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Remarque et mise à jour (25/03/23)
Cet article a bénéficié de la relecture et des commentaires de Jean-Marc Béguin (voir la liste de tous les contributeurs de TOE).
Dans la présente fiche nous utilisons la version 2016 du modèle DICE pour laquelle William Nordhaus a reçu le prix Nobel d'économie en 2018.
Depuis il a publié une nouvelle version de ce modèle : DICE-2023. L'évaluation des dommages ne change pas fondamentalement. C'est ainsi que Nordhaus écrit En tenant compte de tous ces ajustements, les dommages sont estimés à environ 3,12 % du PIB dans le cas d'un réchauffement global de 3°C par rapport aux températures préindustrielles et à 12,5 % du PIB dans le cas d'un réchauffement de 6°C. note0
Quels sont les impacts du changement climatique sur les sociétés humaines et sur l’économie ?
1.1. L’étude des impacts du dérèglement climatique porte sur de multiples sujets de recherche et fait appel à de nombreuses disciplines
Les chercheurs ont par exemple été amenés à étudier les conséquences de différents scénarios de changement climatique sur :
- les systèmes naturels (dangers pour les écosystèmes terrestres, d'eau douce, côtiers et marins de haute mer, impacts sur les espèces animales et végétales en termes de capacité d’adaptation, de migration et de survie etc.) ;
- la production alimentaire (rendements agricoles, santé des animaux d’élevage, rendement de la pêche et de l’aquaculture) et la disponibilité en eau potable (fonte des glaciers continentaux qui alimentent les grands fleuves de la planète, changement du régime des pluies) ;
- les impacts sur la santé (alimentation, hyperthermie, accroissement de l’aire de propagation de certaines maladies et apparition de nouveaux virus, troubles mentaux) ;
- la montée des eaux, la fréquence des événements extrêmes (tempêtes, vagues de chaleur, inondations), la disparition de terres émergées (îles et de zones côtières) et la destruction de constructions humaines (bâtiments, infrastructures, usines) ;
- les impacts sur des secteurs économiques particuliers (agriculture, tourisme, production d’énergie ou d’eau, perturbation des chaînes d’approvisionnement mondial etc.) et sur l’économie dans son ensemble (mesurée via la perte de PIB) ;
La recherche se penche également sur les impacts de tout ce qui précède en termes de migrations et de stabilité des régimes politiques voire de conflits géopolitiques et de guerres.
Ces domaines de recherche peuvent concerner le monde dans son ensemble ou des régions particulières.
1.2. Le dérèglement climatique pourrait rendre notre planète largement inhabitable
L’analyse et la synthèse de tous ces travaux de recherche sont publiés dans le rapport d’évaluation du groupe de travail 2 du GIEC dont la dernière version est parue en février 2022 « Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability ».
En quoi consiste le travail du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) ?
Qu'est-ce que le GIEC ?
Créé en 1988, le GIEC est une organisation intergouvernementale rassemblant tous les États membres de l'ONU. Il a pour mission de fournir aux responsables politiques une évaluation des connaissances scientifiques sur les changements climatiques, leurs impacts environnementaux, économiques et sociaux ainsi que les mesures à prendre pour y faire face.
Il ne produit donc pas de recherche mais réalise la synthèse des travaux scientifiques existants selon un processus très transparent et codifié notepibclimat1.
Les rapports d'évaluation du GIEC
Tous les cinq ans environ, le GIEC publie un rapport d’évaluation constitué d’une synthèse générale et des rapports de chacun de ses trois groupes de travail (GT) :
-GT1 : la compréhension physique du système climatique et du changement climatique ;
-GT2 : les conséquences du changement climatique et les stratégies d'adaptation ;
-GT3 : les stratégies pour limiter le changement climatique.
Chaque groupe de travail produit un rapport de plusieurs milliers de pages, un résumé pour les décideurs approuvé ligne à ligne par les États membres du GIEC et un résumé technique.
Le constat dressé dans le dernier rapport du GIEC est sans appel : le changement climatique en cours a déjà eu des impacts importants sur les systèmes naturels et humains.
Plus de la moitié de l’humanité est aujourd’hui dans une situation de forte vulnérabilité au changement climatique.
En France, le ministère de l'écologie estime que 62 % de la population est exposée "de manière forte ou très forte" aux risques climatiques.notepibclimatfrance1.
Sans action d’ampleur pour limiter le réchauffement et adapter les sociétés aux évolutions déjà en cours, les impacts ne feront que s’accroitre jusqu’à remettre en question l’habitabilité de notre planète.
C’est ce que montre par exemple la carte suivante.
Distribution mondiale de la population exposée à l’hyperthermie du fait de chaleur et humidité extrêmes
Ces cartes représentent la part de la population mondiale exposée à des situations d’hyperthermie pour la période récente et pour le futur selon différents scénarios de réchauffement climatique. Les couleurs indiquent le nombre de jours par an pendant lesquels les conditions de température et d'humidité de l'air dépassent le seuil au-delà duquel elles deviennent mortelles.
Comme on peut le constater, le scenario RCP8.5 notepibclimat2 (qui mène à un réchauffement supérieur à 3,2°C) implique qu’une grande partie de la planète devienne largement inhabitable (toutes les terres en violet du planisphère en bas à droite) en 2100.
Des milliards d’humains sont concernés (l’Inde, l’Amérique centrale et le nord de l’Amérique du Sud, une large partie de l’Afrique, de l’Asie du Sud-Est et de l’Océanie).
Ces résultats ne font que confirmer ceux des précédents rapports du GIEC.
