ce peut être parce qu’il y a un prix minimal (le SMIC) ou des contraintes subies par les entreprises, dont le coût, pour elles, est supérieur à la valeur apportée par le travail.

C’est cette vision (simpliste et simplifiée ici note236) qui fait dire aux économistes néoclassiques que pour éliminer le chômage, il faut éliminer les rigidités qui empêchent l’atteinte du prix d’équilibre. D'où les politiques de flexibilité pour diminuer le chômage. Ainsi, par exemple, la loi El Khomri (2016) vise à assouplir les règles de licenciement et à permettre plus de flexibilité au niveau des accords de branche et d’entreprise. La réforme du Code du travail (2017), initiée sous le gouvernement Macron, vise aussi à simplifier et assouplir le droit du travail pour donner plus de flexibilité aux entreprises et réduire les coûts du travail.

Plusieurs hypothèses faites dans cette vision du marché du travail sont clairement infondées :

  • le marché en général, donc ici en particulier, n’a pas les vertus théoriques qui lui sont prêtées ; en matière d’emploi, c’est pour de nombreuses raisons (comme les questions de la compétence, de la géographie etc.)
  • les travailleurs ne sont pas de simples offreurs de travail contre rémunération ; ils attendent du travail qu’il contribue à donner du sens à leur vie, de la reconnaissance, du lien social (qui ne s’achète pas), etc.
  • l’offre de travail est rationnée par la mécanisation (voir notre module Travail et chômage) ; les machines sont en quelque sorte les premières concurrentes des humains et ne sont pas représentées dans ce modèle.

L’économiste John Maynard Keynes, conscient des limites de ces modèles, a abordé la question du chômage tout à fait autrement. À ses yeux, ce ne sont pas les défaillances du marché du travail qui expliquent le chômage, mais l’insuffisance de ce qu’il appelle la demande effective : les entreprises n'embauchent des travailleurs que si elles s'attendent à vendre leurs biens ou services. Si la demande anticipée est faible, elles réduisent leur production, même si elles pourraient techniquement produire davantage.ficheloidesay Cela limite la création d'emplois et, nécessairement, la demande effective, qui ne peut être supérieure à la demande anticipée. Et contrairement aux théories classique et néoclassique, Keynes considère par ailleurs que les salaires ne s'ajustent pas rapidement à la baisse pour rétablir l'équilibre sur le marché du travail. Enfin, lorsque la demande globale est insuffisante, une baisse des salaires ne suffit pas à relancer l'économie, car cela pourrait réduire encore plus la consommation… Cette explication conduit évidemment à des recommandations de politique économique très différentes d’une approche par le marché du travail. Nous renvoyons ici au module Travail et chômage pour un tour d’horizon de cette question majeure.

Établir un prix au carbone serait le meilleur moyen de lutter contre le réchauffement climatique

L’idée de donner un prix au carbone résulte d’un raisonnement économique simple, formalisé en premier par l’économiste anglais Arthur Pigou. Si un agent économique ne subit aucun coût pour une pollution (une externalité négative) qu’il génère, il n’a aucune raison de la réduire, voire de la supprimer. Inversement, s’il paie une taxe suffisamment élevée (ou une somme via un autre mécanisme équivalent), il aura un intérêt à agir. Il arbitrera entre payer cette taxe ou engager des dépenses pour réduire la pollution.

Ce raisonnement se comprend facilement, et l’efficacité des taxes écologiques -quand elles sont suffisamment élevées et pensées en prenant en compte ses impacts sur les inégalités- est documenté.note237 En matière climatique, une étude note238 publiée en août 2024, portant sur 1500 politiques, a montré que celles qui comportaient une taxe carbone faisaient partie des plus efficaces. Mais il a aussi conclu que les plus efficaces combinaient plusieurs types de leviers.

Pour appréhender l'intérêt de la fiscalité carbone et assimilés, deux approches sont généralement adoptées.

Selon l’approche néoclassique, les acteurs privés sont rationnels ficherationalite, les marchés efficaces -dès lors que des défaillances éventuelles sont comblées. La défaillance environnementale  est bien identifiée : les externalités environnementales positives ou négatives ne se traduisent pas spontanément par un signal économique (la nature ne se fait pas payer pour les services qu’elle rend ni pour les préjudices qu’elle subit). Corriger la défaillance de marché, c’est internaliser ces externalités, via une taxe ou un mécanisme assimilé (ce peut être un marché de quotas ou de crédits carbone ficheneutralite).

Selon une approche plus institutionnelle, telle que développée ici, le comportement des agents économiques n’est pas bien rationnels au sens de la théorie néoclassique, même s’ils sont, bien sûr, sensibles aux signaux économiques. Les marchés, s’ils sont utiles, ne sont pas efficients, au sens de cette même théorie. Enfin, la mise en place de la taxe carbone, du fait de ses effets anti-redistributifs élevés, ne peut se concevoir sans un accompagnement économique des plus défavorisés, qui peut se faire soit par une redistribution des produits de la taxe note239, soit par une modification de la fiscalité (par exemple sur les revenus). On ne peut donc pas se fonder sur une approche théorique pour démontrer que le signal-prix est la seule approche pertinente.

Dès lors, il est nécessaire d’explorer les options complémentaires et alternatives au signal-prix. Il est alors clair (et c’est ce qu’a montré le Haut conseil pour le climat dans son rapport 2019) que la puissance publique dispose de différents instruments en plus de la correction du signal-prix :

  • les normes et réglementations (dont la réglementation de la publicité), voire l’interdiction ;
  • la subvention et les mécanismes d’aides (prêts remboursables, crédits d’impôt, tarifs de rachat, etc.) ;
  • l’information et la formation ;
  • les investissements publics, notamment dans les infrastructures.

Les économistes néoclassiques affirment en général que les réglementations sont moins efficaces que le signal-prix, car elles engendrent un coût caché, qui n’est donc pas l’objet d’un arbitrage transparent. Il est vrai par exemple que les normes européennes sur les émissions de CO2 à l’échappement des voitures ont pesé sur les coûts des constructeurs automobiles. Mais, prétendre que l’alternative qui consiste à taxer au bon niveau l’essence ou le gazole consommé par les automobilistes serait plus efficace, c’est refuser de voir une réalité simple : les pouvoirs publics ne sont pas en capacité de faire admettre le niveau de fiscalité très élevé qui serait nécessaire pour avoir le même effet, et ce principalement parce qu’il serait intolérable pour une large partie des citoyens, et que des mécanismes de redistribution suffisants ne pourraient, en pratique, pas être mis en place avec l’ampleur suffisante. L’efficacité du signal-prix reste donc théorique et n’existe que dans des modèles mathématiques.

Protéger la propriété intellectuelle par des droits élevés favorise l’innovation

Un raisonnement économique élémentaire donne à penser qu’il est souhaitable de garantir à un inventeur les bénéfices de son invention. On encouragerait ainsi l'innovation, en offrant une protection économique aux inventeurs et en les incitant à innover. Ce raisonnement économique consiste à considérer qu’une innovation est la propriété privée de son inventeur, qui doit avoir l’exclusivité de son exploitation (au moins un certain temps). Ce raisonnement ne vient en général pas à l’esprit pour des connaissances scientifiques ou autres qui devraient être accessibles à tous. En un mot, on ne brevète pas un théorème mathématique. C’est pour cela que le financement public de la recherche, surtout fondamentale s’est développé. Nous sommes donc là dans une problématique bien public/commun/privé fichetypedebiens, où la question de la privatisation éventuelle se discute et doit se faire l’objet d’un débat démocratique. Avant d’entrer dans le débat, voici un bref rappel historique de la propriété intellectuelle (PI) en Europe.

11.1 Brève histoire de la propriété intellectuelle en Europe

La PI se traduit par des brevets, droits d’auteur, marques et autres formes de protection des créations immatérielles. Une loi pionnière apparaît à Venise en 1474 note240, qui garantit aux inventeurs le droit exclusif d'exploiter leurs inventions pour une période limitée. En Angleterre, le Statute of Monopolies de 1624 note241 limite le pouvoir des monopoles octroyés par le roi et garantit un droit exclusif aux inventeurs pour une durée de 14 ans. Avec la révolution industrielle, les inventeurs de machines, de procédés industriels, et de nouveaux produits demandent une sécurité juridique pour rentabiliser leurs investissements. Des lois sont adoptées dans les différents pays. La Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle est signée en 1883 pour les harmoniser.

Cette convention pose les bases d’un marché de l’innovation plus large, et encourage les échanges économiques entre pays signataires. Le brevet devient un outil stratégique pour les industries européennes qui souhaitent dominer les marchés nationaux et internationaux, en limitant la concurrence et en maximisant la rentabilité des inventions.

La reconstruction économique de l’Europe après la deuxième guerre mondiale (voir Essentiel 8) fait de la PI un vecteur de compétitivité et de croissance économique. En 1973, la Convention sur le brevet européen est signée, donnant naissance à l'Office Européen des Brevets (OEB), et à un brevet unifié.note242 Ce brevet unifié facilite l’accès au marché unique et renforce la protection contre les contrefaçons. L’enjeu économique est également de concurrencer les grandes puissances comme les États-Unis et la Chine, qui dominent de nombreux secteurs technologiques. L’OEB facilite la procédure pour les inventeurs européens, qui peuvent protéger leurs inventions dans plusieurs pays par une demande unique. Cette période est marquée par la montée en puissance de la PI en tant qu'actif stratégique pour les entreprises, notamment dans les secteurs de la chimie, de la pharmacie, et de la mécanique. Les brevets deviennent des outils de valorisation économique et de levier financier pour les entreprises. Les marques deviennent de plus en plus des actifs financiers aux valeurs potentiellement considérables et permettant en outre des schémas d’optimisation fiscale très avantageux pour les multinationales.note243 Notons enfin, au niveau mondial, la création de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle (OMPI) en 1967.

