En 1962, l’un des objectifs de la Politique agricole commune (PAC) était de faire que le revenu des agriculteurs, très inférieur à l’époque à celui des autres professions, rejoigne le revenu des ouvriers et employés. Cet objectif peut être considéré comme atteint. Même si le revenu des agriculteurs reste modeste, il est proche des catégories citées ou des indépendants du commerce. Il est cependant difficile de comparer des revenus entre professions qui ont des fonctionnements différents. Comment intégrer les revenus annexes, le temps de travail ou la capitalisation des moyens de production ?
L’agriculture est devenue en France une industrie lourde qui nécessite beaucoup de moyens de production (foncier, machines, bâtiments). Les exploitants agricoles sont à la tête d’entreprises avec des actifs souvent imposants et ils font souvent le choix de réinvestir plutôt que de tirer un revenu plus élevé. L’endettement est élevé, mais maîtrisé. Les banques ne s’y trompent pas en accompagnant ce secteur dans sa croissance et en soulignant que le taux de créances douteuses et litigieuses est inférieur aux autres secteurs d’activité. Nous tentons ici de voir comment les revenus des agriculteurs ont évolué dans le temps et nous finissons par un essai comparatif de ces revenus avec ceux des autres professions.
De la difficulté d’appréhender le revenu des agriculteurs
Il est difficile d’appréhender le revenu des agriculteurs pour plusieurs raisons. La première est que les sources qui permettent de suivre les revenus ne coïncident pas. L’INSEE, la Mutualité Sociale Agricole (MSA), le Ministère de l’agriculture suivent les revenus à partir de périmètres différents et utilisent des indicateurs de suivis qui ne sont pas toujours les mêmes. Certains utilisent le résultat courant avant impôt (RCAI), d’autres le revenu disponible, d’autres l’Excédent brut d’exploitation (voir annexe). On le voit, analyser le revenu moyen est complexe d’autant plus que la moyenne, elle-même, est trompeuse dans un secteur ou l’hétérogénéité des revenus est très importante.
Parler revenu est également sensible en agriculture et la façon de le faire témoigne souvent d’une volonté de faire passer un message. En 2016, la MSA indiquait que « 30 % des agriculteurs gagnaient moins de 350 euros par mois » noterevagri1. Ce chiffre a été repris massivement dans la presse. S’il révèle une réalité et souligne la détresse d’une part des agriculteurs, le monde professionnel agricole estime que ce chiffre ne traduit qu’une partie de la réalité et qu’il demande des explications.
Il faut notamment souligner qu’au revenu agricole s’ajoutent souvent des revenus non agricoles noterevagri2. Un foyer sur deux déclare des revenus d’activités non agricoles et ces revenus sont significatifs pour un foyer sur trois.
Dans les petites exploitations à faible revenu noterevagri3, la double activité est très développée et représente près du tiers des chefs d’exploitation alors que ce chiffre tombe à 13% dans les exploitations moyennes. De plus ces petites exploitations, sont dirigées dans 4 cas sur 10 par un chef d’exploitation âgé de 60 ans ou plus, dont un sur cinq se déclare retraité. Il s’agit souvent d’agriculteurs sans repreneur, qui ont réduit leur activité pour assurer un complément de revenu à leur retraite.
Il faut enfin souligner que ces petites exploitations représentaient en 2016 noterevagri4 31% des exploitations mais n’exploitaient que 7% de la SAU, ne mobilisaient que 12% de l’emploi agricole, et réalisaient moins de 3% de la production.
Si on adopte un regard économique (celui des organisations agricoles), ces petites exploitations comptent peu dans la description de la branche agriculture et ne reflètent pas ce qu’est une exploitation agricole aujourd’hui. Par contre si l’on adopte un regard social, force est de constater qu’une part non négligeable d’hommes et de femmes ont un revenu très faible.
Sans nier que beaucoup d’agriculteurs sont en situation de précarité, ne prendre en compte que le revenu d’exploitation est cependant trompeur et ne décrit pas totalement la réalité des revenus finaux.
Des résultats différents selon les sources : MSA et Ministère de l’agriculture
Concernant le nombre d’exploitations agricoles, les données sont fournies par la Mutualité Sociale Agricole (MSA) ou le Ministère de l’agriculture.
