Les fondements économiques de la publicité
1.1 La publicité est le support d’une information économique
Le problème fondamental auquel répond la publicité au sens large (la communication, le marketing etc.) est l’asymétrie d’information entre l’offre et la demande. Les consommateurs ne connaissent pas par magie la diversité des offres qui leur sont proposées. Et pourtant, ils devront faire un choix de consommation. L'entreprise a donc besoin d'un moyen de faire savoir ce qu’elle vend et d’expliquer ce qui la différencie de la concurrence.
Une de ces moyens consiste à autoriser les entreprises à communiquer dans l’espace public des informations concernant leurs produits. Dans une directive de septembre 1984, l’Union européenne définit la publicité comme toute forme de communication faite dans le cadre d’une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale dans le but de promouvoir la fourniture de biens et services. Par publicité , on entend plus communément toute forme d’achat d’espace dédié à la communication d’une entreprise (espace physique, visuel ou sonore).
Aujourd’hui, la puissance publique décide des canaux sur lesquels la publicité est autorisée (l’affichage public est restreint à certains emplacements, les créneaux publicitaires à la télévision sont limités, etc.), mais ils sont tout de même nombreux et le numérique leur donne une place de choix. Des règles encadrent aussi le contenu publicitaire lui-même. Les allégations fausses ou de nature à induire en erreur les consommateurs sont interdites en France et la promotion du tabac et de l’alcool est très strictement encadrée voire interdite. Au-delà de quelques interdictions strictes, le système français repose en partie sur la responsabilisation autonome des acteurs via l’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) qui a mis à disposition des recommandations et un code de déontologie.
La plupart des secteurs économiques ont recours à la publicité pour vendre leurs produits, avec en premier les produits de grande consommation, l’automobile et les grandes surfaces de distribution. En France, elle est interdite pour certaines professions, notamment les professions libérales réglementées comme les médecins, les avocats, les notaires ou encore les architectes professions. Cela étant, la législation s’ouvre de plus en plus sous l’influence anglo-saxonne. La régulation est en effet beaucoup plus permissive aux Etats-Unis, où les publicités pour des médecins ou des cabinets d’avocats sont monnaie courante.
1.2 La publicité révèle et crée la demande
Une question primordiale est de savoir si la publicité révèle ou crée la demande. Autrement dit, a-t-on besoin de tout ce que nous propose la publicité, ou crée-t-elle en nous de nouveaux besoins ?
Il se peut que la publicité fasse les deux à la fois, ou du moins que cela dépende de la manière dont le contenu publicitaire a été conçu. En effet, une publicité repose généralement sur deux leviers.
- Un levier informatif : apporter des informations sur la valeur d’un produit dont l’usage nous est déjà nécessaire en mettant en avant ses caractéristiques par rapport à d’autres produits similaires. Par exemple, essayer de montrer que la lessive X lave mieux que la lessive Y, tout en supposant que le consommateur a besoin de lessive.
- Un levier persuasif : convaincre du besoin de nouveaux usages et donc de nouveaux produits. Par exemple, on essaie de nous convaincre qu’un SUV est un moyen de déplacement normal en zone urbaine, ou qu’on ne peut pas faire de footing sans montre connectée. La publicité va parfois jusqu’à vendre un modèle de vie et une définition du bonheur. C'est ce qu'on peut voir dans les spots publicitaires de parfums qui promeuvent l’argent, la gloire, les voitures, les muscles et les femmes.
Selon le produit, la stratégie de la marque et le canal de communication, l'un ou l’autre des deux leviers est plus fortement actionné, faisant pencher la pub soit du côté strictement informatif, soit du côté persuasif et générateur de demande.
Dans une certaine mesure, la publicité qui utilise le levier informatif est un jeu à somme nulle dans la mesure où les différentes entreprises essaient de capter un nombre donné de consommateurs ayant un budget global déterminé. Si deux entreprises vendent un produit très similaire, elles entrent en guerre publicitaire pour attirer le plus de clients possible. Cette bataille ne crée rien (si ce n’est du travail pour les agences de publicité) et c’est le consommateur qui paye l’investissement publicitaire dans le coût du produit sommenulle.
