Introduction
Ce module présente notre façon d’envisager l’économie ainsi que les valeurs et grand principes sous jacents à l’ensemble des contenus de la plateforme. Comme nous l’expliquons dans la première partie, on ne peut parler d’économie en étant neutre. Tout discours sur l’économie s’accompagne d’une part de subjectivité et bien souvent de recommandations normatives sur la façon dont la société pourrait mieux fonctionner. Or, la définition de ce qui est « mieux » relève nécessairement d’un système de valeurs, d’une idéologie. C’est pourquoi, il nous a semblé essentiel et cohérent d’être transparent sur notre « idéologie » et donc de préciser la méthodologie avec laquelle nous abordons la discipline économique (partie 2) ainsi que les grands objectifs de transformation de la société (partie 3) qui sous-tendent les contenus de la plateforme.
Economie et idéologie
L’économiste ne peut être neutre par rapport à son sujet d’étude
Etant partie prenante de la société qu’il tente de comprendre, l’économiste ne peut être neutre par rapport à son sujet d’étude, à savoir le « système économique » . Il est né dans un pays riche d’une culture, d’une histoire, d’institutions. Il est issu d’un milieu social et d’une éducation, inséré dans de multiples réseaux relationnels. Il a appris des modes de raisonnement, des doctrines qui ont façonné sa pensée. Il s’est construit un ensemble de valeurs, une opinion de ce que constituerait une « bonne » société. Ce système de croyances et de pensées joue nécessairement un rôle dans l’orientation de ses recherches, la formulation de ses théories et des modèles qui en découlent.
Comprendre ce soubassement idéologique est fondamental car l’économie est une discipline à visée normative. Elle a vocation à améliorer la façon dont fonctionne la société, la caractérisation de ce qui est « meilleur » relevant nécessairement d’un système de valeurs. Certains économistes l’expriment clairement comme Léon Walras, un des fondateurs de l’école néoclassique dont les postulats sont aujourd’hui très répandus au sein de la discipline :
M. Pareto croit que le but de la science est de se rapprocher de plus en plus de la réalité par des approximations successives. Et moi je crois que le but final de la science est de rapprocher la réalité d’un certain idéal ; c’est pourquoi je formule cet idéal.
D’autres revendiquent une approche principalement descriptive. Il n’en reste pas moins que la discipline en elle-même est normative : pourquoi, en effet, étudier la vie économique, si ce n’est pour tenter d’améliorer son fonctionnement, pour apporter des éléments à ceux qui élaborent et mettent en œuvre les politiques publiques économiques ?
Or, et c’est là un des points majeurs qui a donné naissance à TOE, le « discours économique » a acquis un poids déterminant sur l’organisation du monde. Ce « discours économique » se nourrit des recherches académiques, en particulier celles qui sont les plus répandues au sein de la discipline, mais il les simplifie à l'extrême au point d'en faire des arguments d'autorité, ne prenant même plus la peine de préciser les hypothèses qui sous-tendent les raisonnements. Il est véhiculé dans le débat public par les chercheurs lorsqu’ils commentent l'actualité mais aussi et surtout par les think tank, les décideurs politiques, les chefs d'entreprises, les médias.
Profondément idéologique, il est le reflet des croyances d'une époque sur la façon dont doit fonctionner le système économique. Il a une influence déterminante sur les politiques publiques et la structuration de la vie collective.
Petit précis méthodologique à l’intention de l’économiste amateur
Les outils de l’économiste ont tous une dimension subjective
Qu’il se base sur l’observation du présent ou sur les connaissances du passé
Les données quantitatives, élaborées par les administrations publiques
Enfin, toute tentative d’élaboration d’une théorie économique repose sur l’abstraction (voir encadré) c'est-à-dire sur une simplification du réel et donc sur des choix, subjectifs, de retenir telle ou telle dimension de la réalité.
