L’Europe est dépendante du reste du monde pour son approvisionnement énergétique
La consommation d’énergie primaire de l’Union européenne se répartit en 2023 de la manière suivante : environ 40% de pétrole, 20% de gaz fossile, 10% de charbon, 10% d’uranium, 5% d’électricité solaire et éolienne ; le reste étant composé notamment du bois, des biocarburants et de l’hydroélectricité.note2
Toutes ces énergies ne sont pas présentes sur le territoire européen.
Union européenne : provenance et types d’énergies
Source Eurostat, Solar Power Europe, Bruegel, Word Bank
90% à 95% du pétrole et du gaz fossile consommés dans l’UE sont importés. Seule la production des Pays-Bas, du Danemark et de la Roumanie reste significative, mais en déclin. Le pétrole étant liquide et donc facilement stockable et transportable, le marché est mondialisé et plutôt fragmenté. Les 3 premiers fournisseurs (États-Unis, Norvège et Kazakhstan) ne représentent que 40% de l’approvisionnement.note3eurostat
En revanche, le marché du gaz est historiquement plus régional, avec des canalisations terrestres venant de Norvège, de Russie et d’Algérie. La guerre en Ukraine a conduit à la fermeture des principales voies terrestres russes note4 ; ce qui a accéléré la pénétration du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) venant par voie maritime. En 2024, 4 pays représentaient 80% de l’approvisionnement européen : Norvège, États-Unis, Russie et Algérie.note3eurostat
À l’opposé, le charbon est historiquement une ressource exploitée localement. Les principaux gisements ont été épuisés lors de la deuxième moitié du 20e siècle, suite aux deux premières révolutions industrielles. La Pologne, l’Allemagne et quelques pays de l’Est font figure d’exceptions. C’est pourquoi le charbon représente désormais une part minoritaire du mix énergétique, et n’est importé qu’à hauteur de 40%.note3eurostat
L’uranium, qu’il soit naturel ou enrichi, est importé à 65%. Pas de mines exploitées en Europe, et des capacités d’enrichissement hétérogènes, avec une dépendance encore forte des réacteurs des pays de l’Est (de conception soviétique) à l’égard de leur voisin russe.note6
Pour finir, les panneaux solaires photovoltaïques et les éoliennes, relèvent de deux réalités industrielles radicalement différentes. D’un côté, les panneaux solaires sont importés à plus de 95%, quasi-exclusivement de Chine. De l’autre, l'Union européenne fabrique plus d’éoliennes qu’elle n’en installe sur son territoire, et génère ainsi des excédents commerciaux via ses exportations.
En résumé, l’Union européenne importe plus de 70% de l’énergie qu’elle consomme.
Toutes les énergies ne se valent pas sur le plan de l’indépendance énergétique
Les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz naturel) et l’énergie nucléaire sont des énergies de stock. Une fois le combustible consommé, il faut se réapprovisionner.
Pour les fossiles, l’Europe dispose de stocks stratégiques équivalents à quelques mois de la consommation actuelle.note7 L’approvisionnement est ainsi quasiment en flux tendu.
Pour le nucléaire, la forte densité énergétique de l’uranium (un kg d’uranium naturel contient 10 000 fois plus d’énergie qu’un kg de charbon note8) permet de stocker facilement l’équivalent de quelques années de production électrique.note9 La dépendance est donc moindre.
Quant aux énergies renouvelables, ce sont des énergies de flux. Une fois l’éolienne ou le panneau solaire installé, le dispositif produit pendant des décennies, en captant le flux d’énergie (du vent ou du soleil). Comme pour le nucléaire (voir encadré), la convention statistique est de considérer que la production renouvelable est 100% domestique. Même si la Chine ne livre plus de panneaux solaires, l’Europe pourra continuer à produire avec les panneaux existants, au moins pendant un certain temps.note10
Autrement dit, le taux de dépendance énergétique d’un pays peut être calculé en évaluant le poids des importations nettes d’énergies fossiles (imports - exports) sur la consommation totale d’énergie du pays.
La Russie et les Etats-Unis obtiennent alors un taux de dépendance de 0% car ils exportent plus d’énergie qu’ils n’en importent. À l’opposé, l’Europe se situe à 58%, l’Allemagne à 67%, la France à 51%, l’Inde 35% et la Chine 20%.note11
L’ampleur mondiale de la dépendance aux énergies fossiles
52 pays importent plus de la moitié de leur énergies primaire sous forme d'énergies fossiles.
Ces chiffres traduisent donc une dépendance plus ou moins forte en termes d’importations d’énergies fossiles par rapport à la consommation d’énergie primaire du pays.