C’est pour éviter ces risques extrêmes, que la communauté internationale a adopté l’objectif de limiter « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels » dans l’Accord de Paris adopté lors de la COP21 en 2015.
1.3. Pour certains économistes, l’impact du réchauffement climatique sur le PIB mondial serait négligeable
Quand le GIEC retranscrit les travaux des économistes qui tentent d’évaluer l’impact macroéconomique du réchauffement climatique, les risques extrêmes pour l’humanité que l’on vient d’évoquer apparaissent tout à coup fort limités. C'est cette démarche que nous allons largement critiquer dans cet article.
TS.C.10.2 (...) Dans le cas d'un réchauffement élevé (>4 °C) et d'une adaptation limitée, l'ampleur de la baisse du PIB mondial annuel en 2100 par rapport à un scénario de non-réchauffement climatique dépasse les pertes économiques de la grande récession de 2008-2009 et de la pandémie de COVID-19 de 2020 ; des effets beaucoup plus faibles sont estimés pour un réchauffement moindre, une vulnérabilité plus faible et une adaptation plus importante (confiance moyenne).
Tout d'abord, la comparaison avec les deux dernières crises donne l’impression qu’un réchauffement de +4°C serait gérable d’un point de vue économique, de même que ces crises l’ont été.
En plus de cet impact somme toute limité, la formulation adoptée prête à confusion. Nous verrons dans la partie 3.C qu’en réalité les travaux sur les conséquences économiques mondiales du réchauffement climatique postulent le plus souvent un simple ralentissement de la croissance du PIB au cours du XXIème siècle, et non pas une récession comme cela a été le cas en 2009 et en 2020 notepibclimat3.
Rappelons que le GIEC retranscrit ici la synthèse des travaux académique sur PIB et climat. Qui sont donc les économistes qui parviennent à de telles conclusions ? quelles méthodes emploient-ils ?
Pour en savoir plus
Quelques ressources sur les impacts du réchauffement climatique
Quels sont les outils des scientifiques qui étudient l’évolution du climat, les conséquences du réchauffement et les moyens d’y faire face ?
S’il n’y a plus de doute sur la réalité du changement climatique en cours, ses causes et ses conséquences potentiellement dramatiques, le futur n’en reste pas moins fondamentalement incertain, ne serait-ce que parce qu’il dépend des comportements à venir des humains.
Ainsi, nous ne savons pas quel chemin l’humanité prendra au cours des prochaines décennies pour infléchir ou pas les tendances actuelles.
Le schéma ci-après qui représente de façon très simplifiée les interactions entre climat, sociétés humaines et systèmes naturels montre à quel point la question est complexe. De nouveau les disciplines scientifiques mobilisées sont extrêmement nombreuses. Elles relèvent tant des sciences de la vie et de la terre (climatologues, écologues, océanologues etc.) que des sciences de l’ingénieur (systèmes énergétiques, agronomes etc.) ou des sciences sociales (démographes, économistes, sociologues etc.).
Changement climatique et développement socio-économique sont profondément liés
Les activités humaines induisent des consommations d’énergie et l’utilisation de terres. Ceci se traduit par des émissions de gaz à effet de serre qui provoquent le changement climatique dans ses multiples manifestations (par exemple hausse globale des températures, modification du régime des pluies, fonte des glaciers continentaux, modifications des courants marins, accroissement des vagues de chaleur et des tempêtes etc.). Cette modification du climat a elle-même des répercussions sur les êtres humains et les systèmes naturels et in fine sur le développement socio-économique.
2.1. Afin d’étudier les futurs possibles, les scientifiques mobilisent largement l’outil des scénarios
-Les scénarios climatiques, mobilisés par les climatologues, étudient l’évolution du système climatique en fonction de différentes trajectoires d’émissions de GES (phase 3 de la boucle ci-dessus et GT1 du GIEC).
-Les scénarios socio-économiques, mobilisés par les économistes du climat, explorent les conséquences de l’évolution des sociétés humaines sur les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre (et donc in fine sur le réchauffement climatique). Quand il s’agit d’explorer comment limiter les émissions pour atteindre un objectif climatique (2°C ou 1,5°C) on parle de scénario de transition. Ceux-ci sont alors comparés à des scénarios business as usual ou de référence qui consistent à laisser les tendances se poursuivre sans introduire de contrainte liée à un objectif climatique. (Ces scénarios se situent à la phase 1 et 2 de la boucle ci-dessus et sont principalement étudiés par le GT3 du GIEC).
-Les scénarios d’impact, mobilisés par les scientifiques évoqués dans la partie 1, étudient les conséquences du réchauffement sur les sociétés humaines et les systèmes naturels (phases 4 et 5 de la boucle ci-dessus et GT2 du GIEC).
Un scénario se compose en général de quatre dimensions
-Un narratif qualitatif (une histoire) décrivant une possible évolution du monde.
Ex : les tendances sociales, économiques et techniques actuelles se poursuivent ; les inégalités augmentent énormément ; l’humanité s’engage résolument dans la transition écologique etc.
-Des hypothèses quantitatives : il s’agit de préciser les variables traduisant le narratif de façon quantitative.
Ex : les hypothèses d’un scénario de transition peuvent porter sur l’évolution (mondiale, régionale, par pays) de la population, du PIB, de l’urbanisation ainsi que des hypothèses sur les moyens (technologiques, politiques, économiques etc.) mis en œuvre pour atteindre les objectifs climatiques identifiés. Les hypothèses d’un scénario climatique seront notamment les trajectoires d’émissions de gaz à effet de serre.
