Objectif principal
Baisser le taux de financement des investissements de transition.
Périmètre
Union européenne
Nature de la mesure
Politique monétaire
Énoncé de la proposition
La Banque centrale européenne (BCE) met en place un programme de refinancement des banques à taux réduit, fléché vers les investissements verts, tels que définis par la taxonomie européenne.note1
Argumentation et justification
Combattre la fossilflation à la racine
L’atteinte de nos objectifs climatiques requiert des investissements publics et privés de l’ordre de 2% à 4% du PIB en Europe. Or, la remontée des taux d’intérêts orchestrée par la BCE en 2022 - et par d’autres banques centrales dans le monde - freine ces investissements cruciaux. La raison est simple : les investissements verts (énergies renouvelables, rénovation énergétique etc.) sont généralement plus intensifs en capitalnote2 que les investissements bruns (industries fossiles ou très émettrices de gaz à effet de serre). Ainsi, une éolienne demande un investissement initial conséquent, mais ses coûts de fonctionnement sont ensuite très faibles (le vent et le soleil sont gratuits). Inversement, le coût d’une centrale à gaz dépend essentiellement du coût d’approvisionnement du combustible, qui, à la longue, est bien plus élevé que le coût initial de construction de la centrale.
Pour cette raison, de nombreux projets d’éoliennes offshore ont été annulés en 2022-2023, car la hausse des taux rendait ces projets non-rentables.note3 En effet, on estime qu’une hausse des taux d’intérêt de 3% augmente le coût de l’éolien offshore de près de 25%.
La forte dépendance énergétique de l’Union européenne aux énergies fossiles importées représente une importante vulnérabilité, et un risque d’inflation importée : la fameuse fossiflation. L’épisode inflationniste de 2022-2024 a montré qu’il est difficile pour la BCE de maîtriser ce phénomène.
Pour éviter de nouveaux chocs énergétiques de ce type il est largement reconnu comme souhaitable d’accélérer le déploiement d’une production électrique renouvelable, d’accroître l’interconnectivité du réseau électrique européen, le stockage, ainsi que de généraliser la sobriété énergétique, dans l’industrie et par la rénovation des bâtiments. C’est ce que prévoit la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC)note4 en France.
En appuyant la transition énergétique, la BCE pourrait contribuer à prémunir l’Europe contre de tels chocs inflationnistes - ce qui faciliterait par la même occasion la poursuite de l’objectif de stabilité des prix de BCE. Plusieurs études montrent qu’à terme une plus grande part de génération énergétique renouvelable pourrait permettre de diminuer le prix de l’énergie, et donc de l’inflation.note5 L’agence internationale de l’énergie montre par exemple que la croissance de la capacité photovoltaïque et éolienne dans l’UE entre 2021 et 2023 a permis de diminuer le prix de gros moyen de l'électricité d'environ 15% en 2023.note6
Pour éviter que les investissements renouvelables ne souffrent disproportionnellement des variations de taux d’intérêt, il serait souhaitable que la BCE applique un taux d’intérêt vert différencié, pour les projets qui vont dans le sens de la transition énergétique.
Le mécanisme du taux d’intérêt vert
Un taux d’intérêt vert pourrait être mis en place par la BCE via un programme de refinancement des banques, sous condition d’une certaine performance verte. Les banques commerciales obtiendraient alors des prêts à un taux vert c'est-à-dire moins élevé que le taux normal de la BCE.
Le mécanisme serait ainsi similaire aux programmes TLTROsnote7 que la BCE a mis en place entre 2014 et 2024 et qui fournissait des liquidités à des conditions très favorables pour les banques. Par exemple, les banques pouvaient emprunter pour 4 ans, à un taux allant jusqu'à -1% si elles démontraient qu'elles finançaient suffisamment l'économie réelle.note8
Concrètement, chaque banque pourrait emprunter le montant total des prêts verts (c’est-à-dire alignés avec les critères de la taxonomie européennenote9) qu’elle a produits l’année précédente. Si les banques atteignent un certain objectif d’augmentation de leur taux d’actifs vertsnote10, elles peuvent obtenir un bonus supplémentaire en termes de réduction du taux d’intérêt. Ainsi, ce mécanisme permettrait de diminuer le coût de capital des prêts verts, tout en incitant les banques à développer des stratégies ambitieuses pour augmenter leurs financements à la transition écologique.
Impact potentiel d’un taux d’intérêt vert
Pour qu’une politique de taux d’intérêt vert produise un réel effet, il faut que le taux d’intérêt vert soit fixé suffisamment plus bas que le taux normal de la BCE, et pour une durée suffisamment longue.
