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FICHE Le prix de l'énergie fait-il varier sa consommation ?
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Le prix de l'énergie fait-il varier sa consommation ?
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Si le prix d’une énergie augmente, est-ce que sa consommation baisse ? Si oui, de combien baisse-t-elle ? La réponse dépend-elle du type d’énergie ou du type de consommateur, entreprise ou ménage ? La question est importante car elle a des implications essentielles pour les politiques publiques qui visent à diminuer la consommation d’énergie, pour les mécanismes de protection du pouvoir d’achat lors des hausses incontrôlées des prix énergétiques, ou encore pour les prévisions économiques cherchant à estimer l’évolution de la consommation d’énergie. À chaque nouvelle crise de l’énergie, le politique doit par exemple choisir entre un contrôle direct des prix de l’énergie (via une baisse des taxes ou un blocage des prix) ou des subventions sous forme de chèques aux ménages en laissant varier les prix librement, ces deux options ayant des implications très différentes. Les économistes utilisent un outil clé pour répondre à ce type de question : l’élasticité. Cette fiche propose d’expliquer ce qu’est l’élasticité et d’exposer ce que la littérature économique récente a à nous dire sur cette notion, avant de suggérer quelques implications politiques très concrètes. Qu’est-ce que l’élasticité en économie ? 1.1 La définition de l’élasticité En économie, l’élasticité mesure la variation d’une première grandeur causée par la variation d’une seconde grandeur. L’élasticité est alors définie comme le ratio entre la variation en pourcentage de la première grandeur et celle de la deuxième. Plus exactement, si on veut mesurer l’élasticité de y par rapport à x, alors il faut que se produise une petite variation de x, qu’on note dx, et qu’on soit en mesure d’observer son effet causal sur la variation de y, qu’on note dy. Ainsi, dx/x est la variation en pourcentage de x, et dy/y celle de y. La formule est alors « élasticité = (dy/y) / (dx/x) ». On parle le plus souvent de l’élasticité-prix de la consommation d’un bien. La question est alors la suivante : « Si le prix du bien varie de 1%, de combien de pourcents varie la quantité consommée de ce bien ? ». Dans ce cas, y est la quantité du bien en question, et x est son prix. Concrètement, si l’élasticité-prix du carburant est de -0,6 pour un ménage français, cela veut dire que si le prix du carburant augmente de 10%, on peut s’attendre à ce que la consommation baisse de 6%, toutes choses égales par ailleurs. Si l’élasticité-prix du gaz est de 0, cela veut dire que la consommation de gaz est indépendante du prix de cette énergie, on dit que le gaz est « inélastique ». L’élasticité-prix d’un bien peut être positive mais c’est beaucoup plus rare. Dans ce cas, la consommation augmente lorsque le prix augmente (on parle alors de l’effet Veblen 1.2 Biens substituables et complémentaires : l’élasticité-prix croisée On peut aussi parler de l’élasticité-prix croisée. La question devient alors : « Si le prix du produit n°1 augmente de 1%, de combien de pourcents augmente la consommation du produit n°2 ? ». Cela permet de mesurer la complémentarité ou la substituabilité entre deux produits. Si une augmentation du prix du produit n°1 entraîne une augmentation de la consommation du produit n°2, cela veut dire que ces produits sont substituables. Si elle entraîne une baisse, cela veut dire qu’ils sont complémentaires. La notion de biens substituables ou complémentaires s’applique tout particulièrement à l’énergie car certaines sources d’énergie sont plus ou moins remplaçables à l’échelle d’une économie. Le pétrole, le charbon et le gaz sont les trois principales sources d’énergie primaire et représentent près de 80% du mix énergétique mondial. Ces sources ont chacune leurs spécificités et ne sont pas utilisées dans les mêmes conditions. Le pétrole s’échange facilement entre les différents pays du monde, tandis que le gaz est principalement consommé dans la région où il a été extrait car son transport est complexe et couteux. Ces sources d’énergie primaire sont ensuite transformées pour produire les énergies finales, c'est-à-dire celles qui sont utilisées par le consommateur (par exemple, l’électricité, l’essence, la chaleur). Le charbon est notamment utilisé pour produire de l’électricité et peut donc être