11.2 Nouveau enjeux : breveter le vivant et oeuvres numériques

La question de la brevetabilité du vivant émerge dans les années 80. Le premier organisme génétiquement modifié (OGM) date des années 1970.note244 Le premier brevet sur du vivant remonte également à 1980, quand un arrêt de la Cour suprême des États-Unis, dans l’affaire Diamond v. Chakrabarty note245, reconnaît la brevetabilité d’un organisme vivant modifié. En 1983, un premier OGM végétal (tabac résistant à un antibiotique) est créé en laboratoire.

Ces découvertes et événements juridiques ont ouvert la voie aux biotechnologies, et ont entraîné des débats éthiques et juridiques sur la brevetabilité du vivant note246 et l’utilisation des OGM dans l’agriculture et la médecine. Peut-on faire du vivant un objet de commerce ? Où s’arrête la découverte et où commence l'invention (éventuellement brevetable, contrairement à la découverte) ? Est-il juste de breveter des savoirs de communautés autochtones, qui ont en fait été piratées (exemples des brevets sur le neem (Inde) et sur le quinoa (Amérique du Sud) ? Il est par ailleurs démontré note247 que les brevets renforcent la domination de grandes entreprises (comme Monsanto-Bayer, Syngenta), limitent la concurrence et marginalisent les petits producteurs. Cela impacte également les paysans des pays en développement qui peuvent être contraints d'acheter des semences chaque année, car les semences brevetées sont souvent protégées contre le réensemencement. La dépendance économique ainsi créée affecte la souveraineté alimentaire des pays.

Avec l'essor des technologies de l’information et d’internet, les enjeux de la PI évoluent. Le droit d'auteur, notamment, devient un sujet majeur pour protéger les œuvres numériques, comme les logiciels, les bases de données, et le contenu numérique (dont l’utilisation pour l’entraînement des systèmes d’IA est aussi un nouvel enjeu complexe). L’Union européenne met en place des directives visant à harmoniser le droit d’auteur au sein du marché unique, comme la Directive sur le droit d’auteur dans la société de l’information (2001), qui renforce les droits des créateurs tout en favorisant l’accès au contenu numérique.

11.3 Les communs comme alternative à la privatisation de la propriété intellectuelle

La privatisation du droit de propriété en PI pose plusieurs problèmes. Premièrement, elle accorde un monopole temporaire qui peut restreindre l’accès aux connaissances et technologies, notamment dans les domaines essentiels comme la santé et l'environnement. Ensuite, en protégeant trop longtemps certaines innovations, elle peut entraver la recherche collaborative et l’innovation cumulative. Par ailleurs, les frais pour déposer, maintenir et défendre des droits de PI sont parfois prohibitifs, en particulier pour les petites entreprises et les innovateurs indépendants. Enfin elle pose deux questions éthiques : de nombreuses inventions bénéficient d’un environnement global et de toutes les connaissances accumulées antérieurement ; l’enrichissement qui est généré par les brevets, qui peut être très important, n’est pas nécessairement proportionné à la contribution individuelle de l’auteur. D’autre part, la privatisation des inventions fait que les produits et services qui en résultent sont coûteux. Dans le cas des médicaments, des brevets et des produits agricoles, ceci peut écarter des populations entières de l’accès aux soins ou aux produits de première nécessité.

L’alternative aux formes classiques (publique ou privée) de PI est le recours à une gestion collective et un partage des ressources intellectuelles sans appropriation exclusive. Il peut s'agir de biens accessibles à tous (comme des logiciels libres, des bases de données ouvertes), ou de biens soumis à des licences permissives qui favorisent le partage.

11.3.1 Propriété intellectuelle et santé

La pandémie de COVID-19 a relancé le débat sur les brevets de vaccins et les discussions autour d’une gestion en mode communs pour les innovations dans la santé publique. L'initiative C-TAP (COVID-19 Technology Access Pool), lancée par l'OMS, vise à encourager le partage des technologies de santé. On peut également citer l’ONG DNDI qui œuvre pour la diffusion de la recherche sur les maladies orphelines.

Le coût humain de breveter les médicaments

Les exemples de conséquences terribles de l’application de brevets dans le secteur de la santé sont nombreux. Citons-en deux :

À la fin des années 1990, la société américaine Myriad Genetics brevète les gènes BRCA1 et BRCA2, associés au cancer du sein et de l’ovaire. Ces brevets interdisaient à d’autres laboratoires de développer des tests diagnostiques moins chers. Le coût de ces tests était prohibitif (environ 3000$ aux États-Unis), empêchant de nombreuses femmes, en particulier dans les pays pauvres ou sans couverture santé, d'accéder au dépistage. En 2013, la Cour suprême des États-Unis a invalidé les brevets de Myriad Genetics sur ces gènes, jugeant que l’ADN naturel ne pouvait pas être breveté.

En 2006, le géant pharmaceutique Novartis attaque la loi indienne sur les brevets : celle-ci ne permet en effet de breveter que de réelles innovations et non des variantes anecdotiques de médicaments existants, créées uniquement pour prolonger le brevet et donc le monopole de l’entreprise. Novartis cherche à garder la main sur la production du Glivec, un anticancéreux. En 2013, la Cour Suprême indienne rejette définitivement les demandes de Novartis, dans un jugement clé pour protéger la production de médicaments génériques. D’après la Cancer Patients Aid Association, À la suite du jugement de la Cour suprême de 2013, le prix du Glivec est passé de 150 000 roupies (environ 2 200 $ pour un mois de traitement) à 6 000 roupies (88 $) sur le marché des médicaments génériques.

Pour en savoir plus

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La Cour suprême libère les gènes, tribune du sociologue Maurice Cassier et la généticienne Dominique Stoppa-Lyonnet dans Le Monde (03/07/2013)
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Quel bilan cinq ans après le verdict de la Cour suprême indienne sur l’affaire Novartis ?, Patralekha Chatterjee, Intellectual Property Watch (20/05/2018) et Le régime des brevets en Inde et l’affaire Novartis : Questions/Réponses, Médecins Sans Frontières, publié avant la décision de la Cour Suprême

11.3.2 Le monde du libre : logiciels open source, licences creative commons et Open Access

Les logiciels open source, comme Linux note248, reposent sur une gestion collective de la PI où le code source est accessible et modifiable par tous. La licence publique générale permet aux développeurs d'utiliser, modifier et redistribuer le logiciel, tout en garantissant que les modifications restent dans le domaine public.

Dans la recherche scientifique, le mouvement pour le libre accès note249 (Open access en anglais) prône la publication de travaux en accès libre note250, permettant ainsi à tout chercheur ou citoyen de consulter et utiliser les résultats de la recherche.

Les licences Creative Commons ou le Copyleft offrent aux créateurs la possibilité de partager leur travail sous certaines conditions (comme la reconnaissance de l’auteur, l’interdiction de modifications ou l’usage non commercial), permettant ainsi une diffusion plus large tout en maintenant un certain contrôle.

11.4 Les bénéfices d’une gestion de la propriété intellectuelle comme un bien commun

Ce mode de gestion de la PI sur un mode en commun a plusieurs avantages. Ce modèle peut permettre une diffusion plus large et rapide de la connaissance, particulièrement bénéfique dans des secteurs comme la santé (ex. : partage des connaissances sur les médicaments) ou l'environnement. Il favorise l'innovation cumulative, où les acteurs peuvent s'appuyer librement sur les découvertes des autres. En réduisant la nécessité de payer des licences ou des droits exclusifs, le modèle des communs permet d'alléger les charges financières liées à la PI, ce qui est avantageux pour les petites entreprises et les chercheurs indépendants.

Cette gestion en mode commun se heurte cependant à des difficultés. Les recherches nécessitent souvent des financements publics ou des modèles alternatifs de récompense, comme des subventions, des prix ou des systèmes de dons. Une gestion collective de la PI exige des mécanismes de gouvernance clairs, pour éviter la surexploitation et garantir que les contributions de chacun soient reconnues. Sans cela, les ressources intellectuelles risquent d’être mal exploitées ou de manquer de soutien pour évoluer. Enfin, il est souvent nécessaire de trouver un équilibre entre l’ouverture (favorisant l’accès et le partage) et le contrôle (permettant une valorisation économique), notamment dans les secteurs où les coûts de R&D sont très élevés, comme la pharmacie ou la technologie de pointe.

11.5 Vers une propriété intellectuelle hybride ?

On assiste à l’émergence de modèles combinant privatisation et communs, dont voici quelques exemples.

  1. Certaines licences permettent un usage ouvert, tout en conservant un contrôle partiel sur les usages commerciaux, comme les licences Creative Commons avec restriction d'usage commercial.
  2. Des entreprises et instituts de recherche choisissent de mettre en commun certains brevets pour un usage gratuit (brevet ouvert note251), à condition que cela serve des objectifs d’intérêt public, comme dans les domaines des technologies écologiques.
  3. Systèmes de récompense alternatifs : les prix, subventions et récompenses publiques peuvent encourager l’innovation sans imposer de brevets exclusifs, comme le Prix Longitude (1714) au Royaume-Uni, qui incite à résoudre des défis d’intérêt public sans nécessairement privatiser les résultats.

