Le capitalisme est parfois présenté comme le principal responsable de la crise écologique et sociale actuelle 1. Pour certains, il faudrait renommer capitalocène 2 ce que les géologues appellent anthropocène. 3 Pour d’autres, il faut sortir du capitalisme pour résoudre cette crise majeure. Il est indéniable que le système économique actuel, dit « capitaliste », aujourd’hui dominant sur la grande majorité de la planète, est en cause. 4
Pour autant, il n’est pas si facile de définir le capitalisme même en nous limitant au plan économique, ni d’identifier clairement ce qu’il faut abandonner de ce système et ce qu’il faut mettre en place pour sauver l’humanité du naufrage en cours. Ce n’est que par un travail analytique, à peine esquissé ici, qu’il est possible de savoir s’il faut tout « jeter » dans le capitalisme ou plutôt le transformer, éventuellement en profondeur.
Le débat déjà ancien entre trois options (le maintien du « modèle », son rejet ou sa réforme de type « social-démocrate » ou maintenant « social-écologique ») est à reprendre dans cette perspective. Nous avancerons donc sans réponse préconçue et de manière aussi empirique que possible pour, en conclusion, tracer quelques pistes de transformation de notre système économique.
Le capitalisme en tant que système économique : essai de définition
Le terme capitalisme, apparu au milieu du XVIIIe siècle, n’est pas facile à définir 5, à la fois parce que sa définition renvoie explicitement ou implicitement à des contestations de fond et parce qu’il est multiforme : il serait plus rigoureux de parler des capitalismes. 6
Nous ne nous aventurerons pas dans cette fiche sur les terrains sociologique, politique et historique où se sont placés Karl Marx et ses successeurs. En un mot, Marx a en effet mis au cœur de sa définition et de son analyse du capital et du capitalisme les rapports de domination entre les classes sociales, la bourgeoisie détentrice du capital exploitant le salariat. Ne pas aborder ici ces enjeux ne signifie pas qu’ils soient de second ordre, ni qu’à nos yeux l’économie puisse se « désencastrer » des institutions qui l’encadrent et des rapports de force. Il est clair en effet que le système capitaliste s’est construit et continue à évoluer du fait de ces mouvements.
Tentative de définition du terme capitalisme
Sur le plan économique, on peut définir le capitalisme comme un système dans lequel une partie (généralement majoritaire mais cette part peut varier fortement 6) des moyens de production est la propriété d’entreprises à capitaux financiers privés .
Ces entreprises détiennent des machines, des équipements, des immeubles, des stocks… Elles recourent à de la main d’œuvre subordonnée, principalement salariée depuis le XIXe siècle. 7 Elles achètent ce dont elles ont besoin pour produire et vendre des biens et des services. Enfin, elles utilisent, sans les comptabiliser, des « ressources » ou « capitaux naturels ». 8
Le pouvoir de décision dans ces entreprises – y compris relatif aux revenus distribués 9 – est donné aux détenteurs de ces capitaux, lesquels, a priori, vont s’intéresser à leur propre intérêt qui est en premier lieu celui d’accumuler plus de capital financier (nous reviendrons sur ce point plus loin). Ce pouvoir est, dans certains pays , atténué par la présence de représentants des salariés qui participent aux instances de décision les plus « élevées » (conseils d’administration ou conseils de surveillance). 10
Il y a évidemment une différence entre des petits patrons, dont la force tient surtout à leur propre travail, et des actionnaires financiers (ou des personnes physiques riches) dont le pouvoir découle de la seule propriété du capital. L’adjectif « capitaliste » caractérise plutôt ces personnes que les « petits patrons ».
Le capitalisme se distingue, au sein des systèmes économiques dits « développés », du collectivisme dans lequel les moyens de production appartiennent à l’État. Au sens de cette définition, l’économie chinoise est devenue progressivement capitaliste 11 à partir des réformes lancées en 1978 par Den Xiaoping.
Le capitalisme connaît de nombreuses variantes
Ces variantes dépendent de plusieurs facteurs et notamment :
- de la manière dont les droits attachés à la propriété du capital financier d’une entreprise et ceux accordés aux autres parties prenantes 12 sont définis dans la gestion des entreprises (par exemple, le « capitalisme rhénan » est caractérisé par la codétermination 13 entre les salariés et les actionnaires) ;
- du poids relatif du secteur public en matière de services, d’assurances et de transferts sociaux (plutôt élevé en France et dans les pays d’Europe du Nord, plus faible dans les pays de culture anglo-saxonne) ;
- du poids relatif du secteur associatif et plus généralement de l’économie sociale et solidaire (y compris mutualiste) ;
- du rôle du pouvoir politique sur l’économie (évidemment omniprésent en Chine).
- de rôle du pouvoir financier (plus fort dans le monde anglo-saxon, et qui s’est accru considérablement depuis 40 ans en Occident comme nous le montrons dans le module sur le rôle et les limites de la finance).
Le capitalisme inséparable de l’économie de marché
L’économie de marché est un système économique qui repose sur la décentralisation des décisions en ce qui concerne la fixation des prix ainsi que la production et l’échange de services et de marchandises.
Il y a eu, dans l’histoire, des économies de marché non capitalistes ou précapitalistes, qu’on pense par exemple aux sociétés européennes au Moyen-Âge. Aujourd’hui l’un ne va plus sans l’autre. On peut donc dire qu’une des caractéristiques essentielles du capitalisme est que les décisions concernant les prix des biens et services échangés ne sont pas prises par un organe centralisé planificateur mais par les acteurs économiques (plus ou moins concentrés selon les cas). Cette fiche vise à discuter de l’intérêt et des limites du capitalisme dans le cadre d’une économie de marché.