-Un (ou plusieurs) modèles : un modèle est un ensemble d’équations mathématiques conçues pour simuler le fonctionnement d’un système du monde réel tel que décrit par un certain nombre de variables (le climat planétaire, un marché financier, un écosystème naturel, l’économie d’un pays) et son évolution dans le temps.
Les hypothèses quantitatives mentionnées ci-avant constituent les données d’entrée du modèle : on dit qu’elles sont exogènes car elles ne sont pas calculées par le modèle lui-même mais viennent de sources extérieures.
Les modèles sont toujours des représentations simplifiées de la réalité. Par contre, ils ne sont pas tous basés sur le même type de connaissances scientifiques. Les modèles climatiques sont ainsi fondés sur les lois de la physiques, alors que les modèles économiques sont fondés sur des théories économiques, elles-mêmes influencées par des courants de pensée économiques notepibclimat4.
-Des résultats : il s'agit de toutes les données quantitatives de sortie du modèle qui sont interprétées pour compléter le récit du scénario.
Ex : dans un scénario climatique il s’agira de l’évolution de la température, du régime des pluies, de l’enneigement ; dans un scénario de transition, ce sera l’évolution de la demande et du mix énergétique, le montant des investissements à réaliser, les technologies à déployer.
2.2. Les modèles d’évaluation intégrée (IAMs) ont pour ambition d’explorer l’ensemble de la boucle climat-développement
Comme on l’a vu au point précédent, chacune des trois grandes familles de scénarios explore dans le détail une partie de la boucle de rétroaction climat-développement. Pour cela, des modèles très différents sont utilisés.
Par exemple, les scenarios climatiques (situés au point 3 de la boucle) se fondent sur les modèles climatiques. Basés sur les lois de la physiques, ils visent à faire de façon dynamique des projections de la façon dont le climat peut évoluer au cours du XXIème siècle en fonction de différents scénarios d'émissions de gaz à effet de serre.
Les scénarios de transition ont pour ambition d’explorer une grande partie (voire pour certains l’ensemble) de la boucle (même si de façon beaucoup plus superficielle que les scénarios et modèles étudiant une partie spécifique de la boucle).
Pour cela, ils utilisent des Modèles d’évaluation intégrée (appelés IAMs, pour « Integrated Assessment Models ») qui ont pour objectif d’aider à comprendre les interactions entre sociétés humaines, développement économique et climat sur le temps long. L'évaluation est dite intégrée car ces modèles utilisent des informations provenant de nombreuses disciplines scientifiques et ambitionnent de décrire à la fois le système humain et des systèmes naturels en couplant des modules représentant au moins l’économie, le système énergétique, le climat etc.
Si la famille des IAM regroupe des modèles très différents en termes de complexité, de mode de résolutions (logique de simulation ou d’optimisation) ou de paradigmes de modélisation (modèle Bottum up ou Top down), on peut en première approche distinguer deux grandes catégories.
Très agrégés (pas ou peu de décomposition géographique et sectorielle), ils ont pour objectif de déterminer la trajectoire d’émissions de GES (et donc de réchauffement planétaire) optimale au sens économique du terme, c’est-à-dire celle qui permet que les coûts actuels de la lutte contre le réchauffement climatique soient compensés par les bénéfices futurs (c’est-à-dire les dommages évités).
Ces modèles nécessitent donc d’évaluer les dommages futurs du réchauffement climatique (en termes de pertes de PIB). En cela, ils explorent réellement toute la boucle (même s’ils le font de façon très superficielle).
Ils sont en particulier utilisés pour déterminer le coût social du carbone c'est-à-dire le coût, en euros d’aujourd’hui, des dommages futurs provoqués par l’émission actuelle d’une tonne de carbone. Ces travaux sont donc en grande partie destinés à alimenter les politiques publiques relatives à la tarification du carbone (via une taxe ou un marché de quotas).
Exemples : les modèles appelés DICE, PAGE, FUND sont des IAMs coût-bénéfice.
Les « detailed process-based IAM »
Beaucoup plus complexes et désagrégés, ils vont plus loin que les précédents dans l’analyse du couplage des systèmes humains et naturels en faisant interagir des modules qui représentent l’économie (avec plus ou moins de secteurs), le système énergétique, le climat mais aussi parfois l’agriculture et l’utilisation des terres, ou l’eau. Ce sont surtout ces modèles qui sont utilisés dans les scénarios de transition évalués par le groupe 3 du GIEC. Leur objectif est donc de répondre à des questions du type : comment limiter le réchauffement à +2°C, +1,5°C ? Quel serait l’impact de telle ou telle mesure ?
En théorie, ces modèles devraient, comme les précédents, inclure une évaluation des dommages du réchauffement climatique sur l’économie mondiale puisque ceux-ci ont nécessairement une influence sur les modalités de la transition notepibclimat5. Dans la pratique, c’était assez peu le cas jusqu’à ce que les banques centrales s’intéressent aux risques financiers liés au climat (voir partie 4).
L’Integrated Assessment Modeling Consortium notepibclimat6 a créé un wiki sur lequel se trouve la documentation de la plupart des IAM utilisés dans le cadre des travaux du GIEC.
Représentation simplifiée de la structure d’un Modèle d’évaluation intégrée (IAM)
L’image ci-après permet de visualiser comment fonctionnent les IAMs complexes avec les données d’entrée en bleu, les modules en vert représentant différents systèmes humains et naturels et les données de sortie (les résultats) en jaune.
Pour en savoir plus
Comprendre les scénarios liés au climat
Comprendre les Modèles d'évaluation intégrée (IAM)
Comment les économistes étudient-ils les dommages macroéconomiques provoqués par les changements climatiques ?