De ce point de vue, la publicité serait de la main d’œuvre perdue puisqu’elle ne produit pas de biens de consommation utiles mais servirait juste à départager des parts de marché. Néanmoins, cette main d’œuvre peut éventuellement être un investissement bénéfique puisqu’il permet d’apporter de l’information au consommateur qui peut donc faire un meilleur choix.
1.4 La publicité est au cœur du modèle commercial de nombreuses entreprises
La publicité peut aussi être une source de revenus pour certains acteurs économiques. Par exemple, un média qui édite un journal capte quotidiennement l’attention de ses lecteurs pendant quelques minutes. Un premier modèle est de faire payer l’accès au journal, puisque le lecteur en tire un bénéfice. Un deuxième modèle est de passer un marché avec une tierce partie : une entreprise qui souhaite parler d’elle. Le média accepte de donner accès à une partie de l’attention qu’il capte contre rémunération, et le lecteur accepte de payer moins cher (voire pas du tout) l’accès au media en contrepartie d’une exposition à du contenu publicitaire pendant sa lecture lecture.
Beaucoup d’entreprises sont fondées sur un modèle de revenus publicitaires : chaînes télévisées, radios, journaux, sites internet, applications mobiles etc. La publicité permet de faire vivre une économie de l’attention dans laquelle le but est de capter le regard et l’ouïe d’un public le plus longtemps possible. En 2004, Patrick Le Lay, alors PDG de TF1, déclarait dans une interview : Ce que nous vendons à Coca-Cola, c'est du temps de cerveau humain disponible. Cela étant, nous n’aurions probablement pas accès à la même quantité de contenus pour nous distraire et nous instruire si la publicité n'existait pas.
Toute politique publique visant une diminution de la quantité de publicité doit donc aussi accompagner le choc économique qu'elle engendre sur ces acteurs économiques dont le modèle est fondé sur les revenus publicitaires. Par exemple, il faudrait davantage subventionner la télévision publique et repenser le financement des chaînes privées.
Les dérives de la publicité
2.1 La publicité n’apporte finalement que peu d’informations
En théorie, le rôle économique de la publicité est d’apporter l’information nécessaire au consommateur pour qu’il puisse faire le bon choix. Or, la publicité joue davantage sur les émotions (sentiment d’appartenance à une classe, de ressembler aux autres, besoin de correspondre à un jugement de valeur) que sur les caractéristiques des produits.
Par ailleurs, rares sont les publicités sur les produits réellement innovants dont nous n’aurions pas connaissance : les spots TV sont majoritairement occupés par les produits de grande consommation ou les voitures. La pub joue beaucoup sur la répétition pour que le consommateur retienne l’image, le nom d’une marque. L’acte d’achat en magasin est généralement très rapide, la pub vise donc à jouer sur des décisions quasi réflexes (de là vient l’idée de matraquage publicitaire ). Il s’agit en outre très régulièrement des mêmes enseignes, ce qui fausse la concurrence. Pour cause, les prix dégressifs sur la publicité donnent du pouvoir aux grands acteurs qui ont les moyens d’acheter l’espace publicitaire en gros capital.
La publicité est d’ailleurs parfois mensongère. En pratique, peu de choses empêchent une entreprise de communiquer une exagération de la vérité, ou carrément des fausses informations. L’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) reçoit régulièrement des plaintes de consommateurs estimant qu’une publicité était trompeuse ou mensongère. Sans être fausse, une publicité peut n’évoquer qu’une partie de la vérité concernant ses caractéristiques. Le régulateur en est réduit à imposer aux annonceurs le rajout de mentions comme Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé ou L’abus d’alcool est dangereux pour la santé pour rétablir un peu de vérité dans la communication publicitaire.
