Objectif principal
Financer les investissements massifs nécessaires à la transition écologique.
Périmètre
Union européenne
Nature de la mesure
Politique monétaire
Énoncé de la proposition
Réorienter vers la transition écologique la monnaie créée par la Banque centrale européenne à travers le mécanisme du quantitative easing (QE, assouplissement quantitatif en français) notepropqe1
Argumentation et justification
La transition écologique nécessite des investissements publics massifs
Pour mener à bien la transition écologique, des investissements massifs sont nécessaires : en 2020, la Commission européenne évaluait le besoin de financements supplémentaires à 470 milliards d’euros par an d’ici 2030 notepropqe2. Notons que cette étude ne prend pas en compte l’adaptation au dérèglement climatique notepropqe3 : le montant réel des financements nécessaires est donc encore plus élevé.
Si les investissements privés sont indispensables, ils ne suffiront pas. En effet, les « services » rendus par la Nature n’entrant pas dans la comptabilité, certains projets indispensables sont trop peu voire pas du tout rentables, ou alors sur des temps trop longs pour le marché. On pense par exemple à la dépollution des sols, la préservation d’écosystèmes, ou encore certaines infrastructures de mobilité (aménager des pistes cyclables coûte cher, mais ne « rapporte » rien).
Cette proposition permettrait de contribuer à financer notre proposition de lancer un plan de reconstruction écologique.
Face à cette crise sans précédent, il faut mettre les outils de la BCE au service de notre survie
Jusqu’ici, les États n’ont pas investi suffisamment, tous secteurs confondus, en partie en raison des contraintes budgétaires européennes notepropqe4 (voir aussi notre proposition sur la réforme de la gouvernance économique européenne) et du discours dominant sur le risque lié à une dette publique trop élevée (voir le module sur la dette publique).
Jusqu’à présent le mécanisme de quantitative easing a été tourné vers les marchés : la Banque centrale européenne rachète des titres (souvent de dette publique) pour « rassurer » les marchés, et éviter ou calmer une crise financière. La monnaie ainsi créée est censée redynamiser l’économie en incitant les banques à financer des projets et des entreprises. Or, d’une part, ça n’est pas toujours le cas, et d’autre part, sous couvert de « neutralité monétaire » (voir le module sur la monnaie), la BCE pouvait soutenir des projets pétroliers par exemple et plus généralement une économie « à 4 degrés » puisque c’est ce à quoi conduit le business as usual.
Si le QE a été utilisé pour sauver les banques suite à la crise financière de 2008, il peut l’être pour sauver la vie sur terre.
« Faire preuve d’une créativité et d’une ténacité sans faille pour les banques, qui jouent certes un rôle clef dans l’économie, puis nier aux Etats le droit d’investir, revient à introduire une hiérarchie où l’activité financière passe avant l’avenir économique, social et écologique. »
Par ailleurs, en utilisant le quantitative easing pour des activités nécessaires à la transition écologique, la BCE générerait d’autres effets positifs pour les pays européens, parmi lesquels :
- Une plus grande autonomie des États face aux marchés financiers ;
- La création d’emplois (en grande partie non délocalisables) ;
- Un soutien à l’investissement dans la recherche, la formation et la reconversion professionnelle ;
- La réduction des inégalités, car les impacts des changements climatiques touchent plus directement les plus pauvres (passoires thermiques, hausse des prix alimentaires, petits agriculteurs, etc.) ;
- Une pression à la baisse sur les taux d’intérêt dont la hausse en 2022 alourdit la dette publique et les dettes privées, faisant craindre une récession voire une crise financière et économique majeure.
Faisabilité juridique et politique
Juridiquement, cette proposition est applicable dès à présent :
En effet, si la Banque centrale européenne n’est pas autorisée à prêter directement aux États membres de l’UE, elle pourrait prêter à la Banque européenne d’investissement (BEI), qui pourrait alors financer des projets aux niveaux européen, national, régional, local.
La BCE pourrait également prêter à des conditions très préférentielles (taux nul et durée très longue) à des organismes nationaux, comme la Caisse des dépôts et consignations en France ou la Banque postale par exemple. À ce jour, ces organismes se refinancent auprès de la Banque centrale, mais à des conditions de marché (ce qui pose une limite notepropqe5). Pour contourner cette limite, il pourrait être envisagé de compléter l’alinéa 2 de l’article 123 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne par la phrase suivante (proposition faite dans le livre Une monnaie écologique, de Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean) :
« Par dérogation à ce qui précède, la Banque centrale européenne est autorisée à acquérir, dans des volumes significatifs et selon des conditions préférentielles, les instruments de dette émis par la Banque européenne d’investissement en faveur d’investissements dans la transition écologique ».
Ce scénario ne nécessiterait pas de revenir sur l’interdiction du financement monétaire des États et pourrait être compatible avec la continuité du principe d’indépendance de la Banque centrale.
