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FICHE Comprendre l'effet rebond
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Comprendre l'effet rebond
Ecologie
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Pour réduire les consommations d’énergie, les politiques publiques favorisent l’efficacité énergétique L'effet rebond peut être résumé par la formule suivante : effet rebond (%) = 1 – (économies réalisées/économies prévues) Par exemple, un effet rebond de 40% signifie que 40% des économies d’énergies attendues grâce au déploiement d’une nouvelle technologie n’ont pas été réalisées en raison d’une hausse des usages de l’énergie liés à différents facteurs économiques ou comportementaux (que nous présentons dans la partie 1.B). Cet effet, mis en évidence empiriquement dans différents secteurs, rend nécessaire des politiques publiques complémentaires au seul progrès de ladite efficacité, qui reste évidemment souhaitable. Définitions et mécanismes de l'effet rebond 1.1 Du paradoxe de Jevons à l’effet rebond C’est Williams Stanley Jevons qui a pour la première fois mis en évidence l’effet rebond Pour Jevons ce paradoxe n'est qu’apparent : c’est, en effet, la plus grande efficacité énergétique des machines à vapeur qui incite et permet aux entrepreneurs de produire plus, et les conduit donc à utiliser in fine plus de charbon qu’auparavant. Il faut ensuite attendre la fin des années 1970, pour que le raisonnement de Jevons soit repris et que l’effet rebond soit véritablement théorisé. Les travaux des économistes Leonard Brookes et Daniel Khazzoom L’effet rebond se manifeste dès que les gains de consommation énergétique sont moins que proportionnels aux gains d’efficacité individuels. Il peut être d’ampleur variable. Si une machine permet d’économiser 10% de combustible, mais que la consommation de combustible ne baisse que de 8%, on parlera déjà d’effet rebond. Le cas extrême, celui décrit par Jevons en 1865, est rencontré quand les gains d’efficacité individuels (par appareil) se traduisent non plus par des économies d’énergie (même inférieures à ce qui étaient prévues), mais par une hausse de la consommation énergétique. Les mécanismes d’effet revenu et d’équilibre général décrits ci-après jouent alors à plein et l’efficacité énergétique loin de provoquer une amélioration sur le plan écologique empire au contraire la situation. On parle alors d’effet « retour de flamme » (backfire effect). 1.2 Les différents types d’effet rebond Les chercheurs distinguent trois types d’effet rebond. Les deux premiers sont d’ordre microéconomique : il est possible (surtout pour l’effet direct) de les constater empiriquement à l’échelle des acteurs économiques. S’y ajoute un autre effet qui concerne l’économie dans son ensemble. 1. L’effet rebond direct (ou l’effet prix) : l’augmentation de l’efficacité énergétique d’un produit en fait baisser le prix et entraine une plus grande consommation de ce bien (ou du service qu’il rend). Par exemple, la baisse du prix de l’éclairage à la suite de gains d’efficacité dans ce domaine peut inciter à être négligeant sur le fait d’éteindre les lumières inutiles. On peut également citer celui de la voiture (une moindre consommation d’essence au km liée à l’amélioration des moteurs pourra inciter à se déplacer davantage), ou celui de l’isolation des logements (une moindre consommation de chauffage liée à un logement mieux isolé peut inciter à augmenter la température moyenne). 2. L’effet rebond indirect (ou l’effet revenu) : les économies financières permises par la moindre consommation d’énergie (de la voiture, du chauffage, de l’électricité) sont utilisées pour consommer d’autres biens nécessitant de l’énergie (ex : pour faire un voyage en avion). 3. L’effet rebond macroéconomique, qui peut résulter de deux mécanismes :
4. L’effet rebond total : c’est l’addition de l’effet directe, indirect et macroéconomique. A noter qu’il existe des différences de terminologie entre les économistes étudiant le phénomène. Par exemple, dans le schéma ci-après l’effet rebond macroéconomique est appelé « Economy-wide rebound effect » alors que dans le tableau présenté plus loin cette expression désigne l’effet rebond total. Cela peut porter à confusion ! Illustration des différents types d’effet rebond provoqués par le passage d’une vieille voiture à une voiture peu consommatrice de carburantSource Filippos Exadaktylos, Jeroen van den Bergh, « Energy-related behaviour and rebound when rationality, self-interest and willpower are limited », Nature Energy, 2021.
1.2.1 Les estimations de l’effet rebond total Si l’effet rebond direct moyen est aujourd’hui relativement bien étudié Dans un article de 2021, plusieurs économistes ont passé en revue différents travaux académiques visant à estimer l’effet rebond total (qu’ils appellent Economy-wide rebound effect) à partir de méthodologies très diverses. La conclusion de cette revue de littérature est très claire : l’effet rebond total peut éroder au moins la moitié les économies d'énergie attendues de l'amélioration de l'efficacité énergétique. Résumé des différents mécanismes contribuant à l’effet rebondSource Paul E. Brockway et al., Energy efficiency and economy-wide rebound effects: A review of the evidence and its implications, Renewable and Sustainable Energy Reviews, 2021.