Le capitalisme a évolué dans le temps et dans les différents pays du monde
Il est possible de distinguer à grands traits cinq périodes en Occident :
- De sa naissance (voir encadré) en Italie au XIVe siècle à la révolution industrielle en Angleterre à la fin du XIXe siècle : ce sont les débuts du capitalisme. C’est pendant cette période que se définissent et se construisent 14 progressivement les instruments juridiques relatifs à la propriété, au « marché du travail » et au marché du foncier 15, à la comptabilité, à la concurrence, à la monnaie, aux mécanismes de financement ainsi que les institutions nécessaires à leur fonctionnement (banques, bourses, régulateurs etc.) ;
- De la fin du XIXe siècle à la crise de 1929, c’est la période classique, libérale sur le plan idéologique. L’économie est supposée se réguler spontanément et l’État ne doit intervenir ni sur le plan social 16, ni pour faire face aux crises (qui permettent de « faire tomber le bois mort », c’est -à-dire les entreprises non rentables ou pas assez solides). C’est l’idée du « laisser-faire, laisser-passer ». 17
- De la crise de 1929 aux années 1970, la période est plutôt keynésienne et dirigiste. 18 Le capitalisme est alors « socio-démocrate » avec la généralisation de l’État-Providence. 19 Roosevelt, président des Etats-Unis après la crise de 1929, incarne sur le plan politique cette nouvelle conception de l’économie. Il n’hésite pas à limiter le pouvoir de la finance et à lancer de grands programmes sociaux notamment en réponse à la crise de 1929, qui a aussi une dimension écologique, avec le Dust Bowl. Pour autant, la Nature est la grande oubliée de cette période comme de la suivante.
- Depuis la fin des accords de Bretton-Woods 20 au début des années 1970, le capitalisme est devenu « néo-libéral » 21, mondialisé et financiarisé. L’État doit se mettre au service des entreprises. Le « libre-jeu » des marchés est supposé conduire à un optimum économique, (comme dans la première période économique, mais cette fois au niveau mondial). Comme nous le montrons dans le module sur la finance, cette période est notamment marquée par la libéralisation des marchés de capitaux, la déréglementation des activités bancaires et le recul du pouvoir des autorités publiques (qui perdent la maîtrise de l’outil monétaire, sont contraintes de financer leur déficit sur les marchés afin de se soumettre à la saine discipline des marchés). Un autre trait caractéristique est la promotion du commerce mondial et du libre-échange à tout prix. Cette idéologie, qui imprègne la construction de l’Union européenne, accorde une place fondamentale aux quatre libertés de circulation (des hommes, des marchandises, des services et des capitaux).
- Depuis la crise financière de 2008-2009, on observe un ralentissement de la mondialisation et des idées libre-échangistes. La crise du COVID et encore plus récemment la guerre menée par la Russie en Ukraine semblent refermer cette période, en rehaussant l’attention portée aux politiques industrielles et aux enjeux de souveraineté.
De quand date la naissance du capitalisme ?
Il y a un débat sur la date de « naissance » du capitalisme, lié à sa définition. Certains auteurs voient le capitalisme naître avec la révolution industrielle. Pour d’autres, comme l’économiste historien Werner Sombart, la révolution industrielle commencerait au XIVe siècle avec l’émergence de la « civilisation bourgeoise » et de « l’esprit d’entreprise » à Florence. Pour Fernand Braudel, le capitalisme serait une « civilisation » aux racines anciennes, ayant connu des heures prestigieuses attestées par le rayonnement des grandes cités-États marchandes : Venise, Anvers, Gênes, Amsterdam, etc. mais dont les activités restent minoritaires jusqu’au XVIIIe siècle. Nous insistons ici sur l’idée d’un mouvement d’ensemble progressif qui démarre avec la création de la société par actions au XIVe siècle et de la comptabilité, qui permet de mesurer précisément l’enrichissement des actionnaires.
Source Voir Jacques Richard et Alexandre Rambaud. Révolution comptable – Pour une entreprise écologique et sociale, Éditions de l’Atelier, 2020. Voir aussi la thèse de Maxime Izoulet, Théorie comptable de la monnaie et de la finance, EHESS, 2020.
Le rôle de l’accumulation du capital dans la dynamique du capitalisme
Pour Karl Marx et ses successeurs, le moteur du capitalisme est l’accumulation du capital (au sens d’argent investi en vue de sa « fructification ») . Produire des marchandises ne serait qu’un détour à cette fin.
Cette vision est un peu simplificatrice : de nombreux capitalistes sont d’abord des entrepreneurs, voire des visionnaires, et sont mus par une « mission ». Pour eux, le capital est un moyen et pas une fin, même si certains sont aussi ou deviennent des détenteurs de capitaux, voire construisent des « dynasties » ou en sont issus.
Mais il est indéniable que la dynamique du capitalisme est liée au fait que des capitalistes consacrent leur énergie et leurs capacités pour faire fructifier leur capital financier, soit dans des aventures industrielles, soit dans des opérations financières.
Cette volonté de fructification, qui a besoin de la comptabilité permettant de la mesurer et de la gérer 22, est sans aucun doute liée à la soif d’enrichissement du capitaliste. 23 Elle s’émancipe progressivement des contraintes religieuses et morales au Moyen-Âge, où les débats théologiques sur la « licéité » du profit et de l’intérêt (au sens des prêts à intérêt) sont intenses. 24 On peut voir dans la Fable des abeilles de Bernard Mandeville , un premier tournant dans cette émancipation.
Le capitalisme financiarisé
Après la libéralisation financière des années 1970-80, une forme de capitalisme encore plus décomplexé est née, qui assume l’enrichissement sans limite des dirigeants des grands groupes en le justifiant par la « valeur » créée pour l’actionnaire.
C’est ainsi que se sont construites des fortunes considérables. En 2021 dans le monde, selon le World Inequality Lab, les 10% des personnes les plus aisées détiennent plus de 75% des richesses. A l’inverse, les 50% les plus pauvres (3,8 milliards de personnes) ne possèdent que 2% du patrimoine mondial.
Inégalités de revenus et de patrimoine dans le monde en 2021

Source Rapport sur les inégalités mondiales 2022, World Inequality Lab.
Ce capitalisme néolibéral, financier et mondialisé, dernier avatar du capitalisme, est beaucoup plus inégalitaire 25 que le capitalisme de la période keynésienne (voir ci-dessus) en installant un rapport de forces mondial défavorable aux travailleurs et aux salariés 26, via une concurrence dite « libre et non faussée » 27, une ouverture généralisée des échanges internationaux (de marchandises, de capitaux et de services) et un processus ininterrompu de mécanisation/automatisation/informatisation/robotisation, qui met les travailleurs sous une pression permanente.
