La démonstration de cette formule est directe : en partant de CO2=CO2, on multiplie et on divise le membre de droite par le PIB, puis par la quantité d’énergie, puis par la population, soit CO2 = CO2 * PIB/PIB * NRJ/NRJ * POP/POP. Il suffit ensuite de réordonner les termes pour obtenir l’équation proprement dite. Dans cette fiche, nous allons détailler les observations que l'on peut faire à partir de cette formule, tout en étayant ses limites et les questions qu’elle soulève.
Le CO2 énergétique ne représente qu'une partie des émissions qui contribuent au changement climatique
En 2019, le CO2 représentait 75% des émissions anthropiques (humaines) de gaz à effet de serre (GES). Le méthane compte pour 18% des émissions (le CH4 provient notamment de la digestion des ruminants), le protoxyde d’azote pour 4% des émissions (le N2O se forme notamment lors de l’utilisation d’engrais azotés), et les halocarbures pour 3%
Par ailleurs, le CO2 provient de différentes sources physiques :
- Le CO2 énergétique = 81% des émissions totales de CO2. Il est émis lors de la combustion des hydrocarbures ou énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz).
- Le changement d'usage des sols = 15% des émissions totales de CO2. Le sol et les végétaux (en particulier les arbres) stockent naturellement du CO2. On dit que ce sont des puits de carbone. La déforestation ou l'artificialisation des sols libère ce CO2 stocké.
- Enfin, restent 4% qui proviennent des procédés industriels. Par exemple, fabriquer du ciment requiert de décarboner du calcaire pour récupérer un oxyde de calcium, et cette réaction chimique produit du CO2.
Au total le CO2 énergétique que l'on considère dans cette fiche ne représente donc que 61% du problème climatique. L'équation de Kaya ne regarde donc qu'une partie du problème.
Pour en savoir plus vous pouvez consultez notre fiche Compter les émissions de gaz à effet de serre fichercompterges.
Ce que Kaya nous dit du passé
1.1 Décomposition des émissions de CO2 à l'échelle planétaire
L’équation de Kaya propose une grille de lecture pour comprendre les émissions de CO2 énergétiques passées. Le site du Global Carbon Project met à disposition les données de population, de PIB à parité de pouvoir d’achat, de consommation d’énergie et d’émissions de CO2, à différentes échelles et pour plusieurs années.
Emissions mondiales de CO2 énergétique
On voit que les émissions mondiales de CO2 ont fortement augmenté depuis 50 ans, passant de 15 Gt en 1971 à plus de 35 Gt en 2019. Regardons désormais la décomposition de ces émissions sur les facteurs de l'équation de Kaya.
Contenu carbone de l'énergie, intensité énergétique du PIB, PIB par habitant et population à l'échelle mondiale
Le contenu carbone de l’énergie (CO2/NRJ) n’a que légèrement baissé en 48 ans, passant de 260g/kWh en 1971 à 230g/kWh aujourd’hui, soit une diminution de 11,5% en 50 ans (ce qui équivaut à 0,25% de réduction par an).
L’intensité énergétique du PIB a elle diminué plus rapidement, passant de 2,5 kWh/$ en 1971 à 1,3 kWh/$ en 2019, soit 48% de réduction (donc 1,3% par an), et ce de manière relativement stable.
La population est elle passée de 3,7 milliards en 1971 à 7,8 en 2019, soit une augmentation de 110% (et donc 1,5% par an).
Dans le même temps, le PIB/POP a augmenté de 137% sur la période (soit 1,8% par an).
Ainsi, la baisse de l’intensité énergétique du PIB, combiné à une légère amélioration du contenu carbone de l’énergie n’a pas réussi à absorber la croissance de la population, du PIB/POP et donc in fine du PIB total.
Les facteurs de l’équation de Kaya ont évolué avec des taux relativement faibles, et sur une trajectoire stable. Cela traduit l’inertie du système économique, et la difficulté à faire dérailler certaines variables.