2.2 La publicité est dangereuse quand elle touche à la santé
Prendre un lave-linge qui n’est pas notre lave-linge optimal parce qu’on a été influencé par une information publicitaire trompeuse n’est pas si grave. En revanche, dans certains secteurs comme celui de la pharmaceutique, la publicité peut être particulièrement dangereuse.
En 1996, Purdue Pharma a lancé une campagne de marketing agressive mettant en avant son médicament OxyContin, un analgésique opioïde délivré sur ordonnance. Les informations délivrées pendant cette campagne sont aujourd’hui jugées trompeuses et on considère que la campagne a largement contribué à l’aggravation de l’épidémie d’opioïdes aux Etats-Unis.
Une étude s’est servi de la stratégie d’introduction de l’OxyContin pour quantifier l’impact du marketing sur la consommation. En effet, certains Etats avaient une régulation plus stricte concernant les médicaments délivrés sur ordonnance. Purdue Pharma a donc concentré son marketing sur les Etats où la législation était la moins rigoureuse. Il se trouve que la distribution de l'OxyContin a été plus de deux fois supérieure dans les Etats les moins contraignants, montrant ainsi l’impact de la publicité.
En France, la réglementation en vigueur interdit la publicité directe auprès du public. Selon l’article L5122-6 du code de la santé publique : la publicité auprès du public pour un médicament n’est admise qu’à la condition que ce médicament ne soit pas soumis à prescription médicale et qu’aucune de ses différentes présentations ne soit remboursable par les régimes obligatoires d’assurance maladie. Seuls les médicaments non remboursables et qui ne sont pas vendus sur ordonnance peuvent faire l’objet d’une publicité.
Or, les laboratoires pharmaceutiques ont tout de même le droit de faire la promotion de leurs produits directement auprès des médecins via des dons, des cadeaux ou des aides qui financent leurs participations à des conférences. Les médecins n'ont par ailleurs presque pas d'incitation à prescrire les médicaments les moins chers ni les plus efficaces. Une étude a montré que 1 euro investi dans la promotion des ventes auprès de l’ensemble des médecins libéraux peut rapporter un peu plus de 5,15 euros de chiffre d’affaires supplémentaire. L'influence de l'industrie pharmaceutique sur les professionnels de santé constitue donc de fait un enjeu majeur de la régulation de la publicité.
2.3 La publicité est invasive à bien des égards
La forme que prend la publicité envahit l’espace public et privé, et c’est la principale raison pour laquelle la publicité est aujourd’hui perçue comme indésirable par la plupart des consommateurs. Nous voyons en moyenne plus de 1000 publicités par jour. Celle-ci contribue de manière significative à la pollution lumineuse dans les villes. Dans le cadre du plan de sobriété lié à la crise énergétique, un décret est paru en octobre 2022 pour interdire la publicité lumineuse de 1h à 6h du matin. La publicité a aussi un impact paysager fort, parce qu’elle occupe une large part de l’espace visuel urbain : panneaux publicitaires sur les trottoirs, sur les abribus, aux abords des routes, dans le métro et sur les façades des enseignes commerciales par exemple. Elle participe depuis plusieurs années à une dévalorisation visuelle des paysages urbains, dénoncée régulièrement dans plusieurs articles qui décrivent une France enlaidie » voire une France moche. Enfin, le démarchage téléphonique des opérateurs téléphoniques ou des fournisseurs d’énergies est au mieux indésirable, au pire une forme de harcèlement.
Par ailleurs, la publicité génère d’autant plus de revenus pour les chaînes TV, sites internet et réseaux sociaux que ces derniers réussissent à capter notre attention. D’une part, cela aggrave la crise de l’attention que l’on connaît. D’autre part, c’est une incitation faite à tous ces médias de capter notre regard et de nous prendre du temps par tous les moyens (dont les fake news, les propos polémiques, les images choquantes ou violentes).
Nous sommes aussi exposés à de la publicité sans le savoir. Le terme publicité native désigne le fait de promouvoir un produit en l’insérant dans le contenu éditorial d’un média (site internet, journal, vidéo). De nombreux sites en vivent (Topito, MinuteBuzz ou Konbini par exemple) et cela pose clairement un problème déontologique de transparence.