partiellement substitué par du gaz, lui aussi utilisé comme combustible dans les centrales électriques (à supposer qu’on dispose de centrales à charbon et de centrales à gaz). A l’inverse, le pétrole, du fait de sa forte densité énergétique, est principalement utilisé pour fabriquer le carburant (essence, diesel, kérozène, fioul lourd) qui alimente nos voitures, avions et navires. A l’heure actuelle, il n’a pas vraiment de substitut accessible aisément et massivement développé. Il est important de comprendre les caractéristiques techniques et économiques des sources d’énergie car elles structurent fortement la réponse à une contrainte de prix ou à un choc de l’offre. 1.3 Comment mesure-t-on l’élasticité-prix d’un bien ? Mesurer l’élasticité-prix d’un bien est loin d’être évident. Ce n’est pas un paramètre qu’on observe naturellement. Il faut donc appliquer des méthodes statistiques sur des données empiriques pour espérer en obtenir une estimation. La principale difficulté est que l’on veut mesurer la variation de la demande causée par une variation de prix. Or, la demande peut changer pour une multitude de raisons, indépendamment du prix. Il faut donc isoler, de toutes les autres sources de variations, celle qui provient uniquement d’un choc sur le prix. Les modèles économétriques sont souvent utilisés pour mesurer les élasticités. Il s’agit d’outils statistiques qui se basent sur des données réelles et reposent sur relativement peu d’hypothèses. Pour faire simple, un modèle économétrique suppose qu’il existe une relation linéaire entre une donnée d’intérêt et un ensemble de facteurs. Le modèle estime les paramètres de cette relation linéaire en appliquant des méthodes statistiques sur des données historiques qui servent d’exemple. En particulier, il est possible d’utiliser un modèle économétrique pour estimer la relation qui existe entre la variation de la demande et la variation du prix, toutes choses égales par ailleurs. De cette manière, on saura isoler l’effet du prix sur la demande, indépendamment de tous les autres facteurs. Cet effet est précisément l’élasticité. Quelles élasticité-prix trouve-t-on pour les différentes énergies ? 2.1 Ce qui est pris en compte : le prix et la consommation de l’énergie finale L'énergie telle que nous la connaissons au quotidien (le carburant à la pompe, l'électricité qui alimente nos ampoules ou la chaleur produite par nos radiateurs) n'est pas disponible telle quelle dans la nature. Les sources d'énergie primaire sont celles qu'on trouve sans intervention de l'homme : le pétrole, le gaz, l'uranium, le vent ou l'énergie solaire. Inversement, l'énergie finale est celle qui est accessible à un utilisateur final. Le passage d'une énergie primaire à une énergie finale suppose l’existence d’une chaîne complexe : extraction, purification, transformation chimique, transport, distribution etc. L'énergie qui nous est finalement accessible ne représente qu'une fraction de l'énergie primaire extraite à cause de toutes les interventions nécessaires, qui consomment elle-même de l'énergie ou qui engendrent des pertes. Si nous parlons de l'élasticité-prix de l'électricité, nous considérons donc le prix final de l'électricité (qui inclut le financement des centrales, les coûts de distribution, les taxes etc.) et la consommation finale d'électricité (qui suppose donc une consommation différente d'énergie primaire pour produire cette électricité), et de même pour le gaz ou le pétrole. 2.2 Le poids des dépenses énergétiques dans la consommation des ménages L’énergie permet aux particuliers de se déplacer (via l’essence ou le diesel), de se chauffer et d’avoir de l’eau chaude (via l’électricité, le gaz, le charbon, le fioul ou le bois), ou encore d’avoir accès à tous les services que procure l’électricité (appareils électroménagers, appareils électroniques, éclairage). De l’énergie a également été nécessaire pour fabriquer tous les biens et rendre les services que les particuliers consomment quotidiennement, ainsi que pour construire les bâtiments et infrastructures notamment. Les dépenses d’énergie des ménages et la part dans leur budgetLe carburant (principalement issu du pétrole) et les différentes consommations énergétiques pour le logement (électricité, gaz, fioul, bois etc…) représentaient chacun environ 5% des dépenses d’un ménage moyen en France en 2019. Le poids des dépenses énergétiques varie évidemment en fonction des revenus, nous développerons ce point plus tard. Répartition de la consommation d’énergie finale par les ménages français en 2019Comme on peut le voir sur le graphique suivant, les ménages français utilisent très majoritairement l’énergie pour se chauffer et se déplacer. Source