Il exige des rendements plus élevés du capital investi dans les entreprises et raccourcit de ce fait les horizons des chefs d’entreprise (à commencer par les multinationales cotées en bourse qui imposent ce court-termisme à leurs fournisseurs, leurs sous-traitants et de proche en proche à toutes les entreprises). En effet, la recherche de rendements élevés se traduit par l’actualisation des flux financiers à taux élevé ce qui réduit le poids des flux financiers lointains donc le poids de l’avenir dans la décision économique. Il s’agit d’une loi d’airain. 28 Ce court-termisme (ainsi que celui dont fait preuve le personnel politique dans nos démocraties actuelles) est à l’origine de la « tragédie des horizons » mis en lumière par Mark Carney qui rend la lutte contre le changement climatique si désespérée.
Il est l’un des accélérateurs puissants de la crise écologique dans son ensemble, dont les effets sont lointains et non comptabilisés dans les comptes de gestion des entreprises comme nous l’expliquons dans le module sur la comptabilité d’entreprise.
Qu’est-ce que la tragédie des horizons ?
En septembre 2015, dans un discours prononcé au siège de la Lloyd’s, Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière, affirme que le réchauffement climatique présente des risques aux conséquences financières potentiellement systémiques. Il introduit le concept de « tragédie des horizons ». Le décalage entre l’horizon de court terme des acteurs financiers et celui de long terme des impacts climatiques ne permet pas aux acteurs financiers d’identifier les risques qu’ils encourent du fait du réchauffement global.
En savoir plus dans la partie du module sur la finance consacrée aux risques financiers systémiques liés au climat.
Quelle finalité pour l’entreprise ?
L’enjeu central des discussions actuelles autour du capitalisme tourne autour de cette question : quelle doit être la finalité de l’entreprise et la motivation des actionnaires et des dirigeants qu’ils désignent ?
Doit-elle être purement financière ? La « loi du profit » 29 doit-elle diriger et/ou être la principale boussole des décisions ?
Dit autrement, la question qui se pose aujourd’hui au capitalisme est bien de savoir s’il est possible de concilier les inconciliables, objet d’un débat « théologique » déjà évoqué 24 qui a traversé le Moyen-Âge en Europe et qui s’appuie sur ce célèbre « aphorisme » : « Nul ne peut servir deux maîtres : ou bien il haïra l’un et aimera l’autre, ou bien il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l’Argent ». (Evangile de Matthieu, 6, 24-34)
Comme nous l’avons rappelé en introduction, trois thèses s’affrontent :
1/ Pour Milton Friedman, prix Nobel d’économie, il n’y a pas de doute :
« Il y a une et seulement une seule responsabilité du monde des affaires : utiliser ses ressources et les engager dans des activités destinées à accroître son profit. » (The Social Responsibility of Business is to Increase its Profits, 1970)
Citons également ces propos tranchants de l’économiste Branko Milanovic, spécialiste des inégalités sociales :
« Si la domination du mode de production capitaliste ne souffre aucune contestation, il en est de même de l’idéologie selon laquelle gagner de l’argent est non seulement respectable, mais aussi l’objectif le plus important dans la vie des gens. (…) Nous vivons dans un monde où tout le monde suit les mêmes règles, parle le même langage de la quête de profit ». (Le capitalisme sans rival, 2020, p.19)
2/ Doit-on au contraire faire intervenir les autres parties prenantes, dont la Nature (selon des modalités spécifiques à définir bien sûr, la Nature n’étant pas une personnalité juridique), « à la table » de la décision ?
Si oui, peut-on faire en sorte que les capitalistes portent une attention aux capitaux naturels et humains aussi déterminante que celle qu’ils portent aux capitaux financiers ? Comment s’assurer que la « loi du profit » ne réduise pas les intérêts des autres parties prenantes à la portion congrue, malgré de « bonnes intentions » et de « bonnes paroles » plaidant pour le contraire ?
3/ Dernière option : doit-on « sortir du capitalisme » ?
Cette option est souvent citée sans que son sens exact soit précisé. S’agit-il de nationaliser toutes les entreprises (même les petites) ? De plafonner les revenus du capital ? De modifier en profondeur les règles de gouvernance, par exemple en élargissant la codétermination des décisions, ou en généralisant le modèle associatif ? 30 Selon la version envisagée, cette sortie peut se confondre avec l’option précédente.
Avant de faire part de notre réponse, faisons un détour sur les apports du capitalisme et de l’économie de marché.
Les apports du capitalisme et de l’économie de marché
Le capitalisme a eu de nombreux effets positifs et négatifs. Commençons par le positif.
Il a pu permettre l’émergence de savoir-faire, d’organisations sociales et de technologies bénéfiques aux sociétés humaines. La productivité qui s’est accrue de manière massive en quelques siècles a mis fin à la fatalité de la famine pour la majorité des humains 31 ; elle en a libéré une partie de l’effort physique pour survivre.
Le capitalisme a sorti de la misère les Européens puis, à partir de la fin du XXe siècle, de nombreux Chinois 32, même s’il ne faut pas mettre ce bénéfice à l’actif du néolibéralisme, le capitalisme chinois étant très différent. Analysons de plus près les « vertus » du capitalisme.
Il est utile d’avoir des « entrepreneurs » motivés et focalisés 33 sur des activités précisément définies et satisfaisant au mieux leurs clients
Les entrepreneurs cherchent à satisfaire un besoin ou un désir (présent ou à venir, solvable ou pouvant le devenir) par la mise au point, la réalisation et la vente d’un produit ou d’un service.
Ils ont plusieurs fonctions : réunir des capitaux financiers, lancer et piloter leur entreprise et ses projets, s’assurer qu’elle est rentable ou va le devenir, embaucher, organiser le travail, innover et susciter l’innovation, chercher des clients, des fournisseurs, des prestataires de services, des banquiers, éventuellement des associés, des partenaires… Tout cela dans le respect des contraintes imposées par le législateur, et en bénéficiant, en contrepartie, des « moyens » mis à disposition par la société (personnel éduqué, formé et en bonne santé, système juridique, infrastructures énergétiques, de transport et de communication, sécurité etc.).
Pour se lancer dans une telle « aventure » et la poursuivre, l’entrepreneur doit être motivé. En général ses motivations sont de plusieurs ordres :
- il se sent maître chez lui (il n’obéit pas à un chef) et libre ;
- il espère gagner de l’argent en rapport avec les risques (financiers, moraux, judiciaires…) pris, l’énergie déployée et les résultats obtenus ;
- dans certains cas, il veut avoir un impact sur le monde, parfois faire advenir voire imposer une certaine vision de celui-ci.