3.1. Le rôle fondateur des travaux de William Nordhaus : le modèle DICE notepibclimat7
En 2018, l’économiste William Nordhaus a reçu le prix Nobel d'économie en récompense de ses travaux précurseurs sur l’intégration du changement climatique dans l’analyse macroéconomique de long terme. Il a en effet conçu, au début des années 1990, le premier modèle d’évaluation intégrée, le modèle DICE, couplant un module de croissance de long terme et un module climatique.
DICE appartient à la catégorie des IAM coûts-bénéfices (voir partie sur les IAM)
Le modèle DICE de Nordhaus part d’une représentation très agrégée et simplifiée de l’économie mondiale.
La production repose sur l’utilisation des facteurs travail et capital. Le progrès technique fait croître la productivité globale de ces facteurs (PGF), ce qui aboutit à la croissance de la production notepibclimat8.
Notons ici que le PIB croit par construction et quoi qu'il arrive : en effet, la productivité globale des facteurs, déterminante pour le calcul du PIB, est une variable exogène c'est-à-dire qu’elle n’est pas calculée par le modèle. Dans DICE-2016, elle croit d’environ 2% par an tout au long du XXIè siècle.
Nordhaus couple cette représentation très simplifiée de l’économie avec un module climatique, également très simple
La production provoque des émissions de gaz à effet de serre qui engendrent un changement climatique sous la forme d’une hausse de la température moyenne de la planète. Cette dernière provoque des dommages (qui se manifestent par une réduction de la production donc du PIB). Il est possible de réduire les émissions afin de limiter les dommages, ce qui se traduit par des coûts (exprimés également en points de PIB) représentant la transition d’un système énergétique fossile à un système décarboné.
Ainsi, dans cette représentation des liens économie-climat, les actions destinées à réduire les émissions se manifestent par une diminution de la consommation d’aujourd’hui (il faut se priver pour investir) et par une augmentation de la consommation future (en limitant les dommages climatiques).
La question à laquelle Nordhaus cherche à répondre est : comment faire pour optimiser la consommation intertemporelle ?
Le modèle DICE est donc conçu de façon à déterminer la trajectoire d’émissions de gaz à effet de serre (et donc de réchauffement) optimale au niveau économique en vue de maximiser le bien-être intergénérationnel notepibclimat9. Si le monde suit cette trajectoire, les coûts actuels de la lutte contre le réchauffement climatique seront compensés par les bénéfices futurs (c'est-à-dire les dommages évités). Le modèle permet également d’étudier des trajectoires non optimales : par exemple la poursuite des tendances actuelles (le scénario business as usual) ou alors la maximisation du bien-être social sous la contrainte additionnelle que l’augmentation de température n’excède pas 2°C.
Le réchauffement climatique optimal selon le prix nobel d'économie William Nordhaus
La courbe « optimale » selon DICE-2016, version du modèle développé par William Nordhaus pour laquelle il a reçu son prix Nobel, est en orange.
Dans la dernière version publiée du modèle (DICE-2023) le réchauffement optimal atteint +2,73°C en 2100
3.2. Définition de la fonction de dommage, ou comment rendre le réchauffement climatique inoffensif pour la croissance économique
Du fait de son rôle de précurseur, Nordhaus a largement influencé les travaux suivants. La mise en accès libre de son modèle sur Internet a permis de démultiplier l’appropriation et l’utilisation par les autres chercheurs et a inspiré les générations suivantes de modèles IAM. Il a en particulier eu une influence déterminante (et malheureuse) sur l’évaluation des dommages économiques agrégés du réchauffement climatique.
Qu’est-ce qu’une fonction de dommage ?
Comme évoqué ci-avant un des objectifs du modèle DICE est de voir dans quelle mesure les dépenses réalisées pour lutter contre le dérèglement climatique sont compensées par les dommages économiques évités dans le futur. Pour fonctionner, DICE nécessite donc de disposer d’une évaluation (en termes de pertes de PIB) de ces dommages futurs.
Pour cela, Nordhaus élabore ce qu’il appelle une fonction de dommage : elle permet de relier un certain niveau de hausse de la température globale de la planète à une perte de production (donc de PIB).
À titre d’illustration, voici la fonction de dommage utilisée dans les derniers travaux de Nordhaus (DICE 2016) notepibclimat10. Pour 5°C de réchauffement, on atteint à peine 6% de pertes de PIB.
En incluant tous les facteurs, la fonction de dommage du modèle suppose que les dommages représentent 2,1 % du revenu mondial en cas de réchauffement de 3 °C et 8,5 % du revenu en cas de réchauffement de 6 °C.
Un changement d’ère climatique notepibclimat11 a donc dans le modèle de Nordhaus un effet négligeable sur l’économie !
Deux approches principales sont utilisées pour élaborer les fonctions de dommage
Dans un article de 2020, l’économiste Steve Keen analyse en détail les méthodes que Nordhaus et ses successeurs ont inventées pour tenter de chiffrer les dommages que le réchauffement implique pour le PIB.
-L’approche énumérative consiste à utiliser les articles des sciences de la nature portant sur les impacts physiques du réchauffement climatique (par exemple, la baisse des rendements agricoles) pour les traduire en perte de production pour certains secteurs et ensuite d’agréger le tout.
Seulement, le nombre de secteurs considéré est très restreint : il s’agit le plus souvent de ceux directement exposés aux conditions météorologiques, tels l’agriculture, l’énergie, la foresterie. Dans les premiers travaux de Nordhaus notepibclimat12, ils représentaient à peine 13% du PIB des USA de 1991. Or, les secteurs considérés ont peu évolué depuis notepibclimat13.