Pour en savoir plus

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Notre fiche Évasion et paradis fiscaux
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La page Wikipedia sur la Brevetabilité du vivant qui est très complète
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Tirer les leçons du passé, créer l’avenir : Inventions et brevets, Organisation Mondiale de la Propriété intellectuelle, 2007
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Quelles sciences pour le monde à venir, sous la direction d’Alain Grandjean et Thierry Libaert, Odile Jacob, 2020
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Framasoft, association qui oeuvre pour "l’émancipation numérique"
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Voir en particulier leur maison d’édition Des livres en communs, qui publie des ouvrages sous licence Creative Commons
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Le site de Richard Stallman, considéré comme le père du logiciel libre

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Notes

note1

Le marché fait l’objet d’une forme de culte inconscient, l’agorathéisme, fort bien mis en évidence par Stéphane Foucart dans son livre Des marchés et des dieux, Grasset, 2018.

Lire la recension par Marion Cohen sur le blog Chroniques de l’Anthropocène (blog d’Alain Grandjean) (18/10/2018).

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note2

Voir le livre de David Cayla, L’économie du réel, face aux modèles trompeurs (De Boeck, 2018).

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note3

Elles sont de trois natures : la question des externalités, celle des biens publics ou communs et celle des monopoles. Voir par exemple Les défaillances de la régulation marchande, présentation de Christophe Rodrigues aux Journées de l’économie (JECO) 2012.

Nous insisterons par ailleurs sur une défaillance majeure, l’incapacité des marchés à prendre en compte le long terme, dite tragédie des horizons.

Voir le célèbre discours (2015) de Mark Carney alors président de la Banque d’Angleterre et du Conseil de Stabilité financière, dont une traduction a été publiée sur le blog d’Alain Grandjean : Carney, Villeroy de Galhau, Turner : le risque climatique au coeur de la finance (11/11/2015).

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note4

Comme la taxe carbone ou le marché des quotas de CO2, qui sont des dispositifs administrés qui créent un signal-prix artificiel.

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note5

Les économistes de culture néoclassique font pourtant toujours du signal-prix carbone la mesure centrale de lutte contre le changement climatique. Voir par exemple Christian Gollier, directeur général de la Toulouse School of Economics, auteur de nombreux articles et récemment du livre Le climat après la fin du mois (Alpha, 2019) et d’une leçon au Collège de France en 2021.

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note6

Voir son livre le plus connu : La route de la servitude (6e édition), PUF Quadrige, 2013.

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notefoucart7

Voir à ce sujet l’excellent livre de Stéphane Foucart, Des marchés et des dieux, quand l’économie devient religion, Grasset, 2018, et sa recension par Marion Cohen sur le blog Chroniques de l’Anthropocène (blog d’Alain Grandjean) (18/10/2018).

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note8

Voir Karl Polanyi La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, Gallimard 1983.

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note9

Laisser faire, laisser passer est une doctrine en vogue au 18e siècle chez les économistes libéraux, qui en résume bien les positions : laisser faire le marché ; laisser les marchandises circuler sans contrainte (libre-échange).

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note10

Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, puis Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (2009). Administration qui a existé de 1963 à 2014, chargée de la politique nationale d'aménagement et de développement du territoire. En savoir plus sur la page Wikipédia de la Datar.

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note11

Voir Planification écologique : de Jean-Luc Mélenchon à Emmanuel Macron, itinéraire d’un concept, Louis Mollier-Sabet, Public Sénat (19/04/2022).

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note12

Parmi les plus connus : Murray Rothbard, Robert Nozick. Citons également Ayn Rand, qui a beaucoup inspiré les libertariens et conservateurs états-uniens, bien qu’elle-même rejette ce terme.

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note13

Ce qui n’exclut pas l’inégalité dans l’échange.

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note14

La Banque Centrale Européenne estime à environ 138 milliards le nombre de transactions pour la zone euro en 2023 (ECB Data Portal : Total number of total payment transactions from Euro area, annual). Le cabinet de conseil Carbone 4 a extrapolé ce chiffre au monde entier et en a conclu qu’il y aurait environ 3200 milliards de transactions monétaires par an (voir Le prix du Bitcoin a passé les 100 000$, une pièce de plus dans la machine à carbone ?, Florian Zito (11/12/2024).

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note15

Primaire, c’est à dire avant impôts et transferts sociaux.

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note16

Les exemples en sont très nombreux, que ce soit au Mexique , en Inde, en Mésopotamie, en Corée etc. Voir par exemple Kenneth Hirth, The Organization of Ancient Economies: A Global Perspective (Cambridge University Press, 2020) ou Karl Polanyi, Conrad M. Arensberg et Harry W. Pearson, Commerce et marché dans les premiers empires. Sur la diversité des économies (Le Bord de l’eau, 2017). Cela étant, ces marchés sont très loin du modèle actuel, qui en fait des institutions fixant un prix résultant de la confrontation de l’offre et de la demande.

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note17

La fixation des prix en URSS a été centralisée en 1932 (Voir Jacques Sapir, L’économie soviétique: origine, développement, fonctionnement, Historiens et Géographes, 1995). Au Cambodge, Pol Pot, à sa prise de pouvoir en 1975, a décrété l’annulation de la monnaie et la fermeture de la Banque nationale, dont le bâtiment est dynamité. On connaît la suite. On peut ne pas aimer la monnaie et vouloir s’en passer. L’Histoire a montré que les conséquences politiques d’un passage à l’acte généralisé en la matière sont funestes.

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note18

Voir par exemple Comment l'économie soviétique fonctionnait-elle et pourquoi s’est-elle effondrée ?, Ekaterina Sinelchtchikova, Russia Beyond (08/07/2019).

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note19

Voir par exemple L'exception écologique russe, systèmes et acteurs de 1917 à nos jours, Josyane Moor-Stahl et Jacques Allaman, L'Harmattan, 1998.

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note20

Comme le montrent les exemples de la Chine et de la Russie contemporaines et du Chili de Pinochet.

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note21

Nous n’aborderons pas ici l’économie du don, le don est souvent suivi d’un contre-don ; et le monde du don n’est pas nécessairement celui de la paix et de la coopération ; la rivalité peut y être présente. Voir le livre de référence de Marcel Mauss, Essai sur le don, Flammarion, réédition en 2021, publication originale en 1925.

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note22

Des processus hybrides ont été imaginés comme des quotas (qui sont des bons de rationnement) échangeables.

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note23

Voir par exemple le livre de Michael Sandel, Ce que l’argent ne saurait acheter, Seuil, 2014.

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note24

Voir Nadim Ahmad, Seung-Hee Koh, Incorporating Estimates of Household Production of Non-Market Services into International Comparisons of Material Well-Being, OECD Statistics Working Papers, 2011.

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note25

Le produit intérieur brut (PIB) est censé mesurer la valeur nouvellement créée via l’activité productive d’une économie nationale. Pour en savoir plus sur sa construction et ses limites, voir notre module PIB, croissance et limites planétaires.

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note26

Le care work, dans son immense majorité fait par les femmes, recouvre un vaste panel d’activités domestiques, allant d’allaiter les enfants à s’occuper d’un parent âgé, en passant par les tâches domestiques (ménage, cuisine, etc.).

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note27

Voir Care work and care jobs for the future of decent work, Bureau International du Travail, 2018 (figure 2.4).

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note28

Voir par exemple les débats sur la socialisation de l’assurance maladie aux États-Unis.

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note29

Par exemple, contrôler à moindre coût la qualité, protéger un secret de fabrication, éviter les coûts de procédure en cas de non-respect du contrat ou de faillite du contractant.

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note30

En France, un bouclier tarifaire sur l’énergie a été mis en place en 2022, pour protéger la plus grande partie des consommateurs de la flambée des prix de l’énergie. Sur trois ans, il aura coûté à l’État une centaine de milliards en ordre de grandeur (voir le rapport annuel 2023 du Haut conseil pour le climat.

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note31

Voir par exemple le rapport de Thierry Libaert au Ministère de la transition écologique et sociale en 2020, Publicité et transition écologique, et les références indiquées dans la bibliographie, en page 80 et suivantes.

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notemaininvisible32

Adam Smith a été caricaturé et l’assimilation qui a été faite entre main invisible et marché n’est pas son fait. voir Jean Dellemotte, La main invisible d'Adam Smith : pour en finir avec les idées reçues, L’Économie politique, 2009.

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note33

Adam Smith, La richesse des nations (Tome 1), 1776.

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note34

Friedrich Hayek, Droit, législation et Liberté, 1973-79.

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note35

Les marchés sont d’autant plus interconnectés que les transactions portent sur des produits facilement substituables ou étroitement complémentaires.

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note36

Voir Duopole de Cournot sur Wikipédia. La théorie des oligopoles s’appuie maintenant sur la théorie des jeux à répétition - voir la présentation Théorie des Jeux - Jeux Répétés de Marc Plantevit.

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note37

Frank H. Knight, Risk, uncertainty and profit, 1921.

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note38

Voir cette recension d’Igor Martinache du livre de Claire Pignol Villeneuve-d’Ascq, La théorie de l’équilibre général, Idées économiques et sociales, 2017.

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note39

Des rendements d’échelle non-croissants impliquent en particulier qu’en multipliant par x la quantité d’entrants dans une production, la production est multipliée au plus par x.

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note40

Sur la théorie de l’équilibre général voir l’Idée reçue 2.

