The Other Economy
  • The Other Economy
  • Accueil
  • Modules
  • Fiches
  • Ressources
  • Propositions
  • À propos
  • Soutenir
  • rechercher
 
icone fiches FICHE Pour en finir avec la loi de Say, ou loi des débouchés
Fiche

Pour en finir avec la loi de Say, ou loi des débouchés

Dogmes
par Alain Grandjean
publié le 22 juin 2020
Group 97
Télécharger la fiche

La « loi de Say » (ou loi des débouchés), énoncée par l'entrepreneur et économiste Jean-Baptiste Say en 1803, peut être résumée ainsi : toute offre crée sa propre demande. Cette célèbre « loi » économique enseignée dans tous les cours d’économie, fonde la pensée économique dite libérale note-1, selon laquelle le marché s’autorégule.

Sommaire

Les recommandations d’économie politique qui en découlent sont au cœur des politiques économiques dites de l’offre, selon lesquelles il suffirait de laisser faire, laisser passer note-2, ou, plus concrètement, de réduire au maximum les règlements et autres entraves à la production ainsi que les obstacles aux échanges, pour que l’économie fonctionne au mieux. Ces recommandations sont au cœur des principes de la politique économique européenne (voir l’article Le tout-marché au coeur du triple échec européen) et généralement dans les programmes économiques dits libéraux. Quant à la loi de Say elle est présente sous une forme plus sophistiquée dans de nombreux modèles macroéconomiques, dits d’équilibre général. Plus profondément, elle est implicitement ou explicitement utilisée dans des raisonnements économiques courants.

Il est pour le moins surprenant qu’une loi manifestement fausse soit toujours considérée comme juste près de deux siècles après sa formulation. Cet article vise à la présenter et à la réfuter.

Le temps est venu de régler le principal problème de la France : sa production. Il nous faut produire plus il nous faut produire mieux. C’est donc sur l’offre qu’il faut agir. Sur l’offre ! Ce n’est pas contradictoire avec la demande. L’offre crée même la demande.

François Hollande, Janvier 2014 note-3

Qu'est ce que la loi de Say ou loi des débouchés ?

Appelée loi des débouchés, elle dit tout simplement que c’est « l’offre qui crée la demande ». Citons Jean-Baptiste Say : le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits. note-5

Pour JB. Say et ses successeurs, la production génère un pouvoir d’achat qui permet d’écouler de nouveaux produits. Voici son raisonnement :

Il est bon de remarquer qu’un produit terminé offre, dès cet instant, un débouché à d’autres produits pour tout le montant de sa valeur. En effet, lorsque le dernier producteur a terminé un produit, son plus grand désir est de le vendre, pour que la valeur de ce produit ne chôme pas entre ses mains. Mais il n’est pas moins empressé de se défaire de l’argent que lui procure sa vente, pour que la valeur de l’argent ne chôme pas non plus. Or, on ne peut se défaire de son argent qu’en demandant à acheter un produit quelconque. On voit donc que le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits.

Jean-Baptiste Say

Dès lors, si l’on suit ce raisonnement, c’est l’offre qu’il faut stimuler et non la demande, qui ne peut être insuffisante. Les politiques de l’offre visent à faciliter la vie aux entreprises (baisse du coût du travail, déréglementation, aides à l’innovation, etc.). Qu’il faille, dans un monde ouvert à la compétition internationale, plutôt aider nos entreprises que les défavoriser, semble raisonnable ou en tous les cas se discute. En revanche croire que cette politique de l’offre suffirait pour rétablir la bonne santé de l’économie dans son ensemble repose sur le raisonnement de JB Say qui est, lui, indiscutablement faux.

Il comporte en effet trois erreurs évidentes.