Abstraction et formalisation mathématique
Pour élaborer une théorie sur le fonctionnement de l’économie, l’économiste est obligé de simplifier la réalité, d’avoir recours à des concepts abstraits (ce qui est un trait commun à toute théorie scientifique
De l’abstraction découle la possibilité de la formalisation mathématique, qui prend le plus souvent la forme de la modélisation, c'est-à-dire la représentation simplifiée de la réalité économique ou d'une partie de celle-ci via un système d’équations. Après avoir choisi et défini un certain nombre de concepts (par ex : le consommateur, le marché, la production) et de variables (en général quantitatives), le chercheur pose des hypothèses sur leurs interactions et peut ensuite obtenir des résultats valides mathématiquement.
Il n’y a pas de « lois économiques universelles »
A la différence de la physique
De même, quand un gouvernement intervient dans l’économie (fiscalité, droit du travail, investissement...), il est très compliqué d’en mesurer précisément l’effet, pas plus qu’il n’est possible de rembobiner l’histoire et de voir ce qui se serait passé sans cette intervention.
Ainsi, la « loi de l’offre et de la demande », la « loi de Say »
L’absence de « lois économiques » ne signifie pas pour autant qu’on ne peut rien affirmer en économie (voir nos principes méthodologiques).
La formalisation mathématique n’est pas un gage de rigueur scientifique et d’objectivité
Le recours aux mathématiques et aux données quantitatives ne pose pas de problème de principe en soi. Cependant, un résultat mathématique n’est pas nécessairement un gage :
- de rigueur scientifique (autre que celle de la maîtrise des mathématiques) : il est évidemment possible d’obtenir des résultats à partir d’hypothèses non pertinentes
noteideologie8 ; - de la dimension objective, neutre, uniquement descriptive d’une analyse : les résultats du modèle dépendent en effet des choix initiaux du modélisateur, lesquels reflètent sa « vision du monde », ses préférences théoriques, sa formation intellectuelle, la façon dont il conçoit la société et les relations entre ses membres.
Cette précision est importante car de nombreux « résultats » économiques obtenus via une modélisation mathématique, supposant un corps d’hypothèses spécifiques, sont souvent généralisés sans précaution bien au-delà de leur domaine de validité (souvent très étroit). On en verra plusieurs exemples (l’efficience des marchés, la théorie des avantages comparatifs, la règle de Hotelling
Ces généralisations abusives sont préoccupantes car elles servent de justification à des politiques publiques (par exemple : l’extension du domaine du marché, le libre-échange, l’absence de mesures de précaution face au risque de pénurie de matières ou d’énergie etc.)
Enfin, la formalisation mathématique peut jouer le rôle d’un « écran de fumée » et confisquer le débat public. La précision du raisonnement mathématique et des résultats des tests statistiques contribue à faire croire à la solidité des conclusions. Le manque de validation par les faits de certains énoncés théoriques ou le manque de données solidement établies peuvent, ainsi, être dissimulés par un appareillage mathématique sophistiqué difficile d’accès pour le profane
Le recours aux mathématiques peut dès lors confisquer le débat économique et le réserver aux « sachants » et aux experts en place.
La prégnance du « discours économique » sur l’organisation sociale et politique
Mettre en évidence le soubassement idéologique et la visée normative de toute théorie économique est fondamental car ils sont au cœur du « discours économique »
Or c’est ce « discours économique » qui structure véritablement le débat public. Il est relayé par les économistes quand ils vulgarisent leurs travaux
Il se caractérise par la reprise d’arguments tous faits, de réflexes de raisonnement, par des énoncés généraux facilement repris par les acteurs sociaux du fait de leur forte puissance d'évocation. Ces énoncés prennent alors la forme d’arguments d’autorité n’ayant plus besoin d’être démontrés.
Il faut laisser faire les marchés ; flexibiliser le marché du travail ; accroître la compétitivité de nos entreprises ; limiter l’intervention publique dans l’économie au minimum. Il faut réduire les dépenses publiques, boucher le « trou » de la sécurité sociale, rembourser la dette ; interdire la création monétaire publique car elle est inflationniste.
Autant d’affirmations qui ont sous-tendu et sous-tendent encore bien des décisions de politique économique sans que leur validité et l’efficacité des politiques qui en découlent ne soient ni prouvées ni questionnées.