Si l'on écoute la théorie économique, le consommateur devrait être demandeur de publicité puisqu’elle l’aiderait à faire un meilleur choix. En pratique, il est saturé d’informations, ne sait pas faire le tri et essaie par tous les moyens d’échapper au contenu publicitaire (les internautes utilisent des bloqueurs de publicité et les téléspectateurs zappent pendant les pages de pub).
2.4 Le contenu publicitaire est parfois politique
Pour toucher son public, la publicité utilise régulièrement des représentations sociales et rentre alors dans le champ politique. Se pose alors la question de ce qui est acceptable ou non. De manière caricaturale, la publicité peut-elle par exemple s’adresser aux machos en reprenant leurs codes ? L’image de la femme dans les publicités de voiture était jusqu’à très récemment sexiste.
Par ailleurs, contrairement aux Etats-Unis, la publicité pour les partis politiques est interdite à la télévision en France depuis 1990 pour limiter le pouvoir de l’argent en politique. Ils peuvent toutefois sponsoriser des messages sur les réseaux sociaux, hors périodes électorales. Julia Cagé montre, dans Le prix de la démocratie, pourquoi et comment le jeu démocratique est capturé par des intérêts privés dans de nombreux pays développés. Les partis politiques ont besoin d'argent pour organiser des meetings, imprimer des tracts, communiquer sur les réseaux sociaux, en somme faire leur publicité. Or, un parti politique ne génère pas de revenus : il a donc recours aux dons et aux subventions privées (si les subventions publiques sont insuffisantes, ce qui est généralement le cas). Il y a donc un risque avéré de collusion entre les intérêts des financeurs et les intérêts supposément représentés par le parti politique. Aux Etats-Unis par exemple, la NRA (le lobby des armes à feux) finance les campagnes de communication des candidats qui les intéressent. En retour, l’association bénéficie d’une quasi-immunité sur le plan politique et s’assure que la régulation des armes à feux avance aussi lentement que possible.
2.5 Le lobby de la publicité s’oppose à toute régulation
Le Nutri-Score est un système d'étiquette nutritionnel avec 5 niveaux, de la lettre A (la meilleure note) à E (la plus mauvaise). Ce score évalue la valeur nutritionnelle d'un produit en fonction de différents paramètres comme la teneur en sucre, en sel, en fibres, en protéines etc. Il a pour but d'orienter la consommation vers les meilleurs produits et donc de lutter contre les maladies cardiovasculaires, l'obésité et le diabète. En France, l'industrie agroalimentaire s'y est férocement opposée et a tenté de bloquer et, à défaut, de retarder l'adoption du dispositif. Les filières des fromages et des charcuteries se sont dites pénalisées par ce score et mettent en avant la défense de la gastronomie traditionnelle française. On est ici aussi dans un cas où les enjeux de santé publique sont confrontés aux intérêts économiques industriels représentés par leurs lobbys. De nombreuses marques ont aujourd'hui adopté le Nutri-Score mais la réglementation européenne ne l'impose pas officiellement et certaines multinationales s'y opposent toujours (Ferrero, Mondelez, Coca-Cola, Unilever etc.).
Une étude de Santé Publique France préconise d’ailleurs d’interdire la publicité à destination des jeunes enfants pour les produits à faible Nutri-Score. La loi Gattolin avait déjà interdit ces publicités lors des émissions Jeunesse sur la télévision publique, mais le temps passé par les jeunes devant ces programmes n’est que de 1% par rapport aux autres chaînes Jeunesse. En 2019, une proposition de loi avait été débattue sur l’extension à toutes les chaînes de cette interdiction. Or, le gouvernement a fait supprimer l’article de la proposition de loi. A ce jour, aucune autre régulation n’encadre l’exposition publicitaire des enfants aux produits mauvais pour leur santé. Ce cas montre que la régulation de la publicité fait face à des lobbys qui ont beaucoup de poids.