- Le Service statistique et prospective (SSP) du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation (MAA) publie chaque année son « Bilan annuel de l’emploi agricole » (BAEA). Les résultats 2016 ne sont parus qu’en septembre 2018. Le ministère est en train de réaliser le recensement décennal de la population agricole. Les chiffres ne seront publiés que fin 2021.
- Pour la MSA, les chiffres sont publiés chaque année. Concernant le nombre d’exploitations agricoles nous retiendrons donc les chiffres de la MSA.
En 2018, la MSA dénombre 448 500 chefs d’exploitation agricole noterevagri5. Le nombre d’exploitation a diminué de 10% depuis 2010, à un rythme moyen de 1,25% par an. L’âge moyen des chefs d’exploitation est de 49 ans. En 2018, 58,3% des chefs d’exploitation exercent leur activité dans une exploitation constituée en société sous des formes juridiques diverses. Il faut également souligner qu’en 2018, 17,1% des chefs d’exploitation sont pluriactifs, soit 0,5 point de plus que l’année précédente. La diversification des activités sur l'exploitation, accompagne la pluriactivité des ménages agricoles et le maintien de la main-d’œuvre. Elle s'accompagne aussi d'une certaine stabilité des revenus.
Quels revenus retenir ?
Pour exprimer le « revenu agricole » on se base sur les résultats des exploitations, c’est-à-dire des soldes de charges et de produits. Cela est vrai du résultat d’exploitation (ou revenu courant avant impôt - RCAI) utilisé dans les Comptes annuels de l’agriculture noterevagri6, du revenu professionnel utilisé par la MSA, ou du revenu disponible et de l’EBE (excédent brut d’exploitation) qui sont plus utilisés par les conseillers de gestion de Cerfrance.
Toutes ces données ne correspondent pas aux revenus de l’agriculteur : ce sont au mieux des approximations. Il est donc difficile de les comparer avec les revenus des professions salariées. Par exemple, le résultat d’exploitation peut être utilisé pour rémunérer l’agriculteur mais aussi pour réinvestir dans l’exploitation.
Il est utile de regarder la ligne des prélèvements privés lorsqu’elle est disponible. C’est cette ligne qui s’approche le plus du « salaire », en faisant attention cependant au fait que le prélèvement privé peut être supérieur au résultat d’exploitation ce qui provoque une hausse de l’endettement de l’exploitation.
Les prélèvements privés donnent une appréciation plus fine de ce dont les agriculteurs disposent pour vivre au quotidien. Les résultats d’exploitation, quant à eux, donnent une appréciation de ce que l’agriculteur gagne au sens large, comprenant ce qu’il capitalise au travers de l’entreprise, et qu’il pourra liquider en fin de carrière.
Nous utiliserons ici le résultat courant avant impôts (RCAI) qui est le plus suivi dans les statistiques du ministère de l’agriculture ou dans les échantillons de réseaux comptables français ou européen (RICA). Quand nous le pourrons nous retiendrons également les prélèvements privés.
Le RCAI est constitué par la somme des produits d'exploitations et des produits financiers auxquels on soustrait la somme des charges d’exploitation et des charges financières. Le RCAI est un indicateur permettant de mesurer la rentabilité d'une entreprise. Il est calculé avant impôt sur les bénéfices. noterevagri7
Comparaison RCAI et prélèvements privés
Les statistiques du Ministère de l’agriculture montrent que sur une période de 15 ans, le RCAI fluctue assez fortement en fonction des crises, alors que les prélèvements privés sont assez stables. Certes les 2 indicateurs sont relativement corrélés : le RCAI moyen fluctue autour de 25 000 € et les prélèvements se stabilisent vers 20 000 €. En période de crise, comme en 2009, les agriculteurs ont maintenu les prélèvements privés. Malgré la situation d’exploitation plus difficile, l’agriculteur maintient des prélèvements qu’il juge nécessaire pour vivre correctement au détriment de sa trésorerie qu’il renflouera par des prêts à court terme. A l’inverse dans les périodes favorables, comme en 2012, les prélèvements privés augmentent peu. Sans doute que l’agriculteur rembourse alors ses prêts court terme et refait de la trésorerie d’exploitation.