« L’alignement » de ces différentes motivations est une qualité du capitalisme. Elle permet que la reconnaissance financière soit cohérente avec la reconnaissance symbolique.
Il est utile d’avoir des mécanismes de décentralisation des échanges
Le « marché » est l’institution qui permet cette décentralisation. Chaque jour s’échangent dans le monde des milliards de produits et services entre des milliards de personnes. Passer par un prix déterminé de manière décentralisée, lorsque c’est possible, a deux intérêts :
- Un intérêt de répartition : les productions sont réparties de fait via les achats ; cette répartition est dans ce cas décentralisée, ce n’est pas une autorité centrale qui la décide. La liberté économique est maximale ;
- Un intérêt d’efficacité du processus productif : quand les prix sont fixés sur un marché concurrentiel, l’acheteur exerce une pression sur le producteur pour qu’il s’adapte à ses désirs, baisse ses prix et généralement ses coûts ; cela l’incite à faire des gains de productivité. Le « producteur » (agriculteur, industriel, société de service) connaît, peut connaître ou, au moins, a des informations sur les besoins de ses clients, leur consentement à payer, ses propres coûts et leur structure (coûts fixes, coûts variables) ainsi que sur ses méthodes de production. Il peut donc agir pour améliorer le service fourni à ses clients, innover, produire autrement etc.
L’innovation financière au sein du capitalisme a plusieurs intérêts
Le développement du capitalisme s’est accompagné de nombreuses innovations financières (voir encadré et pour des exemples plus récents, les fiches sur les produits dérivés et la titrisation ). Ces innovations ont permis entre autres de disposer de monnaie « dématérialisée », de mobiliser l’épargne des uns pour financer les projets des autres et de développer des méthodes et des dispositifs pour gérer les risques de toute nature.
La naissance du capitalisme est liée à celle des grands voyages organisés par les maîtres des cités italiennes. Pierre-Noël Giraud a montré dans un livre remarquable 34 l’importance de l’innovation financière dans ces grandes expéditions commerciales. La répartition détaillée des responsabilités, des risques et de leur rétribution est un savoir-faire indispensable face à l’initiative et à la créativité humaine.
De la même manière, l’art de collecter l’épargne des uns, de savoir évaluer les risques de crédit des autres, permet, si ce n’est une allocation optimale des capitaux, au moins leur « recyclage » et des transferts d’argent potentiellement socialement utiles.
Le droit des affaires se montre très inventif et très adaptable aux multiples configurations d’intérêts des parties prenantes à un projet
Le capitalisme mettant l’intérêt des acteurs économiques au cœur de son « programme », il y prend grand soin et fait preuve de créativité : le droit des contrats et plus généralement des affaires est immense et permet de faire face à bien des situations originales. Tout ceci permet aux « parties prenantes » de faire valoir leurs intérêts de manière détaillée, ce qui contribue au premier des atouts du capitalisme que nous avons mis en évidence ci-dessus. Paradoxalement, c’est au sein du capitalisme que se sont aussi développés différents types de statuts de société, de structures possibles dans l’univers de l’économie sociale et solidaire (coopératives, mutuelles, fondations etc.). Le capitalisme peut donc prendre en charge des intérêts non strictement financiers.
Pourquoi ces mécanismes doivent-ils être complétés et régulés ?
Si le capitalisme, mû par l’appât de l’argent, a eu des effets positifs et a des qualités intrinsèques, comme on vient de le voir, il conduit à des excès qui peuvent devenir intolérables. La dynamique capitaliste s’est accompagnée d’une pression considérable sur les populations colonisées, sur les travailleurs et sur les ressources planétaires.
Le franchissement des limites planétaires 35 n’est pourtant toujours pas un problème pour une partie des capitalistes, habités d’un sentiment de toute-puissance (« la technologie va nous sauver ») et mus, au-delà de l’argent, par l’envie de dépasser toute limite, comme le montre l’idéologie transhumaniste.
Le fait que le capital monétaire puisse croître sans limite (l’argent devenu entièrement dématérialisé, se créant ex nihilo comme nous le montrons dans le module sur la monnaie) n’est pas sans rapport évidemment avec cette absence de retenue.
Comme l’avait vu Marx, le capital confère aux capitalistes un pouvoir considérable sur les personnes salariées, mais aussi sur la Nature.
Indépendamment de ces excès, le capitalisme a besoin d’être régulé pour des raisons bien identifiées. Voyons-en les principales.
Il faut des infrastructures et des dispositifs publics pour la création et l’acquisition de connaissances
L’entreprise ne nait pas et ne se développe pas hors sol. Elle a besoin :
- de ressources naturelles (une planète habitable et une atmosphère respirable, un climat acceptable, des matières, de l’énergie et de l’eau utilisées dans tous les processus …) ;
- de travailleurs suffisamment éduqués et formés et pouvant s’intégrer socialement dans l’entreprise ;
- de services « extérieurs » publics (donc financés par des systèmes de redistribution reposant sur des prélèvements obligatoires divers et variés) ou privés : de la sécurité, un système de santé, un droit qui peut être respecté (car il est assez bien construit et les dispositifs permettant de le faire respecter sont assez efficaces), de routes et autres moyens logistiques, de réseaux de communication etc.
- de connaissances et de savoir-faire disponibles, donc notamment d’écosystèmes industriels ou serviciels ainsi que d’une recherche qui fonctionne ;
- d’une société suffisamment stable, où existe un minimum de confiance entre les uns et les autres et vis-à-vis des institutions .
Ce dernier point (le besoin d’une société assez stable) peut faire débat : il est possible de faire fortune pendant une guerre (qui enrichit les industriels de l’armement, les « débrouillards » du marché noir, etc.) L’extension des zones de non-droit peut contribuer à l’arrivée d’un pouvoir « fort » qui peut permettre aux affaires de se développer ; on connaît des exemples de pays à très forte injustice sociale où les entreprises « marchent » bien.