Comptes des flux physiques d'énergie en France de 2014 à 2019 (téléchargé en novembre 2022)
2.3 Elasticité de long terme et élasticité de court terme Lorsqu’on mesure la variation de consommation d’une énergie à la suite d’une variation de son prix, on peut très bien attendre 1 jour, 1 mois, 1 an ou même 20 ans avant d’observer l’effet. On parle d’élasticité de court terme quand on s’intéresse à l’effet à quelques jours et d’élasticité de long terme pour l’effet à quelques années. L’horizon de temps influence très largement la valeur de l’élasticité. Par exemple, une augmentation du prix de l’essence aura un effet immédiat car certaines personnes peuvent d’ores et déjà changer de mode de transport (principalement les populations urbaines) ou limiter leurs déplacements, réduire la vitesse, organiser du covoiturage avec des collègues. A cela, s’ajoute un effet de long terme lié à l’investissement. Il peut s’agir de l’investissement privé (éventuellement soutenu par des subventions) avec par exemple le renouvellement du parc automobile (qui se fait sur environ 15 ans) pour des voitures moins consommatrices ou utilisant d’autres technologies (voitures électriques). Il peut également s’agir d’investissements publics dans des modes de transport collectifs, ou des aménagements favorables au vélo. De même, une augmentation du prix du gaz a un effet à court terme (baisse du thermostat) et un effet à long terme (rénovation énergétique). Dans tous les cas, l'élasticité long terme est toujours plus élevée que l'élasticité court terme car elle agrège tous les effets. 2.4 L’élasticité-prix de l’énergie pour les ménages sur le long terme De nombreuses études ont été conduites et tendent toutes à montrer que les ménages sont effectivement sensibles au prix de l’énergie. Les différentes études présentées ci-après portent toutes sur l’élasticité de long terme Concernant la consommation d’énergie dans les logements, une étude En France, l’INSEE mène des enquêtes « budget de famille » qui reconstituent toute la comptabilité des ménages. Une première étude Concernant le carburant qui alimente les voitures, ces deux études de l’INSEE fournissent aussi une estimation de son élasticité-prix et trouvent respectivement -0.5 et -0.51. D’autres études ont été menées à plus large échelle dans le monde. L’une d’entre elles 2.5 Qu’en est-il pour les entreprises ? Les marges d’adaptation ne sont évidemment pas les mêmes pour une entreprise ou un particulier. La distinction peut donc être intéressante. Malheureusement, il est difficile de mesurer l’élasticité-prix des différentes sources d’énergie pour le secteur productif. En effet, les données agrégées à l’échelle nationale ne distinguent pas toujours ménages et entreprises. D’autre part, les enquêtes de grande ampleur comme celles de l’INSEE concernent très souvent les ménages car il est beaucoup plus facile de sonder des particuliers qui « se ressemblent tous » plutôt que des entreprises qui peuvent être très différentes. Toutefois, quelques études se sont concentrées sur l’industrie. L’étude sur les données de l’OCDE 2.6 Le prix n’influe que légèrement la consommation d’énergie Que retenir de tous ces chiffres ? La quantification de l’élasticité n’est pas facile et de nombreux facteurs peuvent en perturber la mesure. C’est pour cela que les études donnent des valeurs différentes, allant parfois du simple au double. Par ailleurs, la valeur de l’élasticité change fortement en fonction du pays, de la période et surtout de l’énergie considérée. Cela étant dit, nous pouvons dresser quelques constats que toutes les études corroborent. Tout d’abord, il est plus facile pour les ménages de limiter leurs déplacements (et donc leur consommation de carburant) que de limiter les dépenses énergétiques de leurs logements Ensuite, bien qu’elles ne soient pas nulles, les élasticités-prix des déplacements et du logement ne sont pas très élevées. On dit alors que la consommation d’énergie est inélastique. En ordre de grandeur, augmenter le prix de l’électricité et du gaz de 100% ne fera diminuer sa consommation que de 20%. Cela montre donc que l'énergie remplit aujourd'hui des fonctions presque vitales dont les ménages ont du mal à se passer. Les implications