Les trois erreurs qui sous-tendent la loi de Say

2.1 Ce n’est pas la production qui engendre du pouvoir d’achat mais la vente

Du temps de Jean-Baptiste Say, on pouvait sans doute imaginer que tout ce qui était produit trouvait acheteur, tant les pénuries étaient fortes. Souvenons-nous que l’Irlande a connu une famine en 1851, après la mort de JB. Say. Mais ceci est faux maintenant et depuis longtemps. Les crises de surproduction ont émaillé notre histoire pour plusieurs raisons ; la puissance de nos machines permet de produire massivement et bien au-delà des capacités de consommation des consommateurs, la concurrence peut susciter des productions en excès (chacun des concurrents espérant vendre ses produits et que ses concurrents n’y arrivent pas), les études de marché et les services marketing ne sont pas infaillibles etc.

En revanche, il est bien exact que la vente des produits apporte un pouvoir d’achat qui va servir à l’entreprise à rémunérer ses salariés, fournisseurs, sous-traitants, banquiers, à payer ses impôts et taxes, à investir et in fine, si possible, servir des dividendes. Dit autrement, il est bien vrai que les revenus des uns (dans notre cas, issues des ventes de l’entrepreneur, et qui lui servent à payer ses charges et investissements) sont les dépenses des autres (celui qui achète les produits vendus). Il s’agit d’une tautologie comptable.

Mais il y a une différence énorme entre les deux énoncés. L’énoncé tautologique ne permet pas de conclure à une loi des débouchés qui, elle, confond production et vente (produire un bien ne garantit en rien sa vente) et suppose donc l’impossibilité des crises de surproduction ou d’une insuffisance de la demande, ce qui n’a rien de tautologique…

John Maynard Keynes et ses successeurs critiqueront la loi de Say, en insistant sur le rôle de l’incertitude et de l’imperfection de l’information dans la décision économique. Si des produits peuvent ne pas trouver acheteur c’est en effet en particulier parce que l’entrepreneur est insuffisamment informé et qu’il y a bien des événements incertains dont l’anticipation parfaite est juste impossible à faire dans la « vraie vie ».

2.2 La loi de Say fait l’impasse sur le rôle du crédit

La vision suscitée par la loi de Say est celle d’une circulation de pouvoir d’achat qui ne peut en aucun cas expliquer la croissance de la production totale. Supposons en effet que tout produit trouve acheteur et qu’il n’y ait effectivement pas de surproduction. Bref, faisons abstraction de l’argument précédent. Alors pour une année le total, au niveau macroéconomique, des dépenses faites (Dn) est égal au total des revenus (Rn). D’où peut donc venir qu’en l’année n+1, Rn+1 ou Dn+1 (toujours égaux par hypothèse) soient supérieurs à Rn ou Dn ?

Cela ne pourrait se concevoir que si les prix baissaient à mesure que les volumes de produits croissent. Mais les périodes de déflation de ce genre (baisse généralisée et permanente des prix) posent des problèmes tels qu’elles ne durent pas très longtemps ; elles sont plutôt rares. Dans les faits, les prix ont plutôt toujours tendance à croître, ou à rester relativement stables. Dès lors comment passer de Dn à Dn+1 ? Tout simplement par le crédit. C’est grâce au crédit que le pouvoir d’achat (au sens d’argent disponible au total) peut augmenter d’une année sur l’autre.

Notons bien que ce qui peut augmenter ce pouvoir d’achat disponible n’est pas le crédit mutuel (Pierre prête à Paul une somme dont il se dessaisit ; ce crédit ne fait que transférer du pouvoir d’achat) mais un crédit créant de la monnaie ex nihilo, crédit fait par les banques (voir le module sur la Monnaie).

Ne pas tenir compte du crédit, c’est passer à côté d’un des mécanismes déterminants de l’économie. Qu’on pense tout simplement au taux d’endettement actuel des économies…

2.3 La monnaie n’est pas un voile sur les échanges

La loi de Say repose sur le postulat selon lequel les produits ne s’échangent que contre des produits. La monnaie serait un voile sur les échanges, sans effet sur l’économie. On vend un produit, non pas pour récupérer de la monnaie, mais pour en acheter un autre.