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note41

Karl Polanyi, L’économie en tant que procès institutionnalisé, dans Essais, Seuil, 2002.

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note42

L’autorité de régulation des télécom, de l’énergie, etc.

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note43

Isabelle Theiller, La création des marchés hebdomadaires, Histoires et société rurales, 2005.

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note44

En vieil allemand : Niemer wirt der market guot wan sô man tôren schaden tuot, cité par Roland Czada, dans le chapitre Markt, dans Arthur Benz et al., Handbuch Governance, VS Verlag für Sozialwissenschaften, 2007.

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note45

Voir Comment vendre ses produits ou services sur une place de marché ?, sur francenum.gouv.fr (12/12/2024).

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note46

C’est ce que cherche à faire l’UE avec le Digital Markets Act ou Règlement sur les marchés numériques en français, qui vise à protéger les consommateurs et les entreprises de la position dominante de grandes plateformes numériques.

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note47

Douglass C. North, Understanding the process of economic change, Princeton University Press, 2005 ; traduction The Other Economy.

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note48

Voir Marchés du carbone - SEQE-UE sur le site du Ministère de l’écologie (consulté le 14/03/2025) et notre fiche Neutralité et compensation carbone.

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note49

Voir Qu'est-ce qu'un logement soumis à la loi de 1948 ? sur Service-Public.fr (consulté le 14/03/2025).

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note50

Voir le chapitre L’impérialisme de marché dans le livre de Michel Devoluy, L'économie : une science impossible - Déconstruire pour avancer, Vérone Editions, 2019.

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note51

A Friedman doctrine‐- The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits, Milton Friedman, New York Times (13/09/1970).

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note52

Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2018.

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note53

Voir Et krach, la tulipe : histoire de la première bulle spéculative, Clémence Tanguy, Café de la Bourse (16/01/2018).

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note54

D’après les calculs de l’International Institute of Social History, un florin de 1635 équivaut à environ 10,30€ de 2002.

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note55

Voir La crise des subprimes (2007-2008), La finance pour tous (04/01/2024) et le film The Big Short (Adam McKay, 2015) qui explique bien le rôle des produits financiers opaques dans l’ampleur de la crise.

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note56

Voir le livre de Michel Volle, iconomie, Xerfi et Economica 2014 ; voir également Rendements croissants sur le blog de l’auteur.

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note57

Voir les données recueillies par l'OICA (International Organization of Motor Vehicle Manufacturers) pour l'année 2017.

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note58

Avinash K. Dixit, Joseph E. Stiglitz, Monopolistic Competition and Optimum Product Diversity American Economic Review, 1977.

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notenobel59

Au sujet du Nobel d’économie, voir Pourquoi le Nobel d’économie n’est pas un prix Nobel comme les autres, Anne-Aël Durand, Le Monde (09/10/2023).

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note60

Voir son livre Théorie de l'organisation industrielle, Economica, 2015.

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note61

Aujourd’hui, une réglementation européenne qui porte le nom de la commune sinistrée, identifie les sites particulièrement à risques et se focalise sur la maîtrise des libérations accidentelles de substances toxiques ou d’énergie (explosions).

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note62

La protection de la propriété privée a en général rang de droit constitutionnel, voire supra-constitutionnel. Elle est, par exemple, un droit reconnu en terme général par la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies, par la Convention européenne des droits de l’Homme et par la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, préambule de la Constitution française.

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note63

Voir la page Mouvement des Enclosures sur Wikipédia, et, pour aller plus loin, La grande transformation de Karl Polanyi (Gallimard, 1944 (1983 pour l’édition française)) - en particulier le chapitre 3.

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note64

Voir par exemple Atteintes aux droits humains et à l’environnement : révélations sur le projet pétrolier de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie, Julie Pietri - Charlotte Cosset, France Info (06/01/2023).

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note65

Voir par exemple l’histoire du combat au Parlement européen contre la brevetabilité des logiciels racontée avec beaucoup d’humour et de pédagogie par celui qui en a été un des acteurs principaux, Michel Rocard : Brevets et libertés, Cahiers Sens public, 2008.

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note66

C’est le cas par exemple dans le cadre du Traité sur la Charte de l’Énergie - Voir notre fiche sur le TCE

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note67

Hardware désigne les aspects matériels (téléphone, ordinateurs, puces, etc) ; software les aspects logiciels.

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note68

Les données relatives à ce secteur sont issues du livre de Bertrand Valiorgue, Refonder l’agriculture à l’heure de l’anthropocène, Le bord de l’eau, 2020 et du rapport de l’IPES-Food, Too Big To Feed, Pat Mooney, 2017.

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note69

Voir Ces trois groupes industriels qui rassemblent plus de 1 400 marques de bière, Mathilde Damgé, Le Monde (21/07/2017).

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note70

Voir Derrière l’expression Big Pharma, des milliards de dollars mais une réalité plus complexe, Mathilde Damgé, Le Monde (26/11/2020).

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note71

Permise par l’invention des containers qui a révolutionné le fret maritime.

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note72

La propriété intellectuelle concerne les brevets, droits d’auteur, dessins industriels, variétés de plantes, indications géographiques. Sa protection au niveau mondial a été renforcée par l’accord conclu en 1995 sous l’égide de l’OMC sous forte pression des industries du numérique, chimique et pharmaceutique, dit accord sur les Aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC, ou TRIPS en anglais).

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note73

Ce qui n’est pas sans augmenter les risques de ruptures d’approvisionnement, y compris dans des secteurs sensibles comme les médicaments ou dans l’automobile.

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note74

Voir le livre de Laurence Scialom, La fascination de l’ogre – ou comment desserrer l’étau de la finance, Fayard, 2019.

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note75

Voir l’analyse percutante de Brett Christophers The Price is Wrong, Why Capitalism Won’t Save the Planet, Verso, 2024.

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note76

Un marché contestable est un marché sur lequel la concurrence potentielle (la menace d’entrée d’une entreprise concurrente) garantit les prix concurrentiels. Voir la page Wikipédia Marché contestable.

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note77

Les barrières à l’entrée peuvent, par exemple, être dues à des restrictions à l’interopérabilité des objets ou à des pratiques d’exclusivité. Si vous vous intéressez à la vision de la politique de l’Union européenne, vous pouvez vous référer aux lignes directrices de l’UE pour les concentrations verticales et horizontales.

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note78

Le terme de défaillances de marché est consacré dans la littérature économique néoclassique. S’il nous semble plutôt bien choisi, cela ne veut pas dire que nous partagions ici l’idée normative néoclassique selon laquelle, une fois ces défaillances corrigées, les marchés sont l’organisation économique optimale.

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note79

Voir la traduction en français de son célèbre discours devant la Lloyd’s sur le blog d’Alain Grandjean : Carney, Villeroy de Galhau, Turner : le risque climatique au coeur de la finance (11/11/2015).

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note80

60%*3% + 40%*15% = 7,8%

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note81

Pour une analyse des incitations financières et de leur dérive en France, voir Anne-Laure Delatte, L’État droit dans le mur, Fayard, 2023.

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note82

Notons cependant que la part des emplois informels, définis comme des emplois contrevenant aux réglementations sociales, est importante – en moyenne 20% en 2016 dans les pays les plus riches, selon une estimation de l’Organisation Internationale du Travail (Florence Bonnet, Joann Vanek et Martha Chen, Women and Men in the Informal Economy: A Statistical Brief, 2019) et du FMI (Gabriel Quiros-Romero, Thomas F Alexander, Jennifer Ribarsky, Measuring the Informal Economy, 2021). Les emplois informels se distinguent des activités illégales (contrevenant au droit pénal), des activités non déclarées (contrevenant au droit fiscal), ainsi que des activités non rapportées (échappant à la comptabilité national.

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note83

Voir Claude Ménard, Mary. M. Shirley, Handbook or New Institutional Economics, Springer US, 2008, et Douglass C. North et Barry R. Weingast, Constitutions and Commitment:The Evolution of Institutions Governing Public Choice in Seventeenth-Century England, The Journal of Economic History, 1989. Voir aussi Steve Pincus, La révolution anglaise de 1688 : économie politique et transformation radicale, Revue d’histoire moderne et contemporaine, 2011.

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note84

Voir, par exemple, l’enquête La vraie vie des cuisiniers tamouls de Paris, Frantz Durupt , Michela Cuccagna, StreetPress (14/11/2014).

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note85

La première scène du film Le Parrain (1972) de Francis Ford Coppola, selon le roman éponyme de Mario Puzo, illustre parfaitement comment une défaillance de l’État favorise l’émergence de réseaux d’emplois parallèles et claniques et, dans le cas d'espèce, criminels.

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note86

Christopher Woodruff, Establishing confidence in business partners, chapitre de Creating social trust in post-socialist transition, de János Kornai, Bo Rothstein, Susan Rose-Ackerman, Springer, 2004.

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note87

Joseph E. Stiglitz, Some lessons from the East Asian Miracle, The World Bank Research Observer, 1996.

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note88

À ce réseau de banques coopératives, s’ajoutent les Caisses d’Épargne locales, détenues par les municipalités et cantons (Kreis) dont le volume de crédit est même supérieur à celui des coopérative.

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note89

Elena Beccalli, Ludovico Rossi, Andrea Viola, Network vs integrated organizational structure of cooperative banks: evidence on the Italian reform, International Review of Financial Analysis, 2003.

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note90

Speech by the Governor of the Bank of Italy Ignazio Visco, Banca d’Italia (10/07/2018).

