L’émergence des produits dérivés à la fin du système de Bretton-Woods
Dans les années 1970, la fin du régime de Bretton Woods et la mise en place d’un régime de change flottant (voir le module sur la monnaie) créent un nouveau risque pour les acteurs du commerce international : le risque de change. Si un industriel français s’engage à vendre sa production en dollars dans les trois mois, il ne sait pas combien cela lui rapportera en monnaie nationale (le franc ou l’euro selon la période) puisque le taux de change du franc varie en continue.
Les banques vont donc concevoir et vendre de nouveaux produits, les options de change, permettant de couvrir ce risque. Après les options de change, les produits dérivés se sont développés par vagues successives en élargissant la gamme de leurs « sous-jacents » (cours de matières premières, taux de change, taux d’intérêt, crédits) et de leurs outils (achats et ventes à terme, options, swaps, produits structurés, titrisation…).
Qu’est-ce qu’un produit dérivé ?
On peut distinguer deux types de titres financiers :
- Les titres « simples » tels les actions, les obligations, les devises, les commodities (matières premières).
-Les produits dérivés permettent de couvrir un risque lié à un produit dit simple (appelé sous-jacent).
Par exemple, si je suis un industriel utilisant de l’énergie, je peux vouloir me garantir d’un risque de hausse du cours, en l’achetant à un prix fixé dès maintenant même si mon achat physique se fait ultérieurement. Si je suis un épargnant et que j’investis dans des titres de dettes, je peux vouloir avoir une garantie en cas de défaut de l’émetteur. Dans les deux cas, je dois payer le coût du produit dérivé mais il est bien moindre que ce que me couterait la matérialisation du risque contre lequel je me suis couvert.
Les produits dérivés sont donc à la fois des instruments permettant de se garantir contre les risques mais aussi des titres financiers qui ont une valeur (variable…) et peuvent ensuite être échangés sur les marchés financiers.
L’explosion des produits dérivés à partir des années 2000
Notons ici que les produits et services financiers de ce type ne sont pas nouveaux : ils sont nés au départ du besoin des acteurs économiques de se protéger d’un risque. Celui de se faire dépouiller par des pirates que prenaient les navigateurs marchands au Moyen-Age.. Celui que prend un entrepreneur de subir une hausse du cours des matières premières dont il a besoin : si je suis un agriculteur vendant des céréales, je peux vouloir me garantir en l’occurrence d’un risque de baisse du cours en les vendant dès maintenant même si ma vente physique se font ultérieurement. Chacun son métier, l’agriculteur ou l’industriel produisent, le financier ou l’assureur gère des risques.
Les produits dérivés sont issus d’un besoin de cette nature (pour les entreprises besoin de se garantir des risques de fluctuation de cours). Par contre, ce qui est nouveau c’est leur extraordinaire développement. Celui-ci relève non pas seulement d’un besoin de couverture des risques mais, comme le montre bien Thierry Philipponat, qui a vécu cette période d’effervescence créative de l’intérieur en tant que trader, d’une logique intrinsèque : l’offre de produits financiers a généré une demande, souvent chez d’autres acteurs financiers notederiv1.
L’encours notionnel notederiv2 des produits dérivés représentait, ainsi, fin 2019, plus de 558 000 milliards de $ soit plus de 600% du PIB mondial, témoignant bien de la déconnexion entre leur développement et des risques qu’ils sont sensés couvrir.
Encours notionnel des produits dérivés au niveau mondial (en trillions de $)
Les produits dérivés sur le pétrole représentent ainsi actuellement plus de dix fois les volumes physiques de pétrole en circulation, ce qui montre l’hypertrophie de la finance par rapport à l’économie non financière et le fait que les prix des matières ou produits se fixent plus à partir des transactions des produits dérivés que sur la base des conditions de marché des sous-jacents.
Ils sont devenus une source de spéculation bien plus qu’une réponse à des besoins économiques réels. Or ils ont des conséquences négatives pour l’économie : ils s’échangent de façon opaque, leurs rendements élevés attirent l’épargne au détriment des investissements dans l’économie productive, et sont au cœur des dernières crises financières (CDS utilisés pour spéculer contre la dette des Etats, CDO dans la crise des « subprimes »). Ils sont enfin une source de risque pour les banques qui les fabriquent : vu les volumes échangés, la matérialisation des risques qu’ils sont sensés couvrir impliquerait des pertes importantes.