1.2 Définition du contenu carbone de l'énergie
Le premier terme de l’équation de Kaya est CO2/NRJ. On appelle ce rapport le contenu carbone (ou intensité carbone) de l’énergie. Il s’agit de la quantité de CO2 émise pour une unité d’énergie produite. Elle est différente selon les sources d’énergie utilisées.
A strictement parler, seules les énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz) émettent du CO2 au moment de leur combustion.
Cependant, quand on réfléchit en tenant compte de l’ensemble du cycle de production / consommation d’une énergie toutes les sources d’énergie génèrent aujourd’hui des émissions.
En effet, l’énergie que nous consommons au quotidien pour nous déplacer, nous chauffer, nous éclairer, alimenter nos machines, cuire nos aliments n’est pas directement disponible dans la nature. Avant d’arriver jusqu’à nous, des sources d’énergie dite primaires doivent être extraites du sous-sol (pétrole, gaz, charbon, uranium, bois) ou du vivant (bois) ou captées dans la nature (l’énergie du vent, du soleil, la force de la gravité, des marées) puis transformées en énergies utilisables (chaleur, électricité, essence, fioul etc.), et enfin transportée jusqu’aux utilisateurs finaux. On parle alors d’énergie finale.
Quand on mesure le contenu carbone d’une énergie on tient alors compte de l’ensemble du cycle de vie ce qui comprend en particulier toute la partie amont : extraction (pour les combustibles), transport, mise en forme (traitement, raffinage, transformation de l’énergie primaire) et enfin distribution au consommateur final. S’il y a lieu, il faut également tenir compte des émissions générées par la construction (et le démantèlement) des installations de production. C’est notamment le cas pour l’électricité avec la construction des centrales électriques (à gaz, à charbon, nucléaire) ou des panneaux solaires, des éoliennes etc. Enfin, pour les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) il faut également compter les émissions générées par leur combustion lors de leur utilisation par les usagers ou pour produire d’autres sources d’énergie (l’électricité en particulier).
Intensité carbone de la production électrique française selon les sources d’énergie utilisées.
Le mix énergétique est la répartition de notre consommation d’énergie sur les différentes sources mixelectrique. Aujourd’hui, le pétrole, le charbon et le gaz dominent à plus de 80% la consommation d’énergie primaire dans le monde.
Mix énergétique primaire mondial
En multipliant la part de consommation de chaque source d’énergie avec son contenu carbone, on obtient le contenu carbone moyen d’un mix énergétique (donc le terme CO2/NRJ de l’équation). On peut le diminuer soit en développant des technologies pour limiter le contenu carbone des sources d’énergies prépondérantes en gardant un mix constant capturecarbone, soit en augmentant la part des énergies d’ores et déjà bas-carbone dans notre mix.
Or, choisir un mix plus « vertueux » est largement conditionné par la quantité d’énergie totale que l’on souhaite avoir. En effet, les énergies bas-carbone ont un potentiel limité à horizon 2050 : il existe une « rareté de l’énergie verte ». Le potentiel du nucléaire est restreint par la capacité de la filière à construire de nouveaux réacteurs et le potentiel hydraulique est quasiment atteint dans plusieurs pays hydraulique. Si on ne consommait qu’un dixième de notre consommation énergétique totale, les barrages suffiraient et notre mix serait bas-carbone sans trop d'efforts. A l’inverse, décarboner le mix énergétique tout en augmentant la quantité d’énergie primaire totale est une tâche doublement complexe. Plus la quantité d’énergie consommée est grande, plus il est difficile de la décarboner.
Pour en savoir plus
Sur la rareté de l'énergie bas-carbone
1.3 Définition de l'intensité énergétique
Le 2ème terme de l’équation de Kaya est NRJ/PIB, qui représente l’intensité énergétique, c’est-à-dire la quantité d’énergie qu’il est nécessaire de produire pour obtenir une unité monétaire. L’économie actuelle a besoin d’énergie pour produire des biens et offrir des services. Cette énergie sert à transformer des matières premières, à amorcer des réactions chimiques, à transporter des objets et des personnes sur de longues distances, et tous ces actes sont indissociables de la création de richesses.
