Objectif principal
Transformer les infrastructures économiques pour décarboner les systèmes productifs, les rendre moins consommateurs de ressources naturelles, moins polluants et plus résilients au réchauffement climatique.
Périmètre
France et portage au niveau européen.
Nature de la mesure
Politique et budgétaire noteplan1
Enoncé de la proposition
La mesure consiste à lancer un plan d’investissements à grande échelle et sur longue durée (au moins 10 ans) dans certains champs cruciaux sur le long terme (l’énergie, les bâtiments, les transports publics, la réhabilitation des écosystèmes, l’éco-innovation, les nouveaux modèles agricoles, forestiers et de pêcherie etc.). Si la participation des investisseurs privés est essentielle, il est nécessaire que le plan soit impulsé par la puissance publique, qui doit en assurer une partie du financement et contribuer à sa rentabilité (en alignant « rentabilité sociale » et rentabilité micoréconomique).
Argumentation et justification
Faire face au dérèglement climatique et à l’effondrement de la biodiversité tout en adaptant nos territoires aux changements déjà en cours implique une transformation profonde de notre modèle de développement. Répartir les ressources de façon plus équitable, réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, économiser les ressources naturelles, dépolluer les sols et les eaux, restaurer les écosystèmes, constituent autant de chantiers à lancer au plus vite.
L'importance d'une impulsion et d'un pilotage public
Pour les mener à bien, l’action de l’Etat, et plus généralement l’implication des collectivités publiques à leurs différentes échelles de responsabilité, est essentielle. En effet, nos systèmes de production, de consommation et nos infrastructures sont aujourd’hui totalement inadaptés pour nous permettre d’inverser les tendances en cours. Les initiatives de marché sont largement insuffisantes pour corriger notre trajectoire, quand elles ne vont pas dans le sens opposé. L’ampleur des transformations est telle qu’une véritable planification est nécessaire.
Seuls les Etats (dans le cas présent, en tenant compte du contexte européen) ont non seulement la légitimité de préparer l’avenir dans le sens de l’intérêt général mais aussi et surtout la possibilité d’impulser et de piloter un tel plan de reconstruction profonde de l’économie. Dans de nombreux secteurs clés, il s’agit d’élaborer des politiques publiques complexes combinant différents leviers et outils : investissements publics, soutien aux investissements privés, aménagement du territoire, commande publique, mesures réglementaires et fiscales. On le voit sans planification et coordination, il est illusoire d’envisager d’atteindre le niveau nécessaire de transformation de l’économie.
Pour autant, le plan de reconstruction écologique ne doit pas sortir des cartons de l’Etat suite aux réflexions d’experts et de « sachants ». Il doit être alimenté par des débats au niveau national et régional impliquant les citoyens, les acteurs économiques et les représentants des forces sociales afin de déterminer les projets qui ont du sens au niveau des territoires. Il suppose la mise en œuvre effective et le respect du principe de subsidiarité, donc de déléguer aux maires, conseils régionaux, entreprises et citoyens la réalisation dans les territoires (en leur donnant les moyens) des programmes d’investissement nécessaires.
Enfin, l’élaboration et l’évaluation des politiques à mener doit reposer sur des indicateurs de résultats adaptés par secteur et ayant un lien concret avec les objectifs sociaux et environnementaux poursuivis. C’est essentiel pour pouvoir suivre les progrès et le cas échéant corriger la trajectoire. Dans une récente étude noteplan2, la société Carbone 4 a par exemple identifié dans trois secteurs clefs les indicateurs noteplan3 permettant d’évaluer si la France est en passe d’atteindre ses objectifs climatiques.
L'investissement est au coeur du plan de reconstruction écologique
S’il ne s’y limite pas, le plan de reconstruction implique un très gros effort d’investissement dans de nouvelles infrastructures là où elles font défaut, et dans la mise en conformité écologique de celles qui existent déjà. Réseaux de transport, d’énergie, d’eau, flottes de véhicules et de navires, parcs de bâtiments, stocks de machines : c’est tout le stock de capital physique, tout notre héritage économique, qui doit être remis à niveau des enjeux écologiques.