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note91

Avec Oliver Williamson. Si plusieurs membres des facultés d’économie ont salué avec plus ou moins d’hypocrisie l’octroi de ce prix à une non-économiste, un professeur de la faculté Chicago considérait avec (un semblant ?) d’ironie que la profession allait haïr que le Nobel d’économie ait été attribué à E. Ostrom autant que les Républicains ont haï que le Nobel de la paix ait été attribué à Obama, Reactions to the Nobel in Economic Science, R.M. Schneiderman, New York Times (12/10/2009).

Par ailleurs, au sujet du Nobel d’économie, voir Pourquoi le Nobel d’économie n’est pas un prix Nobel comme les autres, Anne-Aël Durand, Le Monde (09/10/2023).

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note92

Garrett Hardin, La tragédie des communs,1968 (édition française : PUF, 2018).

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note93

Cette représentation est souvent choisie pour illustrer la problématique de la gestion en commun des ressources monétaires et financières auxquelles les pays de la zone Euro ont accès. Ancrée dans les cadres mentaux des décideurs et de quelques opinions publiques, et renforcée en continu par les déclarations de responsables politiques et les analyses d’économistes, elle rend extrêmement difficile une solution coopérative pérenne.

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note94

Elinor Ostrom, Gouvernance des biens communs, De Boeck, 2010.

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note95

La solution pour la zone Euro, le Pacte de Stabilité, a été l’interdiction d’un financement monétaire des budgets publics et des limites numériques arbitraires aux déficit et dette publics. Une solution à la fois suboptimale et qui s’est avérée à la longue inexécutable. Une représentation plus pertinente, et permettant d’identifier une gouvernance efficace et durable, serait celui de ministres des finances devant trouver un accord dans deux arènes de négociation, leurs parlements nationaux d’une part, et le conseil des ministres de l’Union européenne d’autre part. Ce qui suggère une solution laissant de la marge pour des négociations simultanées aux niveau européen et national.

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note96

Parmi bien d’autres, gestion communale de prairies et forêts en Suisse, systèmes d’irrigation en Espagne et aux Philippines, nappes phréatiques aux États-Unis, pêcheries.

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note97

Claire Helen Quinn et al., Property rights in UK uplands and the implication for policy and management, Ecological Economics, 2010.

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note98

Voir par exemple: Harold Demsetz, The Structure of Ownership and the Theory of the Firm, Journal of Law and Economics, 1983 : It is a mistake to confuse the firm of [neoclassical] economic theory with its real-world namesake. The chief mission of neoclassical economics is to understand how the price system coordinates the use of resources, not the inner workings of real firms.

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note99

Indépendante, mais pas nécessairement plus puissante dans la négociation.

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note100

Ce qui n’exclut pas des mises en concurrence dans la gestion des ressources humaines ou, pour des raisons de suivi des coûts, l’utilisation de prix internes fixés par comptabilité.

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note101

Ronald H. Coase, The nature of the firm, Economica, 1934.

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note102

Respectivement Prix nobel d’économie en 1972 (avec John Hicks) et en 2009 (avec Elinor Ostrom).

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note103

Les efforts d’intégration horizontale s’expliquent par l’objectif de gagner en part de marché et en influence, et d’exploiter des économies d’échelle.

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note104

C’est le problème dit du principal-agent

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note105

Nous ne discuterons pas ici des cycles de Kondratieff qui nous éloigneraient de notre propos. Disons-en juste quelques mots. L'économiste Nikolaï Kondratieff identifie, au 19e siècle, des cycles longs, d’une durée de 40 à 60 ans, alternant phases d’expansion et de dépression. La première phase, de 1790 à 1850, est caractérisée par l’essor industriel, tandis que la deuxième, de 1850 à 1896, correspond à l’âge d’or du capitalisme libéral, avec des innovations comme l’acier, l’électricité et la chimie. Ces cycles sont ponctués de crises majeures, comme celle de 1873. Cette Grande Dépression, qui dure jusqu’en 1896, n’est pas une récession globale, mais une stagnation relative marquée par la chute des prix (déflation) et des profits. Elle reflète la saturation des marchés européens et la montée en puissance des concurrents américains et allemands.

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note106

Ben Bernanke, président de la Fed pendant la crise de 2008-2009, connaissait bien l'histoire de la crise de 1929 et n’a pas répété les mêmes erreurs. Cette crise n’en a pas été pour autant indolore, et a montré, elle aussi, l’irréalisme du dogme de l’autorégulation des marchés.

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note107

Voici deux références pour appréhender cet univers : L'économie de la Chine,

Mary-François Renard, La Découverte, 2019 ; Dynamique de l'économie chinoise. Croissance, cycles et crises de 1949 à nos jours, Rémy Herrera et Zhiming Long, Éditions Critiques, 2021.

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note108

Voir par exemple Le Pacte Vert, ce coupable idéal, Marie Bellan, Les Échos (05/02/2025).

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note109

Le livre collectif dirigé en 2001 par Peter A. Hall et David Soskice, Varieties of Capitalism : The institutional foundations of Comparative Advantage (Oxford University Press), est considéré comme le pavé fondateur de cette théorie.

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note110

Dont les économies anglo-saxonnes - États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande - sont les plus proches.

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note111

Citons, entre mille exemples, celui particulièrement frappant de l’Obamacare, loi visant à élargir et améliorer la couverture santé des Américains. Elle a été promulguée avec d’innombrables difficultés par le président Obama et Donald Trump a voulu l’abroger dans son premier mandat.

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note112

Bruno Amable, The Diversity of Modern Capitalism, Oxford University Press, 2003 ; Les cinq capitalismes, Seuil, 2023 (Lire cet entretien de l’auteur dans Alternatives Économiques : Les cinq capitalismes (01/07/2005) ; Diversité et domination des capitalismes nationaux, chapitre du livre Théorie de la régulation, un nouvel état des savoirs, Robert Boyer &al., Dunod, 2023.

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note113

Voir Le système bancaire allemand et la crise financière, Patrick Brämer, Horst Gischer et Toni Richter, Regards sur l’économie allemande, 2013 et Wie die Europäische Kommission supranationales Recht durchsetzt – Der Konflikt um die Liberalisierung des öffentlich-rechtlichen Bankenwesens in Deutschland, Daniel Seikel, Politische Vierteljahresschrift, 2013.

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note114

Les deux économistes les plus connus à l’origine de ce mouvement de pensée sont David Friedman (le fils de Milton) dans son livre Vers une société sans État (1973, publié en français aux Belles Lettres, 1992) et Murray Rothbard dans L'Éthique de la liberté (1982, publié en français en 2011 aux Belles Lettres).

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note115

J.D. Vance, le vice-président (qui dit s’inspirer entre autres du blogueur Curtis Yarvin), Elon Musk, Peter Thiel et d’autres. Voir Croyons les techno-monarchistes et libertariens américains lorsqu’ils annoncent vouloir se débarrasser de la démocratie, Marie Charrel, Le Monde (20/02/2025) et Se préparer à l’Empire : Curtis Yarvin, prophète des Lumières noires, Le Grand Continent (21/01/2025).

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note116

Cités-États, paradis fiscaux, enclaves, ports francs, technopoles, zones hors-taxes ou pôles d’innovation… Quelques exemples parmi les plus connus : Shenzen, Singapour, Dubaï, Lichtenstein, le Hong-Kong des années 80, etc.

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note117

La soumission à Donald Trump de quelques milliardaires est facile à comprendre. Il est plus difficile de comprendre que soient élus démocratiquement des zélateurs d’un modèle aussi évidemment contraires aux intérêts des classes moyennes et défavorisées.

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note118

Voir Les États-Unis vers un national-capitalisme autoritaire ?, Pierre-Yves Hénin, The Conversation (16/12/2024).

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note119

Cet aperçu s’inspire très largement de la présentation faite par l’AMF sur son site : Comprendre les marchés financiers (14/04/2020).

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note120

Les devises ne font pas l'objet d'échange en bourse. Lorsqu'elles sont convertibles, celles-ci sont négociées les unes contre les autres généralement en continu sur le marché des changes qui est un marché de gré à gré (dit OTC, over the counter).

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note121

Voir son livre Exubérance Irrationnelle, Valor, 2020.

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note122

Pour certains dérivés OTC, le règlement European Market Infrastructure (EMIR) oblige, depuis juillet 2012, à recourir aux services d'une chambre de compensation.

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note123

Risque de défaut de contrepartie -faillite du vendeur ou de l’acheteur- et risque de règlement livraison : l’acheteur ne paie pas ou le vendeur ne fournit pas les titres.

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note124

Au comptant ou avec un différé de paiement en utilisant, quand c’est possible, le Service de Règlement Différé qui offre la possibilité de différer les opérations de règlement-livraison à la fin du mois boursier.

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note125

En 1997, Myron Scholes et Robert Merton ont reçu le Prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur la formule de Black-Scholes, consacrant son importance dans le domaine de la finance moderne (Fischer Black étant décédé en 1995, il n'a pas pu recevoir le prix).

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note126

La formule de Black-Scholes repose sur un modèle mathématique qui permet de calculer le prix théorique d'une option d'achat (call option) en tenant compte du prix de l'actif sous-jacent, de la volatilité, du temps restant jusqu'à l'expiration, du taux d'intérêt sans risque, et du prix d'exercice. Cette formule repose sur plusieurs hypothèses simplificatrices, notamment l’absence d’arbitrage, la possibilité de prêter et d’emprunter au taux sans risque, et la constance de la volatilité.

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note127

Voir le livre de Nicolas Bouleau, Martingales et marchés financiers, Odile Jacob, 1998.