Comme pour le contenu carbone moyen de l’énergie qu’on peut obtenir en multipliant le contenu carbone de chaque type d’énergie avec sa part dans le mix énergétique, l’intensité énergétique globale pourrait s’obtenir en multipliant l’intensité énergétique de chaque secteur économique par son poids dans l’économie, ce qui fait donc apparaître 2 moyens de rendre le PIB proportionnellement plus sobre en énergie : améliorer l’intensité énergétique des secteurs prépondérants, ou privilégier les secteurs peu intenses dans notre économie.
Premièrement, certains secteurs sont intrinsèquement plus énergivores que d’autres : l’industrie chimique, papetière et métallière nécessitent beaucoup d’énergie pour chaque euro « produit », tandis que les services ou l’électronique sont peu demandeurs d’énergie. Généralement, plus la part de main d’œuvre humaine est grande par rapport à l’utilisation de machines, moins le service ou le bien produit sera gourmand en énergie. On peut donc jouer sur l’intensité énergétique d’une économie en priorisant certains secteurs par rapport à d’autre, et plus particulièrement en valorisant les secteurs intenses en « temps humain ».
Deuxièmement, au sein d’un même secteur, on peut aussi jouer sur l’efficacité énergétique des biens ou services associés. De nombreuses politiques existent pour favoriser les produits énergétiquement efficaces, comme l’obligation d’information du consommateur via les étiquette-énergie sur l’électroménager, ou celle de communiquer le DPE (Diagnostic de Performance Energétique dpe) pour un logement. Les acteurs économiques ont aussi intérêt à améliorer eux-mêmes l’efficacité énergétique de leurs procédés et des biens qu’ils vendent, puisqu’une meilleure efficacité implique des coûts énergétiques plus faibles pour l’entreprise. C’est ainsi que l’industrie aéronautique a réussi à multiplier l’efficacité énergétique des avions par 2 depuis 1970.
Enfin, on peut aussi améliorer l’intensité énergétique du PIB par une forme de sobriété, en limitant la consommation d’énergie sur les activités très peu corrélées avec la mesure du PIB. Par exemple, diminuer la température de consigne pour le chauffage d’un logement ou abaisser la vitesse maximale à 110 km/h sur les autoroutes permet de consommer beaucoup moins d’énergie pour un impact limité sur le PIB.
1.4 Définition du PIB par habitant
Le PIB est une mesure de la production nouvellement réalisée sur une année par une économie. C’est un indicateur symbolique (il permet de comparer les puissances entre elles), qui sert d’étalon (on compare souvent les dépenses d’un pays à son PIB), qui est opérationnel (les fonds internationaux sont souvent distribués au prorata du PIB), et politique (le PIB est utilisé pour encadrer la dépense publique).
Le PIB par habitant permet de mesurer le niveau de vie d’un pays et estime la consommation moyenne des ménages au cours d’une année. Sa croissance est souvent recherchée par les politiques publiques, notamment car plus de PIB par habitant est identifiée à un « mieux-être social » ce qui se discute à partir d’un certain niveau (voir ce module sur le PIB).
Une des manières de faire baisser le PIB par habitant est d’opter pour de la sobriété, c’est-à-dire de choisir sciemment d’arrêter une partie de la production ou de la consommation en tentant de limiter l’impact sur le bien-être des habitants. On peut par exemple choisir d’interdire la production de voiture de plus de 3 tonnes : on tranche directement dans le PIB, sans pour autant diminuer grandement le confort de vie de la population qui pourra toujours se reporter sur des voitures plus légères. Il convient néanmoins dans ce cas d’empêcher que le budget « voiture » qui a été économisé par un ménage en achetant une plus petite voiture ne se reporte sur d’autres biens et service, nous parlerons de cet « effet rebond » un peu plus bas.
