Les sols : un écosystème à part entière, une limite planétaire
1.1 De nouveaux horizons : voir les sols en trois dimensions
Les sols sont trop souvent perçus comme une surface inerte sur laquelle se déploient les écosystèmes terrestres et les activités humaines, comme s’ils y étaient simplement posés. Ce sont, au contraire, des milieux en trois dimensions, qui présentent des structures, des compositions et des caractéristiques variées en fonction des contextes.
Si le sol n’est pas seulement la surface de la Terre, le plancher de nos vies, qu’est-il alors ?
Le sol est un volume qui s’étend depuis la surface de la Terre jusqu'à une profondeur marquée par l’apparition d’une roche dure ou meuble, peu altérée, ou peu marquée par la pédogenèsesols1. L’épaisseur du sol peut varier de quelques centimètres à quelques dizaines de mètres, ou plus. Il constitue, localement, une partie de la couverture pédologique qui s’étend à l’ensemble de la surface de la Terre. Il comporte le plus souvent plusieurs horizons correspondant à une organisation des constituants organiques et/ou minéraux (la terre). Cette organisation est le résultat de la pédogenèse et de l’altération du matériau parental. Il est le lieu d’une intense activité biologique (racines, faune et micro-organismes).
En d’autres termes, les sols constituent le volume situé entre la surface de la terre et la roche peu altérée, généralement appelée la roche mère. Entre les deux, le sol est structuré en plusieurs niveaux, appelés horizons.
Les six grandes catégories d’horizons du sol
On distingue schématiquement six catégories d’horizonssols2 : en fonction des types de sols et des situations, ces différents horizons peuvent se présenter de manières variables.
- L’horizon O (ou humus) est principalement composé de matière organique en décomposition.
- L’horizon A, dit arable est essentiellement composé d’un mélange de minéraux et de matières organiques décomposées - c’est ici que se développent les racines des végétaux.
- L’horizon E, dit éluvial, est un horizon dans lequel sont lessivés latéralement ou en profondeur une série de matériaux tels que l’argile, le fer, l’aluminium et les matières organiques. On trouve cet horizon en conditions humides, par exemple dans les forêts de conifères.
- L’horizon B, ou sous-sol, est constitué d’argiles et de minéraux, ainsi que de matières organiques présentes en moindre quantité que dans les horizons supérieurs.
- L’horizon C, que l’on appelle aussi “couche de matériau originel”, présente des roches fragmentées mais peu altérées, avec très peu de matières organiques.
- Enfin, l’horizon R (roche-mère) est celui du substrat rocheux, qui présente des masses de roches comme le granite, le calcaire ou le grès.
Ainsi les sols, leur structure et leur composition sont diverses et peuvent varier largement en fonction des contextes.
Les sols ne sont en tout cas pas seulement la couche superficielle riche en matière organique, et il faut souligner que leur formation – ou pédogénèse – s’effectue sur des échelles de temps particulièrement longues. La genèse de quelques décimètres de sols nécessite des milliers voire des dizaines de milliers d’années : les sols sont donc une ressource non renouvelable aux échelles de temps humaines.
1.2 Les sols sont vivants
Les sols sont des océans de vie : un gramme de sol renferme environ un milliard de bactéries de 2 000 à 10 000 espèces différentes. On estime qu’ils abritent environ 25% des espèces animales décritessols3, regroupant des organismes microscopiques jusqu’aux vertébrés tels les rongeurs, en passant par les nombreux cortèges de nématodes et collemboles, tardigrades et acariens, insectes, arachnides ou autres vers de terre.
La biodiversité des sols peut être classée selon un critère de taillesols4 : les microorganismes, puis la microfaune, la mésofaune, la macrofaune, et enfin la mégafaune, c’est-à-dire les vertébrés qui y vivent, tels que les taupes et les campagnols. Cette classification par taille est présentée dans le schéma ci-dessous.
Schéma des différents groupes de la biodiversité du sol classés par taille
Les interactions biologiques entre toutes ces espèces (relations proie-prédateur, symbiose, etc.)sols5 constituent les fonctions écologiques remplies par les sols qui bénéficient à l’ensemble des écosystèmes terrestres, et donc aux humains.