Ces arguments sont globalement à courte vue. Alain Peyrefitte, dans son livre La société de confiance, montre combien cette valeur (la confiance) est utile pour l’entreprise et son développement. Nul besoin de démontrer que la défiance généralisée (qui nait d’un climat délétère) complique et ralentit tout. 36
À l’évidence, tout ou partie de cet ensemble de services et d’infrastructures décrits ci-dessus doit être public. 37 Les entreprises en ont besoin dans le pays où elles opèrent et ne sont en général pas attirés par les pays où ces services font défaut. Par ailleurs, le secteur privé ne peut procurer nombre de ces services qui ne sont pas, ou pas assez, rentables 38, sans intervention de l’État.
Il faut des dispositifs de gestion des « communs » à diverses échelles
Les communs naturels
Du cours d’eau au climat, l’entreprise dépend de biens communs. Leur détérioration (par la pollution par exemple) et/ou leur surexploitation peut « profiter » à certains (au sens où elles peuvent être une source de revenus) et pâtir à tous.
Ce risque est intrinsèque au fonctionnement spontané du libre-marché. En effet, la Nature ne se fait pas payer pour les services qu’elle nous fournit, ni pour les nuisances qu’on lui fait subir. À l’intérieur du libre fonctionnement du marché, et dans les comptes des entreprises, la Nature n’est pas comptée.
Elle ne se fait sentir que par ses effets « physiques », « concrets ». Les économistes parlent d’externalités, précisément parce qu’il s’agit d’effets qui ne sont pas directement monétaires et sont donc considérés comme extérieurs au système économique. 39
Il appartient donc à la puissance publique de faire en sorte que ces effets soient pris en considération par les acteurs économiques pour qu’ils les préviennent, les limitent ou les atténuent. Dans certains cas, la puissance publique doit les rendre impossibles. Elle peut le faire en utilisant divers moyens (les interdictions, les réglementations, la fiscalité, etc.).
La comptabilité peut être réformée en profondeur dans cette direction, en conduisant à une redéfinition du « profit » qui intégrerait ces « externalités » dans sa construction.
De manière générale, la gestion de ces communs ne peut être faite de manière efficace par leur privatisation 40 ; elle ne l’est pas nécessairement par leur « nationalisation ». À nouveau l’histoire nous l’enseigne : pendant les périodes communistes (sur le plan économique) en Russie et en Chine, les pollutions locales pouvaient être fortes.
Dans la majorité des cas, il est souhaitable de mettre au point des dispositifs hybrides, où sont conviés les diverses parties prenantes, notamment locales, et dont les intérêts sont le plus directement liés à la préservation de ce commun. Le Drugs for Neglected Diseases Initiative (DNDI) un exemple emblématique de ce format hybride. 41
Pour les communs nationaux ou internationaux, l’État est le seul des acteurs à avoir la légitimité de créer ou susciter ces dispositifs, il est aussi le seul à disposer des outils fiscaux et budgétaires nécessaires le cas échéant.
La monnaie
La monnaie est une institution indispensable aux économies modernes de marché, tant au sein d’un pays qu’entre pays. Créée d’un simple jeu d’écritures, elle doit faire l’objet de réglementations strictes. En particulier, la gestion de la politique monétaire (dont la fonction de « prêteur en dernier ressort »), cruciale pour l’État de droit, est nécessairement publique.
En savoir plus, dans notre module sur la monnaie.
Les « communs de l’esprit »
Les idées, les théories scientifiques, le langage et ses mots ne doivent pas pouvoir être privatisés dans la mesure où ils appartiennent non pas à celui qui les découvre ou les brevette en premier, mais à tous et pour toujours.
Il faut des dispositifs qui empêchent la constitution d’une caste de rentiers et qui limitent les inégalités sociales
« L’argent va à l’argent », « the winner takes all », etc. Ces constats empiriques ont été démontrés mathématiquement par Nicolas Bouleau et Christophe Chorro. 42 Thomas Piketty a popularisé une évidence arithmétique : si le rendement du patrimoine est supérieur à celui du taux de croissance de l’économie (donc à celui de la moyenne des revenus), les plus riches des « rentiers » (détenteurs du patrimoine) deviennent à terme hyper-riches par la propriété des exponentielles : un taux de croissance supérieur à 1 fait croitre très rapidement le patrimoine (voir l’encadré « propriété des exponentielles » du module sur les ressources naturelles) .
Dans ce cas, le capitalisme devient un capitalisme de caste. Les rentiers ne sont pas (sauf exception) des entrepreneurs mais des conservateurs et ne visent qu’à conserver leurs privilèges.
Concernant les inégalités sociales, leur niveau d’acceptation dans une société dépend de nombreux facteurs sociologiques, culturels, anthropologiques, historiques…
Sur le plan économique, l’efficacité n’est pas indépendante de l’équité (contrairement à une idée reçue 43) Citons Tancrède Voituriez et ses co-auteurs :
« Les études du FMI et de l’OCDE montrent que la hausse des inégalités n’est pas soutenable d’un strict point de vue économique, dans la mesure où elle constitue un frein à la croissance. » 44
Par ailleurs, le dépassement du « niveau tolérable » peut conduire à des situations de désordres sociaux, voire plus, qui ne sont globalement pas souhaitables et en général pas souhaitées. Il n’y a aucune raison que le marché évite spontanément le dépassement de ce niveau. Il faut donc que la puissance publique s’en mêle via des dispositifs adaptés, comme par exemple le plafonnement des revenus 45, une fiscalité fortement redistributive sur les revenus, sur le capital ou sur les successions. 46
Il faut des dispositifs de régulation des marchés
La constitution de monopoles
Les « théorèmes » prétendant démontrer qu’une économie de libre marché s’équilibre spontanément et conduit à un optimum économique reposent sur l’hypothèse de rendements décroissants 47, rarement rencontrée dans la « vraie vie ».
Quand les rendements sont croissants, la formation de monopoles et le risque d’abus de position dominante sont inévitables, sans intervention publique. Ces situations de monopoles sont parfois souhaitables : c’est le cas à l’évidence des réseaux ferroviaires, électriques, numériques, qui sont des « monopoles naturels ». 48
Dans d’autres cas, elles ne le sont clairement pas : qu’on pense aux banques et aux acteurs financiers non bancaires, aux Gafam 49, et au risque lié à la propriété simultanée d’actions d’entreprises concurrentes par des investisseurs institutionnels, connue sous le nom de « propriété commune ». 50 Qu’on pense à la puissance des entreprises agrochimiques et à leur pouvoir de maîtrise du régulateur dans des domaines aux conséquences vitales pour la biodiversité et la santé humaine. 51
Les risques de récession et de crises
Non seulement les marchés ne s’équilibrent pas spontanément (c’est-à-dire que l’offre de biens et services n’est pas spontanément égale à la demande), mais en fait, ils sont toujours en déséquilibre. Quand c’est la demande (solvable) qui est trop faible de manière généralisée, ce déséquilibre s’amplifie automatiquement jusqu’à une crise majeure. Il faut donc que l’État veille à éviter cette spirale par des politiques adaptées et intervienne massivement si cette crise se produit. C’est ce que nous expliquons dans notre fiche sur les économistes Hyman Minsky et Irving Fisher qui ont participé à rendre compréhensible le mécanisme des crises économiques .