1.5 Population et démographie
L'humanité compte aujourd'hui 7,7 milliards de personnes. Sur la période 2015-2020, il y a eu en moyenne 140 millions de naissances et 57 millions de morts par an (d’après le World Population Prospects 2019). Le solde démographique net est donc d’environ 80 millions par an. A titre de comparaison, le Covid-19 a tué directement moins de 3 millions de personnes par an depuis son apparition en février 2020 selon l’OMS.
La démographie est très inertielle et son évolution est quasiment fixée pour les 30 prochaines années, on ne peut que très marginalement contrôler son évolution. Selon l’ONU, nous devrions être près de 10 milliards d’humain en 2050.
Projection de la démographie selon les régions du monde d'après l'ONU
Ce dernier paramètre est le seul qui soit extensif. L’équation de Kaya fait le choix de décomposer les émissions de CO2 sur des paramètres intensifs (l’intensité énergétique du PIB, le contenu carbone de l’énergie et le PIB par habitant) et sur un paramètre extensif : la population. On fait donc directement dépendre les émissions de CO2 énergétique de la taille de la population, modulo nos choix de société et notre potentiel de progrès technologique.
Ce que nous dit Kaya du futur
Pour espérer rester sous la barre des 2°C de réchauffement global, le GIEC nous dit qu’il faut réduire d’environ 5% par an nos émissions de GES jusqu’à 2050, soit une division par 4 au total.
Dans le même temps, l’ONU estime que la population mondiale augmentera d’environ 0,7% par an pour atteindre 10 milliards d’habitants en 2050, soit 25% d’augmentation au total.
Le PIB/POP croît d'à-peu-près 2% par an depuis quelques années, hors période de crises (surprimes ou covid-19). Supposons que cette tendance se poursuive : sur les 28 années qui nous séparent de 2050, cela ferait 74% d’augmentation.
Croissance du PIB/hab à l'échelle monde
A ce stade, le membre de gauche de l’équation de Kaya augmente de 5% par an tandis que celui de droite augmente de 2.71%. Il faut donc une diminution du CO2/PIB de 7,5% par an pour y arriver. En répartissant cet objectif équitablement sur le contenu carbone de l’énergie (CO2/NRJ) et l’intensité énergétique du PIB (NRJ/PIB), cela demande de réduire ces termes de 3,8% chacun, tous les ans.
Pour rappel, nous avons réussi à diminuer l’intensité énergétique du PIB de 1,3% par an sur les 50 dernières années, et le contenu carbone de 0,25%. Passer de 1,3% à 3,8% (et a fortiori de 0,25% à 3,8%) est un objectif très ambitieux et demande un changement de rythme conséquent.
Si nous n’y arrivons pas, nous avons le choix entre : faire face aux conséquences désastreuses du dérèglement climatique, ou jouer sur les autres facteurs (comme personne ne souhaite organiser de génocide et que la démographie est très inertielle, il ne reste que le PIB par habitant).
Refuser d’abandonner la croissance du PIB, c’est implicitement faire le pari que nous allons atteindre un objectif très loin de ce que nous avons su faire pendant les 50 dernières années.
L’Agence Internationale de l’Energie propose, dans son World Energy Outlook, des prévisions énergétiques pour les années à venir. Ces dernières font référence dans le monde entier et donnent une trajectoire de décarbonation à l’horizon 2050. Les scénarios énergie-climat font intervenir un grand nombre de variables physiques et socio-économiques. Certaines de ces variables sont structurantes, et on doit leur porter une attention particulière si l’on veut tester la vraisemblance d’un scénario.
L'Agence Internationale de l'Energie
L’Agence Internationale de l’Energie (AIE, ou IEA en anglais pour International Energy Agency) est une organisation internationale fondée par l’OCDE en 1974. Elle a été créée en réponse au choc pétrolier de 1973 avec pour mission de sécuriser, superviser et coordonner l’approvisionnement de pétrole. Aujourd’hui, l’AIE propose des analyses, prévisions et des données concernant la production et la consommation d’énergie. Les travaux de l’AIE intègrent de plus en plus les enjeux climatiques et la nécessité d’une transition énergétique.