1.3 Les fonctions écologiques que remplissent les sols
En tant qu’écosystème à part entière et brique constitutive des écosystèmes terrestres à plus grande échelle, les sols remplissent de nombreuses fonctions écologiques. L’Association française d’études des sols distingue les fonctions suivantessols6 :
- Stockage, recyclage et transformation de la matière organique ;
- Habitat pour les organismes ;
- Échanges gazeux avec l'atmosphère ;
- Stockage et fourniture de nutriments ;
- Support physique stable pour le vivant ;
- Stockage, circulation et infiltration de l’eau ;
- Filtration, rétention et dégradation des polluants.
Ces fonctions écologiques produisent des services indispensables et irremplaçables pour les populations humaines :
- Fourniture d’aliments, de fibres, de combustibles ;
- Régulation du climat (via le stockage du carbone dans les sols) ;
- Purification de l’eau et dégradation des contaminants ;
- Régulation des cours d’eausols7, remplissage des nappes phréatiques et régulation des crues ;
- Maintien de la biodiversité (ex : fertilité des sols, pollinisation, régulation des ravageurs des cultures, etc.) ;
- Fourniture de matériaux (matériaux biosourcés tels le bois, le liège, la paille ; et les matériaux qui constituent le sol lui-même : terre végétale, limons, argile, sable, etc.) et support des infrastructures ;
- Archivage des informations sur l’histoire naturelle et culturelle (ex : préservation des fossiles).
Chacune des fonctions écologiques citées ci-dessus contribue de manière différenciée à plusieurs des services dont les humains peuvent bénéficier. La littérature scientifique présente classiquement les liens entre fonctions écologiques des sols et services écosystémiques via le schéma ci-dessous.
Contributions des fonctions écologiques des sols aux différents services écosystémiques
Pour en savoir plus
Artificialisation des sols : définition et évolutions
La notion d’artificialisation des sols a été définie pour la première fois en droit en 2021, grâce à la loi Climat et résilience. Auparavant, le terme d’artificialisation des sols faisant référence au processus d’urbanisation, par lequel des espaces naturels, agricoles ou forestiers (ENAF) sont aménagés pour des usages résidentiels, économiques, industriels, etc.
La loi Climat et résilience de 2021 a introduit deux changements majeurs :
- Une définition de l’artificialisation basée sur l’altération des fonctions écologiques des sols, qui dépasse la vision purement surfacique et limitée aux changements d’usages (consommation d’ENAF).
- Un objectif de Zéro artificialisation nette fixé à 2050, et un objectif de réduction par deux de la consommation d’ENAF entre 2011-2021 et 2021-2031.
Ces objectifs interviennent alors que les surfaces artificialisées ont progressé de 80% au cours des quatre décennies précédant la loi, quatre fois plus vite que la population.
2.1 La genèse d’un concept : de la consommation d’ENAF à l’artificialisation des sols
Dès 1946, une première enquête sur l’utilisation des terres agricoles est lancée par le ministère de l’Agriculture : il s’agit de réaliser des contrôles d’occupation du sol sur la base des plans cadastraux. Ces derniers sont actualisés grâce à la photographie aérienne à partir de 1962 puis, vingt ans plus tard, en 1982, ce suivi s’élargit à l’ensemble du territoire pour devenir l’enquête Teruti (pour utilisation des terres)sols8. Initialement, le suivi de l’artificialisation des sols procédait donc de la volonté de mesurer les pertes de surfaces disponibles pour l’agriculture, avant de s’élargir aux espaces naturels et forestiers. C’est ainsi que la notion de consommation d’ENAF, c’est-à-dire d’espaces naturels, agricoles ou forestiers, a été construite.
Ainsi, pendant des décennies et jusqu'à 2021 la notion d’artificialisation des sols n’était pas formellement définie en droit : les lois précédentes faisaient seulement référence à la gestion économe des sols ou à la préservation des espaces.
C’est la loi Climat et résilience du 22 août 2021 qui a introduit dans le droit français la définition de la notion d’artificialisation des sols, qu’elle a distinguée de la consommation d’ENAF.
La consommation d’ENAF est ainsi définie comme la création ou l’extension effective d’espaces urbanisés sur le territoire concernésols9 : il s’agit donc d’une notion surfacique qui concerne le changement d’usage des terres.
La définition de l'artificialisation des sols est quant à elle plus qualitative, centrée sur les diverses fonctions écologiques des sols.