En matière d’écologie, cela se manifeste par des affirmations optimistes sur la capacité à trouver des solutions sans remise en cause profonde du système existant : le « signal-prix » suffit à gérer les raretés et les pollutions ; il n’y a pas d’inquiétudes à avoir face à la finitude des ressources car les progrès techniques permettront toujours de trouver des solutions de substitution.
Ce « discours économique » est le reflet des croyances d’une époque.
Depuis plusieurs décennies, il est bloqué sur des dogmes qui non seulement ne s’accompagnent pas d’une amélioration des conditions de vie humaine mais en plus nous mettent en danger et nous figent dans un fonctionnement inadapté au regard des enjeux du XXIe siècle. C’est pourquoi, il est si important de le changer.
Pandémie de COVID-19 et renversement des priorités
Nombre de morts de la COVID-19, taux de contamination, pourcentage des lits de réanimation occupés par des patients COVID+ : ces indicateurs ont dicté le rythme des confinements et déconfinements pour une grande partie de l’humanité. Nos concitoyens ont découvert avec stupeur que ce qu’ils prenaient pour acquis, la liberté de mouvement, le lien social, pouvait leur être retiré au nom de valeurs jugées supérieures.
Pourtant, notre vie était déjà guidée par d’autres indicateurs : PIB, chômage, cours de bourse, déficit et dette publics, inflation constituent autant de guides des politiques publiques depuis des décennies. La pandémie aura eu au moins l’intérêt de nous ouvrir les yeux : les objectifs économiques tels qu’ils sont formulés depuis 40 ans ne sont pas immuables. Nos sociétés peuvent se donner d’autres objectifs et se mettre résolument en mouvement pour les atteindre.
Pour en savoir plus
Nos principes méthodologiques
La vie économique s’inscrit dans la biosphère et dans la société
Le système économique comprend les activités de production, de distribution, d’échange marchand ou non de biens et de services, leur consommation, la monnaie et la finance, ainsi que tous les individus et les institutions (publiques et privées) qui organisent et participent à ces activités. Il ne s’agit pas d’une sphère autonome.
L’économie s’inscrit dans la biosphère et ne peut que respecter les lois de la physique et de la biologie. Les activités économiques ont besoin d’énergie et de matières. Une croissance fondée sur la destruction exponentielle de ressources naturelles ne peut durer indéfiniment ; elle butera un jour ou l’autre sur les limites de notre planète que ce soit celles des ressources utilisées par le système productif (énergies, terres arables, forêts, poissons, minerais, métaux etc.) ou celle des espaces disponibles pour stocker les déchets générés par la production et la consommation (rebuts solides, gazeux ou liquides, gaz à effet de serre, substances toxiques etc.).
De même, l’économie est inséparable de la société et de la politique. Les relations économiques n'existent que dans un environnement social résultant de l'Histoire, des institutions, des cadres juridiques, des conventions et des normes collectives informelles. Il est nécessaire d’accorder de l’importance aux institutions et aux normes sociales à la fois parce qu’elles affectent l’économie et parce qu’en retour celle-ci contribue à les façonner.
Enfin l’économie dépend aussi de la connaissance, de la formation et de l’implication des individus. Notre démarche consistera donc à tenter de mettre en évidence ces liens entre économie, biosphère et enjeux sociaux, humains et institutionnels.
Comprendre l’économie implique ainsi de mobiliser les savoirs d’autres disciplines : celles des sciences de la vie et de la Terre, des sciences politiques, sociologiques, historiques et juridiques. Même si notre préoccupation première est l’économie, notre approche est transdisciplinaire.
L’approche de The Other Economy est principalement macroéconomique
Du point précédent découle que le système économique est d’une très grande complexité, impliquant de très nombreuses variables interdépendantes, qui s’entremêlent et influent les unes sur les autres. Il nous semble donc souhaitable de tenter de s’en faire une vision globale abordant « de haut » l’ensemble des aspects de la vie économique. C’est pourquoi, les contenus de cette plateforme relèveront principalement de la macroéconomie et non de la microéconomie.
