La vie économique s’inscrit dans la nature et les sociétés humaines
La catastrophe écologique en cours, et ses impacts sur les humains, doivent être au centre de la réflexion économique.
Le système économique peut être défini comme la composante des sociétés humaines comprenant la production, la distribution, l’échange (marchand ou non) de biens et de services, leur consommation ainsi que les institutions et les acteurs qui organisent et participent à ces activités.
Il repose sur l’extraction et la transformation de ressources naturelles, sur le capital productif noteid1 accumulé au cours des générations, sur la disponibilité d’une main d’œuvre qualifiée et en bonne santé, ainsi que sur l’existence d’institutions juridiques, sociales (santé, éducation) et financières (monnaie, finance, fiscalité) pour poser des règles du jeu commune. Il dépend des capacités de régénération du vivant et de la stabilité des grands équilibres planétaires comme le climat.
La vie économique s’inscrit ainsi dans des milieux naturels et des sociétés humaines, des traditions culturelles, des cadres juridiques, des rapports de force, et des institutions, fruits d’évolutions historiques.
La pensée économique ne peut s’affranchir de ces réalités sans être hors sol. C’est le cas des courants de pensée qui réduisent l’analyse d’un système si complexe à l’addition des comportements d’individus cherchant à maximiser leur intérêt personnel. C’est le cas également de toutes les analyses économiques qui font l’impasse sur le socle matériel et vivant sur lequel repose l’économie.
La limitation des inégalités sociales est une exigence éthique et environnementale
Les questions de justice sociale et d’équité doivent être intégrées à la réflexion et à la conduite des politiques économiques.
Pour nombre d’économistes, l’économie ne serait qu’une affaire d’efficacité (ou de création de richesse) : utiliser au mieux les ressources disponibles réduites au tandem capital / travail pour faire croître la production. La question de la répartition est ainsi souvent écartée, au prétexte que, relevant de la justice sociale et de l’équité, elle ne serait pas d’ordre économique mais purement politique. C’est oublier que l’économie est intrinsèquement politique. C’est aussi être aveugle aux impacts des inégalités sur l’économie et sur la possibilité de la transition écologique.
D’une part, la limitation des inégalités monétaires et sociales a des impacts sur la demande globale et sur les conditions d’exercice de l’activité économique, en favorisant un climat social apaisé. Une meilleure répartition des revenus limite, de plus, le recours à l’endettement et le risque de crise financière. D’autre part, la justice sociale est une condition essentielle pour accompagner la bifurcation écologique. Enfin, la cohésion sociale et le sentiment de sécurité sont favorables à l’innovation et la prise en compte du long terme.
Le discours économique actuel est inadapté aux défis du XXIe siècle
Truffé d’idées reçues, le discours économique, structure profondément l’organisation des sociétés humaines.
Le discours économique, c’est l’image simplifiée des théories économiques les plus répandues à une époque donnée. Il est façonné par les économistes quand ils vulgarisent leurs travaux (donc sans préciser les hypothèses et les simplifications sous-jacentes à leurs théories), mais aussi et surtout par les acteur qui en bénéficient de fait (décideurs politiques, chefs d’entreprises, organisations professionnelles, faiseurs d'opinions etc.) qui piochent dans ces travaux les arguments servant leurs intérêts, qui se trouvent alors parés d’une assise scientifique.
Il se caractérise par des arguments tout faits et des énoncés généraux facilement repris par les acteurs sociaux en raison de leur forte puissance d'évocation. Ces énoncés prennent alors la forme d’arguments d’autorité n’ayant plus besoin d’être démontrés.
Ces affirmations ont sous-tendu et sous-tendent encore bien des décisions de politique économique sans que leur validité et l’efficacité des politiques qui en découlent ne soient prouvées ou questionnées.
Depuis plusieurs décennies, le discours économique est bloqué sur des dogmes qui, non seulement ne s’accompagnent pas d’une amélioration des conditions de vie humaine, mais en plus nous mettent en danger et nous figent dans un fonctionnement inadapté au regard des limites planétaires. C’est pourquoi, il est si important de le changer.
La réflexion économique nécessite pédagogie, hauteur de vue et interdisciplinarité
Réfléchir à l’économie suppose de ne pas se perdre dans des batailles d’experts et un formalisme mathématique opaque qui confisquent le débat sur les politiques économiques.
Prendre de la hauteur de vue est nécessaire pour distinguer les facteurs essentiels et ne pas se perdre dans des débats techniques. Les systèmes économiques sont, en effet, bien trop complexes pour être appréhendés correctement et utilement dans tous les détails.
La pédagogie doit également être une dimension structurante de toute discussion sur l’économie. Le formalisme mathématique abondamment mobilisé par une grande partie des économistes porte le risque de confisquer le débat sur les sujets économiques en le limitant à ceux qui savent lire les équations. Or, derrière ces équations se trouvent des hypothèses qui traduisent des valeurs, une vision du monde qui n’a rien de neutre, et qui doivent être exposées et discutées.
Enfin, la réflexion économique doit se nourrir d’autres disciplines (sciences de la vie et de la terre et sciences humaines), sous peine d'absurdités qui, appliquées aux politiques publiques, sont dangereuses.
Ces trois principes méthodologiques sont nécessaires pour éclairer correctement les décisions publiques et privées et permettre aux citoyens de s’approprier les enjeux et de participer aux débats sur les grandes orientations économiques.
Intégrer la nature et l’humain à nos outils comptables pour compter ce qui compte vraiment
Les outils comptables actuels ne sont pas de bons indicateurs du bien-être social et de la compatibilité du système économique avec les limites planétaires.
