Qu’est-ce qu’une provision pour démantèlement et remise en état d’un site ?
Si toutes les activités économiques provoquent des dégradations ou des altérations de l’environnement, certaines sont beaucoup plus impactantes et directement visibles que d’autres.
C’est en particulier le cas dans les secteurs de l’énergie et de l’industrie qui peuvent provoquer des dégradations immédiates via la construction de bâtiments ou d’infrastructures (par exemple la construction d’une usine, d’une plate-forme pétrolière, d’une centrale nucléaire, ou encore l’installation d’une canalisation de transport de gaz), ou des dégradations progressives (accumulation de déchets nucléaires ou chimiques, exploitation d’une carrière ou d’une mine...) Ces deux types de dégradations sont souvent conjointes.
Il ne s'agit pas ici de réparer les pollutions éventuelles liées à l'activité (comme le rejet ou la fuite de produits toxiques), car l’entreprise doit respecter des normes de rejets ou d’émissions : si elle ne les respecte pas ou si la pollution résulte d’un accident l’entreprise devra payer une amende ou des réparations. Cela relève d’un autre type de logique que les provisions pour démantèlement.
Dans de nombreux pays, à la fin de vie économique d’un site ou d’une installation, les entreprises concernées sont tenues de démanteler (c'est-à-dire de déconstruire) les bâtiments et infrastructures ayant entrainé une détérioration de l’environnement et de remettre en état les sites dégradés (lui redonner un aspect naturel, sécuriser le site, dépolluer ou décontaminer les sols). Cette obligation peut être légale, réglementaire, contractuelle, voire résulter d’un engagement public pris par l’entreprise.
Au niveau comptable, cette obligation se traduit par la mise en place de provisions pour démantèlement et remise en état, c'est-à-dire la constitution de réserves financières permettant de faire face aux coûts de démantèlement et de remise en état d’un site quand celui-ci arrive en fin de vie économique.
Il peut s’agir d’une mine qui s’est épuisée, d’une centrale de production d’électricité qui est fermée car elle est devenue trop vieille ou à la suite d’une décision administrative motivée par des politiques climatiques. Les installations qui sont fermées avant la fin de leur durée de vie économique à la suite de décisions politiques, sont appelées stranded assets (actifs échoués). C’est par exemple le cas de centrales à charbon, fermées à la suite d’une décision politique d’arrêt de production d’électricité à partir de charbon.
Le mécanisme comptable de la provision pour démantèlement
Quand la dégradation est progressive (une mine par exemple), la provision est constituée au fur et à mesure en fonction des dégradations occasionnées.
Quand la dégradation est immédiate (construction d’une usine par exemple), la provision est enregistrée au passif du bilan. En parallèle, à l'actif on inscrit un « actif de démantèlement » aux côtés de l’immobilisation corporelle représentant l’installation construite (ou achetée). Les coûts futurs de démantèlement et de remise en état sont ensuite étalés en charge au compte de résultat par le biais de l’amortissement de cet actif sur toute la durée de vie du site.
Ces mécanismes permettent que la provision soit constituée et mobilisable le jour où les opérations de démantèlement seront à réaliser.
Compte tenu de leur caractère à long terme, les coûts provisionnés sont actualisés. noteprovdem1 En début de vie d’une installation, ils seront donc assez faibles (en valeur absolue) par rapport à ce qui sera nécessaire en fin de vie de l’installation.
Plus de détails sur la provision pour démantèlement dans les normes françaises dans le Bulletin officiel des finances publiques
L'impact des provisions pour démantèlement dans l’industrie énergétique
Concernant les infrastructures liées aux énergies, les provisions pour démantèlement et remise en état des sites représentent un sujet sensible.
D’une part, leur montant est souvent significatif. Fin 2020, les provisions pour démantèlement s’élevaient à 28 milliards d’euros pour EDF, 15,3 milliards de dollars pour TotalEnergies et 7,8 milliards d’euros pour ENGIE. noteprovdem2
D’autre part, ces provisions obligent l’entreprise à déterminer dès sa construction quand une installation ne sera plus utilisée en raison de motifs internes à l’entreprise (tels que le terme prévu de leur durée de vie) ou externes (comme la fin des réserves d’énergie fossile ou l’interdiction de leur usage).
Or, cette durée de vie envisagée de l’installation n’est pas garantie, ce qui peut occasionner selon les cas une hausse ou une baisse des charges une année donnée.
2.1 Les effets des décisions écologiques des gouvernements sur les provisions pour démantèlement
Les États peuvent adopter des régulations contraignant à l’arrêt de l’utilisation de certaines infrastructures à une échéance précise, avant leur fin de vie économique. C’est ainsi par exemple que la France a annoncé la sortie du charbon pour 2023, et l’Allemagne la sortie du nucléaire pour 2022. Plus généralement, l’objectif de neutralité carbone à horizon 2050 devrait conduire à fermer progressivement la majeure partie des sites des industries fossiles.