Macroéconomie et microéconomie
La microéconomie étudie le comportement des agents économiques (ménages et entreprises) et leur coordination par les marchés et autres institutions. Représenter le comportement de chaque agent étant impossible, les théoriciens néoclassiques
Au cœur de l’analyse microéconomique se trouve également la notion d’équilibre qui désigne une situation où les choix individuels sont compatibles les uns avec les autres : l’offre agrégée est égale à la demande agrégée, les ressources sont réparties de façon « optimale ». Dans le modèle idéal, celui de la concurrence parfaite, la détermination des prix par la libre confrontation de l’offre et de la demande sur un marché permet d’atteindre l’équilibre
Comme on le voit cette approche est fondamentalement normative : elle place les marchés au cœur de la coordination des activités économiques et cherche à atteindre une situation « optimale » dont la définition
La macroéconomie étudie l’économie dans son ensemble en partant des grands agrégats économiques (l'épargne, l'investissement, le revenu, l’emploi, le PIB etc.) pour tenter de mettre en évidence et de modéliser les relations entre eux. Elle vise à répondre à des questions du type : Pourquoi y a-t-il du chômage ? Pourquoi la croissance économique est-elle plus ou moins forte d’une année sur l’autre ? Comment évoluent les revenus et comment sont-ils répartis ?
C’est donc à première vue une approche descriptive mais, comme indiqué au chapitre Economie et idéologie, le normatif n’est jamais loin : il n’y a qu’un pas entre tenter d’expliquer quels sont les déterminants de la croissance et faire des recommandations pour qu’elle continue ou augmente (ce qui implique une croyance dans le fait que la croissance est bonne pour la société).
La macroéconomie n’est pas l’agrégation des comportements individuels
Pour certains économistes, la macroéconomie doit être micro fondée
- Des phénomènes macroéconomiques peuvent « émerger » de comportements microéconomiques indépendants de ces phénomènes, voire visant leur inverse. C’est par exemple le cas de la formation puis de l’éclatement de bulles spéculatives ; ou encore de l’accroissement d’une récession du fait de la réponse agrégée des agents économiques, qui tentent individuellement de s’en prémunir.
- Si l’on ne peut reprocher au raisonnement microéconomique de se fonder, comme toute théorie, sur des abstractions nécessairement simplificatrices de la réalité, nombre d’hypothèses sont manifestement erronées. Par exemple, la microéconomie n’intègre ni la dimension temporelle (en raison de l’importance de la notion d’équilibre), ni celle d’incertitude (en dehors des cas où cette incertitude résulte d’événements indépendants de l’activité économique qui sont probabilisables).
Le temps est une dimension essentielle de l'analyse macro-économique. L’histoire des sociétés, et donc de l’économie, est marquée par des ruptures qui peuvent prendre la forme d’innovations technologiques (la machine à vapeur, le train, le numérique), de catastrophes naturelles (tsunamis, tremblements de terre, vagues de sécheresses), de krachs financiers, de bouleversement politiques tels que les guerres.
La pandémie de COVID-19 et ses conséquences politiques et économiques en sont un exemple spectaculaire. C’est ce que traduit le concept d’incertitude radicale, c'est-à-dire la possibilité d’évènements inédits, non prévisibles et non probabilisables. La dégradation de l’environnement planétaire consécutive au réchauffement climatique et à l’effondrement de la biodiversité renforce encore cette incertitude fondamentale.
L’absence de « lois économiques universelles » n’empêche pas de formuler des énoncés valides scientifiquement
Nous avons montré qu’il n’y a pas de « lois économiques universelles ». Cela signifie-t-il que tout serait nécessairement relatif en économie ? Que tout serait discutable et qu’on ne pourrait rien affirmer ? Certes pas. Au contraire, la sphère économique est aujourd’hui bien trop structurante de la vie sociale et politique pour se contenter d’une approche « relativiste ».
Il est aujourd’hui possible d’avancer des faits et des énoncés qui, sans être des lois physiques, sont solides scientifiquement, et qui, bien souvent, contredisent les analyses les plus répandues en particulier parce qu’elles ne tiennent aucun compte de l’écologie. Ne pas le faire, c’est laisser perdurer les dogmes actuels, faute d’alternative structurée.