Yuka est une application mobile qui permet de scanner des produits alimentaires pour obtenir des informations détaillées sur l'impact d'un produit sur la santé. Le but est de fournir des recommandations plus complètes que le Nutri-Score, en recommandant par exemple des produits similaires moins nocifs. Yuka, la Ligue contre le cancer et Foodwatch ont dénoncé en 2020 des tentatives d'intimidation par l'industrie de la charcuterie. Yuka informait en effet ses utilisateurs que les nitrites et nitrates se trouvant dans la charcuterie étaient cancérigènes. Le tribunal de commerce de Paris a donné raison à la Fédération française des industriels charcutiers traiteurs (FICT) et a condamné Yuka en première instance pour pratique commerciale déloyale et trompeuse. L'application a fait appel et ses dirigeants ont dénoncé des procédures bâillons qui visent à les faire taire. Pourtant, l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail) préconise de réduire l’exposition aux nitrates et a analysé la littérature scientifique qui confirme l’existence d’une association entre le risque de cancer colorectal et l’exposition aux nitrites et/ou aux nitrates. La cours d'appel a infirmé la condamnation en première instance, même si deux autres contentieux opposent toujours Yuka à un industriel et à la Fédération des industriels charcutiers-traiteurs (FICT).
Les annonceurs peuvent aussi faire chanter la presse, lorsque cette dernière révèle des informations qui les mettent en difficulté. En France, LVHM a retiré 600 000 euros de publicités au journal Le Monde à la suite de la publication des paradise papers. Un peu plus tard, Elise Lucet dénonce le chantage des annonceurs envers la direction de France Télévisions. En 2015, le groupe Volkswagen a demandé à la presse régionale de retenir l'information sur le Dieselgate, sans quoi il arrêterait sa publicité dans ces journaux.
2.6 L’incohérence de l'argumentaire du lobby de la publicité
Pour esquiver toute tentative de régulation, le lobby de la publicité oscille généralement entre deux arguments tous les deux faux et qui plus est contradictoires.
Le premier argument phare est de soutenir que la publicité n’est qu’un jeu à somme nulle. La publicité n’aurait pas d’importance puisqu’elle ne sert qu’à départager les entreprises qui acceptent de rentrer dans la guerre marketing. D’une part, nous verrons dans la suite que cet argument est faux : la publicité génère de la consommation et ne fait pas que partager les parts du gâteau. D’autre part, même si cet argument était fondé, le jeu est certes à somme nulle pour les entreprises, mais à somme négative pour les consommateurs. Ce sont eux qui paient les frais marketings et qui supportent le coût financier de la guerre de communication. De ce point de vue, il faudrait donc interdire la publicité : les entreprises ne perdraient pas de temps à se faire la guerre et le consommateur ferait des économies.
Le deuxième argument phare est que la publicité serait bonne pour le PIB. Deloitte a réalisé une étude économétrique pour étudier cet impact. Pour cela, le cabinet a regroupé des données historiques sur le PIB de plusieurs pays en cherchant les effets de différentes variables comme l’investissement dans la publicité (et d’autres paramètres qui sont susceptibles d’influer sur le PIB). Sans rentrer dans les détails de la méthodologie, l’étude conclut que 1€ investi dans la publicité correspond à 7,85€ de PIB. Rappelons qu’une étude économétrique ne démontre pas le sens de la causalité éventuelle, ni même si c’est une causalité ou une corrélation. Notons au passage que cette étude a été commandée par l’Union des annonceurs et que Deloitte est un cabinet de conseil et pas un laboratoire de recherche. Nous verrons dans la suite que la publicité a certes un impact sur le PIB, mais qui passe essentiellement par la consommation supplémentaire qu’elle encourage, et qui est beaucoup plus faible que ce que les annonceurs prétendent. Dans tous les cas, le PIB n’est en aucun cas un indicateur de bien-être (voir module PIB) et donc que la publicité ait un impact ou non sur le PIB a, au fond, peu d’importance.