Il resterait néanmoins un dernier obstacle à lever. Les banques publiques ont aussi des contraintes propres, de liquidité, de niveaux de risque, de contrôle démocratique et des impératifs de rentabilité, etc. qui limitent de fait leur capacité à investir.
Si cet obstacle (qui n’est pas purement juridique) ne pouvait être levé, il faudrait envisager une option plus innovante, comme la création d’une Société de financement de la transition écologique, faite par Gaël Giraud et Alain Grandjean en 2013 notepropqe6, s’inspirant de la création de la SFEF (Société de financement de l’économie française) en 2009 notepropqe7. Il pourrait également être envisagé de passer par la voie du don de la BCE à l’État que proposent entre autres Jezabel Couppey-Soubeyran et Pierre Delandre notepropqe8.
Par ailleurs, nous proposons aussi de réformer les règles budgétaires européennes (voir le détail de cette proposition). En effet les États sont contraints par des règles qui limitent leur déficit annuel, sans tenir compte de la nature des dépenses considérées. Il est possible et nécessaire de lever les obstacles qu’elles posent à l’investissement des États pour faire face à la crise écologique. (car la BCE ne peut financer que des dépenses engagées et ce n’est pas elle qui les engage !)
Politiquement, le contexte semble être favorable :
D’une part l’Union européenne a lancé son Pacte vert pour le climat notepropqe9 en 2019 et le paquet législatif "Ajustement à l'objectif 55" est en cours d’adoption notepropqe10. Les nouveaux objectifs pour l’UE ne pourront être atteints sans des investissements supplémentaires.
D’autre part, en juillet 2022, la BCE a annoncé prendre dans les limites de notre mandat, [...] de nouvelles mesures concrètes visant à intégrer le changement climatique à nos opérations de politique monétaire. En avril 2023, François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, indiquait que la BCE était déjà en train de mettre en œuvre un verdissement de [son] programme d’achats de titres du secteur des entreprises, ainsi que d’adapter [son] dispositif de collatéral.
La BCE abandonne donc déjà - au moins partiellement - son principe de neutralité (voir le module sur la monnaie) et va désormais « orienter » ses achats d’avoirs en obligations d’entreprises « vers des émetteurs présentant de bons résultats climatiques ». Elle va également limiter la part d’avoirs à empreinte carbone élevée que les banques peuvent utiliser comme collatéraux pour obtenir des prêts de la BCE, pénalisant ainsi en principe (selon les critères qui seront appliqués) le soutien des banques aux industries climaticides.
Ces décisions affaiblissent de fait considérablement l’argument souvent opposé à un green QE selon lequel il ne pourrait être promu du fait de l’indépendance de la BCE.
Si le contexte est encourageant (sans toutefois qu’il faille surestimer les changements effectivement réalisés notepropqe11), un green QE nécessite l’implication des grands pays européens.
Ce que nous proposons consiste à mettre la monnaie centrale au service d’une politique budgétaire spécifique. Dans l’état actuel de la gouvernance européenne, cela nécessite des décisions de l’Eurogroupe notepropqe12 qui est, de facto, l’instance de coordination des politiques budgétaires et monétaire. Si la Banque centrale est, selon les Traités, indépendante des États, les décisions prises par l’Eurogroupe, auquel elle participe, l’engageront de fait.
Origine et travaux sur la mesure
Cette proposition, sous des formes diverses existe depuis plus de 10 ans :
- Alain Grandjean et Jean-Marc Jancovivi l’évoquaient dans leur livre C’est maintenant !, paru en 2010
- Créée en 2010, l’association Positive Money plaide pour que la politique monétaire soit mise au service des humains et de la planète. En 2015, elle a mené une campagne pour un « QE for the people ».
- Rapport « Financer l’avenir sans creuser la dette » de la Fondation pour la Nature et l’Homme (2011).
- Rapport « Strategic Quantitative Easing » de la New Economics Foundation (2013), proposé par les économistes Giovanni Bernardo, Josh Ryan-Collins, Richard Werner, et le directeur de la foundation Tony Greenham.
- En 2014, le projet d’une Société de Financement de la Transition Énergétique (SFTE), est soutenu par un consortium d’industriels, financeurs, collectivités locales et fondations.
- En 2015, le Green QE fait l’objet d’une proposition des parlementaires Verts/ALE au Parlement européen (sur la base d’un rapport rédigé par Victor Anderson).
- En 2015, également, France Stratégie publie une « Proposition pour financer l'investissement bas carbone en Europe ».
- En 2020, cela fait aussi partie des idées présentées dans Une monnaie écologique, de Nicolas Dufrêne et Alain Grandjean.
- En 2020, l’institut Veblen publie une note sur Le rôle de la politique monétaire dans la transition écologique.
Lien avec les autres contenus de la plateforme
Module La monnaie
Module Dette et déficit publics
Proposition Lancer un plan de reconstruction écologique
Proposition Réformer le Pacte de Stabilité et de Croissance européen