Le cas particulier du nucléaire
Si le taux d’indépendance énergétique de la France paraît meilleur que celui de l’Allemagne, c’est parce que son électricité provient à plus de 90% de sources nucléaires et renouvelables - contre 55% outre-Rhin.note12
Or, dans les années 1970, époque où l’uranium était généralement extrait dans le pays de production, la convention statistique a été de considérer la production énergétique du réacteur nucléaire comme une production domestique.note13 Mais, depuis le début des années 2000, la France par exemple n’extrait plus d’uranium. Au niveau européen, la dernière mine, en Roumanie, a fermé en 2021. Pourtant, la convention statistique n’a pas évolué.
Il y a par ailleurs un effet déformant à raisonner en énergie primaire. Cette dernière correspond à l’ensemble de l’énergie contenue dans les ressources naturelles comme l’uranium ou le pétrole. Or, pour l’uranium, 2/3 de l’énergie qu’il contient est perdue à la centrale électrique sous forme de chaleur. En raisonnant plutôt en énergie finale, la dépendance énergétique de la France serait plutôt de l’ordre de 60%.note14
Pour finir, il faut noter qu’en Europe, ces taux de dépendance énergétique stagnent en moyenne depuis plus de 20 ans.note15 L’essor des renouvelables électriques solaires et éoliennes (5% du mix énergétique désormais) a été compensé par le déclin de la production domestique d’énergies fossiles et nucléaire.
Une dépendance énergétique accentuée par les risques géopolitiques
Cette notion de dépendance énergétique est néanmoins insuffisante pour évaluer le risque géopolitique lié à l’approvisionnement énergétique. En effet, elle ne dit rien de la fiabilité des pays fournisseurs. Importer du pétrole de Norvège ou de Russie ne comporte pas le même risque. Par ailleurs, cette approche est binaire et trop simpliste : l’import d’énergies fossiles est considéré à 100% comme une dépendance alors que les importations d’uranium ou de panneaux solaires n’en génèrent aucune.
Pour mieux appréhender ce risque géopolitique, l’évaluation des 3 facteurs clés suivants semble plus pertinente :
- L’aléa : la probabilité que la relation avec un pays tiers se détériore.
- L’exposition : la part de la consommation énergétique exposée à l’approvisionnement d’un pays tiers.
- La vulnérabilité : la sévérité de l’impact s’il y a occurrence de l’aléa.
3.1 Aléa : la fiabilité des pays fournisseurs
Le Democracy index note16 évalue l’état de la démocratie dans les pays du monde. Les pays scandinaves sont ainsi considérés comme des démocraties à part entière (score de 9 à 10), la France et la Pologne comme des démocraties imparfaites (score de 7 à 8), la Turquie et le Mexique comme des régimes hybrides (score de 4 à 6), la Chine et la Russie comme des régimes autoritaires (score de 1 à 3).
État de la démocratie dans le monde en 2024
L’état de la démocratie d’un pays ne correspond pas, stricto sensu, à sa fiabilité pour honorer ses engagements en matière d’approvisionnement énergétique, mais il donne une idée de la stabilité d’un régime en matière de géopolitique. Par exemple, la Russie en déclenchant la guerre en Ukraine s’est révélée ne pas être un partenaire fiable. En 2024, la junte militaire au pouvoir au Niger a nationalisé la filiale de la multinationale française de l’uranium Orano.note17 Ce faisant, les importations d’uranium depuis ce pays ont complètement cessé. Depuis la réélection de Trump fin 2024, il est probable que le score des Etats-Unis se détériore dans les prochaines années.
3.2 Exposition : le poids des importations dans la consommation
L’exposition est évaluée par le poids des importations nettes (importations - exportations) dans la consommation d’énergie. Ce poids est ensuite réparti parmi l’ensemble des fournisseurs. Par exemple, le poids des importations nettes de pétrole dans la consommation européenne s’élève à 95%. Les États-Unis représentant 15% de ces importations, l’exposition européenne au géant américain est donc de 14% (15%*95%) sur sa consommation de pétrole.
Pour les énergies de stock (fossiles et uranium), 1 kWh d’énergie importée en année N est supposé être consommé dans la même année.note18 Les stocks stratégiques n’augmentant pas significativement, c’est un jeu de vases communicants entre le flux entrant et le flux sortant. Par ailleurs, les panneaux solaires importés en année N sont considérés comme installés la même année, et l’exposition porte alors sur leur seule production en année N.