D’après la publication Graph’Agri 2019, le RCAI par actif non salarié des « moyennes et grandes » exploitations agricoles noterevagri8 s’élevait en 2017 à 27 400 € en moyenne, en hausse d’environ 4% par rapport à la période 2013/0215 (l’année étant une année atypique). Bien entendu, l’hétérogénéité des revenus est grande. En 2017, un quart des exploitations dégage un RCAI par actif non salarié inférieur à 7 800 € et un quart affiche un montant supérieur à 37 700 €. L’écart entre ces deux moyennes, de 29 900 €, est comparable à celui des années récentes. Le niveau des prélèvements privés de l’exploitant augmente, quant à lui, de 16 % en 2017.
Plus intéressant que la moyenne, la médiane du RCAI par actif s’élève à 21 000 €. L’hétérogénéité des revenus s’explique notamment par les productions différentes (les viticulteurs ont les revenus les plus élevés et les producteurs de viande bovine les moins élevés). La différence due à l’orientation des productions est assez régulière.
Au sein d’une même orientation, la dispersion des revenus est également forte avec un coefficient 12 entre le plus faible et le plus haut revenu en viticulture et 4 en élevage bovin. Ces différences s’expliquent par la région de production, la taille des exploitations et la compétence de l’agriculteur.
L’un des facteurs explicatifs importants du RCAI est la taille de l’exploitation, comme le montre le tableau suivant. Les exploitations de très grandes taille ont un RCAI près de 4 fois supérieur aux exploitations moyennes.
Subvention et endettement sont au cœur du revenu agricole
Un revenu très dépendant des aides européennes…
Depuis 2015, dans le cadre de la PAC, le régime des paiements de base (RDB) permet aux agriculteurs d'être payés directement en fonction des surfaces qu'ils possèdent. Indépendamment, donc, de leur production. Pour la France, les aides directes versées aux agriculteurs s’élèvent à environ 7 milliards par an depuis 2015. Il s’agit de l’ensemble des aides du premier pilier : paiement de base (aides découplées), aides vertes, le paiement additionnel aux jeunes…
En 2017, les subventions d’exploitation représentaient en moyenne en France, pour les bénéficiaires, 15% des produits courants et 46 % de l’excédent brut d’exploitation (EBE). Les exploitations françaises perçoivent en moyenne 33 800 € d’aides, plus que le RCAI moyen. Sans subvention, 50 % des exploitations auraient un RCAI négatif, contre 14 % après prise en compte des subventions. La contribution des subventions au résultat courant est la plus élevée dans les élevages d’herbivores et pour les céréaliers.
…et très inégalitaires
La répartition actuelle des aides pose question. Ce montant augmente en fonction de la dimension de l’exploitation. En 2017, 16 % des exploitations françaises reçoivent 50 % des aides.
Dans l’ensemble, le niveau d’aides augmente avec la taille économique des exploitations. Les exploitations de grandes cultures les plus grandes en perçoivent plus du double des plus petites (36 700 € contre 15 400 €). Cette volonté d’aider les exploitations à grossir pour réduire les charges par unité produite résulte du choix exprimé lors du lancement de la PAC. Ce choix a induit une inégalité sociale et une dégradation environnementale accrue. Attention cependant : aujourd’hui les plus grosses exploitations pourraient avoir des moyens techniques pour réduire certains de leurs impacts environnementaux (robots pour réguler les épandages, drones, station épurations…)
La Cour des comptes a d’ailleurs dénoncé en 2019, une répartition très inégale des aides. « En 2015, 10 % des bénéficiaires (33 000 exploitants) ont perçu moins de 128 € par hectare d'aides directes découplées (droits à paiement de base), alors qu'à l'autre extrémité de la distribution 10 % des bénéficiaires ont perçu plus de 315 €/ha. » noterevagri9 Les modalités de répartition des aides directes avantagent les grandes exploitations et celles dont les activités sont les plus rentables.
La nouvelle PAC, en cours de discussion en 2020, ne devrait pas bouleverser fortement cette répartition inégale des aides en France, même si la Commission européenne propose une réduction des paiements à partir de 60 000 euros et un plafonnement obligatoire pour les montants supérieurs à 100 000 euros par exploitation.