Un exemple d’effet rebond : le secteur de l’éclairage au Royaume-Uni Dans leur article « Seven Centuries of Energy Services: The Price and Use of Light in the United Kingdom (1300-2000) », paru en 2007 dans The Energy Journal , Roger Fouquet et Peter J.G. Pearson analysent l’évolution des technologies de production d’éclairage et de la consommation sur plusieurs siècles au Royaume-Uni. Variables et indices clefs concernant le secteur de l'éclairage, 1300-2000Source R. Fouquet et Peter J.G. Pearson (2007), « Seven Centuries of Energy Services: The Price and Use of Light in the United Kingdom (1300-2000) », Energy Journal, vol. 27, n°1, pp. 139-177.
Sur le tableau ci-dessus on peut constater dans l’ordre des colonnes :
C’est ce qu’on peut constater également sur le graphique suivant qui permet également de voir la succession des différentes sources d’énergie utilisées pour l’éclairage (bougie, lampe à gaz, lampe à pétrole et ampoule électrique). Consommation de lumière par source au Royaume-Uni, 1700-2000Source R. Fouquet et Peter J.G. Pearson (2007), « Seven Centuries of Energy Services: The Price and Use of Light in the United Kingdom (1300-2000) », Energy Journal, vol. 27, n°1, pp. 139-177.
La baisse des coûts s’est ainsi accompagnée d’une augmentation considérable de la demande et de l’utilisation de la lumière artificielle, par les individus mais aussi via le développement de l’éclairage extérieur des rues, et des bâtiments. En moyenne, un habitant du Royaume-Uni consommait en 2000 75 fois plus de lumière artificielle que son ancêtre en 1900, et 6 600 fois plus qu’en 1800. C’est une parfaite illustration du paradoxe de Jevons : les fortes augmentations de l’efficacité énergétique ont entraîné une forte réduction des coûts de l’éclairage conduisant à une augmentation de la demande d’éclairage et de la consommation totale d’énergie. Comment expliquer l’effet rebond et comment le diminuer 3.1 Les explications de l’effet rebond : points de vue théorique et empirique D’un point de vue théorique, l’effet rebond trouve une explication intuitive : dans un processus de production, les gains d’efficacité énergétique individuels se traduisent par une baisse des coûts unitaires liés à l’énergie (il faut moins d’énergie pour produire une unité de bien, c’est donc moins cher), ce qui crée une incitation à produire plus de biens ou à consommer plus d’énergie par ailleurs. Le prix joue ici un rôle de signal défavorable. Toutefois, l’effet rebond est avant tout un sujet empirique et de ce point de vue, la question est plus délicate. Si on observe des effets rebond dans tel ou tel secteur, on ne peut pas prétendre que le progrès technique sera la seule solution pour réduire les consommations d’énergie. C’est ce que montre l’exemple ci-dessus du secteur de l’éclairage au Royaume-Uni, qui a été sujet à d’importants effets rebond. En 200 ans, le prix de l’énergie à des fins d’éclairage a été divisé par plus de six. L’efficacité technique de l’éclairage (en lumens) a été considérablement améliorée, mais cela n’a pas conduit à réduire la consommation d’éclairage, bien au contraire. De quoi effacer largement les gains d’efficacité réalisés. De la même façon, entre les années 1950 et aujourd’hui, les moteurs thermiques des véhicules ont fait des progrès extraordinaires, mais la consommation associée au transport de personnes et de marchandises a, elle, au contraire augmenté. Pourquoi ? Parce qu’au lieu de réduire la quantité de carburant consommé par chaque véhicule, on a utilisé les gains d’efficacité pour faire des véhicules plus lourds, plus confortables, plus puissants et surtout pour parcourir plus de distance. Pour d’autres secteurs, comme le numérique Dans des secteurs essentiels de la transition écologique, comme le bâtiment, les interrogations restent ouvertes. De meilleurs matériaux et de meilleures isolations sont incontestablement nécessaires. Mais comment garantir que de meilleures chaudières ou fenêtres ne conduiront pas les usagers à monter leur thermostat ou à chauffer des pièces auparavant laissées froides, engendrant ainsi un effet rebond ? 3.2 Comment contourner l’effet rebond ? C’est ce qui pousse les chercheurs à suggérer, dans de nombreux domaines, que les gains techniques d’efficacité énergétique soient accompagnés de dispositifs de régulation, ou d’incitations comportementales L’effet rebond, mécanisme économique simple identifié depuis plus d’un siècle, montre combien le changement technique (sans même parler de « progrès »), en matière énergétique, ne peut être le seul levier d’une stratégie de transition écologique. Le risque de rebond fait que les meilleures technologies, les plus économes, ne garantissent pas une moindre pression sur les ressources naturelles. Des actions sur la demande énergétique, des modes de régulation plus généraux, sont nécessaires pour ne pas voir les efforts des ingénieurs se heurter au mur des réalités économiques. Pour en savoir plusNotes |