Il s’agit de développer les infrastructures économiques du XXI° siècle. Celles qui permettront de gagner l’indépendance énergétique au niveau national (en ne dépendant plus des importations d’énergie fossile de pays géopolitiquement instables ou de dictatures, et par ailleurs amenées à se contracter noteplan4), collectif (via la rénovation des bâtiments publics) et individuel (en réduisant les factures énergétiques des ménages) ; de produire une alimentation de qualité sans polluer notre eau, nos sols et donc in fine notre corps et celui de nos enfants ; de limiter le changement du climat planétaire et ses impacts dramatiques (montée des eaux, tempêtes, inondations, sécheresse etc.) ; de sauver nos forêts noteplan5 et de garantir sur le siècle leur capacité à stocker du carbone ; de préserver nos paysages et la diversité des êtres vivants dont nous retirons tant de bienfaits (alimentation, médicaments, bois de construction, textiles, mais aussi beauté et détente, etc.) ; de rapatrier en Europe et en France des stades entiers de chaines de production pour réduire notre dépendance pour les biens stratégiques et de première nécessité ; d’accroître la résilience de notre économie qui sera de plus en plus mise à mal par le dérèglement climatique et l’effondrement de la biodiversité.
Ce plan permettra également de réorienter l’aménagement du territoire, de re-créer des services publics de qualité dans les territoires notamment les plus déshérités aujourd’hui, de reconstruire un maillage ferroviaire en cours de détricotage et développer le ferroutage, d’en finir avec le modèle des banlieues pavillonnaires et des hyper centres commerciaux périurbains, de développer la poly agriculture élevage autour des villes, dont les centres doivent être reconquis et de dynamiser les circuits courts de distribution.
Enfin, au-delà des infrastructures matérielles, il est également essentiel d’investir dans l’accompagnement et la transformation sociale. L’éducation, la formation professionnelle, la recherche sont donc à considérer à part entière car il nous faut réapprendre à produire pour passer d’un modèle linéaire (extraire, transformer, utiliser, jeter) à une véritable économie circulaire où les déchets des uns sont les ressources des autres ; réapprendre à consommer (en quantité moins importante, sans gaspiller, plus localement, choisir les produits en fonction de leur impact environnemental) ; et accompagner les transitions professionnelles de ceux qui travaillent aujourd’hui dans des activités, telle l’industrie du charbon, qui ne pourront perdurer si la transition a bien lieu. La transition créera de nombreux emplois noteplan6, encore faut-il aider les gens à se reconvertir.
La nécessité d'investissements publics très conséquents
On le voit les besoins sont colossaux. Il n’existe pas de travaux exhaustif sur les investissements nécessaires. En particulier aucune étude ne tient compte à ce jour du coût de la transition « juste » dans sa triple dimension transition professionnelle, reconversion des territoires (en France par exemple : Fos/mer, Dunkerque) et aide aux ménages les plus exposés aux hausses des prix du carbone et des ressources de première nécessité. Il est cependant possible d’avoir des ordres de grandeur (voir encadré)
Des besoins considérables
Une étude de la Commission Européenne noteplan7 parue en 2020 évalue les besoins d’investissement supplémentaires pour atteindre les objectifs climatiques et écologique de l’UE à 470 milliards d’euros par an d’ici 2030.
En France, le think tank I4CE évalue les besoins pour atteindre les objectifs de la stratégie national bas carbone noteplan8 dans les secteurs du bâtiment, du transport et des énergies renouvelables à environ 100 milliards par an d'ici 2030 (soit 25 milliards de plus que le volume atteint en 2021).
Dans son rapport 2% pour 2°C (2022), l'Institut Rousseau évalue les besoins d'investissements nécessaires pour atteindre la neutralité carbone en France en 2050 à 182 milliards d'euros par an en moyenne. Il s'agit d'orienter massivement les 125 mds€ d'investissements tendanciels (ceux qui auraient lieu dans tous les cas dans les secteurs concernés) vers la décarbonation et d'ajouter 57 milliards d'investissement supplémentaires. Le périmètre des secteurs étudié est plus large que celui de I4CE (il inclut notamment l'industrie, l'agriculture, la forêt).
Dans Les incidences économiques de l’action pour le climat, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz évaluent à 66 milliards d'euros par an les investissements supplémentaires pour que la France contribue à l'objectif européen de réduction des émissions de 55% en 2030. Les secteurs couverts sont le bâtiments, l'énergie, le transport (hors maritime et ferroviaire), l'industrie et l'agriculture. Le montant des investissements est net de la réduction de certains investissements fossiles.
Face à ces besoins, il est bien sûr important de mobiliser les financements privés, mais c’est nettement insuffisant. Les discours qui parient sur le seul développement de la finance verte sont illusoires noteplan9.
Il est en effet, fondamental de mobiliser les budgets publics dans des proportions bien plus importantes qu’aujourd’hui. Cela nécessite de revenir sur la priorité donnée en matière de finance publique à la bonne gestion budgétaire limitée à la seule surveillance du déficit et de la dette publics noteplan10.
Notons pour commencer qu’une des conséquences de cette orientation budgétaire est visible dans la régression de l’investissement public net noteplan11 en Europe au cours des années 2010.