On peut distinguer trois grandes catégories de ces faits et énoncés :
- ceux qui sont liés au fait que l’économie s’inscrit dans un monde physique, limité (voir point 1 ci-avant)
- ceux qui sont d’ordre comptable (ce sont souvent des vérités tautologiques ou purement descriptives). Par exemple : toute créance a une dette pour contrepartie ; le revenu de l’un est la dépense d’un autre ; réduire les dépenses publiques, c’est réduire les revenus de ceux (entreprises ou ménages) qui en bénéficiaient ; la monnaie est aujourd’hui créée par les banques par une simple écriture comptable
- ceux qui sont issus de régularité empirique sur de longues périodes. Il est par exemple avéré que la quantité d’heures travaillées n’a cessé de baisser en France depuis deux siècles et cette tendance est clairement corrélée à la mécanisation du travail. Ou encore : la part des salaires dans le PIB, en France, est à peu près constante de 1945 aux années 1980 et depuis, en diminution.
De ces régularités empiriques, l’économiste peut déceler des grandes « tendances » à différents moments de l’histoire ou dans différentes sociétés et en tirer des enseignements. Ce ne sont cependant pas des « lois », des règles intangibles et universelles. La vie économique s’inscrit dans un environnement naturel et social produit de l’Histoire, des institutions, du cadre juridique. C’est pourquoi il est toujours important de resituer les grandes idées économiques dans le contexte historique qui les a vu émerger.
Nos principes normatifs
Un système économique qui doit « prendre soin » des êtres humains et des écosystèmes
Le système économique doit être mis au service des citoyens et contribuer à un objectif sociétal qu’on peut exprimer en quelques mots : celui de construire une société apaisée, équitable, cultivant le lien social au sein d’un environnement vivant, préservé et réparé.
Il doit répondre aux besoins matériels des humains d’aujourd’hui et de demain ainsi que contribuer à développer leur « capabilité » (au sens de Amartya Sen) : leur donner les moyens de décider par eux-mêmes de leur vie. Il doit également être mis au service de la « réparation » de notre planète : baisse des émissions de GES et des pollutions de toutes sortes, « nettoyage » des océans, préservation des grands écosystèmes tels les forêts primaires et de la biodiversité sous toutes ces formes.
En résumé, il nous semble fondamental de mettre au cœur du système économique un nouvel impératif : ne plus se focaliser sur la croissance de la production et de la consommation mais sur le fait de « prendre soin », sur la « pleine santé »
Sortir de l’opposition entre Etat et marchés
Le débat économique est souvent réduit à une opposition entre ceux qui sont pour l’intervention de l’Etat dans l’économie et ceux qui sont pour des marchés laissés libres. D’un côté, les tenants d’une économie dirigée (traditionnellement de gauche et keynésiens) ; de l’autre, ceux qui souhaitent donner aux entreprises le plus de liberté d’actions (traditionnellement de droite, proches des milieux d’affaires et libéraux).
Cette conception nous semble particulièrement réductrice de la complexité et de la diversité des situations et passe à côté d’une évidence : les marchés et leur fonctionnement dépendent des Etats et de leur manière d’organiser ces marchés. Les marchés sont des institutions socialement utiles. Ils permettent les échanges décentralisés de biens et de services ainsi que la liberté d’entreprendre et dès lors une certaine indépendance économique
Cependant, la thèse selon laquelle, en situation de concurrence parfaite, les marchés autorégulés mèneraient, via la libre confrontation de l’offre et de la demande, à un prix d’équilibre permettant une allocation optimale des ressources est une fiction tant les hypothèses adoptées sont irréalistes. Et il n’est en rien souhaitable de faire de cette fiction un objectif pour nos sociétés.
Les marchés ne s’autorégulent pas : ils ne peuvent perdurer sans les institutions publiques sous-jacentes pour les soutenir
Par ailleurs, l’Etat structure la vie économique sur la durée et incarne le temps long. Il ne peut être cantonné au rôle de garant des conditions optimales de fonctionnement des marchés
Toutes ces fonctions de l’Etat sont à mobiliser pour assurer la transition écologique et sociale. Cependant, au même titre que la concurrence parfaite, la planification publique centralisée reste une illusion.