-Plus récente, l’approche statistique ou économétrique utilise deux types de données : les données en coupe (géographiques) ou les données de panel (temporelles).
Dans le premier cas, les économistes établissent une corrélation entre les différences de PIB et de climat observées aujourd’hui entre plusieurs régions. Sur cette base, ils déduisent les effets sur le PIB qu’aurait une hausse de température sur une même région. Dans le second cas, il s’agit d’établir une corrélation entre l’évolution du PIB sur une même région et le réchauffement qui a déjà eu lieu.
Cela suppose donc qu’un effet sur le PIB d’une variation de court terme des conditions climatiques est une bonne approximation de l’effet de long terme du changement climatique. Ces approches sont très critiquables à de nombreux égards. Contentons-nous de dire que corrélation n’est pas causalité et qu’extrapoler à partir de différences (géographiques ou temporelles) de l’impact du climat actuel ce que sera l’impact économique d’un climat totalement inconnu n’a aucun sens.
Ces méthodes ont en commun de reposer sur des phénomènes déjà connus ou anticipés, alors que le réchauffement climatique nous plonge en terrain inconnu
Le réchauffement climatique mettra en évidence des dépendances entre nature et économie jusque-là inconnues ou ignorées par les économistes notepibclimat14.
Il aura, par ailleurs, de nombreux impacts non économiques : sanitaires, sociaux voire politiques (maladies, migrations, déstabilisation des sociétés) que ne prennent pas du tout en compte ces fonctions de dommage.
L'un des principaux problèmes est que le changement climatique nous entraîne en territoire inconnu : nous ne savons pas comment une augmentation des concentrations de gaz à effet de serre affectera le climat et comment les changements climatiques affecteront l'économie, tout simplement parce que notre économie n'a jamais connu, du vivant de l'homo sapiens, quelque chose de semblable à ce que nous sommes susceptibles de rencontrer. Nous pouvons extrapoler l'avenir en nous basant sur le passé, mais savoir si, dans ces circonstances, cela a un sens est très problématique.
Le réchauffement climatique nous projette dans une situation inédite, inconnue et très hautement à risque. Il est donc bien peu scientifique d’extrapoler à partir des situations présentes.
Le franchissement de seuils (souvent appelé en physique les effets de seuil) en est la meilleure illustration.
Il est aujourd’hui établi que le réchauffement ne sera pas linéaire et qu’il existe des points de bascule (tipping elements voir carte) qui, une fois franchis, provoqueront des réactions en chaine menant à un emballement du réchauffement planétaire notepibclimat16.
Carte mondiale des basculements en cascade potentiels
Ce graphique présente les points de bascule climatique qui pourraient advenir selon le niveau de réchauffement global. Par exemple, parmi les points de bascule intervenant entre + 1 et +3°C de réchauffement il y a la fonte de la calotte glaciaire du Groenland, des glaciers alpins et de la banquise arctique en été.
Ces points de bascule constituent l'une des raisons qui ont justifié l’adoption de l’objectif de limiter la hausse de température planétaire à +2°C par rapport à l’ère préindustrielle.
Or les fonctions de dommage de Nordhaus et de ses successeurs n’intègrent généralement aucun point de bascule, aucune discontinuité dans le réchauffement.
Pire les travaux qui tentent de les évaluer concluent de nouveau à des impacts négligeables ! C'est l'un des résultats d'un article publié en 2021 dans la très prestigieuse revue scientifique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) et faisant une synthèse de divers articles portant sur les dommages économiques liés au franchissement de seuils.
Les points de bascule réduisent la consommation mondiale par habitant d'environ 1 % en cas de réchauffement de 3 °C et d'environ 1,4 % en cas de réchauffement de 6 °C.
Ces travaux ont été vivement critiqués dans une courte lettre parue en réponse dans la revue PNAS et co-écrite par des économistes et des climatologues : Les estimations des dommages économiques et environnementaux liés aux points de bascule ne sont pas compatibles avec la littérature scientifique. Ils concluent que les futurs travaux sur les dommages macroéconomique du climat devraient être réalisés en collaboration avec les scientifiques étudiant le climat.
Malgré ces critiques, certains économistes peuvent désormais utiliser les résultats de Dietz et. al pour affirmer avoir intégré les points de bascule dans leur fonction de dommage. C'est ce qu'a fait W. Nordhaus dans l'article où il présente la version 2023 du modèle DICE note0.
Trente ans après les premiers travaux de Nordhaus, les fonctions de dommage élaborées par ses successeurs donnent toujours le même type de résultats.
Les deux graphiques suivants montrent un échantillon des estimations des impacts du changement climatique sur l'économie qu’on trouve dans la littérature académique récente.
Sur les deux graphiques, chaque point représente les pertes (ou les gains !) de PIB au moment où est atteint un certain niveau de température.
- Le premier est issu du cinquième rapport du GIEC (2014). Comme on peut le constater, dans la grande majorité des cas les pertes de PIB pour un réchauffement planétaire de +2°C à +3°C sont inférieures à 3%.
- Le second est issu d’un rapport du NGFS, le réseau des banques centrales qui s’intéressent au risque climatique pour la stabilité financière (voir partie 4.B sur les travaux du NGFS).
Les évaluations mises en avant sont plus élevées traduisant une orientation récente à la hausse des estimations des dommages. Elles restent cependant encore limitées : rappelons qu’à plus de 3°C une grande partie de la planète devient inhabitable. Peut-on sérieusement espérer que cela se traduira seulement par une perte de PIB de 10 à 25%.