L’artificialisation est définie comme l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage.
L’introduction de la notion de fonctions écologiques pouvant être dégradées en tout ou en partie aurait pu conduire à l’idée que l’artificialisation ne serait pas une notion binaire (un sol soit artificialisé soit non artificialisé), mais graduelle – un sol plus ou moins artificialisé, dont certaines fonctions écologiques sont altérées tandis que d’autres demeurent.
Cette possibilité a cependant été refermée par la loi Climat et résilience, qui a précisé les types de sols considérés comme artificialisés ou non, en fonction de caractéristiques liées à leur occupation ou leur usage.
Au sein des documents de planification et d'urbanisme, lorsque la loi ou le règlement prévoit des objectifs de réduction de l'artificialisation des sols ou de son rythme, ces objectifs sont fixés et évalués en considérant comme :
a) Artificialisée une surface dont les sols sont soit imperméabilisés en raison du bâti ou d'un revêtement, soit stabilisés et compactés, soit constitués de matériaux composites ;
b) Non artificialisée une surface soit naturelle, nue ou couverte d'eau, soit végétalisée, constituant un habitat naturel ou utilisée à usage de cultures.
Enfin la loi prévoit que les conditions d’application de ces définitions sont fixées par un décret en Conseil d’État, lequel établit notamment une nomenclature des sols artificialisés et précise l’échelle à laquelle l’artificialisation des sols doit être appréciée dans les documents de planification et d’urbanisme.sols10
2.2.1 Comment mesure-t-on l'artificialisation des sols en France ?
En France, la loi Climat et résilience a introduit deux objectifs distincts :
- réduire la consommation d’ENAF de 50% sur la période 2021-2031, par rapport à la décennie précédente
- Atteindre le Zéro artificialisation nette (Objectif ZAN) en 2031, évalué sur la base de la nomenclature de l’artificialisation des sols introduite par la loi Climat et résilience.
Pour la période 2021-2031, le suivi de l’artificialisation des sols est donc toujours réalisé via la mesure de la consommation d’ENAF.
Comme évoqué précédemment, la mesure de la consommation d’ENAF a historiquement été réalisée en France par les services du ministère de l’agriculture via l’enquête Teruti, devenue Teruti-Lucas en 2005 après une adaptation à l’enquête européenne Lucas.sols11 Cette méthode est basée sur l’observation d’un échantillon de points sur le territoire, ensuite extrapolée statistiquement. Ces données sont surtout utilisées aujourd'hui pour avoir une vision d’ensemble de l’occupation et de l’usage des sols en France
La méthode qui fait aujourd'hui référence pour la mise en œuvre des objectifs de réduction de réduction de l’artificialisation des sols est celle dite des fichiers fonciers. Elle est utilisée pour évaluer les flux annuels de la consommation d’ENAF. Les données sont produites par le Ceremasols12 à partir de l’analyse des changements d’usages des terres dans les données de taxe foncière. Le suivi de la consommation d’ENAF est disponible via le portail de l’artificialisation des sols.
Des collectivités territoriales ont également développé des méthodes de suivi de leur consommation foncière au niveau local (ex : les MOS, pour modes d’occupation du solsols13).
2.2.2 La mesure de l'artificialisation des sols au niveau européen
Au niveau européen, un programme intitulé CORINE Land Cover (CLC) est piloté depuis 1985 par l’Agence européenne pour l’environnement. Il s’agit d’un recensement des changements d’occupation des sols réalisé sur la base d’images satellite, avec une résolution très large (carré de 25 ha). Ce programme est essentiellement utilisé pour faire des comparaisons entre les pays européens.
Ces différentes méthodes de suivi renvoient donc à des phénomènes parfois différents (changements d’usage ou d’occupation des sols) et affichent des résultats largement variables en ce qui concerne la mesure de la consommation d’ENAF.
Synthèse des principales source de données d’évaluation de l'artificialisation des terres en France
2.3 État des lieux de l’artificialisation en France : chiffres clés et tendances
Les données du Ministère de l’agriculture permettent d’avoir une vision d’ensemble de l’usage des sols en France. Les données du Cerema permettent quant à elles de suivre le flux annuel de consommation d’ENAF.