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note128

Friedrich Hayek, The Use of Knowledge in Society, The American Economic Review, 1945.

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note129

Voir Nicolas Bouleau, Les marchés fumigènes, sur son blog et son livre Le mensonge de la finance, Éditions de l’Atelier, 2018.

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note130

Pour une démonstration mathématique, voir Prix mondiaux futurs des ressources épuisables (05/07/2013) sur le blog de Nicolas Bouleau.

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note131

Voir notre fiche sur la règle de Hotelling ainsi que et l’article d’Ivar Ekeland dans le blog d’Alain Grandjean : A quand la fin du pétrole ? (14/04/2023).

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note132

Les comptes de l’État non plus…

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note133

Pour les déchets la France a choisi la voie de la Responsabilité élargie du producteur, voir La responsabilité élargie du producteur se généralise, dossier de l’Ademe.

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note134

La Caisse des Dépôts et Consignations a créé la filiale CDC Biodiversité pour fournir une réponse aux exigences de compensation imposées aux aménageurs artificialisant les sols ou dégradant leur biodiversité. Ils sont redevables d’une obligation de renaturation équivalente à la perte de nature dus aux projets qu’ils réalisent. La CDC Biodiversité reprend à son compte cette obligation (en contrepartie d’un transfert monétaire) et tente de la satisfaire en réalisant des opérations de renaturation. Les retours d’expérience sur la compensation en matière de biodiversité ne sont cependant pas très convaincants.

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note135

Dans son ouvrage The Economics of Welfare, 1920.

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note136

Présent dans la Constitution française, à travers la Charte de l’Environnement, article 4 : Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu’elle cause à l’environnement, dans les conditions définies par la loi..

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note137

Sur la discussion relative à l’économie du droit, voir notamment Alain Supiot, Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit, Points, 2009.

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note138

Voir Une analyse économique des systèmes d'échanges de quotas d'émissions aux États-Unis et en Europe, Grégory Arnoult, Les blogs pédagogiques de Paris-Nanterre (08/07/2012) : Le marché d’échanges de quota d’émissions de SO2, adopté par les amendements au Clean Air Act de 1990, a établi deux phases : la première allant de 1990 à 1995 et la seconde de 1995 à 2000, avec pour objectif une réduction substantielle de 10 millions de tonnes d’émissions de SO2 par rapport aux niveaux de 1980. Cet instrument a réduit les émissions de SO2 ainsi que le coût de ces réductions avec grand succès, en permettant aux installations d’être plus flexibles afin de  trouver des méthodes innovantes pour réduire les émissions plus rapidement et pour un coût moindre.

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note139

Le scope 3 recouvre les émissions indirectes liées aux activités amont (achats de matériaux et d’équipement etc..), et aux activités aval (utilisation des produits vendus, recyclage et fin de vie des produits etc.) d’une entreprise. En savoir plus avec notre fiche Compter les émissions de gaz à effet de serre.

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note140

Revealed: more than 90% of rainforest carbon offsets by biggest certifier are worthless, analysis shows, Patrick Greenfield (18/01/2023).

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note141

Qui n’ont rien à voir avec la Réserve mondiale de semences du Svalbard ni avec les banques communautaires de semences, qui ont pour but de préserver la diversité génétique des cultures.

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note142

L’IPBES est la Plate-forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques. C’est l’équivalent du GIEC pour la biodiversité. Voir par exemple le Global assessment report on biodiversity and ecosystem services, 2019, le Thematic Assessment Report on the Interlinkages among Biodiversity, Water, Food and Health, 2024 et le Thematic assessment of the underlying causes of biodiversity loss and the determinants of transformative change and options for achieving the 2050 Vision for Biodiversity, 2024.

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note143

Voir par exemple Ursula von der Leyen propose des crédits nature pour récompenser ceux qui sont au service de notre planète, Nikolaus J. Kurmayer, Euractiv (13/09/2024).

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notepivin144

Voir Arthur Pivin, Louise Dupuis, Certificats Biodiversité : Risques et Opportunités, Carbone 4, 2024.

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note145

Voir Pourquoi le Nobel d’économie n’est pas un prix Nobel comme les autres, Anne-Aël Durand, Le Monde (09/10/2023).

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note146

Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2018.

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note147

Il faut en estimer l’effet d’une augmentation du prix de l’énergie sur sa consommation, qui dépend de son élasticité, pas facile à connaître et qui dépend de nombreux facteurs (les revenus, la localisation géographique, les équipements …). Voir notre fiche Le prix de l’énergie fait-il baisser sa consommation ?

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note147-2

La valeur de l’action pour le climat : une référence pour évaluer et agir, France Stratégie, 2025.

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note148

Voir par exemple Une fiscalité élastique sur les carburants pour amortir les variations de prix, Quentin Perrier, Terra Nova, 2023.

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note149

Pour l’économiste orthodoxe et prix Nobel Jean Tirole l’homo socialis, évolution de l’homo economicus, ne communique toujours pas mais devient plus coopératif si on lui injecte une hormone, l’ocytocine (sic). Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2018 (chapitre 5.II).

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note150

Jean Tirole, Économie du bien commun, PUF, 2018, chapitre 8.II.

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note151

Elinor Ostrom, A polycentric approach for coping with climate change, World Bank, 2009. Voir aussi le livre de Benjamin Coriat, Le bien commun, le climat et le marché. Réponse à Jean Tirole, Les Liens qui Libèrent, 2021 ainsi que notre fiche sur les types de biens.

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note152

Elinor Ostrom, A polycentric approach for coping with climate change, World Bank, 2009 (page 13).

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note153

Voir par exemple La théorie du doux commerce et ses limites lorsque la mondialisation ralentit, Alain Beuve-Méry, Le Monde (05/07/2023).

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note153-2

Joseph E. Stiglitz chapitre Industrial Policy, Learning and Development extrait de The Practice of Industrial Policy: Government—Business Coordination in Africa and East Asia, dirigé par John Page, Finn Tarp, Oxford University Press, Stiglitz, J. E. (2017).

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note153-3

L’Emploi : moteur de la transformation bas carbone, The Shift Project, 2021, voir en particulier le chapitre "Une politique industrielle pour la transformation bas carbone et l’emploi", p. 159-192.

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note154

Voir Le cassis de Dijon, accélérateur du marché intérieur, La Croix (20/12/2020).

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note155

Les États-Unis sont les premiers à voter une loi contre les concentrations et les pratiques commerciales abusives avec le Sherman Antitrust Act de 1890. Voir l’Essentiel 3.2 Structurer les marchés : lutter contre la concentration.

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notececchini

Le rapport Cecchini a été dirigé par l'économiste italien du même nom, à la demande de la Commission européenne en 1988. Il visait à estimer le "coût de la non-Europe". On peut en lire un résumé sur le site Archive of European Integration (curieusement hébergé par l'Université de Pittsburg). Une "mise à jour" du rapport a été faite par le Parlement européen en 2014 : The Cost of Non-Europe in the Single Market ('Cecchini Revisited').

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note156

Voirl’encadré sur la concurrence pure et parfaite, dans l’Idée reçue 2.

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note157

Voir par exemple le livre de David Graeber, Bureaucratie, Les liens qui libèrent, 2015.

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note158

Avec la directive 88/361/CEE qui prévoit cependant de clauses d’exception, notamment en cas de crises économiques ou monétaires, selon lesquelles les États membres peuvent réintroduire des contrôles temporaires.

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note159

Voir l’excellente BD Champs de bataille (Delcourt, 2024) d’Inès Léraud et Pierre Van Hove qui raconte l’histoire du remembrement.

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note160

Le remembrement est une opération foncière visant à regrouper des parcelles pour faciliter l’exploitation des terres avec des machines.

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note161

Voir le rapport de la Cour des Comptes La politique d'installation des nouveaux agriculteurs et de transmission des exploitations agricoles, 2023.

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note162

Ce montant inclut également d'autres fonds structurels et d'investissement (par exemple, le Fonds de cohésion). Voir la page Politique régionale de l'Union européenne de Wikipédia.

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note163

Cette directive, adoptée en 1996 et révisée en 2018, institue entre autres le principe à travail égal, rémunération égale sur un même lieu de travail. Voir l’article Qu’est-ce que la directive sur les travailleurs détachés sur le site touteleurope.eu (10/07/2020).

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note164

Il s’agit du respect -conditionnant l’adhésion à des pays candidats à la zone Euro- d’une série d’indicateurs ou de ratios (déficit public/ PIB, dette /PIB, inflation, taux de change et taux d’intérêt. Les ratios de déficit et de dette vont devenir progressivement des règles de gestion majeures des États européens. Voir notre fiche La gouvernance économique européenne.

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note165

Notamment en faisant de la libre circulation des capitaux l'une des quatre libertés fondamentales du marché intérieur (aux côtés des biens, des services et des personnes.

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note166

Voir par exemple l’article Infographies : les émissions de gaz à effet de serre dans l'Union européenne sur le site touteleurope.eu (21/11/2024).

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note167

Report on economic and monetary union in the European Community, 1989.

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note168

The future of European competitiveness, 2024.

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note169

Rapport Letta : Much more than a market, 2024.

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note170

Voir Comment rentabiliser les investissements de la transition écologique ?, Marion Cohen, Alain Grandjean, blog Chroniques de l’Anthropocène d’Alain Grandjean (02/01/2025).

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note171

C’est l’objet du rapport Letta (Much more than a market) présenté à la présidente de la Commission européenne en 2024.