Investissement public net 2000-2022 pour plusieurs pays de la zone euro (Mds €)
Les financements publics sont essentiels à la reconstruction écologique pour trois raisons principales.
- Le patrimoine public doit également « faire sa transition écologique » noteplan12 ce qui nécessite de mobiliser beaucoup plus fortement l’investissement public (sauf à vouloir privatiser l’ensemble de ce patrimoine).
- Les projets de transition ne sont pas nécessairement attractifs pour les investisseurs privés.
> La rentabilité financière des investissements écologiques n’est pas à la hauteur de leur utilité sociale. Certains projets sont trop peu voire pas du tout rentables dans les conditions économiques actuelles qui ne valorisent pas correctement les impacts écologiques et sociaux (ex : activités de dépollution des sols, aménagements en vue de constituer les continuités écologiques, restauration de zones humides). D’autres, sont rentables sur le long terme mais les populations concernées n’ont pas les moyens d’investir. C’est par exemple le cas de la rénovation énergétique des bâtiments, rentable sur le long terme via les économies réalisées sur la facture énergétique, mais dont les propriétaires ou occupants peuvent être des ménages précaires ou insuffisamment solvables.
> Certaines des filières industrielles de demain noteplan13 sont aujourd’hui trop faibles par rapport aux leaders économiques issus du XX° siècle. Elles n’ont pas ou trop peu de porte parole dans le débat public. Elles ne peuvent s’appuyer sur le nombre d’emplois ou le chiffre d’affaire qu’elles représentent aujourd’hui. Elles sont mises en compétition avec des activités disposant de technologies matures, de compétences répandues, d’investissements amortis, d’infrastructures en place. L’impulsion publique est donc essentielle pour leur permettre de se structurer et de gagner en maturité.
- Le plan de reconstruction écologique présente une caractéristique profondément inédite.
Il s’agit d’investir pour reconstruire, transformer nos infrastructures et nos appareils productifs, mais il s’agit également d’accompagner le désinvestissement du capital productif existant trop carboné ou destructeur de capital naturel. La fermeture des centrales à charbon en est l’exemple emblématique, mais c’est loin d’être le seul secteur concerné noteplan14. Ce désinvestissement pourrait à terme se révéler très coûteux, que ce soit pour les acteurs privés ou pour les Etats si les entreprises demandent des compensations financières à la suite de décisions administratives. Pour éviter les effondrements industriels et leurs conséquences en terme d’emplois, il est nécessaire d’anticiper et d’accompagner la reconversion des secteurs amenés à se modifier profondément pour que la transition ait bien lieu.
Rapports et soutiens de la mesure
Nous listons ci-après différentes initiatives et publications qui sont en cohérence avec les grands lignes de la proposition énoncée ici à savoir e lancement d'un plan de reconstruction écologique. Elles peuvent porter sur le contenu du plan ou sur les modalités de sa gouvernance. Cela ne signifie bien sûr pas que les organisations et experts cités valident le détail des propos tenus ici.
Rapports portant sur le lancement d'un plan de reconstruction écologique
Appel, tribunes, vidéos en lien avec un plan de reconstruction écologique
Cette rubrique n’a pas pour ambition d'être exhaustive (heureusement !). Si vous connaissez des organisations ou des experts qui ont également apporté des contributions intéressantes pour promouvoir un plan de reconstruction écologique, faites nous remonter cette information (en incluant la référence au texte concerné) via le lien de contact (en bas à droite du site).
Faisabilité (juridique et politique)
Ce plan est devenu politiquement acceptable depuis la crise de la COVID qui a légitimé une forte intervention publique et permis le lancement de plans de relance européen et français. Il est à noter, cependant, que la présente proposition vise non pas à promouvoir une relance de quelques années mais bien un plan d’investissement pérenne sur au moins 10 ans.
La complexité réside bien plus dans la nécessité d’élaborer les grands domaines d’investissement sectoriels, d’adopter les indicateurs pertinents et de mettre en place une gouvernance qui permette d’informer et de faire participer largement les acteurs sur les territoires.
Enfin, le financement nécessite des remises en cause qui seront difficiles au plan doctrinal et politique. En particulier, les discours dramatisant déficits et dettes publics, refont surface et risquent de condamner le plan s’ils redeviennent le credo admis. Par ailleurs, le plan nécessite de revoir les règles de la gouvernance économique européenne (suspendues pendant la crise de la COVID) qui empêchent la mobilisation d’investissement publics importants. Une proposition sera bientôt mise en ligne sur ce point ainsi que sur celle portant sur les modalités du financement public.
Autres ressources sur The Other Economy
Pour mieux comprendre cette mesure, nous vous recommandons les lectures suivantes.
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