Les instruments de mesure et d’évaluation (la comptabilité nationale et son indicateur phare le PIB, l’analyse coûts bénéfices, les outils comptables privés, financiers ou extra financiers, etc.) structurent la représentation des acteurs économiques. En l’état actuel, ils nous font largement ignorer les impacts réciproques entre l’activité économique, le social et l’environnement. En cela, ils nous rendent aveugles et nous conduisent au désastre.
S’il n’est pas possible de se passer d’outils de gestion, ils doivent intégrer la nature et les dimensions sociales dans leur construction. La science économique et la société doivent cesser de se focaliser sur l'analyse du PIB et de sa croissance. Les pouvoirs publics doivent cesser de conduire les finances publics avec comme seule boussole des ratios étroitement comptables de dette et de déficit publics. La détermination comptable de la profitabilité des entreprises ne doit plus faire abstraction de leurs impacts sur la nature et sur les humains.
Nous devons orienter nos efforts vers la définition et l'usage intelligent de nouvelles métriques descriptives et opérationnelles. C’est bien l’ensemble de nos instruments de pilotage privés et publics qu’il s’agit de revoir en profondeur.
Mettre la monnaie et la finance au service du bien commun
La monnaie et la finance sont des conventions humaines. Elles ne sont pas neutres et leur rôle est crucial dans les interactions entre monde physique et sphère économique.
L’économie dépend au premier ordre des ressources naturelles et de notre capacité technique à les utiliser. Sans la mobilisation des énergies fossiles et des engrais nous n’aurions pas connu la croissance mondiale exponentielle des deux derniers siècles.
À l’inverse, l’argent ne se consomme pas et ne peut pas manquer collectivement car la monnaie est créée ex nihilo par les banques. Cependant, ce n’est pas un simple voile sur l’économie réelle. Monnaie et finance peuvent engendrer des crises ou, au contraire, favoriser le développement, à l’intérieur des frontières physiques. Elles sont aussi sources potentielles d’inégalités sociales. Elles ne sont donc pas neutres.
Leur rôle est donc crucial dans leurs interactions avec la sphère productive ainsi que dans les déterminants humains du nouveau contrat social et écologique dont nous avons un besoin vital.
Mobiliser tous les modes de coordination des activités économiques : action publique, marchés, gestion collective des communs
Ces différents modes de coordination doivent être mobilisés de façon complémentaire. Il est dangereux de laisser notre avenir dans les mains du seul marché ou symétriquement de la seule action publique.
Marchés, action de l’État, gestion collective de biens communs… chacun de ces modes de coordination économique a des forces et des faiblesses. Leur place respective ne relève pas de supposées lois économiques immuables mais de décisions politiques, de choix de société.
Le rôle de l’État est crucial pour élaborer et faire respecter des règles du jeu collectives, garantir la paix sociale et fournir les services publics, nécessaires à la vie commune. Le recours aux entreprises et au système financier a largement démontré sa capacité à mener des projets de grande ampleur en mobilisant les capitaux financiers. Si le profit est en cause dans la destruction de la Nature c’est qu’il n’est pas asservi au bien-être social et au respect des limites planétaires. Il s’agit désormais de mettre en œuvre des réformes conséquentes pour que cette puissance soit au service de l’accélération de la transition.
En parallèle, l’accent doit être mis sur le développement de l’économie sociale et solidaire (ESS) tout comme sur les expériences de gestion des communs et de nouveaux modes de vie pour incarner des solutions de vie économique et sociale compatibles avec la démographie humaine et les ressources limitées de la planète.
Encadrer la mondialisation pour tenir compte des limites planétaires et des planchers sociaux
Le développement des échanges ne peut pas être le seul horizon de la mondialisation.
La mondialisation est un processus économique, politique, social et culturel caractérisé par une augmentation des échanges internationaux de biens, de services, de capitaux, d'informations et de personnes. Si elle a permis certains progrès sociaux, son bilan total ne s’est pas avéré favorable sur les plans écologique et social.
Par ailleurs, la réflexion économique ne peut faire abstraction des enjeux de puissance, d’autonomie stratégique et de préservation des diversités et richesses culturelles. Enfin, elle ne peut plus prendre comme critère unique le point de vue du consommateur, comme le fait le discours économique, mais doit intégrer le point de vue du travailleur. Des instruments de régulation des échanges internationaux sont indispensables, contrairement à l’affirmation dogmatique de la supériorité du libre-échange (des biens, des services et des capitaux).
Mettre la technologie au service du vivant
Si la technologie est indispensable à la transition écologique, elle doit être utilisée avec discernement et au service des êtres humains et de l’intérêt général.
Les économistes et les pouvoirs publics voient dans le progrès technique un des principaux moteurs de la croissance et promeuvent les politiques publiques qui soutiennent l’innovation. Paradoxalement, le progrès, assimilé à la technologie, est souvent vu comme la solution aux désastres écologiques, alors que ce sont les développements techniques qui ont démultiplié la puissance destructrice de l’espèce humaine et notre production de déchets et pollutions. De la même manière la technologie a libéré une partie de l’humanité de tâches pénibles mais a également -parfois de manière impitoyable- détruit des emplois et des vies.
Certes, nous aurons besoin de technologies pour réduire nos consommations, nettoyer la planète et produire des équipements, infrastructures et bâtiments sobres en ressources, bas-carbone et adaptés au changement climatique en cours. Cependant, l’appel à la seule technologie ne résiste pas à l’analyse : les entreprises technologiques, au premier chef dans le domaine du numérique, ne sont pas guidées par l’intérêt général mais par leur intérêt propre et celui de leurs actionnaires et clients. Bien plus que de technologie, c’est surtout de discernement dans son usage dont nous avons besoin aujourd’hui.