Dans son rapport pour la Commission européenne publié en septembre 2024, l’ancien Président de la BCE et premier ministre italien Mario Draghi estime qu'une réduction de 250 points de base du coût du capital serait nécessaire pour atteindre un niveau d'investissement privé d'environ 4% du PIB pour la transition.note11
Dans le même ordre de grandeur, une étude de la banque néerlandaise ABN Amro estime qu’un taux vert fixé 200 points de base en dessous du taux de la BCE améliorerait de 24% à 53% la rentabilité de la plupart des technologies renouvelables pour le solaire et l'éolien en Allemagne, en France, en Italie, aux Pays-Bas et en Espagne.note12 Un autre étude de deux des mêmes chercheurs pour Sustainable Finance Lab estime qu’une différenciation de taux plus faible, de l’ordre de 100 points de base, permettrait de réaliser 5% à 12% des réductions d'émissions nécessaires pour atteindre les objectifs de l'UE.note13
En septembre 2024 le taux d'intérêt directeur de la BCE s'élevait à 3,5%. Un taux vert se situant entre moins 100 et moins 250 points de base, se situerait dans la fourchette de 1% à 2,5%.
Faisabilité (juridique et politique)
Il existe de nombreux précédents
La Banque de France et la Bundesbank, par exemple, ont appliqué avec succès des taux d’intérêt différenciés en période d’inflation pour soutenir certains secteurs qui contribuaient à réduire l’inflation.note14
En 2021, la Banque populaire de Chine (PBoC) a introduit une facilité de réduction des émissions de carbone (CERF) permettant aux banques d'emprunter à un taux préférentiel de 1,75% pour un montant correspondant à 60% de leur volume de prêts émis pour soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de gaz à effet de serre.note15 La Banque du Japon lui a emboîté le pas en janvier 2022, en lançant un nouveau programme appelé Transactions for Climate Response Financing Operations, dans le cadre duquel les banques peuvent emprunter à 0% auprès de la Banque du Japon. En juillet 2024, les banques japonaises étaient en mesure d'emprunter 11 963 milliards de yens (76 milliards d'euros).note16
Les programmes de TLTRO III mis en place par la BCE entre 2014 et 2024, ont des caractéristiques très proches, bien que n’étant pas ciblés spécifiquement sur des investissements verts.
En 2020, la BCE avait déjà envisagé une telle mesure (le TLTRO vert), dans le cadre d’une révision de sa stratégie. Mais elle avait conclu que les lacunes dans les données et des méthodologies insuffisamment développées ne permettaient pas de déterminer ce qui est vert.note17
Selon un rapport récent du think tank néerlandais Sustainable Finance Lab, ces problèmes semblent avoir été résolus.note18 En effet, la mise en œuvre de la taxonomie européenne sur les activités durables fournit une définition solide des critères de soutenabilité. Sur la base de cette taxonomie, les banques sont obligées, depuis 2024, de publier chaque année leur taux d’actifs vert, ce qui implique un travail de collecte et de traitement systématique des données relatives à l’impact environnemental des entreprises, via la directive CSRD. Ces avancées facilitent grandement la mise en œuvre d'un programme de taux vert par la BCE.
En 2021, la BCE a instauré un facteur vert dans ses programmes de rachat de dette d’entreprise, ce qui est un premier pas vers un abandon au moins partiel de son principe de neutralité (voire notre module sur la monnaie). En janvier 2024, la BCE s’est engagée à continuer d’examiner la possibilité de verdir ses opérations de politique monétaire.note19 Dans la foulée, la BCE a annoncé vouloir instaurer à l’horizon 2027 des opérations structurelles de refinancement dont les modalités devraient prendre en compte les objectifs liés au climat.note20 Une politique de taux d’intérêt vert s'intégrerait parfaitement dans cette perspective.
Politiquement, le contexte semble être favorable :
L’Union européenne a lancé son Pacte vert pour le Climat en 2019 et le paquet législatif Ajustement à l'objectif 55 a été adopté. Les nouveaux objectifs pour l’UE ne pourront être atteints sans des investissements supplémentaires.
Origine et travaux sur la mesure
Une proposition qui bénéficie de soutiens variés
Cette proposition a été imaginée en 2019 par l’économiste irlandais Eric Lonergannote21 et relayée en France par Hubert Kempf.note22 Puis, elle a été reprise et poussée par les think tank Positive Money et Sustainable Finance Lab en 2020note23, ainsi que l’ONG française Reclaim Finance.note24 La présidente de la BCE Christine Lagarde avait d’ailleurs positivement accueilli la proposition.note25
Depuis, de nombreux économistes, venus d’universités et du secteur bancaire, l’ont soutenue tels que Éric Monnet (EHESS et Paris School of Economics), Jens van't Klooster (Université d’Amsterdam)note26, Frédérik Ducrozet (Pictet), Louis Harreau (Crédit Agricole), Carsten Berzski (ING), Nick Kounis (ABN Amro), Sandra Phlippen (ABN Amro), Barbara Baarsma (Rabobank).note27
S’exprimant lors de la COP28, Emmanuel Macron estimait que nous avons besoin d’un taux d’intérêt vert et d’un taux d’intérêt brun.note28 C’est aussi la demande récente d’un collectif de près de 30 économistes, investisseurs, dirigeants d’entreprise et d’associations dans une tribune du Monde.note29
Pour en savoir plus
Lien avec les autres contenus de la plateforme
Module La monnaie
Module Dette et déficit publics
Proposition Lancer un plan de reconstruction écologique
Proposition Réformer le Pacte de Stabilité et de Croissance européen