3.3 Vulnérabilité : les conséquences d’une rupture d’approvisionnement
Si toute livraison d’énergies fossiles, d’uranium ou de panneaux photovoltaïques s’arrêtait du jour au lendemain, quel impact cela générerait-il sur notre consommation d’énergie ?
Pour les énergies fossiles, la consommation peut être maintenue à l’identique pendant 3-4 mois, notamment grâce à des stocks stratégiques. Quelques mois, c’est peu. La guerre en Ukraine nous a donné un aperçu des conséquences, en étant affecté seulement sur l’approvisionnement russe : hausse des prix, fermeture d’usines, moins de chauffage pour certains ménages.
La capacité de la filière nucléaire à encaisser un choc identique est 12 fois supérieure, car les stocks d’uranium (naturel, enrichi et appauvri) permettent de produire à l’identique en Europe pendant environ 3-4 ans.
Ne plus se faire livrer en panneaux solaires photovoltaïques a un impact direct sur les installations de l’année en cours. Il existe des stocks liés aux stratégies des distributeurs, probablement de l’ordre de 6 mois note19 qui permettraient d’amortir le choc.
La vulnérabilité est définie, dans cet exercice, sur un horizon de 4 ans, à l’image de la durée actuelle de la guerre en Ukraine :
La vulnérabilité des capacités de production domestique n’est pas évaluée. Il existe bien sûr des composants critiques importés nécessaires à cette production. Par exemple, les aimants permanents dans la fabrication des éoliennes en mer.
3.4 Un tiers de la consommation d’énergie européenne est exposée à un fort risque géopolitique
En combinant les 3 facteurs précédents, le risque géopolitique portant sur l’approvisionnement énergétique ressort plus nuancé que le seul taux de dépendance.
Les risques qui pèsent sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe
Source Eurostat, Solar Power Europe, Bruegel, Word Bank, Our Wold in Data, Economist Intelligence Unit
Environ 35% de la consommation énergétique est couverte par une production domestique sans risque. Ensuite, 30% est assuré par un approvisionnement issu de pays dont le régime est stable et/ou est protégé par un stock sur le territoire européen (notamment d’uranium) assez important pour faire face à un aléa géopolitique sur plusieurs années. Enfin, 35% de la consommation est exposée à un fort risque géopolitique, en raison d’importations provenant de régimes autoritaires et de stocks européens ne permettant pas de maintenir les niveaux de consommation actuels plus de quelques mois.
La facture énergétique pèse sur le déficit commercial
Dépendance énergétique et risque géopolitique vont de pair. La dépendance se traduit par une facture énergétique dont le montant évolue en fonction des prix de marché, du développement économique du pays ou encore de sa stratégie d’indépendance énergétique. Le risque géopolitique, lui, mesure une probabilité d’occurrence d’une crise qui va exacerber cette dépendance, et potentiellement mettre à mal notre souveraineté. À l’image du début de la guerre en Ukraine en 2022 ou des chocs pétroliers des années 70, où la facture énergétique a alors explosé.
4.1 Des énergies fossiles moins rentables que l’uranium et le solaire sur le plan de la balance commerciale
En 2023, l’Union européenne a importé pour plus de 350 milliards d’euros de produits énergétiques. Il est intéressant de rapporter ces montants à la quantité d’énergie associée.note20
Coût vs énergie fournie selon les types d’énergie
Source Eurostat, Solar Power Europe, Bruegel et Wordbank
En raisonnant en consommation d’énergie finale, le charbon se relève très coûteux en termes d’importations par MWh fourni, car il est principalement transformé en électricité, or ⅔ de l’énergie primaire est perdue à la centrale thermique. À l’opposé, l’énergie solaire pèse relativement moins sur nos balances commerciales que les énergies fossiles pour fournir 1 MWh de consommation d’énergie finale. Sur ce critère, l’uranium est imbattable en raison de sa très forte densité énergétique.
Ce coût est à manier avec précaution.note21 Il s’agit du seul coût des importations. À cela s’ajoutent les coûts sur le territoire (ex : construction et exploitation des centrales) pour obtenir le coût total dont le classement est bien différent. La notion reste intéressante du point de vue macroéconomique, car les coûts sur le territoire sont aussi des revenus : ce sont des salaires locaux qui alimentent l’économie nationale.
Ainsi, les énergies fossiles contribuent relativement peu à la valeur ajoutée locale : moins de 50% de leurs coûts totaux (transport et distribution nationaux, installation et maintenance des chaudières) contre 70% pour les panneaux solaires (le panneau seul ne représente que 30% du coût total, le reste étant principalement l’installation et les équipements annexes), et 90% pour le nucléaire (l’uranium ne représente que 10% du coût total).