Et ceci d’autant plus que, comme nous allons le voir au point suivant, ces pertes sont mesurées par rapport au niveau de PIB qui aurait été atteint en supposant, qu'en l'absence de réchauffement climatique, il y aurait eu une croissance économique continue tout au long du XXIème siècle. Quand les fonctions de dommage indiquent une perte de PIB de 25% cela ne signifie donc pas nécessairement une récession.
3.3. Les dommages sont d’autant plus négligeables qu’ils sont calculés au regard de ce qu’aurait été le niveau du PIB en l’absence de réchauffement climatique
Comme noté dans la partie 3.A, le modèle DICE postule par construction une croissance économique d’environ 2% par an tout au long du XXIè siècle.
Les dommages sont appliqués à ce niveau du PIB croissant. L’image suivante permet de comprendre ce que cela signifie concrètement.
PIB et dommages climatiques selon Nordhaus : pas de récession en vue !
Sur le graphique suivant on postule d’une part une croissance du PIB de 2% par an entre 2020 et 2100 (courbe orange), soit une multiplication par 5 sur la période. Ensuite, on applique la fonction de dommage de Nordhaus (DICE-2016) dans le cas d’un réchauffement menant à + 5°C en 2100. Comme on peut le constater la croissance ralentit juste un peu. Aucune récession n’est en vue malgré un réchauffement qui d’après les scientifiques du climat devrait rendre la planète largement inhabitable. Rappelons que sans habitants, pas de production, pas de consommation et donc évidemment pas de croissance du PIB !
Le modèle DICE n’est pas une exception : tous les IAM postulent une croissance continue du PIB mondial au cours du XXème siècle
Comme expliqué dans la partie 2.A, les scénarios de transition reposent sur un narratif, une histoire décrivant une évolution possible du monde.
Les narratifs les plus utilisés aujourd’hui sont les Shared Socioeconomic Pathways (SSP - voir encadré) qui ont précisément été construits par la communauté scientifique afin de disposer d’un cadre de réflexion commun d’analyse des impacts du changement climatique et des moyens d’y faire face.
Présentation des cinq Shared Socio-economic Pathways (SSP)
Les SSP sont des narratifs explorant des évolutions (sociales, économiques, politiques, technologiques) possibles du monde en l’absence de politiques et de mesures climatiques supplémentaires à celles existants aujourd’hui. C’est sur la base de ces narratifs que seront ensuite testés différents types de politiques climatiques pour construire les scénarios de transition.
Ces narratifs sont complétés par des hypothèses socio-économiques quantitatives. Ainsi à chaque famille de SSP a été adjoint :
La croissance économique au cours du XXème siècle est une hypothèse de base de tous les Shared Socio-economic Pathways
Dans leur très grande majorité les IAM (quelle que soit la catégorie) utilisent les SSP et les trajectoires associées notepibclimat18 : la croissance du PIB tout au long du siècle est donc une hypothèse de base des modèles qui cherchent à évaluer l'impact du dérèglement climatique.
Appliquer les fonctions de dommage existantes à ces modèles IAM donnera donc toujours l’impression d’un ralentissement de la croissance et non d’une récession ou d’évolutions chaotiques.
Peu de travaux se risquent cependant à publier des graphiques mettant cela en évidence tant le résultat paraît aberrant. Le seul rencontré pendant l’écriture de la présente fiche est celui publié en 2021 par la BCE (voir partie 4.C)
Pour en savoir plus
Les IAMs et en particulier les IAMs coûts-bénéfices ont fait l’objet de nombreuses critiques. Nous nous concentrons dans cette fiche sur celles relatives à l’évaluation des dommages climatiques.
Pour en savoir plus vous pouvez consulter les études suivantes.
Quelle est l’influence de ces travaux économiques sur les dommages climatiques et pourquoi sont-ils dangereux ?
Les travaux économiques qui concluent à l’aspect marginal du réchauffement climatique sur la croissance du PIB ont longtemps dominé les discours économiques sur le climat. Si les limites de ces travaux sont aujourd’hui largement critiquées et reconnues, ils n’en continuent pas moins à être utilisés notamment pour alimenter la recherche sur les risques climatiques par les banques centrales et les superviseurs financiers.
Or, ces travaux sont dangereux : sortis de leur contexte (et donc des descriptions de leurs limites), ils contribuent à alimenter les discours relativisant les conséquences du réchauffement tenus par des personnalités qui abordent l’enjeu climatique via cette unique porte d’entrée.
4.1. Pendant plus de 25 ans, le message d’un réchauffement climatique sans impact significatif sur le PIB a dominé les discours économiques
Rappelons tout d’abord que le climat et les ressources naturelles ne sont pas au centre des domaines de recherche de la discipline économique (point développé dans le module sur les ressources naturelles et les pollutions). Sur le plan pratique, aujourd’hui encore, les modèles macroéconomiques les plus utilisés par les institutions publiques pour éclairer les politiques économiques font abstraction de l'exploitation et de la destruction de la nature (voir module sur le PIB, la croissance et les limites planétaires).
Du fait du peu de travaux portant sur l’enjeu climatique, Nordhaus a eu un impact majeur sur les travaux suivants. C’est ce qu’explique, par exemple, l’économiste Steve Keen en soulignant la défaillance du processus d’évaluation par les pairs en l’absence d’une diversité de chercheurs.
