|
FICHE La morue à Terre-Neuve et à Lofoten, deux histoires à contre-courant
Fiche
La morue à Terre-Neuve et à Lofoten, deux histoires à contre-courant
Exemples historiques
Télécharger la fiche
Cet article porte sur deux histoires de morue que tout oppose : effondrement des stocks dans les mers de Terre-Neuve et prospérité dans l'archipel de Lofoten. L’histoire de la gestion des ressources naturelles renouvelables est longue et complexe. Il peut dans ces circonstances être utile de s’appuyer sur deux cas précis pour appuyer la réflexion, comme nous allons le découvrir L'effondrement des stocks de morues à Terre-Neuve 1.1 Terre-Neuve, une gigantesque concentration de morues Les étendues marines de Terre-Neuve abritent au départ la concentration de morues la plus importante du monde. Exploitée depuis le XVIe siècle par les pêcheurs européens puis par les Canadiens, les prises ont augmenté régulièrement jusqu’à atteindre environ 500 000 tonnes en 1950. Cette activité a largement structuré la vie sur la côte est du Canada, et a contribué à l’activité de nombre de ports de pêche européens. A la fin des années 1950, le remplacement des techniques de pêche traditionnelle par les chalutiers a dans un premier temps provoqué une augmentation massive les prélèvements : la capture maximale étant de 800 000 tonnes en 1968. Le niveau des capture chute ensuite de façon drastique au fil des années 1970. À la fin des années 1970, le Canada a étendu sa juridiction maritime de 12 à 200 milles marins 1.2 Terre-Neuve : des rapports successifs jusqu’à l’effondrement Mais les pêcheurs côtiers n’avaient généralement pas adapté leurs technologies et constataient, eux, une diminution de leurs captures. Leurs protestations aboutirent à l’établissement du rapport Keats, qui affirmait en 1986 que le prélèvement réel était en fait de 30% à 60% des stocks. Il s’ensuivit une enquête officielle qui donna lieu au rapport Alverson, préparé par des spécialistes de la pêche et qui fit autorité. Ce rapport déclarait que le stock avait augmenté depuis 1977, bien que très lentement après 1982. Il affirmait aussi que le taux de capture se situait en fait au-dessus des 20% autorisés par le gouvernement, mais curieusement, sa note de synthèse établissait que les calculs de capture faits par le MPO se situaient bien dans la fourchette des estimations appuyées par les données disponibles. Le MPO en tira la conclusion que les différences entre ses chiffres et ceux de l’équipe Alverson étaient peu importantes. Mais la nouvelle évaluation de cette équipe, en 1989, concluait que le stock n’augmentait pas et recommandait une baisse de presque la moitié des captures au large. Les pêcheurs en haute mer se plaignirent du fait qu’il n’existait aucune preuve d’une diminution des stocks. La controverse se poursuivit, et une nouvelle enquête indépendante du MPO fut commandée : le rapport Harris confirma en 1990 que les captures étaient probablement au double de l’objectif cible et que le stock était à peine supérieur à la moitié de ce qu’affirmait le MPO. Harris affirma que le niveau d’exploitation était tel que l’extinction de la pêche commerciale était prévisible, ce qui fit sensation dans les médias, et prescrivit une réduction des captures de 235 000 tonnes en 1989 à 125 000 tonnes en 1990. En pratique, une limite de 190 000 tonnes fut appliquée de 1990 à 1992. Les conséquences économiques et sociales commencèrent à se faire sentir : en 1992, il devint évident qu’il restait peu à capturer et un moratoire d’urgence fut imposé en juillet 1992. Pourtant, le stock ne se reconstitua pas et ce n’est qu’en 1999 qu’une pêche côtière de 9 000 tonnes fut autorisée de nouveau. Les conséquences économiques de cette crise se chiffrèrent en milliards de dollars canadiens au cours des années 1990 : pertes de ventes, indemnités de chômage et aides financières. 1.3 Les facteurs humains d’un échec Le fait remarquable dans le déclin des stocks et des prélèvements de morues de Terre-Neuve est que l’attention des scientifiques, de l’État et de l’opinion publique à une gestion prudente de la ressource n’était pas absente de l’histoire. Selon une enquête sociologique rendue publique en 1994 Autre lieu, autre histoire : la morue de Lofoten Le sort de la pêche à la morue a été bien plus heureux dans l’archipel de Lofoten, situé au nord de la Norvège, même si la concentration de morues a fortement faibli dans les années 1980. Ici aussi, la pêche à la morue – dite aussi cabillaud de l’Atlantique – a nourri les hommes depuis des centaines d’années, et même davantage, puisqu’elle était déjà pratiquée par les Vikings dans cette mer des Barents. Dans le courant des années 1980, les prises ont baissé, mais l’alarme a été entendue à temps. Au printemps 1989, la commission mixte russo-norvégienne chargée de la gestion du stock de morue a fermé la pêche afin d’éviter de décimer une population de poissons à l’agonie. Immédiatement, un programme de sauvetage du cabillaud et de ses pêcheurs a été mis en œuvre. À la clé, des quotas très stricts, mais aussi la révision de la taille minimale des prises et l’interdiction des rejets en mer. L’ensemble de ces dispositions a fait l’objet d’un contrôle très strict de la part des autorités : visites-surprises des garde-côtes, système de traçage des tonnages et très grande sévérité envers les contrevenants. Les pêcheurs et leurs représentants syndicaux s’y opposèrent dans un premier temps, mais ont rapidement compris que le risque – à défaut – était de tout perdre, comme cela est arrivé à Terre-Neuve. La situation a été très difficile pour le secteur : en raison des quotas imposés, le nombre de pêcheurs a été divisé par deux en un peu plus de vingt ans. Ces efforts ont été largement récompensés, puisque le nombre de pêcheurs est désormais reparti à la hausse. En dix ans environ, le stock de morues s’est reconstitué avant d’exploser. Le quota national a quintuplé des années 1990 à 2015 et le stock de morues a triplé depuis les années 1980. Et toujours en 2015, la Commission franco-russe accordait 425 000 tonnes de prises rien que pour les pêcheurs scandinaves. C’est toute une filière qui s’est redéveloppée et qui profite à la vie économique du secteur et du pays. En guise de conclusion À Lofoten, le scénario catastrophe des pêcheries de Terre-Neuve a pu être évité grâce à la réactivité des autorités chargées de la gestion des stocks de poisson et à un effort considérable de la part des pêcheurs et de la région toute entière. Si la population locale a souffert pendant une vingtaine d’années des mesures de restriction, il est rétrospectivement certain que les mesures prises étaient le seul moyen de retrouver un bon équilibre écologique, donc la prospérité de la pêche. La comparaison entre les deux situations apporte plusieurs enseignements.
Notes |