Les travaux d’Elinor Ostrom
Mobiliser les outils économiques pour la transition écologique
Sur la plateforme TOE, nous nous attacherons à expliquer aussi simplement que possible le fonctionnement actuel des outils économiques comme la comptabilité, la monnaie, la finance, le crédit, les marchés, le libre-échange. Nous montrerons que ce sont des « technologies invisibles » et qu’il faut donc prendre du recul, voire dans certains cas les « déconstruire » pour bien s’en servir en fonction des objectifs que nous nous donnons ici. Voici quelques exemples.
Nos outils comptables sont aveugles à ce qui compte vraiment
Nous nous forgeons des représentations du fonctionnement de l’économie sur la base des instruments comptables à notre disposition. Loin d’être neutres et uniquement descriptifs, ces outils induisent aujourd’hui une vision du monde qui éloigne le regard des réalités physiques, biologiques et humaines. Ils ne nous permettent pas de compter ce qui compte vraiment, du point de vue développé ici.
En effet, la comptabilité d’entreprise n’intègre pas la multiplicité des biens et services que nous tirons de la nature, pas plus que les préjudices environnementaux. Les travailleurs sont perçus comme des coûts qu’il s’agit de réduire. L’expérience accumulée, les compétences ne sont pas traduites dans les comptes.
C’est également le cas quand les comptes sont agrégés comme le fait la Comptabilité nationale. Le PIB et sa croissance servent à la fois de boussole et d’évaluation des politiques économiques. Pourtant cet indicateur ne reflète ni la qualité du lien social, ni les inégalités de revenus ou d’accès aux biens publics, ni les destructions de la nature, et ne rend pas compte des risques écologiques futurs.
Monnaie, dette, crédit sont des conventions humaines
Les frontières entre monnaie, dette, actifs financiers sont sociales et institutionnelles, comme le montre l’histoire. Longtemps taboues, ces questions reviennent dans le débat du fait de la pandémie de COVID-19. Ce débat bienvenu reste cependant dominé par des dogmes issus notamment des théories monétaristes : la création monétaire mène à l’inflation ; afin d’éviter tout laxisme, les finances publiques doivent être soumises à la discipline des marchés financiers et les banques centrales doivent être indépendantes etc.
Le système monétaire actuel des pays occidentaux est largement hérité de cette vision de l’outil monétaire. Fruit de l’histoire, il n’a cependant rien d’immuable. Il est fondamental de se réapproprier l’outil monétaire pour en faire véritablement un bien commun au service de la transition.
La finance a acquis un poids démesuré et ne joue plus son rôle de financement de l’économie
Le rôle de la finance est d’émettre et de faire circuler des titres qui donnent droit à une partie de la richesse présente et à venir produite par la société. Elle a pour rôle de transmettre la richesse dans le temps, de faciliter les échanges entre ceux qui ont de l’épargne et ceux qui ont besoin d’argent, entre ceux qui sont prêts à prendre des risques et ceux qui ont besoin de se couvrir etc.
Il est cependant évident que le monde de la finance a largement outrepassé ce rôle et fonctionne depuis plusieurs décennies largement pour lui-même. Il « cannibalise » le reste de l’économie. Il est tout aussi évident que la finance est, à ce stade, largement indifférente à la planète et à l’avenir. Elle polarise l’attention sur le très court terme voire l’instantané. Non seulement il est nécessaire de limiter cet outil à son rôle initial mais en plus de faire en sorte que les financements privés soient bien d’avantage orientés vers les projets de la transition écologique.
Le commerce ne garantit en rien le progrès des sociétés humaines
Si les échanges entre les peuples sont nécessaires ne serait-ce que du fait de l’inégale répartition des ressources naturelles, l’accroissement des échanges poursuivis pour eux-mêmes est source d’instabilité. Trop de commerce entame les ressources naturelles de façon excessive et risque de provoquer des conflits en vue de s’approprier les dernières ressources existantes.
Le libre-échange sans frein entre producteurs inégalement équipés est porteur de déséquilibres sociaux générateurs d’insécurité mondiale et de conflits potentiels. La généralisation de chaines de production mondialisées met en danger la capacité productive des pays, ce qui est particulièrement dangereux pour les biens essentiels comme l’a malheureusement montré la pandémie de COVID-19.