Enfin, ces deux arguments se contredisent : la publicité ne peut pas être à la fois un jeu à somme nulle et génératrice de PIB. Soit la publicité génère de la consommation (et influe sur le PIB), soit elle ne fait que répartir des parts (et n’influe donc pas sur le PIB), mais pas les deux à la fois.
Publicité et surconsommation
3.1 La publicité génère de la consommation
En 2014, un rapport de l'ONU déplorait que la publicité se concentre désormais sur le lien entre la réaction affective et la prise de décisions et court-circuitant les processus rationnels de prise de décision des individus. La publicité dérégule notre système de récompense, s'attaque à des valeurs dont l'accomplissement dépend des autres, comme le statut social et la richesse.
Une étude économique menée conjointement par le Think tank Communication & Démocratie et l'institut Veblen a montré que le niveau de dépenses publicitaires en France a conduit en 30 ans à augmenter la consommation des ménages de 5,3% et le PIB de 5.0%. Dans le même temps, ces dépenses ont augmenté le nombre d'heures travaillées de 6,6%, et les salaires ont diminué de -1,14% (cette baisse est une conséquence indirecte de l'investissement publicitaire). Cela se comprend bien : la publicité ne fait que nous rendre plus désireux de consommer, sans rendre les entreprises plus efficaces pour autant. La seule manière de satisfaire notre désir de consommation additionnelle est donc de travailler plus.
Par ailleurs, cette étude montre qu'une taxation de 8% sur toutes les communications commerciales diminuerait la consommation de 0,69% et le PIB de 0,67%. En parallèle, le nombre d'heures travaillées baisserait de 0,92% et les salaires augmenterait de 0,16%. Cette taxation représenterait en outre 1,66 milliards de recettes publiques supplémentaires en moyenne durant 3 ans.
Au total, ces chiffres montrent bien que la publicité a un impact positif sur le PIB. Mais cet impact n'est pas gratuit. En nous rendant insatisfaits de ce qu'on possède déjà, la publicité nous incite à consommer davantage, nous forçant ainsi à travailler plus, pour un niveau de bien-être identique. Rien ne montre que la publicité ne stimule ni la créativité, ni la productivité, ni l'efficacité, mais des éléments solides soutiennent qu'elle stimule seulement le désir avide de consommer.
3.2 La publicité elle-même consomme des ressources
Les supports publicitaires sont par ailleurs eux-mêmes consommateurs de ressources. La FNH rappelle dans un rapport une estimation de l'ADEME : un panneau lumineux consomme 2 MWh par an, soit l’équivalent de la consommation électrique totale d’un français sur la même période. Par ailleurs, la fabrication d’un panneau de 200 kg nécessiterait 8 tonnes de matériaux. Selon l’initiative stop pub, la publicité papier indésirable distribuée dans les boîtes aux lettres représente 40kg de déchet par an par français. Sur les sites de vidéo en ligne (YouTube etc.), elle représente une part non négligeable du streaming puisque chaque vidéo démarre par une dizaine de secondes de publicité, ce qui aggrave l’empreinte carbone du numérique. La publicité représente aussi la majeure partie des mails envoyés, souvent lourds de surcroît car contenant des images.
3.3 La mode est de plus en plus éphémère
La mode vestimentaire, qui désigne la manière de se vêtir conformément à un groupe social et à une région donnée, est un mouvement collectif, qui suppose que tout le monde soit d’accord sur ce qui est à la mode et ce qui ne l’est pas. Sans figure centrale, la mode met du temps à évoluer, car il faut que chaque membre du groupe ait reçu l’information, soit sûr que les autres membres aient reçu la même information, soit sûr que les autres soient aussi sûrs que lui-même ait reçu l’information etc. La publicité fait office d’acteur central, mettant tout le monde d’accord sur ce qui à la mode, permettant ainsi une diffusion plus rapide, donc un changement de mode plus fréquent et donc des ressources gaspillées. La publicité provoque l’émergence d’une mode jetable, une fast fashion où les collections s’enchaînent, boostées par un marketing effréné. Selon Audrey Millet, la production d’un vêtement ne représente aujourd’hui plus que 6% de son prix, la publicité 12% millet.