Cette représentation de la loi de Say est d’ailleurs formalisée mathématiquement par Léon Walras note-6 qui représente la monnaie comme une marchandise, dont le prix se fixe pour équilibrer les marchés de toutes les autres marchandises. Les modèles économiques qui s’inspirent de cette représentation sont dits Walrasiens, ou d’équilibre général.

Cette idée (selon laquelle les produits ne s’échangent que contre des produits) conduit l’économiste qui y croirait à ne s’intéresser qu’aux biens et services réels sans se soucier de l’impact (nul par postulat) de la monnaie.

Les faits ont montré combien cette vision est erronée. La crise de 1929 est une crise du système financier et monétaire. Des crises bancaires, financières et monétaires se sont succédées note-7 notamment depuis la fin des accords de Bretton-Woods. La raison principale en est que la création monétaire, faite par les banques, n’est pas régulée automatiquement au niveau juste nécessaire et suffisant pour que la production et la demande s’ajustent tout le temps comme par miracle. La monnaie étant créée principalement à l’occasion des crédits demandés par la clientèle des banques, et détruite à l’occasion des remboursements, elle a un effet pro-cyclique : quand les perspectives sont bonnes il y a demande croissante de crédit et création monétaire, c’est l’inverse quand les perspectives sont mauvaises. Plus gravement dans certaines situations, comme pendant la crise de 1929 où de nombreuses banques ont fait faillite, l’insuffisance de monnaie en circulation a aggravé la crise économique. Dans les situations d’hyperinflation note-8, c’est l’inverse qui est en cause : une suralimentation monétaire.

Bref, la monnaie n’est pas neutre (plus de détail dans le module sur la Monnaie). Et la loi de Say est fausse pour cette troisième raison : l’économie moderne ne se ramène pas à un gigantesque troc et ne peut s’analyser aussi simplement.

Conclusion

De nombreux économistes, de Keynes à Ricardo en passant par Malthus et Marx, ont critiqué cette loi des débouchés.

La loi de Say étant fausse, les recommandations d’économie politique qu’on pourrait en tirer ne sont pas fondées. Il peut donc arriver que la demande soit insuffisante pour écouler la production, que l’économie ne soit pas en équilibre, au sens où sur les divers marchés de biens et services l’offre et la demande s’égaliseraient.

Il peut d’ailleurs sembler étonnant qu’il faille argumenter autant alors que le chômage montre que le marché de l’emploi n’est pas équilibré, et durablement. Ou que de nombreux secteurs peuvent connaître des surcapacités de production. Ou que les crises monétaires bancaires ou financières montrent l’instabilité du capitalisme laissé à lui-même.

Mais les économistes s’inspirant implicitement de Say ne sont pas à cours d’imagination pour justifier leurs croyances et pour rester aveugles aux réalités qu’elles les empêchent de voir.

Ainsi, Robert Lucas note-9, conclut en janvier 2003 un discours prononcé à l’Association des économistes américains note-10, dont il est alors président, de la façon suivante: Le problème central de la prévention des récessions est résolu, dans toutes ses implications pratiques, et il l’est pour de nombreuses décennies. note-11 Les économistes de la Nouvelle économie classique note-12 convaincus que l’économie s’équilibre si les marchés sont concurrentiels, en déduisent que si, dans la vraie vie, l’équilibre n’est pas là c’est que les marchés ne sont pas assez concurrentiels. Ils en déduisent par exemple que ce sont les rigidités du marché du travail (le SMIC, le CDI, le code du travail…) qui sont à l’origine du chômage. Dit autrement à leurs yeux, les règles et les lois éloignant l’économie réelle d’un modèle théorique (celui de l’équilibre général concurrentiel) sont la cause des déséquilibres observés ! Ils en deviennent normatifs et dogmatiques : le monde doit à leurs yeux se mouler dans leur modèle !