Comme le sait tout universitaire, une fois que vous êtes publié dans un domaine, vous serez sélectionné par les éditeurs de revues comme évaluateur (reviewer) pour ce domaine. Ainsi, la revue par les pairs, au lieu d’apporter un contrôle indépendant de l’exactitude de la recherche, peut permettre d'imposer une hégémonie. Étant l'un des premiers parmi les très rares économistes néoclassiques à travailler sur le changement climatique et le premier à fournir des estimations empiriques des dommages causés à l'économie par le changement climatique, Nordhaus a été en mesure d'encadrer le débat et de jouer un rôle de gardien.
Or, pendant près de 25 ans Nordhaus et ses successeurs ont mis en évidence des résultats concluant à un impact négligeable du changement climatique sur l’économie. Dans ses recommandations, Nordhaus a longtemps préconisé des politiques climatiques très graduelles, commençant par de faibles réductions d’émissions et montant en puissance au cours du XXI° siècle.
Il a fallu attendre 2006 et la sortie du rapport de l’économiste Nicholas Stern notepibclimat19 pour que soit enfin relayé dans la presse et auprès des décideurs le fait que le réchauffement climatique aurait des conséquences économiques significatives.
Ces travaux ont donc alimenté le discours des climatosceptiques. Ils ont été force d’inaction en donnant des arguments scientifiques aux dirigeants politiques et aux acteurs économiques se satisfaisant fort bien du message selon lequel les mesures limitées de lutte contre le réchauffement (les politiques des petits pas, modifiant donc peu le fonctionnement du système économique) seraient optimales.
L’obtention du prix Nobel par Nordhaus a été l’occasion de relayer dans les médias de très nombreuses critiques portant sur les méthodologies qu’il a contribué à développer et notamment sur les fonctions de dommage. La faiblesse et les problèmes de ces travaux sont aujourd’hui assez largement reconnus et la majorité des publications qui y font référence s’entourent de précautions pour en souligner les limites. Paradoxalement, ce mouvement s’accompagne d’une augmentation de l’utilisation de ces travaux par les acteurs publics sous l’impulsion des recherches portant sur les risques financiers liés au climat.
4.2. L’utilisation croissante des fonctions de dommage sous l’impulsion des banques centrales
Prise de conscience des risques financiers systémiques liés au climat et création de NGFS
En septembre 2015, dans son discours sur la tragédie des horizons Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de Stabilité Financière, affirme que le réchauffement climatique présente des risques aux conséquences financières potentiellement systémiques. Il liste les différents types de risques climatiques pour l'économie notepibclimat20 :
- Les risques physiques : impacts des catastrophes climatiques sur les entreprises, les chaînes de production, le commerce.
- Les risques de transition : impacts des mutations économiques liées à la transition écologique visant à réduire des émissions de gaz à effet de serre sur les entreprises carbonées.
- Les risques de responsabilité : recours en justice, initiées par des victimes ou autres parties prenantes.
Ces risques pesant sur les entreprises peuvent se répercuter aux institutions financières et donc menacer la stabilité du système financier. Cette prise de conscience a mené à la création en décembre 2017 du NGFS (Network for Greening the Financial System), un réseau regroupant plus d’une centaine de banques centrales et de superviseurs en 2022 afin de contribuer à renforcer la réponse mondiale requise pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris et améliorer le rôle du système financier pour gérer les risques et mobiliser des capitaux pour des investissements verts et bas-carbone (voir le site du NGFS).
Le NGFS élabore des scénarios de transition
Le NGFS a travaillé sur différents scénarios de transition afin de fournir à ses membres un point de référence commun pour évaluer les risques physiques et les risques de transition dans leur zone respective.
Les scénarios vont d’une transition ordonnée (net zéro 2050) limitant à la fois les risques de transition et les risques physiques, à la simple poursuite des tendances actuelles (current policies) où les risques de transition n’existent pas mais les risques physiques sont importants. Dans le premier cas, le réchauffement est limité à 1,5°C ; dans le second cas, il s’élève à plus de 3°C (et peut monter jusqu’à 5°C, la partie grisée du schéma ci-dessous, traduisant les incertitudes quant à la réponse du système climatique face à un certain niveau de réchauffement).
Les scénarios du Network for Greening the Financial System (NGFS)
Les risques physiques sont calculés à partir des fonctions de dommage
Pour étudier ses scénarios, le NGFS a recours à des modèles beaucoup plus sophistiqués que les IAMs coût bénéfices de type DICE.
Il s’agit des detailed process-based IAM présentés dans la partie 2. Afin d’estimer les risques physiques du réchauffement climatique, le NGFS a intégré dans ces IAMs des fonctions de dommage en se basant sur la littérature académique. C’est ainsi que dans la première version de ses scénarios publiée en 2020, trois fonctions de dommage ont été testées (dont l’une allait jusqu’à 25% de pertes de PIB ; voir le graphique ci-après). C'est finalement celle de Kalkuhl et Wenz (2020) notepibclimat21 qui a été retenue dans la version 2021 des scénarios.
Les résultats sont présentés ci-après : les dommages climatiques d’un scénario menant à plus de 3°C n’atteignent même pas 15% du PIB mondial.
Rappelons qu’il s’agit de 15% de PIB en moins relativement au niveau que le PIB atteindrait s’il n’y avait pas de changement climatique.
Estimation des risques physiques dans les scénarios du NGFS
Source NGFS Climate Scenarios for central banks and supervisors
2020 (p29) et
2021 (p 30)
Il est certes précisé dans le document que cette méthodologie n'inclut pas les impacts liés aux conditions météorologiques extrêmes, à l'élévation du niveau de la mer ou aux impacts sociétaux plus larges liés aux migrations ou aux conflits.