Le World Energy Outlook (WEO) est une famille de scénarios, publiée chaque année, et qui fait référence dans le monde. Les scénarios sont construits à l’aide du World Energy Model (WEM), qui utilise des données exogènes (le PIB, la démographie etc…) et calcul un équilibre d’offre et de demande énergétique pour produire une projection de données endogènes (la part des énergies renouvelables, la consommation totale d’énergie etc…). Le WEO 2017 intègre pour la première fois un scénario « durable » qui a comme contrainte de limiter le réchauffement à 2°C.
On peut récupérer les données du scénario World Energy Outlook et les comparer aux données historiques en les décomposant sur l’équation de Kaya.
Historique et projection des émissions de CO2 selon le scénario du WEO
Le scénario de l’AIE suppose une diminution très rapide des émissions de CO2, qui rompt totalement avec la tendance actuelle. L’AIE fait aussi la supposition que le PIB/POP va croître fortement. Ce vœu, peut-être souhaitable, implique une diminution extrêmement forte du contenu carbone du PIB.
Historique et projections du PIB par habitant selon le scénario du WEO
Cela se traduit d’une part sur le contenu carbone de l’énergie, qui décroît dans ce scénario à une vitesse jamais connue par le passé, et sur l’intensité énergétique du PIB, qui doit décroître plus fortement qu’elle ne le fait déjà. Ces ruptures de pentes entre ce qu’on observe historiquement et ce qui doit advenir pour supporter une « croissance verte » fait peser sur ce scénario une certaine invraisemblance. Le cas de l’AIE n’est pas isolé : de nombreux autres scénarios produits par diverses instances supposent une croissance forte du PIB, de même qu’une baisse drastique des émissions de CO2. Cela implique mathématiquement des hypothèses invérifiées sur la vitesse de décarbonation du PIB, qui ne sont pour l’instant pas corroborées par l’histoire.
Historique et projections du contenu carbone de l'énergie et de l'intensité énergétique selon le scénario du WEO
Pour en savoir plus
Sur les scénarios énergie-climat
2.3 Danger des métriques relatives
L’équation de Kaya a le mérite de montrer qu’il faut jouer sur tous les termes de l’équation pour espérer diminuer les émissions énergétiques de CO2. Décarboner son mix énergétique ou améliorer l’efficacité énergétique des procédés industriels ne nous sauvera pas si le PIB continue son ascension.
Il est donc dangereux de ne communiquer qu’autour des mesures relatives de décarbonation : la Terre n’a que faire du pourcentage d’énergies renouvelables dans notre mix, ce qui l’intéresse est la quantité d’énergies fossiles que l’on consomme et le CO2 émis en contrepartie.
Cette observation relativement simple se heurte très fréquemment aux communications RSE d’un grand nombre d’entreprises. Par exemple, le « Sutainability & Climate Progress 2022 Report » de Total indique que la part des renouvelables dans leurs ventes énergétiques sera de 15% en 2030, contre 5% en 2020. Dans le même temps, Total prévoit aussi une augmentation des ventes de pétrole et de gaz d’ici 2030. Les 2 informations ne sont pas incompatibles. Seulement, la mesure relative qu’est le mix énergétique de vente de Total cache la réalité physique : Total compte en réalité vendre plus d’énergies fossiles en 2030 qu’en 2020.
Kaya dans différents secteurs
3.1 Kaya dans les transports
L’équation de Kaya présente l’intérêt de pouvoir s’appliquer à un secteur particulier, à condition qu’on adapte la méthodologie aux spécificités du périmètre étudié.
Equation de Kaya appliquée aux transports
Sans rentrer dans les détails du calcul, l’équation de Kaya des transports permet de décomposer les émissions de CO2 du secteur selon : le trafic total, les modes de transport (c’est-à-dire la répartition de la demande sur chaque mode de transport : voiture, avion vélo etc…), le taux de remplissage (le nombre de voyageur par véhicule), l’efficacité énergétique (la quantité d’énergie consommée pour déplacer un poids sur une distance), et l’intensité carbone de l’énergie (la masse de CO2 émise par quantité d’énergie consommée par chaque mode).