Au niveau comptable, ce type de décision conduit les entreprises concernées à déclencher immédiatement les provisions pour remise en état et donc potentiellement à réduire les temps d’amortissement de l’actif de démantèlement. Cela peut se traduire par des hausses de charges très conséquentes (voir exemple chiffré dans l’encadré). Bien sûr, cette fin de vie anticipée d’une installation a d’autres conséquences économiques (arrêt des ressources tirées de l’activité, passage de la valeur de l’installation considérée à zéro - voir le passage sur les actifs échoués (« stranded assets ») dans le module sur la comptabilité d’entreprise) et elle a également des conséquences sociales en entraînant des suppressions de postes.
Un exemple de l’impact de la fin de vie anticipée d’un site sur la provision pour démantèlement (hors effet d’actualisation)
En année 1, une entreprise construit une immobilisation (une centrale à charbon par exemple) pour 1 000 M€. Sa durée de vie est estimée à 40 ans et les frais de démantèlement à 60 M€.
Au niveau comptable, une provision de 60 M€ est constatée au passif et un actif de démantèlement du même montant est inscrit à l'actif. Ensuite, un amortissement de 1,5 M€ (60/40) sera constaté chaque année, étalant progressivement la charge sur les 40 années. Ce mécanisme comptable permet qu’au lieu de « mettre de côté » 60M€ dès l’année 1, ce montant soit constitué en prenant sur les résultats de l’entreprise au cours des 40 ans de durée de vie de la centrale.
Si en année 18, l’État décide d’interdire la production d’électricité à partir de charbon deux ans plus tard, cela implique que la centrale devra également fermer à cette échéance. Au total, sa durée de vie aura été de 20 ans et non de 40 ans. L’amortissement restant de l’actif de démantèlement (60-18*1,5=33M€), qui devait se faire sur 22 ans, doit se faire sur deux ans, soit 16,5M€ par an.
On comprend bien que l'impact sur les résultats de l'entreprise est massif.
2.2 Les conséquences de l’arrivée des gaz de schiste sur les provisions pour démantèlement des infrastructures gazières
A l’inverse, à la suite de l’arrivée massive, en 2010, du gaz de schiste américain, les réserves prouvées noteprovdem6 de gaz au niveau mondial ont soudainement connu un fantastique bond en avant. Elles sont passées de 60 à plus de 250 ans (de la consommation de l’année noteprovdem7) !
Ce phénomène a conduit à une quasi-annulation des provisions pour démantèlement à cet horizon de temps pour les infrastructures gazières en raison du mécanisme d’actualisation (voir encadré). C’est ainsi, par exemple, qu’un produit de 1,1 milliard d’euros avait été constaté à l’époque dans les comptes d'ENGIE noteprovdem8 (ex-GDF Suez) via l’annulation des provisions pour démantèlement initialement constatées.
Le mécanisme d’actualisation
L’actualisation consiste à ramener en valeur d’aujourd’hui un montant qui sera dépensé ou reçu plus tard. Imaginons que démanteler des infrastructures gazières coûte 100 millions d’euros aujourd’hui. Comment évaluer dans les comptes actuels cette somme à dépenser dans le futur ? Pour faire cela, les économistes utilisent le taux d’actualisation. Quand il est nul, cela revient à dire que la valeur actuelle et la valeur future sont équivalentes. A l’inverse, si le taux est élevé cela revient à accorder plus de valeur au présent. Comme l’illustre le calcul ci-après le temps sur lequel la somme est actualisé compte aussi beaucoup.
Si l’entreprise doit dépenser 100 millions d’euros dans 250 ans, en l’actualisant au taux de 5%, on obtient comme valeur : 504 euros (oui euros et non millions d’euros !). En revanche, si elle doit actualiser ces 100 millions d’euros sur 25 ans au même taux, c’est alors 29,5 millions d’euros qu’elle doit constater immédiatement en provision pour démantèlement.
Que se passerait-il si cet horizon de 250 ans se raccourcissait subitement à 25 (ou 30) ans ? Et pour toutes les énergies fossiles ?... Les montants à provisionner augmenteraient de façon très importante.
La prise de conscience de cet enjeu se retrouve dans les comptes publiés par ENGIE : en 2020, le paragraphe dédié au démantèlement des actifs gaziers évoquait encore des réserves de gaz probables et prouvées à horizon 2260. noteprovdem9
Cet argument a complètement disparu des comptes 2021 qui intègrent désormais la neutralité carbone en 2050 et s’appuient sur le mix énergétique français et l’essor des gaz verts pour repousser l’horizon de démantèlement. noteprovdem10