Pour en savoir plus

link icon
Une fiche sur la loi des débouchés sur l'excellent site d'introduction à l'économie de Christophe Darmangeat
link icon
La loi des débouchés et politique économique de l'offre en vidéo
Une série de 3 billets sur le très pédagogique blog « Parlons un peu d’économie » qui explique les arguments des détracteurs historiques de la loi des débouchés, comme Malthus ou Keynes :
link icon
Malthus et la loi de Say

Fiches en lien

Merci de nous avoir lus jusqu'au bout !
Si vous appréciez le contenu de The Other Economy, inscrivez-vous à notre newsletter.

Vos données ne seront jamais ni données, ni prêtées, ni vendues à des tiers

S'inscrire à la newsletter

Notes

note-1

Le libéralisme économique est une idéologie à ne pas confondre avec le libéralisme politique.

chevron haut gris Retour
note-2

Célèbre maxime de Vincent de Gournay, né en 1712 à Saint-Malo et mort en 1759, devenue un slogan libéral (laisser faire les entreprises, et laisser passer les marchandises).

chevron haut gris Retour
note-3

Ces phrases ont été prononcées par le président de la République française lors du lancement du pacte de responsabilité, un tournant idéologique du quinquennat, au moins dans la communication.

chevron haut gris Retour
note-4

Jean-Baptiste Say, né à Lyon le 5 janvier 1767et mort à Paris le 14 novembre 1832, est le principal économiste classique français

chevron haut gris Retour
note-5

Extrait du Traité d’économie politique de 1803 6e éd. (Livre I, chapitre XV, Des débouchés)

chevron haut gris Retour
note-6

Léon Walras, né 1834 et mort en 1910, est un économiste français. Il a décrit mathématiquement un équilibre général de concurrence pure et parfaite et a cherché à montrer que cet équilibre est optimal. Il a voulu dire par là que l’équilibre de concurrence parfaite permettrait le plein emploi de tous les facteurs de production : toute la population active serait occupée et tous les capitaux seraient utilisés. Il permettrait de satisfaire toutes les demandes solvables…Il s’agit de la première modélisation des intuitions de JB Say.

chevron haut gris Retour
note-7

Voir Carmen M. Reinhart ; Kenneth S. Rogoff. Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, septembre 2013, Pearson. Les auteurs repèrent, entre 1800 et 2009, 262 crises bancaires, 250 épisodes d’insolvabilité en matière de dette extérieure 68 en matière de dette publique. Voir une note de lecture de ce livre sur le site Melchior.fr

chevron haut gris Retour
note-8

Où la monnaie est créée en quantité excessive, ce qui fait monter les prix, ce qui nécessite plus de monnaie …d’où une spirale très difficile à stopper. Voir sur wikipedia

chevron haut gris Retour
note-9

Qui a reçu le Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 1995.

chevron haut gris Retour
note-10

L’American Economic Association est la plus importante association professionnelle d’économistes américains ; elle est notamment influente pour décider des publications qui permettront à leurs auteurs d’obtenir des postes d’enseignement et une réputation.

chevron haut gris Retour
note-11

R.E. Lucas Jr., Macroeconomic priorities, discours à l’American Economic Association, Washington DC, 4 janvier 2003.

chevron haut gris Retour
note-12

Dont Robert Lucas est un des ténors. Voir sur wikipedia

chevron haut gris Retour
The Other Economy theothereconomy.com
 
icon newsletter

S'inscrire à la newsletter

Si vous appréciez le contenu de The Other Economy, inscrivez-vous à notre newsletter.
Vos données ne seront jamais ni données, ni prêtées, ni vendues à des tiers.
S'inscrire
Group 164

Reconstruire l'économie
pour éclairer l'avenir

Group 155
Group 164
logo linkedin logo linkedin
  • Faire un don
  • Contact
  • Mentions légales