2.3.1 Évolution de l’usage des sols en France au cours des dernières décennies
Les surfaces artificialisées (au sens de la consommation d’ENAF) ont progressé près de quatre fois plus vite que la population entre 1982 et 2018 en France métropolitaine. Ainsi, quand la population n’augmentait que de 19% entre ces deux dates, les surfaces artificialisées bondissaient de 72%, passant de 2,9 Mha à 5,0 Mhasols15. Les dernières données de l’enquête Teruti parues en octobre 2024 font état de 5,215 Mha artificialisés en France métropolitaine en 2022sols16, soit 9,5% du territoire (environ 550 Mha). Dans les départements insulaires d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique, la Réunion, Mayotte), les taux d’artificialisation varient entre 10,8% et 16%.sols17
On entend parfois que cela représente seulement 9 ou 10%, comme pour minimiser le problème. Il faut toutefois prendre la mesure de la vitesse du phénomène : en seulement 40 ans (de 1982 à 2022), la France métropolitaine a urbanisé 2,315 Mha (23 150 km²), soit près de deux fois la superficie de l’Ile-de-France (12 012 km²). Alors que la formation des sols prend des centaines voire des milliers d’années, il est évident que cette dynamique n’est en rien soutenable.
2.3.2 Évolution récente de la consommation d’ENAF en France
Selon les données produites par le Cerema via les fichiers fonciers, la consommation d’ENAF annuelle a suivi une tendance à la baisse de 2011 (31 kha) à 2015 (21 kha), avant de se stabiliser. Elle n’est passée qu’une seule fois sous la barre des 20 kha, en 2019 ( à 19,5 kha).
Consommation d’ENAF en France métropolitaine (en hectares) 2011-2023
Alors que la loi Climat et résilience fixait, dans le cadre de l’objectif Zéro artificialisation nette (ZAN), un objectif de division par deux du rythme d’artificialisation entre 2021 et 2031, par rapport à la période 2011-2021, on constate qu’aucun ralentissement n’est pour l’instant enclenché.
2.3.3 Évolution de la situation française par rapport au reste de l’Europe
Sur la période 2000-2018, la France est le 3e pays du continent européen ayant urbanisé le plus d’espaces (2 153 km²), derrière la Turquie (2 864 km²) et l’Espagne (2 474 km²), devant l'Allemagne (1 380 km²), la Pologne (1 133 km²) et le Royaume-Uni (1 050 km²).
Consommation d’ENAF en Europe (en km2) 2000-2018
Si l’on considère la surface artificialisée par habitant, la France se situe au-dessus de pays comparables tels que l’Allemagne, ou l’Italie. Ces pays présentent en revanche une part de surfaces artificialisées plus élevée que la France, en pourcentage du territoire national. Pour ces deux indicateurs (artificialisation par habitant et part du territoire artificialisé), la France se situe au-dessus de la moyenne européenne.
La France se situe au-dessus de la moyenne européenne en termes d’artificialisation des sols par habitant
2.4 Les principaux moteurs de l’artificialisation des sols en France
Le premier moteur – historique – de l’artificialisation des sols prend sa source dans la révolution industrielle et le recours croissant aux énergies fossiles, qui ont transformé les sociétés rurales en sociétés majoritairement urbaines.
Quelques définitions d’urbanisme
Périurbanisation : La périurbanisation correspond à l’extension des surfaces artificialisées en périphéries des agglomérations urbaines. L’équivalent anglais est suburbanization. La périurbanisation est un processus dont l'espace périurbain est la conséquence spatiale.
Étalement urbain : L'étalement urbain est l'augmentation de la superficie d'une ville, et simultanément la diminution de sa densité de population. Il est l'une des manifestations spatiales du processus de périurbanisation.
Métropolisation : La métropolisation désigne le processus de concentration de populations, d'activités, de valeur dans des villes de grande taille. Il peut se faire au détriment de villes de niveau hiérarchique inférieur et on assiste bien souvent au renforcement des niveaux supérieurs de la hiérarchie urbaine.
Les facteurs de la métropolisation sont divers : économies d'échelle et d'agglomération, avantages comparatifs, besoins d'accessibilité aux réseaux (aux échelles nationales et mondiales), etc. Le phénomène de métropolisation ne se réduit pas à sa dimension démographique. Il doit son ampleur et son originalité à la concentration spatiale des fonctions stratégiques du nouveau système productif : appareils de commandement et de contrôle ; foyers de l'innovation ; accessibilités aux réseaux de communication virtuels ou physiques ; attractivité et poids culturels.