L’avantage de cette formulation est de mettre en lumière les différents leviers qui permettent de réduire les émissions de CO2 du transport, tout en étant clair sur les impacts possibles de chacun. Par exemple, un gain d’efficacité énergétique de 10% sur un mode de transport qui représente 80% des usages est largement préférable à un gain de 50% sur un mode de transport qui ne représente que 5% des usages.
Cette décomposition permet aussi de comprendre a posteriori ce qui a structuré l’évolution des émissions de CO2 des transports, et nous dit donc sur quoi agir en premier.
Variations des émissions des transports décomposés sur différents facteurs
Pour en savoir plus
Sur Kaya dans les transports
3.2 Kaya dans le logement
Le secteur des logements peut aussi faire l’objet d’une approche « Kaya ». On décompose alors les émissions liées au chauffage sur la surface à chauffée, la quantité d’énergie nécessaire par m² de surface et l’intensité carbone de l’énergie consommée. On pourrait même aller un cran plus loin et décomposer la performance énergétique du logement sur les performances d’isolation et la température de consigne du logement.
La quantité d’énergie consommée, produit de la surface par la performance énergétique, peut d’ailleurs se représenter en fonction de l’étiquette DPE dpe. Cette représentation met clairement en évidence les catégories de logements qui consomment le plus d’énergie, soit parce qu’ils sont peu isolés, soit parce que leur classe énergétique est fortement représentée dans la totalité des logements.
Le même exercice peut être fait en représentant cette fois-ci directement les émissions totales de GES selon le type de vecteur énergétique pour chauffer les logements, et la quantité totale d’énergie consommée par classe de vecteur (qui dépend donc de la performance énergétique pondérée par la surface).
Pour en savoir plus
Sur Kaya dans le logement
3.3 Kaya dans l'agriculture
Décomposer les émissions de méthane de l’agriculture selon une approche « Kaya » est toujours possible mais un peu moins direct.
Le CH4 bovin provient de différentes sources qui agissent en parallèle. Le méthane est émis par la digestion des vaches laitières et des bovins à viande, mais aussi via le stockage et l’épandage des déjections. Il faut aussi tenir compte du méthane « torché » (c’est-à-dire brûlé sur l’exploitation agricole) et transformé en CO2, et retrancher le méthane produit et vendu à d’autres secteurs qui l’utilisent comme biogaz en remplacement d’une énergie fossile.
Pour en savoir plus
Sur Kaya dans l'agriculture
4.1 Dépendance des facteurs
La première limite de Kaya est l’apparente indépendance des facteurs. L’équation donne l’impression de décomposer les émissions de CO2 sur des leviers qu’on peut contrôler séparément. Or, ça n’est absolument pas le cas et il existe de multiples contre-exemples.
Nous l’avons vu plus haut, espérer augmenter la quantité totale d’énergie consommée tout en gardant le contenu carbone de celle-ci constante, voire la faire diminuer, n’est pas aisée. Il existe une rareté de l’énergie bas carbone qui la rend davantage inaccessible à mesure qu’on épuise les sources « faciles » à portée de main comme les barrages ou les centrales nucléaires existantes.
Concernant la démographie, ce sont principalement les riches qui émettent le plus de CO2 aujourd’hui. Limiter la démographie dans les pays en développement fera certes diminuer POP, mais PIB/POP augmentera de quasiment autant.
En France par exemple, les émissions par ménage varient du simple au double selon le décile du niveau de vie dans lequel on se trouve. Ainsi les ménages appartenant au 10% les plus pauvres émettent moins de 15t de CO2 par an lorsque les ménages appartenant aux 10% les plus riches émettent 32t par an.
