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FICHE Pour en finir avec la loi de Say, ou loi des débouchés
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Pour en finir avec la loi de Say, ou loi des débouchés
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La « loi de Say » (ou loi des débouchés), énoncée par l'entrepreneur et économiste Jean-Baptiste Say en 1803, peut être résumée ainsi : toute offre crée sa propre demande. Cette célèbre « loi » économique enseignée dans tous les cours d’économie, fonde la pensée économique dite libérale Les recommandations d’économie politique qui en découlent sont au cœur des politiques économiques dites de l’offre, selon lesquelles il suffirait de laisser faire, laisser passer Il est pour le moins surprenant qu’une loi manifestement fausse soit toujours considérée comme juste près de deux siècles après sa formulation. Cet article vise à la présenter et à la réfuter.
Qu'est ce que la loi de Say ou loi des débouchés ? Appelée loi des débouchés, elle dit tout simplement que c’est « l’offre qui crée la demande ». Citons Jean-Baptiste Say : le fait seul de la formation d’un produit ouvre, dès l’instant même, un débouché à d’autres produits. Pour JB. Say et ses successeurs, la production génère un pouvoir d’achat qui permet d’écouler de nouveaux produits. Voici son raisonnement :
Dès lors, si l’on suit ce raisonnement, c’est l’offre qu’il faut stimuler et non la demande, qui ne peut être insuffisante. Les politiques de l’offre visent à faciliter la vie aux entreprises (baisse du coût du travail, déréglementation, aides à l’innovation, etc.). Qu’il faille, dans un monde ouvert à la compétition internationale, plutôt aider nos entreprises que les défavoriser, semble raisonnable ou en tous les cas se discute. En revanche croire que cette politique de l’offre suffirait pour rétablir la bonne santé de l’économie dans son ensemble repose sur le raisonnement de JB Say qui est, lui, indiscutablement faux. Il comporte en effet trois erreurs évidentes. Les trois erreurs qui sous-tendent la loi de Say 2.1 Ce n’est pas la production qui engendre du pouvoir d’achat mais la vente Du temps de Jean-Baptiste Say, on pouvait sans doute imaginer que tout ce qui était produit trouvait acheteur, tant les pénuries étaient fortes. Souvenons-nous que l’Irlande a connu une famine en 1851, après la mort de JB. Say. Mais ceci est faux maintenant et depuis longtemps. Les crises de surproduction ont émaillé notre histoire pour plusieurs raisons ; la puissance de nos machines permet de produire massivement et bien au-delà des capacités de consommation des consommateurs, la concurrence peut susciter des productions en excès (chacun des concurrents espérant vendre ses produits et que ses concurrents n’y arrivent pas), les études de marché et les services marketing ne sont pas infaillibles etc. En revanche, il est bien exact que la vente des produits apporte un pouvoir d’achat qui va servir à l’entreprise à rémunérer ses salariés, fournisseurs, sous-traitants, banquiers, à payer ses impôts et taxes, à investir et in fine, si possible, servir des dividendes. Dit autrement, il est bien vrai que les revenus des uns (dans notre cas, issues des ventes de l’entrepreneur, et qui lui servent à payer ses charges et investissements) sont les dépenses des autres (celui qui achète les produits vendus). Il s’agit d’une tautologie comptable. Mais il y a une différence énorme entre les deux énoncés. L’énoncé tautologique ne permet pas de conclure à une loi des débouchés qui, elle, confond production et vente (produire un bien ne garantit en rien sa vente) et suppose donc l’impossibilité des crises de surproduction ou d’une insuffisance de la demande, ce qui n’a rien de tautologique… John Maynard Keynes et ses successeurs critiqueront la loi de Say, en insistant sur le rôle de l’incertitude et de l’imperfection de l’information dans la décision économique. Si des produits peuvent ne pas trouver acheteur c’est en effet en particulier parce que l’entrepreneur est insuffisamment informé et qu’il y a bien des événements incertains dont l’anticipation parfaite est juste impossible à faire dans la « vraie vie ». 