Le même phénomène se produit pour les produits technologiques. La publicité pour les nouveaux modèles d’iPhone entérine chaque année l’idée que le modèle précédent n’est pas assez performant et qu’il vaut mieux se procurer le nouveau. De plus, le marketing d’Apple joue sur l’idée que l’iPhone est devenu un marqueur social et un signe extérieur de richesse qui se volatilise dès que l’iPhone en question correspond à un trop vieux modèle (signe alors de ringardise).
3.4 Les influenceurs vendent un mode de vie mortifère
Un influenceur est une personne qui, au travers de son exposition numérique via les réseaux sociaux (Instagram, Tiktok etc.) et les plateformes de partage (Youtube, Twitch etc.), est capable d'influencer le mode de vie et les habitudes de consommation du public qui le suit. La plupart des influenceurs le font dans un but marketing, donc financier, puisque les marques les utilisent comme relais de communication. Les secteurs qui sont les plus représentés dans les placements de produits sont la beauté, la mode, la gastronomie, la chirurgie ou encore les voyages. Les influenceurs peuvent gagner plusieurs milliers d’euros par post (jusqu’à 1 million pour les plus connus), c’est donc un métier qui attire. Or, les influenceurs sont d’autant plus connus qu’ils mettent en avant un mode de vie rêvé et consommateur de ressources, fait de voyages, de grosses cylindrées et de shopping effréné. Les marques qui s’associent à eux véhiculent la même image.
Par ailleurs, la publicité et les partenariats sont souvent déguisés et pas clairement annoncés ; le public ne se méfie pas et fait rarement preuve d’esprit critique, trompé par la confiance qu’il a dans son influenceur. La loi précise clairement que la promotion d’un produit financé par un professionnel doit être annoncé comme telle. Or, les influenceurs ne précisent pas tout le temps qu’ils placent de fait un produit.
Transformer le but de la publicité
4.1 La publicité permet de guider la consommation
La publicité est un outil qui permet de guider la consommation, il n’est ni bon ni mauvais par nature. Aujourd’hui, cet outil est majoritairement entre les mains des entreprises et insuffisamment régulé. La consommation est alors dirigée vers le produit qui a bénéficié du plus gros investissement marketing et des meilleures idées publicitaires.
Les pouvoirs publics auraient tout intérêt à utiliser la publicité pour orienter les décisions des consommateurs dans le bon sens (et limiter celles qui vont dans le mauvais sens). C’est gratuit pour l’Etat, indolore pour le consommateur, et une incitation pour les entreprises à favoriser les bons produits. C’est déjà le cas dans une certaine mesure. Par exemple, les fabricants de tabac n’ont pas le droit de communiquer sur leurs produits. Le but : limiter la consommation et donc améliorer la santé des individus et diminuer les dépenses de la sécurité sociale.
Il est aussi possible de tout simplement interdire la publicité, au nom du respect de l’environnement et du bien-être des citadins. Le conseil métropolitain de Lyon a instauré en juin 2022 un nouveau Règlement local de la publicité (RLP) qui interdit tout simplement les panneaux numériques et les bâches publicitaires géantes sur les bâtiments en travaux rlp. Il impose aussi une taille maximum sur les panneaux publicitaires (4m²) et l'extinction des enseignes lumineuses la nuit. La ville de Rennes aussi pris une décision similaire.
4.2 Le greenwashing ou écoblanchiment est néfaste pour l’environnement
Le greenwashing est une technique marketing consistant à communiquer autour d'un bien ou d'un service en utilisant un argument écologique trompeur, ou en omettant une part significative de l'impact écologique du bien ou service en question. C'est une pratique qui peut être assimilée à de la publicité mensongère.
Le greenwashing crée en outre l’illusion que la lutte contre le dérèglement climatique serait facile et qu’il suffirait de bien choisir ses produits de consommation. Il crée une confusion chez les consommateurs sensibles aux enjeux environnementaux qui peuvent faire fausse route dans leurs souhaits de consommation.