politiques de l’élasticité-prix de l’énergie 3.1 L’élasticité est différente selon l’énergie considérée Ces observations appellent quelques analyses concernant leurs implications politiques. Tout d’abord, comme nous l’avons vu dans la partie précédente, les élasticités mesurées sont assez faibles. Il ne faut donc pas compter uniquement sur des augmentations de prix pour diminuer notre consommation d’énergie. Avec une élasticité de -0.2, diminuer une consommation de 80% (ce qui correspond aux objectifs planétaires si l’on veut rester sous les 2°C) suppose d’augmenter le prix de 400% (à supposer que l’élasticité-prix reste constante avec l’augmentation du prix, ce qui n’est probablement pas le cas). Il va sans dire que ce n’est ni réalisable, ni souhaitable. Ensuite, les ménages ne diminuent pas leur consommation de la même manière pour un même changement de prix selon l’énergie considérée. Comme nous l’avons vu dans la partie 2, la consommation de gaz est vraisemblablement plus inélastique au prix que la consommation de pétrole. Or, si les pouvoirs publics souhaitent limiter les émissions de CO2 via des taxes énergétiques, l’effet sera d’autant plus faible que la source d’énergie concernée est inélastique au prix. Espérer baisser la consommation de gaz dans les logements sera donc vain si on ne compte que sur une augmentation des prix. Certains changements doivent être plus accompagnés que d’autres. Par exemple, la rénovation thermique des bâtiments représente un investissement financier et mental lourd pour un particulier (savoir quoi faire, trouver des artisans, supporter les travaux etc.). Les pouvoirs publics doivent donc concentrer leurs efforts de pédagogie et de soutien là où le changement est le moins évident. Par ailleurs, un agent économique ne modifie son comportement que si la modification de prix parvient effectivement jusqu’à lui. Or, la plupart des contrats actuels des fournisseurs d’électricité ont une tarification très statique (pour en savoir plus sur le sujet de la fourniture d’électricité, voir notre fiche sur le marché de détail de l’électricité). L’élasticité-prix de l’électricité n’étant pas nulle en France, une tarification variable selon les heures pourrait être un levier intéressant afin d’inciter les ménages à différer leur consommation au moment des pointes d’électricité. Il existe déjà de longue date des tarifs de ce type (tarif « heures pleines / heures creuses », tarif EJP) mais la tendance est plutôt à les supprimer en vue d’exposer plus directement les ménages aux prix du marché de gros, ce qui n’est pas sans risques 3.2 L’élasticité-prix de l’énergie n’est pas la même pour toutes les catégories de population L’élasticité-prix moyenne d’une source d’énergie peut recouvrir des disparités entre les différentes classes sociales. Par exemple, les données de l’INSEE montrent que les élasticités-prix du transport et du logement remontent vers zéro pour les ménages les plus aisés et vivant en ville. Ainsi, les ménages appartenant au D1 (il s’agit du premier décile de revenu, c’est-à-dire des 10% les plus pauvres) et vivant dans une zone rurale ont une élasticité-prix de -0,54 pour le carburant tandis que celle des ménages parisiens du dixième décile de revenu (il s’agit du dernier décile de revenu, c’est-à-dire des 10% les plus riches) est de -0,17. Concernant les énergies utilisées dans le logement (gaz, électricité etc.), l’élasticité est de -0,2 pour toutes les ménages du D1 dans les grandes villes, contre quasiment 0 pour les classes du D10. En clair, un ménage appartenant au décile le plus aisé de la population ne changera quasiment rien à son chauffage ou à sa consommation d’électricité quelle que soit la hausse du prix de ces énergies. Tous les ménages ne participent donc pas autant à l’effort de réduction de consommation énergétique à la suite d’une hausse des prix. Les populations défavorisées étant plus sensibles à une augmentation du prix, ce sont elles qui réduiront davantage leur consommation, souffrant donc du même coup davantage de l’inconfort (moins de déplacements de loisirs, baisse du thermostat etc.). Symétriquement, l’instauration d’une taxe sur l’énergie (ou le carbone) ne représente pas le même effort financier pour tous les ménages. Même s’ils réagissent davantage à une augmentation des prix, la même étude montre que la contribution financière des Français du D1 représenterait ainsi une part 2,5 fois plus importante de leur revenu que pour les Français du D10. Les plus modestes payent en quelque sorte deux fois l’augmentation des prix. Une première fois car leur comportement change et que cela peut être pénible, une deuxième fois car leur budget total est fortement impacté. Ces différences d’élasticité selon les revenus ou la localisation des ménages méritent donc d’être prises en compte lors d’une augmentation des prix de l’énergie (voulue ou subie) pour accompagner les plus défavorisés. 