Conclusion
Pour éviter une sortie de route à l’humanité, il est clair que le rapport de forces entre les capitalistes, les États, la « société civile » et la Nature doit être puissamment rééquilibré. Nous plaidons ici pour une réforme en profondeur du capitalisme, sans toutefois suggérer son abandon, projet aussi flou qu’incertain dans un calendrier trop contraint.
Vu de loin, quatre voies se dégagent pour y arriver :
Prendre des mesures significatives pour ajuster le système existant
La première consiste à faire évoluer les politiques sociales, économiques et financières, permettant de limiter la pression anthropique sur la Nature et de réduire les inégalités sociales, sans remise en cause profonde du cadre actuel (en poursuivant par exemple les avancées de la loi Pacte en France par exemple). Cette voie est à suivre dans tous les cas – c’est un minimum – et notamment au niveau européen, face à la périlleuse persistance du cadre de pensée qui préside à la conduite des politiques budgétaires et monétaires. Les mesures à prendre sont, dans tous les cas, significatives : plan de reconstruction écologique en intégrant des mesures contraignantes pour atteindre la neutralité carbone et stopper l’artificialisation, réglementations financières, réforme du marché immobilier, réforme fiscale (nouvel impôt sur le revenu et sur la fortune), etc.
Renforcer la légitimité et le pouvoir de la puissance publique face aux multinationales
Il s’agit, d’un certain point de vue, de « revenir en arrière ». « Démondialisation », « démarchandisation », séparation bancaire (qui a été mise en place par Roosevelt entre les deux guerres, puis abandonnée à la fin du XXe siècle), réhabilitation d’un État stratège, nationalisations éventuelles… Cette voie est plus ambitieuse et, si elle était empruntée, faciliterait les mesures proposées dans la première. La crise du COVID puis la guerre déclenchée par Vladimir Poutine la rendent plus acceptable 52 par l’élite qui n’a cessé de prôner le libre-échange et l’illusion du doux-commerce pour justifier la mondialisation.
Changer les règles comptables en suivant la voie du triple capital
Les règles comptables s’imposent aux acteurs économiques. S’ils doivent intégrer dans la construction du « profit » les dépenses de « réparation des atteintes aux capitaux humains et naturels », ils seront incités à prendre des décisions adaptées à cette double contrainte, qui à ce stade n’est à leurs yeux que très lâche. S’ils doivent préserver les capitaux naturels et humains au même titre que les capitaux financiers, cela aura un effet profond sur leurs arbitrages. Une comptabilité en multiples capitaux (qui compte, outre le capital financier, le capital humain et le capital naturel afin qu’ils soient mieux préservés) reste capitaliste mais transcende complètement la vision du capitalisme encore largement dominante.
La comptabilité nationale, fondée sur la comptabilité d’entreprise, serait réformée par voie de conséquence. On pourrait en attendre une réforme en profondeur du PIB et des indicateurs de « bien-être » social.
Cette voie est à explorer sans attendre. Sauf crise majeure, elle prendra en effet plusieurs années et nécessitera une coopération internationale et une volonté politique très forte.
Transformer le cadre institutionnel
La quatrième voie consiste à faire évoluer parallèlement :
- la « gouvernance » des entreprises en intégrant aux instances dirigeantes les salariés (codétermination) et le cas échéant des représentants de la Nature ;
- les institutions démocratiques avec par exemple la création d’une « chambre du futur ». 53
Cette voie aurait évidemment plus d’impact en complément de la précédente. Les calendriers envisageables ne sont pas les mêmes, car cette quatrième voie est accessible nationalement alors que la réforme de la comptabilité ne peut s’envisager qu’au niveau européen, au moins.
Pour en savoir plus
- Anton Brender, Capitalisme et progrès social, La Découverte, 2020
- François Crouzet, Histoire de l’économie européenne, 1000-2000, Albin Michel, 2000.
- Pierre-Yves Gomez, Le capitalisme, PUF, Que sais-je ?, 2022.
- Branko Milanovic, Le capitalisme sans rival, l’avenir du système qui domine le monde, La Découverte, 2020.
- Jacques Richard et Alexandre Rambaud. Révolution comptable – Pour une entreprise écologique et sociale, Éditions de l’Atelier, 2020.