En France, plus de 75% de la population de métropole était rurale en 1850.sols18 En 1982, la proportion est inversée : plus de 73% de la population métropolitaine est urbaine.sols19 En 2020, l’Insee indique que 93% des Français vivent dans l’aire d’attraction d’une ville.sols20
Évolution de la population française rurale et urbaine (en % de la population totale) 1850-1968
Le passage d’une économie largement rurale à une économie tirée par l’industrie puis les services a donc contribué à l’extension des espaces urbains afin d’y accueillir les nouvelles populations des villes.
Après la seconde Guerre mondiale, un mouvement de périurbanisation s’est enclenché, principalement tiré par les possibilités de mobilité offertes par la massification de l’accès aux voitures individuelles, permettant de désimbriquer lieu de travail et lieu de vie. Ainsi, alors que la France comptait seulement 1,5 million de voitures individuelles en 1939sols21, le parc de voitures individuelles en service a atteint 2,5 millions de véhicules en 1953, 15,5 millions en 1975, 31 millions en 2009sols22 et près de 39 millions en 2023.sols23
L’étalement urbain rendu possible par la généralisation de la voiture individuelle est par ailleurs encouragé par les différentiels de prix du foncier entre les centres et les périphéries des villes et plus largement entre le foncier bâti et le foncier non bâti. Ce phénomène alimente fortement les dynamiques d’artificialisation des sols.sols24 C’est ce qu’a souligné le Conseil des prélèvements obligatoires dans un rapport sur La fiscalité locale dans la perspective du ZAN (2022) :
Le véritable facteur de décision d’un ménage, d’un aménageur ou d’une entreprise pour décider de lancer un projet de construction sur une zone non artificialisée tient à la différence de prix entre le foncier vierge et le foncier déjà artificialisé devant être réhabilité.
Enfin, à une échelle plus générale, d’autres facteurs alimentent les dynamiques d’artificialisation des sols. Sans être exhaustif, on peut citer :
- la tendance à la métropolisation du territoire : en concentrant la croissance des activités, les métropoles ont en partie polarisé les développements urbains et périurbains autour d’elles au cours des dernières annéessols25 ;
- la décohabitation croissante des ménagessols26, qui augmente les besoins de logement ;
- l’essor du tourisme (résidences secondaires, bi-résidentialité, meublés touristiques réduisant l’offre de logement dans les centre-ville) ;
- ou encore le développement des infrastructures : de transport, numériques (data centers notamment) et logistiques (notamment les grands entrepôts qui se développent partout sur le territoire à mesure de la croissance du commerce en ligne).sols27
Pour en savoir plus
Les impacts de l’artificialisation des sols
3.1 L’artificialisation des sols est néfaste pour la biodiversité et pour le climat
3.1.1 L’urbanisation d’un espace naturel ou agricole contribue directement à la perte de biodiversité
Au niveau local, l’artificialisation des sols se manifeste par la destruction d’habitats naturels. Les sols peuvent être compactés, recouverts voire imperméabilisés. Cela conduit à l'altération de tout ou partie des fonctions écologiques, comme la fourniture d’habitat, l’infiltration de l’eau, la filtration des polluants ou le stockage du carbone.
À une échelle plus large, elle contribue à la rupture des continuités écologiquessols28, à la fragmentation des écosystèmes et à la banalisation des milieux et des paysages.sols29 Ces évolutions impactent particulièrement les espèces spécialistes, celles qui ont besoin d’un type habitat précis (zone humide, forêt, prairie, etc.) pour vivre, à la différence des espèces dites généralistes que l’on peut retrouver dans divers types de milieux plus ou moins anthropisés – et induisent donc une réduction de la biodiversité.sols30
La fragmentation des habitats naturels est largement liée au développement des infrastructures de transport qui découle de l’extension urbaine et du mitage.sols31 Les routes et voies ferrées accroissent de plus les pressions sur les écosystèmes qu’elles traversent : pollutions sonores et atmosphériques, pollution des sols, etc.sols30
3.1.2 Sur le plan climatique, l’artificialisation des sols réduit le stockage du carbone
Les sols constituent un puits de carbone crucial : le stock de carbone contenu dans les 30 premiers centimètres de sols est trois fois plus élevé que celui contenu dans le bois de forêts.sols32 L’artificialisation provoque un déstockage rapide du carbone des sols, du fait des travaux d’aménagement réalisés (terrassement, imperméabilisation, etc.)