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note172

L’initiative de marché unique des capitaux est complétée d’un projet d’union bancaire.

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note173

Matthias Bauer, What is Wrong with Europe’s Shattered Single Market ? – Lessons fromPolicy Fragmentation and Misdirected Approaches to EU Competition Policy, European Center for International Political Economy, 2023.

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note174

Marx est héritier de la théorie classique de la valeur. Si la valeur d’un produit est égale au travail fourni pour le faire, l’écart entre le prix de vente et cette valeur, ce que Marx appelle la plus-value, est indue. Marx considère qu’elle est volée aux travailleurs.

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note175

Lors de sa phase de création et de démarrage, elle vit souvent grâce aux capitaux initialement apportés par les créateurs.

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note176

L’image du commissaire-priseur est parfois utilisée par les économistes pour représenter le fonctionnement d’un marché. Mais cette image ne correspond à aucune réalité concrète autre que celle des salles des ventes. La bourse et les marchés financiers sont probablement les seuls marchés où le mécanisme de formation du prix est bien compris des algorithmes (et où il n’y a pas de commissaire-priseur!), en temps réel, analysent les carnets d’ordre des acheteurs et des vendeurs et établissent le prix qui permet le maximum d’échanges. Voir La cotation des actions sur le site ABCbourse.

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note177

Les économistes néoclassiques ont abandonné la théorie de Smith (la valeur-travail) pour proposer un modèle mathématique de l’économie, fondé au départ sur une représentation simpliste de l’homo economicus : les agents économiques se comportent en maximisant leur utilité sous contrainte budgétaire. Les entreprises, elles, maximisent leur taux de profit. Dans cette théorie, la valeur d’un bien est son utilité marginale.

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note178

Gérard Debreu, Theory of Value. An Axiomatic Analysis of Economic Equilibrium, Wiley, 1959, traduit en français, Dunod, 1984. La page Wikipédia sur l’équilibre général propose une présentation synthétique du modèle de Debreu.

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note179

Voici quelques références sur le sujet : Steve Keen, L’Imposture économique, Éditions de l’atelier, 2014 et Derrière l’imposture de la science économique, qu’y a-t-il ?, billet de Jean-Marie Harribey sur Alternatives Économiques (26/11/2014).

Vincent Desreumaux, La théorie de l’équilibre général : un colosse aux pieds d’argile. À propos de l’ouvrage de Claire Pignol : La théorie de l’équilibre général, Revue de la régulation, 2018.

Bernard Guerrien, La théorie néo-classique, Bilan et perspectives du modèle d’équilibre général, Economica, 1985 ; Dictionnaire d’analyse économique (avec Ozgur Gun), La Découverte, 2012 ; La théorie économique néoclassique (avec Emmanuelle Bénicourt), La Découverte, 2020 ; ainsi que son article Qu’est-ce que la concurrence parfaite ?.

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note180

La démonstration de Debreu utilise le théorème du point fixe de Kakutani, qui suppose des connaissances de niveau supérieur en mathématiques.

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note181

Dans son article Qu’est-ce que la concurrence parfaite ?, publié sur son site.

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note182

Concurrence pure et parfaite est synonyme de concurrence libre et non faussée.

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note183

Sur la rationnalité des agents, voir Le rationnel et l’irrationnel dans les choix du consommateur, Luís Santos-Pinto, La Vie Économique, 2016.

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note184

Voir notre module PIB, croissance et limites planétaires, notre fiche Réchauffement climatique : quel impact sur la croissance ? ainsi que Alain Grandjean, Les modèles IAMs et leurs limites, Chaire Énergie et Prospérité, 2024 et Alain Grandjean, Gaël Giraud, Comparaison des modèles météorologiques, climatiques et économiques : quelles capacités, quelles limites, quels usages ?, Chaire Énergie et Prospérité, 2017.

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note185

Ce post rend compte d’un article du FMI publié début octobre 2024 qui constitue une petite révolution dans le monde de la macroéconomie : il présente un cadre conceptuel original dans lequel la Nature se trouve au cœur du système économique.

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note186

Voir GEMMES, une application pour comprendre les effets du changement climatique sur l’économie, AFD (03/01/2019).

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note187

Contrairement à Staline, Hitler s’est appuyé sur les milieux d’affaires et a fait la fortune des propriétaires des Volkswagen, BMW, Deutsche Bank, Siemens, Daimler (Mercedes-Benz), ThyssenKrupp, Continental, ou encore IG Farben, le fabriquant du gaz Zyklon B utilisé dans les camps d'extermination, et dont sont issus les géants de la chimie Bayer et BASF. Voir cet article synthétique sur cette période mal connue au plan économique : Volker Hentschel, L’économie du Troisième Reich, dans État et société en Allemagne sous le IIIe Reich, sous la direction de Gilbert Krebs et Gérard Schneilin, Presses Sorbonne Nouvelle, 2018. Voir également le livre de Gabriel Galand et Alain Grandjean, La monnaie dévoilée, L’Harmattan, 1997.

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note188

Voir par exemple l’analyse d’un article de Peter Thiel (fondateur de Paypal et figure influente de la nouvelle génération de libertariens aux États-Unis) dans Le Grand Continent : La liberté contre la démocratie, Kieran Keohane (16/02/2019).

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note189

Dans son livre, La grande transformation. Aux origines politiques et économiques de notre temps, 1944, publié en français chez Gallimard en 2009.

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note190

Voir par exemple Wendy Brown, Défaire le démos. Le néolibéralisme, une révolution furtive, Éditions Amsterdam, 2019.

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note191

Voir La montée du péril totalitaire d’extrême droite est une des manifestations de l’entrée en crise du régime néolibéral, Le Monde (29/11/2024), tribune de Nicolas Postel et Richard Sobel, auteurs du Que sais-je ? Karl Polanyi, Presses Universitaires de France, 2024.

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note192

Nous dirions maintenant la biosphère ou la Nature.

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note193

L’encastrement et le désencastrement sont des concepts clefs chez Polanyi (voir Nicolas Postel et Richard Sobel, Que sais-je ? Karl Polanyi, Presses Universitaires de France, 2024).

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note194

Polanyi parle alors de société de marché, où les êtres humains ne sont plus considérés que comme des Homo economicus… qu’ils ne sont pas.

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note195

La surproduction des élites crée une instabilité, en multipliant les conflits au sein des élites, en générant des groupes d’opposants radicaux et en exacerbant les tensions sociales. Ce phénomène, combiné à des inégalités croissantes, prépare souvent le terrain à des périodes de crise, voire de rupture violente (révolutions, guerres civiles, effondrement d’empires).

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note196

Eugene Fama, Efficient Capital Markets: A Review of Theory and Empirical Works, Journal of Finance, 1970.

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note197

Voir le livre d’Alain Grandjean et Julien Lefournier, L’illusion de la finance verte, Éditions de l’Atelier, 2021.

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note198

Voir la page Sustainable finance sur le site de la Commission européenne.

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note199

Voir Bernard Guerrien et Ozgur Gun, L’étrange silence du Nobel Prize Committee sur la théorie des marchés efficients, Revue de la régulation, 2013.

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note200

Eugene Fama, Efficient Capital Markets: A Review of Theory and Empirical Works, Journal of Finance, 1970, pages 383-417.

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note201

Voir par exemple Michel Albouy, Peut-on encore croire à l'efficience des marchés financiers ?, Revue française de gestion, 2005.

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note202

Dont l’un des fondateurs, Richard Thaler, a également reçu le prix Nobel en 2017.

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note203

Voir le livre de Robert Shiller, Exubérance Irrationnelle, Valor, 2020.

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note204

Nicolas Bouleau, Critique de l’efficience des marchés financiers, sur son blog (28/05/2013). Voir également le travail de Bernard Guerrien et en particulier son article La théorie des marchés efficients : une imposture qui semble arranger tout le monde (académique), 2019, publié sur son site personnel, et le livre de Gaël Giraud : Illusion financière, Éditions de l’atelier, 2014.

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note205

Le mouvement brownien est une description mathématique du mouvement aléatoire d'une particule immergée dans un liquide et qui n'est soumise à aucune autre interaction que des chocs avec les molécules du liquide. Il en résulte un mouvement très irrégulier de la particule, qui a été décrit pour la première fois par le botaniste Robert Brown, en observant les mouvements spontanés de grains de pollen. Il a été modélisé mathématiquement par Louis Bachelier (qui a appliqué ensuite le modèle mathématique à la finance) et Albert Einstein.

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note206

Voir Alain Grandjean, Crises et fractales : quels enseignements ?, Le Magazine de la Communication de Crise et Sensible, 2006 ; Benoît Mandelbrot, Richard L. Hudson, Une approche fractale des marchés, Odile Jacob, 2009 ; les livres de Christian Walter, Le virus B, crise financière et mathématique, avec Michel de Pracontal, Seuil, 2009, et Le modèle de marche au hasard en finance, Economica, 2013.

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note207

Cette expression courante dans le milieu financier signifie obtenir un rendement plus élevé que celui du marché (qui peut se chiffrer par un indicateur comme le CAC 40 ou autre).

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note208

Voir Garrett Hardin, La tragédie des communs, 1968. Publié en français aux Presses universitaires de France, présentation par Dominique Bourg, 2018.

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note209

Voir La Pêche à la Coquille Saint-Jacques en baie de Saint-Brieuc - Une gestion durable et responsable, sur le site Saint-Quay-Portrieux Tourisme.