Des exploitations fragilisées par l’endettement ?
L’endettement moyen des exploitations françaises est élevé, et représente en 2017, 42% de l’actif. Depuis 2000, le taux d’endettement a progressé de 5 points. Il diffère, bien entendu, en fonction de la taille de l’exploitation : 36 % des très grandes exploitations ont un endettement supérieur à 300 000€ alors que seulement 2,3% des exploitations moyennes ont un endettement équivalent. Le taux d’endettement fluctue également en fonction des orientations économiques : les exploitations porcines, de grandes cultures ou laitières ont plus recours à l’emprunt alors que les viticulteurs investissent plus à partir de leurs fonds propres.
L’endettement comprend les dettes financières (dues essentiellement aux banques) et les dettes non financières (dues aux organismes sociaux, aux fournisseurs ou encore à l’Etat). Les dettes financières représentent 31% de l’endettement, les non financières 11%.
En 2019, les montants globaux de prêts bancaires aux agriculteurs (réalisations annuelles) s’élevaient à 11 Md€. Ces prêts qui permettent le fonctionnement de l’exploitation sont donc légèrement supérieur à une année d’aides européennes.
Les prêts sont constitués de :
- Prêts à moyen et long terme (forme majoritaire de financements privés aux agriculteurs) qui représentent près de 90% de la dette bancaire. Ils financent les dépenses d’investissement pour le matériel agricole, les véhicules, les bâtiments, les travaux…
- Prêts à court terme qui sont liés au cycle de production : achat d’engrais, semences, pesticides, alimentation pour le bétail, petit matériel…. Ces prêts courts terme sont fournis par les banques mais aussi les coopératives ou industries d’agrofournitures privées.
- Dans les dettes financières, il faut distinguer le remboursement du capital et celui des intérêts. Avec la baisse des taux d’intérêt entamée depuis plusieurs années, le poids des charges financières (paiements des intérêts) a tendance à diminuer.
Depuis de nombreuses années, ce sont les prêts pour l’achat de matériel qui sont les plus importants.
Les investissements matériels représentent plus des 2/3 des investissements totaux. Le second poste est celui des constructions ou rénovations de bâtiments, notamment d’élevage.
Le poste matériel pèse fortement sur le résultat de l’exploitation. Les raisons du poids de ce poste reposent à la fois sur des causes rationnelles (achat de machines couteuses pour l’activité, notamment en viticulture ou en laiterie) mais aussi sur des raisons fiscales (déductions pour investissements) ou des attraits personnels pour certains types de matériels (tracteurs suréquipés, drones…).
On constate un suréquipement dans certaines exploitations, notamment en grandes cultures mais aussi en exploitations d’élevage : tracteurs trop puissants, moissonneuses batteuses individuelles plutôt que collective… La tendance actuelle en faveur de l’agriculture de précision avec drones, système GPS pour la répartition des engrais…va accroitre le poids du poste équipement. Il faut bien constater un goût prononcé d’un certain nombre d’agriculteurs pour la technologie, qui peut parfois être préjudiciable au résultat d’exploitation.
Différents systèmes de déduction fiscale se sont succédés dans le temps et ont encouragé notamment à l’achat de matériels roulants
Une déduction fiscale pour investissements (DPI) permettait jusqu’à fin 2012 d’acheter du matériel agricole et d’obtenir une déduction fiscale. La DPI s’est poursuivie jusqu’en 2019, mais l’achat de matériel a été retiré des objets déductibles. Cependant, dans le cadre de la loi Macron pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, les exploitations agricoles, comme toute autre entreprise relevant d’un régime réel d’imposition, ont pu déduire de leur résultat imposable une somme égale à 40 % de la valeur d’achat de certains investissements réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016. Cette mesure a été ensuite prolongée jusqu’en avril 2017. Tous les biens de production qui peuvent être amortis selon le mode dégressif pouvaient bénéficier de ce suramortissement, notamment les tracteurs et d’une manière générale des matériels utilisés pour le travail de la terre (moissonneuses-batteuses, épandeurs à fumier et pulvérisateurs, ensileuses, machines à vendanger, installation d’irrigation et de drainage, etc.).