Mais cela suffit-il à justifier la publication d’un tel graphique dans un document qui sert de référence à toutes les banques centrales pour estimer les risques climatiques ?
4.3. Les travaux du NGFS servent de cadre à ceux des banques centrales pour estimer les risques climatiques
La BCE a utilisé ce cadre pour réaliser les stress tests climatiques pour les banques européennes.
Voici les résultats concernant l’impact des risques physiques sur le PIB. La différence entre un scénario de transition permettant de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C et l’absence de politiques de transition écologique c’est un PIB qui croit un tout petit peu moins vite.
Sur le plan des risques climatiques physiques, il y a selon la BCE peu de différence entre mener une transition très volontariste ou ne rien faire.
Le Council of Economic Advisers et de l’Office of Management and Budget, deux organismes appartenant à l’Executive Office du Président des États-Unis, ont publié en 2022 un White Paper sur les risques macroéconomiques liés au climat.
On y retrouve les évaluations suivantes pour les scénarios current policies, c'est-à-dire ceux dans lesquels les gouvernements ne mènent pas de politiques climatiques supplémentaires à celles existantes. A nouveau les impacts sur la croissance sont très faibles.
Aux États-Unis, les conseillers économiques de la Maison Blanche présentent des résultats similaires
Début 2022, la Bank of England a publié le rapport Climate Biennial Exploratory Scenario dans lequel elle explore dans trois scénarios les risques de transition et les risques physiques encourus par le système financiers du pays. Deux scénarios explorent deux chemins vers la neutralité carbone britannique d'ici 2050 selon que l'action est entreprise de façon précoce Early Action, ou tardive, Late Action. Un troisième scénario, No Additional Action explore les risques physiques qui commenceraient à se matérialiser si les gouvernements du monde entier n'adoptaient pas de mesures pour lutter contre le réchauffement climatique.
Comme on peut le constater sur le graphique, aucun scénario n'implique la survenue d'une récession. Le scénario No Additional Action conduit à une hausse des températures supérieure à 3,3°C en 2050. Cela ne se traduit que par un faible ralentissement de la croissance par rapport au scénario Early action qui parvient à limiter le réchauffement en-deçà de 2°C.
Résumé des impacts identifiés dans les scénarios du Climate Biennial Exploratory Scenario (2022)
4.4. Ces travaux sont non seulement scientifiquement contestables mais surtout ils sont dangereux !
Et ceci pour trois raisons principales
1. Même si la prise de conscience de la réalité du réchauffement climatique est aujourd’hui assez partagée, les climatosceptiques restent nombreux.
Dans un contexte où l’information circule désormais assez largement via des images relayées sur les réseaux sociaux, des graphiques tel celui de la BCE présenté ci-avant sortis du cadre de leur rapport peuvent facilement alimenter un discours climatosceptique. Les explications que nous donnons dans cette fiche sur la manière dont sont évalués les conséquences du changement climatique sur la croissance peuvent vous aider à contrer des arguments climatosceptiques.
2. Il existe une différence entre accepter la réalité du changement climatique en cours et comprendre réellement ce que cela implique.
Dans les milieux économiques et financiers, les professionnels qui abordent l’enjeu climatique principalement via le type de rapports présentés ci-avant peuvent donc avoir l’image qu’un réchauffement climatique supérieur à 3°C serait certes préjudiciable mais malgré tout gérable.
C’est ainsi, par exemple, que le directeur de la Banque Publique d'Investissement France peut croire tenir un discours engagé contre le réchauffement climatique tout en affirmant que 1,5°C c'est cuit mais il faut essayer de garder les températures sous 2,5°C, allez disons 3°C.
C'est également en s'appuyant sur ce type de travaux que Stuart Kirk le directeur de l'investissement responsable de la banque HSBC a pu tenir lors d'une conférence organisée par le Financial times en mai 2022 un discours expliquant pourquoi les investisseurs n'avaient pas à se préoccuper des risques climatiques.
3. Sans le dire explicitement, ces travaux suggèrent que la croissance économique (supposée pour l’essentiel indépendante du changement climatique, car reposant sur un progrès technique continu) permettra à l'humanité de se donner les moyens de s’adapter à un changement climatique, somme toute gérable.
Or le message des climatologues est, à l’inverse, de tout faire pour éviter l’ingérable et limiter les conséquences déjà lourdes d’un scénario 1,5°C-2°C.
Ainsi, ces travaux sont non seulement contestables sur le plan scientifique car ils se placent dans un cadre que l'on sait profondément erroné mais aussi et surtout dangereux car ils laissent croire que ce cadre est plausible et alimentent ainsi les discours qui ralentissent voire découragent l'action contre le changement climatique.
Le fait que ces travaux soient encore publiés dans des revues scientifiques de renom et de plus en plus utilisés par les banques centrales interroge d’autant plus que d’autres approches des dommages climatiques ont été développés.
Ainsi, pour Martin Weitzman, l’un des principaux critiques de Nordhaus également pressenti pour le prix Nobel 2018, l’existence des points de bascule climatique rend vaine toute tentative d’évaluer les dommages futurs. La probabilité significative de scénarios de réchauffement ayant des conséquences dramatiques pour l’humanité, justifie en soi une action radicale pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Selon lui, de telles politiques pourraient être considérées comme des polices d’assurance contre les scénarios climatiques catastrophiques notepibclimat17
Pour en savoir plus
Pour en savoir plus sur les travaux publiés par les régulateurs financiers sur les risques climatiques et les problématiques que cela pose, vous pouvez consulter les publications suivantes.