- Voir par exemple Hervé Kempf, Que crève le capitalisme, Le Seuil 2020. ↩︎
- Voir Andreas Malm, L’anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du capital, La Fabrique Éditions, 2018. ↩︎
- Popularisé au début du XXIème siècle par les scientifiques Paul Crutzen et Eugene Stoermer, le concept d’anthropocène désigne une nouvelle ère géologique caractérisée par l’impact des activités humaines sur notre planète. Si le concept est largement utilisé, il manque cependant encore quelques étapes avant que cette nouvelle ère (que les géologues font remonter au milieu du XXème siècle) soit officiellement adoptée par l’Union internationale des sciences géologiques (UISG). En savoir plus sur le site du groupe de travail dédié de l’UISG. ↩︎
- Voir par exemple l’article Le capitalisme est-il responsable… de la destruction de la biosphère et de l’explosion des inégalités ? sur le blog des Chroniques de l’Anthropocène d’Alain Grandjean, 2017. ↩︎
- Voir à ce sujet le livre de Pierre-Yves Gomez, Le capitalisme, PUF, Que sais-je ?, 2022. ↩︎
- Voir par exemple le livre de Bruno Amable, Les cinq capitalismes. Diversité des systèmes économiques et sociaux dans la mondialisation, Le Seuil, Collection « Économie humaine », 2005. ↩︎
- Le salariat ne se généralise dans les économies « capitalistes » qu’à la fin du XIXe siècle, même s’il est apparu avant. Le développement de l’économie numérique avec la croissance des plates-formes est en passe de remettre en question cette place importante du salariat. Le contrat de travail est perçu comme trop rigide par ces nouveaux capitalistes, qui lui préfèrent le statut d’indépendant plus flexible, moins coûteux et beaucoup moins protecteur pour le travailleur. Les procès en cours visant des « plateformes » telles Uber, vont sans doute faire évoluer ce domaine, du moins en Europe. ↩︎
- Pour mieux comprendre, voir l’absence de prise en compte de la nature dans la comptabilité dans notre module sur la comptabilité d’entreprise. ↩︎
- Ce qui fait de la question de la répartition des revenus du capital et du travail une des questions centrales de l’économie politique. ↩︎
- Voir « Les salariés aux conseils d’administration : tour d’Europe », Zonebourse, 25 mars 2021. ↩︎
- Dans son livre Le capitalisme sans rival, Branko Milanovic propose d’appeler « capitalisme politique » cette forme de capitalisme (par opposition au capitalisme « méritocratique libéral » que nous appelons dans cette fiche « néolibéral financier »). Il nous semble plus neutre de l’appeler « capitalisme d’État » pour insister sur le poids de l’appareil d’État dans les décisions. Par ailleurs, dire que ce capitalisme est « politique » peut donner à penser que le capitalisme néolibéral ne l’est pas, ce qui n’est évidemment pas le cas. ↩︎
- Les « parties prenantes » à une entreprise sont l’ensemble des acteurs qui entretiennent une relation directe, monétaire ou non, avec cette entreprise : les actionnaires, les salariés, les clients, les fournisseurs, prestataires de service et sous-traitants, les banquiers et autres prêteurs, l’État, les organismes sociaux et les collectivités territoriales, les voisins des sites où est implantée l’entreprise, les associations et ONG… ↩︎
- Dans son Rapport sur les modèles de gouvernance de l’entreprise pour l’OIT (2020), Olivier Favereau définit la codétermination comme un modèle de « gouvernement d’entreprise » qui inclut dans les instances dirigeantes de la « société » (conseil d’administration et/ou conseil de surveillance) des représentants des salariés, dans une proportion significative et ayant les mêmes prérogatives que les représentants des actionnaires. ↩︎
- Cette construction se fait dans un mouvement d’ensemble, des États et des acteurs privés. On ne peut pas dire qu’elle soit l’apanage du secteur privé, qui a toujours eu besoin des institutions publiques. ↩︎
- Comme l’écrit Thomas Lagoarde-Segot, « « ce n’est qu’à la suite d’une longue et tumultueuse métamorphose technique et sociale, (décrite notamment par Karl Polanyi, dans son ouvrage » « La grande transformation »« ) que la bourgeoisie anglaise parvint à ancrer deux principes dans les droits : la terre acquiert un prix fluctuant sur le « marché foncier » et la capacité de travail humain s’échange quant à elle contre un salaire fluctuant sur le « marché du travail ». » ↩︎
- Les conquêtes sociales (en droit du travail, droit de grève etc.) se sont majoritairement faites à la suite à des conflits sociaux, même si quelques patrons faisaient exception à titre individuel. Voir Anton Brender, Capitalisme et progrès social, La Découverte, 2020. ↩︎
- L’idée de laisser faire les forces en présence dans un marché est répandue dans les écrits économiques français d’inspiration libérale au XVIIIe siècle. La phrase complète, « laissez faire, laissez passe »« r » est attribuée à Vincent de Gournay en 1752. ↩︎
- Du nom de John Maynard Keynes qui le premier a théorisé le fait que l’intervention de l’État pouvait être bénéfique à l’économie. Voir par exemple son livre The End of Laissez-faire: The Economic Consequences of the Peace, Prometheus Books, 2004. ↩︎
- Né à la fin du XIXe siècle avec Bismarck en Allemagne, la conception d’un État-Providence s’oppose à celle qui limite le rôle de l’État à des fonctions régaliennes (c’est-à-dire du ressort exclusif de l’État : justice, police, défense nationale, diplomatie…). L’État-Providence intervient dans le domaine social, pour assurer un niveau minimal de bien-être à la population, en particulier à travers le système de protection sociale. Il intervient aussi sur le plan économique. ↩︎
- Le système mis en place après la conférence de Bretton Woods de 1944 était un système de changes fixes avec étalon de change or basé sur le seul dollar. Ce système a pris fin au début des années 1970 à la suite de la décision du président américain Richard Nixon de suspendre la convertibilité du dollar en or. En savoir plus sur le système de Bretton Woods dans le module sur la monnaie. ↩︎
- Voir par exemple Jean-Luc Gréau, Le secret néolibéral, Gallimard, 2020, et Branko Milanovic, Le capitalisme sans rival, l’avenir du système qui domine le monde, La Découverte, 2020. Milanovic qualifie le capitalisme américain actuel de « méritocratique libéral », ce qui nous semble curieux car il montre dans son ouvrage que la transmission intergénérationnelle des richesses et du pouvoir (donc sans attribut de mérite) est une caractéristique de ce système. ↩︎
- Plus de détails dans notre module sur l’entreprise et sa comptabilité. ↩︎
- Cette soif a certes pu être parallèle, à certaines périodes, à une certaine retenue sur la consommation immédiate et une préférence donnée à l’investissement (c’est le cas par exemple du développement industriel de la Grande-Bretagne au XIXe siècle). Cette retenue de court terme est considérée comme favorisant l’accumulation du capital sur la durée, qui reste bien le « carburant » du capitalisme. ↩︎