Une nouvelle déduction remplace la DPI et la DPA (déduction pour aléas) pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2019. La Déduction Epargne de Précaution (DEP) permet de lisser le bénéfice agricole imposable, tout en incitant l’exploitant à se constituer une « assurance » personnelle pour faire face aux besoins de l’exploitation, dans des conditions plus souples que l’ancienne DPA. Les sommes déduites doivent être utilisées pour faire face à des dépenses nécessitées par l’activité professionnelle.
La DEP ne peut être réalisée que sous réserve du versement corrélatif d’une somme sur un compte bancaire spécifique. Les déductions peuvent être utilisées pour faire face à toutes les dépenses nécessaires à l’activité professionnelle, y compris les achats de matériels. Dans ce dernier cas, une mesure « anti-abus » a cependant été mise en place et prévoit que le régime d’exonération des plus-values professionnelles (recettes < 250 000 €) ne s’appliquera pas en cas de cession d’un matériel roulant, acquis l’exercice au titre duquel une DEP a été déduite du résultat, si la cession intervient dans les deux ans suivants l’acquisition.
Par ailleurs, il faut retenir que la TVA est déductible des achats sur le matériel.
Des prêts court terme indirectement favorables aux utilisateurs de pesticides.
Les prêts court terme sont quant à eux destinés aux financements des intrants : engrais, pesticides, semences… Ils sont souvent sur une durée annuelle et accordés par les banques ou les entreprises d’agrofournitures. Celles-ci peuvent être tentées de faire des taux très préférentiels pour fidéliser leurs clients, notamment les plus gros. Ces prêts à court terme sont très utilisés en viticulture ou par les producteurs de grandes cultures qui sont les plus utilisateurs de pesticides. Finalement l’achat de ces produits phytosanitaires ou d’engrais qui ont des conséquences négatives sur l’environnement sont financés à des conditions très favorables.
Il faut tirer de l’analyse des exploitations agricoles actuelles qu’elles sont devenues très capitalistiques. L’agrandissement régulier des exploitations a incité les agriculteurs à développer le machinisme, les intrants pour produire plus. Le capital s’est développé au détriment du travail. En 2017, pour produire 10 000 € de richesse, une exploitation mobilise 50 800 € d’actifs en moyenne et 0,23 unité de travail annuel noterevagri10. Depuis 2000, l’intensité capitalistique a progressé de près de 10% alors que l’intensité en travail est restée stable.
Les exploitations moyennes et grandes qui réalisent plus de 97 % de la production agricole sont des exploitations intensives en capital. Parmi celles-ci des exploitations tentent de trouver une nouvelle voie, comme l’agriculture biologique qui s’appuie sur moins de capital et plus de travail.
Des modèles d’agriculture moins capitalistique apparaissent avec de bons résultats économiques
Une étude de l’INSEE noterevagri11 montre « qu’ avec des surfaces et/ou des cheptels plus petits qu’en conventionnel, les exploitations bio spécialisées ont enregistré en moyenne en 2013 une meilleure rentabilité par unité physique de production et par capitaux engagés que les exploitations conventionnelles. Ce différentiel de performance peut avoir plusieurs sources : une meilleure valorisation des productions biologiques du fait de prix plus élevés qui compensent une productivité plus faible, une meilleure maîtrise des consommations intermédiaires, parfois des subventions dédiées qui viennent soutenir les résultats, ou encore un recours plus systématique à la commercialisation des produits en circuit court. »
Il faut cependant noter que l’étude de l’INSEE ne porte que sur 3 types d’exploitation : viticulture, bovin lait et maraichage. Ces orientations peuvent plus facilement valoriser les produits en circuits cours. On compte moins d’exploitations de grandes cultures ou d’exploitations porcines en bio alors que celles-ci ont un poids important en conventionnel. Une partie des meilleurs résultats pourrait donc s’expliquer par l’orientation économique.
Notons également que malgré des soutiens financiers européens et français et une demande en forte hausse, l’agriculture bio est loin d’être le courant principal. En 2018, un peu plus de 10% des agriculteurs exploitent en biologie 2,3 millions d’hectares soit 8,5 % de la SAU française. Le développement un peu lent de la bio en France résulte à la fois d’une crainte des agriculteurs de changer de modèles mais aussi d’un frein des organisations professionnelles agricoles et des acteurs économiques agricoles.