4.2 La facture énergétique française pèse 4 fois plus que le budget du ministère de la Transition écologique
Depuis 2005, la facture énergétique française s’élève en moyenne à 60 milliards d’euros par an. C’est le coût de notre dépendance. Lors de la crise énergétique déclenchée par le début de la guerre en Ukraine en 2022, la facture s’est envolée à plus de 120 milliards d’euros, soit une multiplication par plus de deux par rapport à l’année précédente. C’est le coût additionnel que fait peser notre exposition au risque géopolitique. Il faut retourner aux chocs pétroliers de 1973 et 1979 pour observer des situations comparables.
Notre facture énergétique révèle notre dépendance aux fossiles et notre exposition aux risques géopolitiques
60 milliards d’euros, c’est :
- le budget cumulé des ministères de l’Intérieur et de l’Enseignement supérieur et de la recherche ;
- 4 fois plus que le budget du ministère de la Transition écologique note22 ; ministère qui est censé nous affranchir de cette facture énergétique
Autant d’argent qui sort du pays alors qu’il pourrait financer la résilience économique nationale.
Dépendance énergétique : quel poids sur le pouvoir d’achat ?
En 2023, l’achat direct d’énergie (carburant et logement) représentait plus de 3500€ TTC note23 par an et par ménage, soit quasiment trois Smic nets mensuels.note24 Depuis le début des années 2000, cette facture énergétique augmente proportionnellement plus vite que les prix de l’ensemble des biens et des services.
Prix à la consommation selon les usages : l'énergie pèse fortement sur la facture des ménages
C’est problématique car cet achat d’énergie fait partie des dépenses contraintes (ex : se loger, se nourrir, se déplacer).note25 En effet, la majorité des ménages dépendent de la voiture pour aller travailler, faire les courses ou déposer leurs enfants à l’école. Les logements étant mal isolés, plus de deux tiers de l’énergie consommée à la maison correspond au chauffage.note26 Autrement dit, quand le prix de l’énergie monte, les ménages, s’ils le peuvent, doivent arbitrer entre les dépenses compressibles comme les loisirs et les dépenses difficilement compressibles comme moins se chauffer ou moins se déplacer.
En 2018, cette tension sur les prix des carburants automobiles a contribué à l’apparition du mouvement des gilets jaunes, mettant des millions de Français dans la rue.
En 2022, lors de l’explosion des prix de l’énergie liée à la guerre en Ukraine, plus de 80% des Français souhaitaient réduire leur consommation d’énergie pour alléger leurs factures mais la majorité (~60%) déclaraient ne pas être en mesure de faire davantage.note27
Un an après, 8 foyers sur 10 disent avoir restreint leur chauffage pendant l’hiver.note28 Cette sobriété énergétique, motivée par des raisons économiques, est alors largement subie. 26% des ménages ont souffert du froid chez eux au cours de l’hiver 2023-2024 contre seulement 14% en 2020.note29
Au-delà des ménages, face à la hausse de leur facture énergétique, les entreprises finissent par la répercuter sur les prix de leurs produits et services. En 2022 et 2023, elles ont contribué à l’inflation, qui a atteint 5% à 6% en France.note30
Cette dépendance énergétique non seulement pèse sur le pouvoir d’achat des ménages mais surtout elle fragilise les plus précaires qui n’ont alors plus les moyens financiers de se chauffer ni de se déplacer.
Notre dépendance aux énergies fossiles nous met à la merci de régimes autoritaires
Dépendance énergétique et risque géopolitique sont les deux faces d’une même pièce. Dépendre des énergies fossiles c’est dépendre de régimes autoritaires : Russie, Kazakhstan, Arabie Saoudite, Algérie, Chine voire les États-Unis sous Trump. Autrement dit, l’Union européenne expose son économie à des aléas géopolitiques, potentiellement destructeurs et mettant à mal sa souveraineté. Moins dépendre des énergies fossiles, c’est également lutter contre le dérèglement climatique.
L’Europe a son destin en main. La recette est connue : consommer moins d’énergie (ex : train, vélo, isolation des bâtiments, pompes à chaleur) et la produire chez nous de façon vertueuse sur le plan environnemental (ex : géothermie, éolien, nucléaire, solaire). Cela crée des emplois locaux et contribue à stabiliser le pouvoir d’achat voire à l'améliorer.
Mais gagner en résilience n’est pas qu’un enjeu pour l’énergie. Renforcer notre indépendance est valable pour tous les besoins essentiels : alimentation, médicaments, vêtements, etc.
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