Reconstituer le stock de carbone d’un sol nécessite plusieurs dizaines d’années : au rythme de 2 à 3 tCO2/ha.an, le stockage de carbone dans le sol est deux fois plus lent que le processus de déstockage qui se déroule au cours des vingt années suivant le changement d’affectation d’un sol.sols32
Dans un contexte de déclin sans précédent des puits de carbone terrestressols33, et notamment des écosystèmes forestiers en Francesols34, le rôle crucial des sols dans le système climatique et l’importance de leur protection doivent être davantage mis en avant dans le débat public.
Atteindre le Zéro artificialisation nette en 2050 – en prenant en compte la différence de rythme entre déstockage et reconstitution du stock de carbone dans les sols – est donc un objectif crucial afin d’atteindre la neutralité carbone au mitan du 21e siècle.
Par ailleurs, l’extension urbaine et le mitage du territoire accroissent la distance des déplacements contraints (ex : domicile-travail) et donc les émissions de CO2 provoqués par les transports.
3.2 Cycle de l’eau : ruissellement, inondations, sécheresses, érosion, pollutions
L'artificialisation des sols modifie leur structure et leur composition sur plusieurs mètres voire dizaines de mètres de profondeur : compactage, utilisation de remblais, etc. Elle réduit également la quantité de matière organique et donc la texture du sol. Elle impacte donc évidemment les cycles de l’eau, de manière variable en fonction des conditions.
Les définitions du cycle de l’eau
Le grand cycle de l’eau : c’est le cycle naturel de circulation de l’eau sur la Terre. Il est marqué par une succession d’étapes : évaporation, condensation, précipitation, infiltration, passage dans les réservoirs naturels (atmosphère, rivières, lacs, nappes souterraines, glaciers), retour à la mer.
Le petit cycle de l’eau : Le petit cycle de l’eau, désigne le parcours que l’eau emprunte du point de captage dans la rivière ou la nappe d’eau souterraine jusqu’à son rejet dans le milieu naturel. Il comprend le circuit de l’eau potable et celui du traitement des eaux usées. (OFB)
Bassin versant : Correspond à l’ensemble de la surface recevant les eaux qui circulent naturellement vers un même cours d’eau ou vers une même nappe d’eau souterraine. Un bassin versant se délimite par des lignes de partage des eaux entre les différents bassins. Ces lignes sont des frontières naturelles dessinées par le relief : elles correspondent aux lignes de crête. (OFB)
Ruissellement : consiste en un écoulement latéral de l’eau qui n’est pas en mesure de s’infiltrer verticalement dans le sol. Diverses causes peuvent contribuer au ruissellement : sols rendus moins perméables voire imperméables, saturation du sol déjà gorgé d’eau, excès de précipitations par rapport à la capacité d’infiltration du sol, etc.
Evapotranspiration : L'évapotranspiration désigne le processus par lequel l’eau liquide terrestre est renvoyée dans l’atmosphère environnant sous forme gazeuse. Cette eau provient de la sublimation de la neige, de l’évaporation de l’eau libre ou contenue dans le sol, et d’autre part de la transpiration des plantes. (ONF)
L’artificialisation d’une parcelle a pour conséquence une forte hausse du ruissellement ainsi qu’une forte baisse de l’évapotranspiration. Toutes les formes d’artificialisation n’ont pas le même impact en matière de ruissellement des eaux pluviales. Par exemple, il a été mesuré qu’un sol couvert de pavés traditionnels permet une infiltration d’eau de 50 mm/h, tandis que les enrobés bitumineux classiques des voiries présentent des capacités d’infiltration variant entre 0,05 mm/h et 5 mm/h.sols30
Comparaison des capacités d’infiltration de différents types de sols (pour évaluer différents solutions alternatives de gestion des eaux pluviales d’une parcelle)
Lecture : dans un sol composé de graviers, l’infiltration de l’eau est excellente. Selon la taille des graviers, la vitesse d’infiltration peut varier entre 3 600 mm/h et 360 000 mm/h.