Actuellement des agriculteurs s’orientent aussi vers des formes d’agroécologie. Ce type d’agriculture devrait limiter la croissance de l’intensité capitalistique en cherchant des pistes de développement moins consommatrice d’intrants et de matériels. A l’opposé se développe l’agriculture de précision qui compte sur la technologie pour limiter les nuisances environnementales.
En conclusion de cette partie sur l’analyse des revenus des agriculteurs, il faut retenir que la concentration des exploitations, l’accroissement de la taille de celle-ci, la réduction de la main d’œuvre ont entrainé un développement basé sur le capital : plus de moyens de production pour produire plus. Malgré une tendance à la hausse des investissements, les prélèvements privés sont restés stables sur longue période aux alentours de 20 000€ par travailleur en moyenne. Il faut bien noter également la forte disparité des revenus en fonction des productions mais aussi de la taille de l’exploitation.
Les exploitations agricoles sont aujourd’hui, pour la plupart, très dépendantes des aides européennes et nationales, des conditions de financement et des accords internationaux qui peuvent ouvrir plus ou moins les frontières à des productions réalisées dans des conditions économiques et sociales forts différentes.
Essai de comparaison avec les autres catégories sociales
Fin 2017, 3,2 millions de personnes en France exercent une activité non salariée à titre principal ou en complément d’une activité salariée noterevagri12. Ces entrepreneurs ont des caractéristiques communes qui les différencient des autres travailleurs, en particulier l’absence de contrat de travail et de lien de subordination juridique à l’égard d’un donneur d’ordre. Pour le reste, ils présentent une très grande variété de profils (exploitants agricoles, commerçants, artisans ou professionnels libéraux). Les agriculteurs représentent 1 non salarié sur 7.
Parmi ces 3,5 millions de personnes il faut distinguer les 450 000 agriculteurs et les 928 000 micro entrepreneurs. Nous allons comparer les revenus des agriculteurs avec les 1,86 millions de travailleurs indépendants « classiques ». On retrouve dans cette dernière catégorie les commerçants, les artisans ou les professionnels libéraux dans les domaines de la santé ou du droit, notamment.
Les non-salariés classiques et les agriculteurs ont la particularité d’occuper assez fréquemment une activité salariée en parallèle. Fin 2017, dans les secteurs non agricoles, 9 % des non salariés classiques exercent en parallèle une activité salariée. Cette part est de 11% chez les agriculteurs soumis au bénéfice réel et monte à 20% dans les petites exploitations soumises au régime de la micro exploitation.
Cette tendance à occuper une activité salariée à côté de l’activité classique est due à la faiblesse des revenus d’une partie des indépendants et des agriculteurs.
Hors agriculture, les non salariés classiques perçoivent un revenu d’activité non salariée de 3 580 euros par mois, les micro entrepreneurs de 470 euros. En 2017, les agriculteurs perçoivent, quant à eux d’après les calculs de l’Insee, 1210 euros mensuels noterevagri13.
Bien entendu les revenus moyens varient en fonction des secteurs d’activité. Ils sont faibles dans le commerce (1200 euros) ou les services à la personne (1450 euros) et élevés dans les professions libérales médicales (11 000 chez les médecins spécialisés) ou chez les juristes (8 340 euros).
Les disparités de revenus sont encore plus marquées chez les indépendants (hors agriculture) que chez les agriculteurs. Le rapport inter décile noterevagri14 s’établit ainsi à 17 pour les non-salariés « classiques ». Dans l’agriculture, ce rapport est égal à 9.
Comme indiqué au début de cette fiche, en 2016, la MSA déclarait que 30% des agriculteurs avaient un revenu agricole inférieur à 350 euros par mois. Même si en moyenne, le revenu non salarié représente 24 % du revenu global des pluriactifs du secteur agricole, la MSA souhaite souligner qu’une part des agriculteurs vivent avec un revenu extrêmement bas. Cette situation n’est pas réservée au secteur agricole et on la retrouve dans le secteur des indépendants. Les 10 % de non‑salariés classiques les moins bien rémunérés du secteur des indépendants ont perçu moins de 120 euros mensuels.