3.3 L’importance de planifier les augmentations de prix Comme nous l’avons vu dans la partie 2. C, il existe une différence entre l’élasticité-prix à court terme et celle à long terme. Une méta-analyse Certains changements de comportement prennent du temps (on ne change pas de voiture du jour au lendemain quand le prix augmente), ce qui implique qu’une augmentation des prix doit être planifiée et annoncée à l’avance pour maximiser son impact tout en limitant l’inconfort social. Par ailleurs, les soutiens publics aux investissements privés (aide à l’achat d’un vélo électrique, d’une voiture plus économe, à l’isolation d’un logement) et les investissements publics (rénovation du parc de bâtiments publics, construction d’infrastructures pour le vélo, les transports en communs etc.) sont essentiels pour renforcer cette élasticité-prix à long terme. 3.4 Comment amortir les hausses des prix de l’énergie ? Depuis l’hiver 2021-2022, les chocs des prix du gaz, de l’électricité ou de l’essence ont obligé les gouvernements à prendre des mesures pour limiter l’impact sur les ménages et les entreprises. Deux solutions sont régulièrement mises sur la table : une subvention d’un certain montant, indépendante de la consommation d’énergie initiale de chacun (le fameux « chèque énergie ») ou une baisse directe du prix de l’énergie (via une baisse des taxes ou via un prix réglementé, le fameux « bouclier tarifaire »). Ces deux options ont chacune leurs implications. Si on opte pour une subvention, la mesure peut être ciblée sur les ménages qui en ont le plus besoin, réduisant donc le coût de la mesure pour les finances publiques. Par ailleurs, tous les ménages continuent à « ressentir » l’effet prix. Ainsi, ils sont toujours incités à moins consommer (ce qui est utile si l’augmentation du prix provient d’une pénurie d’offre ou d’une taxe qui vise à diminuer la consommation énergétique), tout en subissant un choc financier réduit (la subvention peut servir à compenser le surcoût pour ceux qui n’ont pas beaucoup de moyens). Le désavantage est qu’il est impossible de connaitre exactement la consommation initiale de chacun, et que chacun reçoit donc une subvention qui correspond à une moyenne. Or, certains individus peuvent se trouver lésés car initialement très consommateurs d’énergie pour une raison à laquelle ils ne peuvent rien à court terme (une grande distance domicile-travail par exemple ou vivant dans une passoire thermique), la subvention ne couvrant donc pas tout le surcoût. Distribution des émissions de CO2 par niveau de vieLes émissions de CO2 pour chaque individus sont calculées grâce à l'enquête Budget des familles de l'INSEE. Elles sont très corrélées à la consommation énergétique. On observe que même au sein d'un classe de revenu (les déciles), la distribution est très éparpillée autour de la moyenne. Cette hétérogénéité empêche de satisfaire tout le monde si la subvention ne dépend que du revenu (et pas d'autres facteurs comme la classe énergétique du logement occupé ou la distance domicile-travail). Source Un rapport de l'OFCE
Si le gouvernement opte pour la baisse du prix (via une réduction des taxes ou une réglementation bloquant les prix), toute incitation à diminuer la consommation énergétique est alors annulée. Le coût pour les finances publiques est d’autant plus important qu’il n’est pas possible de cibler ces baisses de prix selon les niveaux de revenus des consommateurs d’énergie. Les populations les plus aisées, qui ont beaucoup moins besoin d’un coup de pouce financier que les plus modestes, sont aidées de la même façon. Par ailleurs, camoufler l’augmentation du prix peut conduire à aggraver la situation si la hausse est liée à une offre insuffisante. En revanche, l’avantage est que personne ne subit de choc budgétaire, peu importe la demande énergétique initiale. Enfin, il existe des options plus structurelles : investir dans les infrastructures publiques « décarbonantes », aider les acteurs économiques à eux aussi investir, proposer