Il est aussi néfaste pour les entreprises sincèrement engagées et vertueuses qui se voient concurrencées par des allégations environnementales farfelues qui induisent de la confusion dans l’esprit du consommateur. L’ARPP et l’ADEME alertent d’ailleurs sur une forte augmentation du nombre de publicités qui peuvent être considérées comme du greenwashing sur les dernières années.
4.3 Une publicité au service du climat
La publicité oriente le consommateur sans le forcer et peut donc être un levier peu douloureux de décarbonation de la consommation. Quitte à ce que le marketing influence inconsciemment les choix des consommateurs, autant que cette influence ait une visée socialement et environnementalement bénéfique. Selon la FNH, 50% du budget publicitaire automobile était dédié aux véhicules hybrides et électriques en 2021, alors qu’ils ne représentent que 20% des ventes. Les obligations de communication de performances environnementales récemment inscrites dans la loi devraient renforcer cette tendance.
Parmi les 150 propositions de la Convention citoyenne pour le climat publiées à l’été 2020, celles dédiées à la publicité étaient radicales. Les citoyens ont considéré que la publicité incite de manière plus ou moins directe à la surconsommation en créant des besoins nouveaux ou encore en invitant à renouveler des produits pourtant encore fonctionnels et qu’un produit particulièrement nocif pour le climat – sans qu’il soit interdit pour respecter la liberté de commerce et de consommation – ne devrait pas être promu auprès du grand public. Trois propositions en sont sorties : interdire la publicité pour les produits les plus émetteurs de GES, réguler la publicité pour limiter les incitations à la consommation, et mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer.
Ce qui a été retenu de la Convention citoyenne pour le climat sur la publicité
La CCC a listé 150 propositions, dont une partie sur le levier que représente la publicité. Toute l’ambition des propositions n’a pas été retenue mais certaines recommandations ont d’ores et déjà été suivies.
Sur la proposition C2.1 - Interdire de manière efficace et opérante la publicité des produits les plus émetteurs de GES, sur tous supports publicitaires » :
- L’article 7 de la loi Climat et Résilience dispose qu’est interdite la publicité relative à la commercialisation ou faisant la promotion des énergies fossiles
- L'article 14 de la loi Climat et Résilience prévoit aussi la création de codes de bonnes conduites applicables aux annonceurs et aux médias via des Contrats climats
Sur la proposition C2.2 - Réguler la publicité pour limiter fortement les incitations quotidiennes et non choisies à la consommation :
- L’article 12 de la loi Climat et Résilience interdit les affirmations de net zéro carbone sans justification disponible au public
- L’article 21 de la loi Climat et Résilience autorise l’expérimentation OuiPub, système inverse de la démarche StopPub, pour 15 collectivités sélectionnées.
- L’article 20 de la loi Climat et Résilience interdit les avions qui tractent une banderole publicitaire.
Sur la proposition C2.3 - Mettre en place des mentions pour inciter à moins consommer :
- Un décret rend obligatoire l’affichage de la classe d’émissions de dioxyde de carbone (CO2) des véhicules dans les publicités.
- L’article 75 de la loi n° 2019-1428 oblige les annonceurs à afficher un message de promotion des mobilités actives ou partagées dans les publicités automobiles
Il est possible d’aller plus loin que ces recommandations, par exemple :
- En rééquilibrant le modèle publicitaire en faveur des plus petits acteurs.
- En renforçant les sanctions contre les allégations environnementales trompeuses.
- En interdisant les publicités pour les biens et services dont les émissions de GES ne sont actuellement pas compatibles avec les accords de Paris.
- En restreignant davantage l’espace publicitaire à la télévision et dans les villes.
Enfin, un travail est en cours à l’échelle européenne. La Commission européenne a en effet proposé une modification de directive relative aux pratiques commerciales trompeuses pour inclure les problématiques environnementales et donner aux consommateurs les moyens d’agir via de meilleures informations.
Pour en savoir plus
Rapports, articles, ouvrages et vidéos