Du côté des salariés, l’INSEE noterevagri15 indique qu’en 2019, 25,5 millions de français occupent un poste salarié. En 2017, le revenu salarial annuel moyen pour l’ensemble des salariés du secteur privé et de la fonction publique s’élève à 20 940 euros (20 500 euros dans le privé et 22 400€ dans le public. Le salaire moyen mensuel est donc de 1745€.
Chez les salariés aussi la disparité de revenus est forte. Le rapport entre le 9e et le 1er décile de revenu salarial (rapport inter décile, D9/D1) est de 14,6 en 2017. L’écart est plus élevé chez les employés (14,9) que chez les cadres (5,9), ce qui s’explique car ce calcul rend compte non seulement des revenus mais aussi des écarts de volume de travail.
Au final, l’objectif initial de la Politique Agricole commune de rapprocher le revenu des agriculteurs des autres professions a été atteint. Certes, en moyenne, les agriculteurs sont dans la fourchette basse des revenus mais ils n’ont pas décroché des autres professions notamment des indépendants du commerce. La dispersion des revenus élevée chez les agriculteurs se retrouvent également dans les autres professions. Ce qui distinguent vraiment les agriculteurs des autres professions est la dépendance du revenu aux aides publiques et aux conditions extérieures à leur activité (marchés internationaux et conditions climatiques). L’insécurité de revenu est plus forte sans aucun doute.
Les comparaisons de revenus sont délicates entre des professions très différentes. Il faudrait aussi prendre en compte le temps de travail, les conditions de travail, l’accumulation de capital très différente entre salariés et non-salariés.
Plus que les revenus, ce qui pèse sur l’agriculture aujourd’hui est l’incertitude face à un monde changeant. Comment s’adapter (lutter) face à la mondialisation, comment entrer dans la transition écologique de l’agriculture, comment recréer un lien de confiance avec le monde non agricole ?
RICA (réseau d’information comptable agricole)
Le Réseau d’Information Comptable Agricole (RICA) est une enquête réalisée depuis 1968 états membres de l’Union européenne à partir de comptabilités agricoles. Elle permet d’analyser le fonctionnement économique des exploitations agricoles moyennes et grandes dans chaque domaine de production. Vous y trouverez notamment les différents résultats comptables présentés ci-après selon leur taille.
Production brute standart (PBS)
La production brute standard décrit un potentiel de production des exploitations et permet de classer les exploitations selon leur dimension économique en « moyennes et grandes exploitations » ou « grandes exploitations ». La contribution de chaque surface agricole ou cheptel à la PBS permet également de classer les exploitations selon leur spécialisation. Les coefficients de PBS ne constituent pas des résultats économiques observés. Ils doivent être considérés comme des ordres de grandeur définissant un potentiel de production de l'exploitation. La variation annuelle de la PBS d'une exploitation ne traduit donc que l'évolution de ses structures de production (par exemple agrandissement ou choix de production à plus fort potentiel) et non une variation de son chiffre d'affaires (source : Insee).
Résultat courant avant impôt (RCAI)
Le Résultat courant avant impôt est constitué par la somme des produits d'exploitations et des produits financiers auxquels on soustrait la somme des charges d’exploitation et des charges financières. Le RCAI est un bon indicateur permettant de mesurer la rentabilité d'une entreprise.
L'excédent brut d'exploitation (EBE)
L'excédent brut d'exploitation correspond à la ressource d’exploitation dégagée par une entreprise. C’est un indicateur financier permettant d’évaluer la ressource qu’une entreprise tire de son cycle d’exploitation. L’EBE correspond au solde entre les produits et les charges d’exploitation qui ont été consommées pour obtenir ces produits, mais ne tient pas compte des dotations aux amortissements et des provisions pour dépréciation d'actifs immobilisés.
Disponible et revenu
Le « disponible » est un montant d’euros en banque ou en caisse. Il représente la situation de la trésorerie à un moment donné. Le revenu est un indicateur économique de la situation décrite par le compte de résultat. « Revenu » et « Disponible » recouvrent donc deux réalités à ne pas confondre.
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