- Voir Ragip Ege, La question de l’interdiction de l’intérêt dans l’histoire européenne. Un essai d’analyse institutionnelle, Revue économique, 2014. ↩︎
- Voir le tableau page 31 du livre de Branko Milanovic, Le capitalisme sans rival, qui compare les trois dernières formes de capitalisme sur le plan de la répartition des revenus. ↩︎
- À l’exception des salariés dirigeants dont les propriétaires du capital cherchent à aligner les intérêts avec les leurs par de multiples moyens (rémunération en fonction des résultats économiques pour l’actionnaire, stock-options etc.) ↩︎
- Cette expression désigne en fait la loi de la jungle mondialisée : la concurrence de tous contre tous. ↩︎
- L’économie sociale et solidaire est moins soumise à cette loi, y compris dans l’univers mutualiste, qui exige un rendement sur fonds propres plus bas que celui imposé par les marchés financiers. ↩︎
- Insistons sur le fait que le « profit », dans la comptabilité actuelle d’entreprise, se calcule après contribution de toutes les parties prenantes marchandes (salariés, fournisseurs, banquiers, État) alors qu’au niveau macroéconomique toutes ces parties prenantes profitent de l’activité de l’entreprise. Cette comptabilité est faite du point de vue de l’actionnaire et de son capital, ce qui n’a rien ni de neutre ni de « naturel » et pourrait/devrait être remis en cause. Plus de détails sur le fait que le vocabulaire comptable n’est pas neutre dans le module l’entreprise et sa comptabilité. ↩︎
- Thomas Piketty, dans son livre Capital et idéologie (Seuil, 2019) propose un socialisme participatif dont les critiques marxistes disent qu’il ne propose pas une vraie sortie du capitalisme. ↩︎
- Il y a 800 millions de personnes sous-alimentées dans le monde, ce qui reste considérable en valeur absolue (source : FAO). Mais rapportée à la population mondiale, cela n’en représente qu’environ 10%. L’humanité n’est sortie de la fatalité de la famine pour tous qu’au XIXe siècle. Elle pourrait malheureusement y retomber si nous poursuivons la destruction des ressources naturelles. ↩︎
- Voir Deaton Angus, La grande évasion, Santé, richesse et origine des inégalités, PUF, 2016. ↩︎
- Cette notion de focalisation n’est pas assez mise en lumière : les réussites industrielles en sont toujours dépendantes. L’entrepreneur qui réussit se focalise sur des objectifs précis et souvent quantitatifs, il fait preuve du sens des détails et de perfectionnisme dans le cadre étroit de son projet. Il se dit « pragmatique » par opposition à celles et ceux dont la conduite est motivée par des intentions plus globales, qu’elles soient idéologiques, politiques ou religieuses. ↩︎
- Le Commerce des promesses. Petit traité sur la finance moderne, Seuil, réédition 2009. ↩︎
- Le concept de limites planétaires a été introduit par Johan Rockström et Will Steffen en 2009. Il ambitionne de définir dans neuf domaines environnementaux des limites à ne pas dépasser sous peine de provoquer des changements drastiques des conditions de vie sur la planète. En 2022, les cinquième et sixième frontières planétaires ont été franchies. ↩︎
- Pour Yann Algan et ses co-auteurs, cette défiance en France est l’une des causes du « populisme ». Yann Algan, Elizabeth Beasley, Daniel Cohen, Martial Foucault, Les Origines du populisme, Seuil, 2019. ↩︎
- On doit à Antoine Vauchez un livre récent sur le retour en grâce de ces évidences. Public, Anamosa, 2022. ↩︎
- On peut regretter qu’une insuffisance de rentabilité espérée ait comme conséquence le refus du secteur privé de s’y investir. Mais c’est ainsi et dès lors le rôle de l’État est déterminant pour créer les incitations ou les obligations nécessaires. ↩︎
- Plus d’informations sur le concept d’externalité dans le module sur l’économie, les ressources naturelles et les pollutions. ↩︎
- Contrairement à une idée largement répandue à la suite du célèbre texte de Garrett Hardin, La tragédie des communs, PUF 2018 (traduction Dominique Bourg). Voir également les travaux d’Elinor Ostrom et Benjamin Coriat (dir.), Le retour des communs. La crise de l’idéologie propriétaire, Les liens qui libèrent, 2015. ↩︎
- DNDI est une organisation de recherche indépendante, à but non lucratif, basée à Genève, ayant pour objectif le développement de médicaments sur les maladies tropicales négligées, par exemple la Leishmaniose, la Maladie du sommeil, la Maladie de Chagas ou la Helminthiase. Son modèle est hybride et fait appel tant au privé qu’au public et qu’à la société civile. ↩︎
- The impact of randomness on the distribution of wealth: Some economic aspects of the Wright-Fisher diffusion process, CES working papers, 2014. ↩︎
- Voir par exemple l’article d’Alexis Louaas, Moins d’inégalités pour plus de croissance, La vie des idées, 2019, et celui de García-Peñalosa Cecilia, Les inégalités dans les modèles macroéconomiques, Revue de l’OFCE, 2017. Cet article fait le point sur les arguments théoriques de ce débat. ↩︎
- Voir Tancrède Voituriez, Emmanuelle Cathelineau, Françoise Rivière, Vaincre les inégalités, IDDRI, Regards sur la terre, avril 2017. ↩︎
- Voir Gaël Giraud, Cécile Renouard, Le facteur 12, Carnets Nord, 2012. ↩︎
- Voir par exemple Emmanuel Saez et Gabriel Zucman, Le triomphe de l’injustice. Richesse, évasion fiscale et démocratie (trad. de Cécile Deniard), Seuil, 2020. ↩︎
- Selon cette hypothèse, plus l’entreprise produit, moins elle génère de profit par unité produite et plus les rendements décroissent. Cela peut désigner par exemple la situation d’un agriculteur qui mettrait en culture des terres de moins en moins fertiles. Voir sur le site de Michel Volle l’article sur les « rendements croissants ». ↩︎
- En économie, une situation de monopole naturel existe lorsque la production d’un bien ou d’un service par plusieurs entreprises est plus coûteuse que la production de ce bien par une seule entreprise. ↩︎
- Acronyme désignant les géants du numérique : Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft. ↩︎
- Voir par exemple la note de travail Common ownership by institutional investors and its impact on competition, OCDE, 2017. ↩︎
- Voir le livre de Stéphane Foucart : Et le monde devint silencieux : comment l’agrochimie a détruit les insectes, Seuil, 2019. ↩︎
- Voir l’article Premières leçons d’économie à tirer de la guerre menée par Vladimir Poutine, Blog des Chroniques de l’Anthropocène, 2022. ↩︎
- ll s’agirait d’une troisième chambre parlementaire : l’Assemblée du long terme ou Chambre du futur, qui aurait pour mission de « représenter » la Nature et les générations futures. Voir Inventer la démocratie du XXIe siècle – L’Assemblée citoyenne du futur, Les liens qui libèrent et Fondation pour la Nature et l’Homme, 2017 ↩︎