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note210

L'OCDE publie régulièrement des rapports de comparaison des systèmes de santé de ses pays membres. Le rapport Panorama de la santé est une référence, offrant des indicateurs sur la qualité des soins, l’efficacité, l’accès et les dépenses de santé dans différents systèmes, qu’ils soient majoritairement publics (comme au Royaume-Uni et en France) ou privés (comme aux États-Unis).

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note211

Voir par exemple Aux Etats-Unis, le coût ruineux de la santé, Arnaud Leparmentier, Le Monde (27/08/2019).

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note212

Steffie Woolhandler, Terry Campbell, David U. Himmelstein, Costs of health care administration in the United States and Canada, The New England Journal of Medicine, 2003.

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note213

Irene Papanicolas, Liana R. Woskie, et Ashish K. Jha, Spending on health and health outcomes: a comparison of 11 western countries with different levels of health expenditure, JAMA, 2018.

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note214

Voir Benjamin Goodair et Aaron Reeves, The effect of health-care privatisation on the quality of care, The Lancet, 2024.

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note215

Voir Sans réglementation ni comptes à rendre - Comment le secteur privé de la santé en Inde met en danger la vie des femmes, Oxfam, 2013.

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note216

Anna Marriott et Marame Ndour, Amener le secteur privé de la santé à aider les plus démunis : bon sens ou optimisme aveugle ?, 2013.

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note217

Voir par exemple Pierre-André Juven, Frédéric Pierru, et Fanny Vincent, La casse du siècle. À propos des réformes de l’hôpital public, Éditions Raisons d’agir, 2019.

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note218

Voir l’Essentiel 8 de ce module et ces billets sur le blog Chroniques de l’Anthropocène d’Alain Grandjean : Marion Cohen, Le dogme économique, au cœur du désaveu européen (24/05/2019) et Alain Grandjean, Le tout marché au coeur du triple échec européen (20/10/2016).

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note219

Entre autres : Saint-Gobain, Paribas, TF1, Crédit commercial de France, la Compagnie générale d'électricité (qui devient Alcatel-Alsthom puis Alcatel), Société générale, Havas, Matra, Suez, Crédit local de France, Renault, Rhône-Poulenc, BNP, Elf-Aquitaine, UAP, SEITA, TOTAL, COFACE, AGF, CGM (vendue à la CMA qui devient CMA-CGM), Péchiney, Usinor-Sacilor, BFCE (qui a donné naissance à la banque Natexis, et ultérieurement à Natixis puis BPCE), Bull, Air France, Crédit lyonnais, France Télécom, Eramet, GAN, Thomson Multimédia, CIC, CNP, Aérospatiale (EADS), Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, SNECMA (qui prend le nom de Safran), Société des autoroutes du Nord et de l'Est de la France, Autoroutes du sud de la France, Gaz de France, Électricité de France, Aéroports de Paris, DCNS, GRTgaz.

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note220

Voir le rapport parlementaire : Rapport fait au nom de la commission d’enquête sur la libéralisation du fret ferroviaire et ses conséquences pour l’avenir, 2023.

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note221

D’autant qu’au niveau européen, le dumping social s’est développé avec l’élargissement européen.

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note222

Voir la page Wikipédia Accident ferroviaire de Brétigny-sur-Orge.

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note223

Voir Nicolas Meunier et al., Les idées reçues sur le transport de marchandises et le climat, Carbone 4, 2023.

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note224

Voir cet article d’Aurélien Bigo, Le train, grand oublié de la transition énergétique ?, The Conversation (20/06/2018).

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note225

Voir La relance du fret ferroviaire, Dossier de presse du Ministère de l’écologie, 2021.

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note226

Voir par exemple Kurt Jax, David N. Barton, Kai Ming Adam Chan, Rudolf de Groot et al., Ecosystem services and ethics, Ecological Economics, 2013.

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note227

Les interactions entre la Nature et les êtres humains sont très complexes. Voir Richard B. Norgaard, Ecosystem Services: From Eye-Opening Metaphor to Complexity Blinder, Ecological Economics, 2010.

Ecosystem services: From eye-opening metaphor to complexity blinder. In Ecological Economics, 69(6), 1219-1227.

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note228

Ancien banquier, fondateur de Gist, cabinet de conseil sur la transition, et entre autres président du WWF international de 2018 à 2021. Voir TEEB Synthesis Report : Mainstreaming the Economics of Nature: A Synthesis of the Approach, Conclusions and Recommendations of TEEB, 2010.

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note229

Voir le billet Les entreprises ont intérêt à préserver la biodiversité sur le site Écotree Pro (02/02/2022).

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note230

Nicola Gallai, Jean-Michel Salles, Josef Settele, Bernard E. Vaissière, Economic valuation of the vulnerability of world agriculture confronted with pollinator decline, Ecological Economics, 2008.

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note231

IPBES, Rapport d’évaluation sur les pollinisateurs, la pollinisation et la production alimentaire - Résumé à l’intention des décideurs, 2016.

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note232

Voir Robert Costanza, et. al, Global Environmental Change, Nature,‎ 2014.

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note233

Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes, La Documentation Française, 2009.

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note234

Le prix des terrains à bâtir en 2019, DataLab, Ministère de l’Écologie, 2020.

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note235

Nous abordons aussi cette idée reçue dans notre module Travail et chômage.

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note236

Les économistes ont développé de nombreuses analyses visant à complexifier le cadre élémentaire d’économie de marché, voir cette présentation assez complète des diverses théories par Christian Bialès : Le marché du travail - Un panorama des théories économiques, de l’orthodoxie aux hétérodoxies, 2017.

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note237

Voir par exemple le cas de la taxe carbone en Suède (Julius J. Andersson, Carbon Taxes and CO₂ Emissions: Sweden as a Case Study, American Economic Journal: Economic Policy, 2019), et celui de la Colombie Britannique (Brian Murray, Nicholas Rivers, British Columbia’s Revenue-Neutral Carbon Tax: A Review of the Latest ‘Grand Experiment’ in Environmental Policy, Energy Policy, 2015).

Voir aussi celui de la taxe sur les sacs plastique en Irlande : Frank Convery, Simon McDonnell, Susana Ferreira, The most popular tax in Europe? Lessons from the Irish plastic bags levy, Environmental and Resource Economics, 2007.

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note238

Annika Stechemesser et al., Climate policies that achieved major emission reductions: Global evidence from two decades, Science, 2024. Pour plus de détails, voir le Climate Policy Explorer du Potsdam-Institute for Climate Impact Research et cet article de présentation : Insight Brief: The Climate Policy Explorer (22/08/2024) de l’Institute for New Economic Thinking - Oxford.

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note239

D’où les suggestions de chèque vert ou de réductions d’impôt qui a été mise en place en Colombie Britannique. Quant à la Suède, le succès de la taxe carbone mise en place en 1991 ne se comprend que comme celui d’un dispositif d’ensemble (y compris une politique volontariste en matière de réseaux de chaleur). Voir par exemple Comment la Suède a créé la taxe carbone la plus élevée au monde, Matthieu Jublin, Alternatives Économiques (08/08/2022).

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note240

Voir 1474 : l’invention du brevet à Venise, Gérard Vindt, Alternatives Économiques (25/07/2019).

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note241

Voir Statut des monopoles 1623, Royaume-Uni sur le site de l’OMPI.

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note242

Voir Qu'est-ce que le brevet unitaire européen ? sur le site du Ministère de l’Économie (28/06/2023).

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note243

Voir notre fiche Évasion et paradis fiscaux.

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note244

En 1973, des scientifiques américains, Herbert Boyer et Stanley Cohen, ont réussi à créer la première bactérie génétiquement modifiée en insérant un gène dans l'ADN d'une bactérie Escherichia coli pour lui faire produire une protéine étrangère.

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note245

Cette affaire portait sur une bactérie génétiquement modifiée par le scientifique Ananda Chakrabarty pour dégrader les hydrocarbures et, potentiellement, lutter contre les marées noires. La Cour a statué que cette bactérie, modifiée pour une fonction spécifique, pouvait être brevetée, car elle n'existait pas naturellement dans la nature.

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note246

Voir la page Wikipedia sur la Brevetabilité du vivant qui est très complète.

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note247

Voir par exemple Brevets sur le vivant : une appropriation grandissante, Denis Meshaka et Hélène Tordjman, Inf’OGM (01/07/2024).

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note248

Linux est un système d'exploitation Open Source gratuit publié sous licence publique générale (GPL) GNU, créé par Linus Torvalds en 1991. Toute personne peut exécuter, étudier, modifier, redistribuer le code source, et même vendre des copies de son code modifié, à condition de le faire sous la même licence. Voir Linux, qu'est-ce que c'est ?, sur le site de RedHat, un des principaux acteurs privés de l’open source.

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note249

Voir la page Libre accès (édition scientifique) de Wikipédia.

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note250

Ce mouvement est né de la concentration des éditeurs d’articles scientifiques qui a rendu très coûteuse la publication et l’accès à la publication. Voir le livre Quelles sciences pour le monde à venir, sous la direction d’Alain Grandjean et Thierry Libaert, Odile Jacob, 2020.

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note251

Un brevet ouvert, aussi appelé open patent en anglais, est un brevet dont le détenteur a décidé de rendre l'utilisation libre sous certaines conditions. Cela signifie que le titulaire du brevet permet à d’autres personnes ou entreprises d'utiliser l'invention protégée, sans nécessairement en exiger des redevances ou des licences restrictives, souvent dans un but de promouvoir l'innovation, la coopération, ou la standardisation technologique.

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