des alternatives aux services actuels rendus par les énergies (pistes cyclables, réseaux de chaleur etc.). Ces options permettent d’augmenter l’élasticité-prix de long terme des consommateurs. Mise en garde contre une analyse trop hâtive du lien entre prix et consommation d’énergie 4.1 Prix et consommation d’énergie au cours du temps Le pétrole peut être transporté sur de grandes distances par oléoducs ou par des navires pétroliers. Ce transport représente entre 6 et 7% du coût total, ce qui est relativement faible et permet donc de supposer qu’il existe un prix du pétrole plus ou moins uniforme à l’échelle de la planète à un instant donné. Si on s’intéresse au volume de pétrole consommé et au cours du baril au fil du temps, et au regard des élasticités évoquées précédemment, on s’attendrait à voir une courbe décroissante. Si le prix est haut, alors la consommation est faible, et inversement. Or, le volume de pétrole consommé au niveau mondial ne semble pas dépendant du prix. Prix du pétrole brut et consommationSource Our World in Data
Lecture : en 1972, la consommation de pétrole brut s’est élevée à 8 millions de barils par jour pour un prix moyen annuel 100 USD 2021 par mètre cube de pétrole brut. Contrairement au pétrole, les échanges commerciaux de charbon ne sont pas très « fluides ». Le prix à la tonne est assez faible, ce qui rend le transport longue distance très peu rentable. Le charbon est consommé localement, dans les régions où il est extrait. Regarder la consommation en fonction du prix à l’échelle mondiale n’aurait donc pas de sens, puisqu’il n’existe pas de prix « mondial » du charbon, mais uniquement des prix régionaux. Mais si on se limite à l’Europe (où les prix sont relativement homogènes), la conclusion est la même que pour le pétrole : la consommation de charbon ne semble pas dépendre de son prix. Prix du charbon européen et consommationLecture : en 2018, l’Europe consommait 13 exajoules (EJ) de charbon pour un prix de 90$ par tonne. 4.2 Faut-il en déduire qu’il n’y a pas d’élasticité-prix de l’énergie ? Nous souhaitons ici mettre en garde contre une analyse un peu trop hâtive du lien entre prix et consommation des diverses énergies. Ces graphes ne permettent absolument pas de conclure que le prix de l’énergie n’a aucune incidence sur la quantité consommée. Plusieurs raisons peuvent expliquer l’écart entre ce qu’on observe sur ces graphes et ce que disent les études économétriques. La principale raison est que l’élasticité se définit « toutes choses égales par ailleurs ». Elle donne une idée de l’évolution de la consommation en fonction d’un changement de prix, le reste du monde étant supposé statique. Nous pouvons construire un contre-exemple qui montre l’absurdité de cette analyse rapide. Supposons que le parc de machines augmente à l’échelle du monde (ce qui s’est produit à grande vitesse sur le dernier demi-siècle), la demande en énergie va mécaniquement augmenter. En supposant que la loi de l’offre et de la demande s’applique, cela devrait conduire à une augmentation des prix. On aurait donc simultanément une augmentation des prix et de la consommation. Cela ne prouve pas pour autant qu’une augmentation du prix conduit à une augmentation de la consommation. Par ailleurs, les consommateurs ne consomment pas du pétrole brut. Ils achètent du pétrole à la pompe, dont le prix dépend en France à 60% de la fiscalité, à 15% du raffinage, de la distribution etc., et à 25% de la matière première (le pétrole brut). Le prix final de l’électricité ne dépend lui qu’à 36% de ses coûts de production. Il est donc normal de ne pas observer d’élasticité nette si l’on regarde la consommation de l’énergie finale avec le prix de la source primaire. Une autre raison, très liée à la première, est que le prix et les niveaux de consommations varient pour une multitude de raisons. Par exemple, le marché du pétrole est un oligopole qui fait l’objet de fortes tensions géopolitiques et qui est victime de manipulations de marché par les grands pays producteurs. Tous ces chocs viennent alors s’ajouter à la relation élastique entre prix et demande. En conclusion, le prix est une variable parmi d’autres qui affecte la consommation globale. D’autres facteurs ont un impact tout aussi significatif dans ce qu’on observe à l’échelle macro-économique. Cela n’invalide pas l’existence d’une élasticité-prix des différentes sources d’énergie, mais confirme seulement qu’elle est relativement faible. Notes |