Dans la revue de littérature scientifique publiée en 2017 par l’Inra et l’Ifsttarsols30, les chercheurs soulignent par ailleurs que le comportement hydrologique des espaces verts (zones non-imperméabilisées et végétalisées) dans les milieux artificialisés est généralement très différent de celui de l’espace initial. Ils soulignent que les dynamiques d’infiltration et d’écoulement sous la surface du sol s’avèrent plus conditionnées par les effets de l’artificialisation plutôt que par les caractéristiques initiales du sol.
Ces éléments permettent d’éclairer certains débats français quant à l'interprétation de la définition de l’artificialisation des sols et la nomenclature des sols artificialisés qui en résulte. Etant donné que la définition de l’artificialisation des sols est basée sur l’altération de ses fonctions écologiques, alors il serait logique de considérer comme artificialisés des espaces, qui bien que superficiellement végétalisés présentent des fonctions hydriques fortement réduites.
À une échelle plus large que la parcelle, c’est-à-dire à celle du bassin versant, l’artificialisation des sols modifie le parcours de l’eau. Non seulement les aménagements urbains accroissent le ruissellement des eaux pluviales, mais en outre ils impliquent souvent de modifier le profil des cours d’eau, de drainer des zones humides… autant d’éléments qui contribuent à accélérer le parcours de l’eau, et donc la vitesse et la force des crues lorsqu'elles surviennent.
La combinaison de milieux artificialisés et de grandes surfaces imperméables peut donner lieu à des crues éclairs en cas de fortes pluies dans un bassin versant, dévastatrices pour les infrastructures, les activités et les habitants.
L’exemple de la crue survenue à Valence (Espagne) les 29 et 30 octobre 2024 illustre le caractère dramatique de ces crues éclairs.sols35
L’extension des espaces urbains a en outre souvent amené à construire dans des zones inondables. Ainsi, dans la région de Valence (Espagne), près d’un tiers des habitations affectées par l’inondation de 2024 avaient été construites en zone inondable depuis les années 2000.sols36
En accroissant le ruissellement aux dépens de l’infiltration, l’artificialisation des sols réduit la recharge des nappes souterraines et renforce le phénomène d’érosion (par l’accélération des mouvements d’eau), lequel peut nuire aux activités humaines (pertes de sols agricoles, dommages aux infrastructures, limitation de l'accès aux zones à risque d'éboulement, etc.) comme à la biodiversité (érosion des berges de cours d’eau, enfoncement du lit, etc.).
Enfin, l’accroissement du ruissellement réduit l’épuration naturelle de l’eau par les écosystèmes dans lesquels elle circule normalement. L’eau qui ruisselle emporte ainsi avec elle davantage de polluants, qui contaminent les milieux situés en aval.
3.3 Réduire l’artificialisation pour défendre la souveraineté alimentaire
L’extension des espaces urbains se fait le plus souvent (à plus de deux tierssols37) au dépens des terres agricoles. Dans la vingtaine de milliers d’hectares d’ENAF consommés chaque année en France métropolitaine, figurent donc environ 13-14 kha de terres agricoles. Ainsi, la France métropolitaine a urbanisé en seulement 40 ans (de 1982 à 2022) l’équivalent de 8,4% de l’ensemble de ce qui lui reste de terres agricoles (27,7 Mha) aujourd’hui.
Dans le même temps, la population française poursuit son augmentation et l’aggravation du changement climatique menace les activités et les rendements agricoles (fortes chaleurs, stress hydrique, phénomènes météorologiques extrêmes, etc.)sols38
Certains territoires français seront amenés à changer en profondeur leurs types de cultures et modes de production au cours des prochaines décennies : il est donc essentiel de préserver au maximum les sols partout sur le territoire afin de laisser autant de marges de manœuvre possible dans le redéploiement géographique des productions agricoles.sols39
3.4 Étalement urbain et inégalités sociales
Le modèle d’aménagement des dernières décennies, basé sur l’étalement et la périurbanisation, emporte également des conséquences néfastes du point de vue social.
3.4.1 Dépendance à la voiture individuelle
Comme évoqué précédemment, l’omniprésence de la voiture individuelle est à la fois le fait générateur et la condition de perpétuation de l’étalement urbain.