2.2 La loi de Say fait l’impasse sur le rôle du crédit La vision suscitée par la loi de Say est celle d’une circulation de pouvoir d’achat qui ne peut en aucun cas expliquer la croissance de la production totale. Supposons en effet que tout produit trouve acheteur et qu’il n’y ait effectivement pas de surproduction. Bref, faisons abstraction de l’argument précédent. Alors pour une année le total, au niveau macroéconomique, des dépenses faites (Dn) est égal au total des revenus (Rn). D’où peut donc venir qu’en l’année n+1, Rn+1 ou Dn+1 (toujours égaux par hypothèse) soient supérieurs à Rn ou Dn ? Cela ne pourrait se concevoir que si les prix baissaient à mesure que les volumes de produits croissent. Mais les périodes de déflation de ce genre (baisse généralisée et permanente des prix) posent des problèmes tels qu’elles ne durent pas très longtemps ; elles sont plutôt rares. Dans les faits, les prix ont plutôt toujours tendance à croître, ou à rester relativement stables. Dès lors comment passer de Dn à Dn+1 ? Tout simplement par le crédit. C’est grâce au crédit que le pouvoir d’achat (au sens d’argent disponible au total) peut augmenter d’une année sur l’autre. Notons bien que ce qui peut augmenter ce pouvoir d’achat disponible n’est pas le crédit mutuel (Pierre prête à Paul une somme dont il se dessaisit ; ce crédit ne fait que transférer du pouvoir d’achat) mais un crédit créant de la monnaie ex nihilo, crédit fait par les banques (voir le module sur la Monnaie). Ne pas tenir compte du crédit, c’est passer à côté d’un des mécanismes déterminants de l’économie. Qu’on pense tout simplement au taux d’endettement actuel des économies… 2.3 La monnaie n’est pas un voile sur les échanges La loi de Say repose sur le postulat selon lequel les produits ne s’échangent que contre des produits. La monnaie serait un voile sur les échanges, sans effet sur l’économie. On vend un produit, non pas pour récupérer de la monnaie, mais pour en acheter un autre. Cette représentation de la loi de Say est d’ailleurs formalisée mathématiquement par Léon Walras Cette idée (selon laquelle les produits ne s’échangent que contre des produits) conduit l’économiste qui y croirait à ne s’intéresser qu’aux biens et services réels sans se soucier de l’impact (nul par postulat) de la monnaie. Les faits ont montré combien cette vision est erronée. La crise de 1929 est une crise du système financier et monétaire. Des crises bancaires, financières et monétaires se sont succédées Bref, la monnaie n’est pas neutre (plus de détail dans le module sur la Monnaie). Et la loi de Say est fausse pour cette troisième raison : l’économie moderne ne se ramène pas à un gigantesque troc et ne peut s’analyser aussi simplement. Conclusion De nombreux économistes, de Keynes à Ricardo en passant par Malthus et Marx, ont critiqué cette loi des débouchés. La loi de Say étant fausse, les recommandations d’économie politique qu’on pourrait en tirer ne sont pas fondées. Il peut donc arriver que la demande soit insuffisante pour écouler la production, que l’économie ne soit pas en équilibre, au sens où sur les divers marchés de biens et services l’offre et la demande s’égaliseraient. Il peut d’ailleurs sembler étonnant qu’il faille argumenter autant alors que le chômage montre que le marché de l’emploi n’est pas équilibré, et durablement. Ou que de nombreux secteurs peuvent connaître des surcapacités de production. Ou que les crises monétaires bancaires ou financières montrent l’instabilité du capitalisme laissé à lui-même. Mais les économistes s’inspirant implicitement de Say ne sont pas à cours d’imagination pour justifier leurs croyances et pour rester aveugles aux réalités qu’elles les empêchent de voir. Ainsi, Robert Lucas Pour en savoir plus
Une série de 3 billets sur le très pédagogique blog « Parlons un peu d’économie » qui explique les arguments des détracteurs historiques de la loi des débouchés, comme Malthus ou Keynes :
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