Emissions moyennes des ménages français en fonction du décile des revenus
Enfin, améliorer l’intensité énergétique du PIB peut conduire à un rebond du PIB, c’est ce qu’on appelle l’effet rebond. Ce dernier se produit lorsque les gains de consommation énergétique sont moins que proportionnels aux gains d’efficacité individuels. Par exemple, les ampoules n’ont cessé de consommer moins d’énergie pour chaque produit lumen lumen. Or, ce gain d’efficacité énergétique a rendu possible la diffusion des ampoules dans tous les ménages, l’éclairage public et l’absence de scrupule lorsqu’on quitte une pièce sans éteindre la lumière. L’effet rebond est largement expliqué dans cette fiche effetrebond mais il faut retenir qu’améliorer l’efficacité énergétique de nos procédés industriels ne conduira pas nécessairement à la diminution de la consommation énergétique de ces derniers. De même, si la législation contraint la production d’énergie par une taxe ou des quotas sur les émissions de CO2, la diminution du contenu carbone de l’énergie pourra très bien conduire à un rebond sur la consommation totale d’énergie.
4.2 Attention au périmètre d'analyse
L’équation de Kaya peut aussi s’appliquer à un périmètre géographique restreint. Les données de CO2, PIB, NRJ et POP à l’échelle de différents pays sont disponibles ici. Nous pouvons ainsi décomposer les émissions européennes de CO2 sur les facteurs de Kaya.
Le CO2 énergétique émis par l’Europe diminue depuis une vingtaine d’année, passant d’un peu plus de 3.5 Gt en 2000 à presque 3 Gt en 2018.
Emissions de CO2 énergétiques à l'échelle européenne
Cette diminution s’explique par la baisse du contenu carbone de l’énergie, passant de 200g/kWh en 2000 à 170g/kWh en 2018, mais surtout par la baisse de l’intensité énergétique du PIB européen, passant de 1.5 kWh/$ à seulement 1 kWh/$.
A l’inverse, la démographie, toujours à la hausse, et la croissance du PIB par habitant ont freiné la baisse des émissions carbone.
Contenu carbone de l'énergie, intensité énergétique du PIB, PIB par habitant et population de l'Europe
Le cas de l’Europe est certes encourageant, mais il ne constitue pas une preuve qu’il est possible de marier diminution des émissions de CO2 et croissance du PIB. Tout d’abord, les émissions de CO2 sont toujours à un niveau beaucoup trop élevé pour limiter le dérèglement climatique. Mais surtout, la baisse de l’intensité énergétique du PIB s’explique en partie par les délocalisations progressives hors d’Europe des activités industrielles, consommatrices d’énergie et pollueuses. Notre cas s’est amélioré au détriment de celui des autres. La Chine, l’Inde ou encore le Brésil ont par exemple des intensités énergétiques bien plus fortes que celle de l’Europe.
4.3 Elle donne une vision politique
Enfin, il ne s’agit certes que d’une équation, mais d’une équation qui donne une vision politique.
IPAT est une autre équation dont s’est probablement inspiré Kaya, mais elle s’étend à toute forme de dommages environnementaux : Impact = Population * Affluence * Technology. « Affluence », c’est la richesse par personne, et « Technology», c’est le dommage causé par la fabrication d’une unité de richesse (chez Kaya, c’est le produit de l’efficacité énergétique et du contenu carbone de l’énergie, soit le contenu carbone du PIB).
Le problème, selon Donella Meadows qui s’exprime dans ce court article, est que l’équation désigne des coupables de l’impact environnemental : les pays en développement qui ne peuvent pas contrôler leurs démographie (via le P), les pays occidentaux qui consomment sans limite (via le A) et les pays producteurs qui tournent au charbon (via le T). Or, selon elle, rien ne dit que ce sont les bons coupables : la consommation, la technologie et la démographie n’évoluent pas magiquement. Il y a des acteurs qui les influencent et en tirent des profits.
L’équation de Kaya n’est qu’une vision, une façon de voir les émissions énergétiques de CO2. Elle ne fait ni apparaître la consommation des riches et les besoins primaires, ni les trajets en jet privé et les déplacements pour travailler, ni les luxueuses villas et les HLM chauffés au gaz.
Pour en savoir plus