La possession d'une voiture rend la banlieue possible et la banlieue rend la possession d'une voiture nécessaire.
Une première conséquence sociale de ce modèle d’aménagement est donc la dépendance à la voiture individuelle, qui si elle touche de très larges pans de la société française (75% des Français se disent dépendants de la voiture pour se rendre au travail) pèse surtout sur les ménages les plus démunis dans un contexte de hausse tendancielle des prix du carburant.
Dans une étude de l’Insee de 2021sols41, les auteurs montraient notamment que la part du revenu disponible consacré aux transports montait jusqu’à 21% pour les ménages du premier décilesols32 (les plus modestes), et s’établissait à près de 15% pour les ménages jusqu’au 7e décile (11,5% pour les 10% de ménages les plus aisés). Depuis cette date, les dépenses liées aux transports continuent de préoccuper fortement les Français : d’après un sondage réalisé par l’IFOP en 2023, la question de la réduction du prix du carburant demeure de très loin l’enjeu perçu comme prioritaire par les Français en matière de transports (60%).sols43
3.4.2 Réduction de la mixité sociale des villes
Au début du mouvement de périurbanisation, l’accès croissant aux voitures individuelles a largement contribué à réduire la mixité sociale des villes, en permettant à ceux qui en avaient les moyens de choisir un lieu d’habitat distinct de leur lieu de travailsols44, dans une forme de compétition pour l’occupation de l’espace.sols45 La possibilité de déplacements pendulairessols46 plus longs a ainsi accru la ségrégation sociospatiale.
3.4.3 Le modèle pavillonnaire au coeur du mal-logement et de l’étalement urbain
Les maisons construites dans le périurbain peuvent par ailleurs être de qualité inégale. D'après la note de la Fabrique écologique Réparer la ville : pour une régénération des lotissements (2019) les enjeux de précarité énergétique dans le périurbain sont notamment liés à l’utilisation de matériaux de construction de piètre qualité. Ces préoccupations recoupent l’analyse que fait l’urbaniste Sylvain Grisot du modèle pavillonnaire si consommateur de foncier. Il souligne que ce mode de production standardisé de logements a nécessairement pour corollaire l’étalement urbain – qu’il en est une cause et pas simplement une coïncidence – puisque les seuls sites capables d’accueillir une production répétitive difficilement adaptable à des contextes urbains complexes [sont] les terres agricoles en bordure de villes.sols47
Dans ce modèle pavillonnaire, les contraintes de mobilité et donc d’accès aux services et commerces, ajoutées aux problématiques liées à la qualité du bâti, induisent des dépenses importantes et peuvent compliquer la revente des biens moins prisés sur le marché, le plus souvent détenus par des ménages modestes.sols48
3.4.4 Moindre accès aux services collectifs
Enfin, l’extension des réseaux (électricité, eau, assainissement) et leur entretien représentent une charge supplémentaire pour les collectivités territoriales. L’étalement urbain et le développement de zones résidentielles de faible densité complique également la mise en place de services de transports collectifs (de même que l’accès aux services et commerces), alors même qu’il rend les habitants dépendants de la voiture individuelle.
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Loin d’être seulement le plancher de nos vies, les sols sont des écosystèmes à part entière, un milieu en trois dimensions, aussi complexes que fascinants et fragiles. Les fonctions écologiques que remplissent les sols sont essentielles pour l’ensemble de l’écosystème terrestre, et donc pour la vie des sociétés humaines : sans fonctionnement écologique des sols, pas de fonctionnement économique de la société.
C’est la raison pour laquelle l’artificialisation des sols est un enjeu écologique vital – nos vies dépendent des sols – et central – aucune de nos activités ne peut s’abstraire des sols. Pourtant, l’artificialisation des sols a fortement progressé au cours des dernières décennies, contribuant non seulement à l’effondrement de la biodiversité, mais également à la réduction des puits de carbone et à l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre, à la perturbation des cycles de l’eau et à l’érosion de notre souveraineté alimentaire. Enfin, les dynamiques territoriales (périurbanisation, métropolisation) qui déterminent l’artificialisation des sols contribuent également à l’accroissement des inégalités socio-spatiales.
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Des outils et propositions pour préserver les sols