Cultivé en Inde depuis 2002, le coton OGM Bt fournis par Monsanto représente aujourd’hui 94% des cultures de coton. Il devait permettre d’augmenter fortement les rendements et de réduire les coûts de production en permettant la lutte contre le ver de la capsule, le coton OGM produisant son propre insecticide. Malheureusement, des résistances sont apparues. De nouvelles maladies ont entrainé l’épandage de plus de pesticides entrainant un surcoût pour les agriculteurs. Les semences OGM étant plus chères, ils ont finalement dû s’endetter davantage. Dans les années 2010, des milliers de suicides d’agriculteurs ont eu lieu, en partie en lien avec ce surendettement.
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FICHE Comment nourrir 10 milliards de personnes en 2050 ?
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Comment nourrir 10 milliards de personnes en 2050 ?
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Les démographes estiment que la planète comptera en ordre de grandeur 9,5 milliards d’humains, à l’horizon 2050 (voir ici). Alors qu’environ 800 millions de personnes souffrent toujours de la faim dans le monde La première piste mise sur une intensification raisonnée du modèle agricole actuel. La seconde repose sur le développement de l’agroécologie (c’est-à-dire une agriculture moins consommatrice d’intrants, respectant les différents systèmes agronomiques et encourageant l’intensification de l’emploi à l’hectare plutôt que du capital) ainsi que sur un changement de régime alimentaire plus orienté vers le végétal. Une chose est sûre, ces deux modèles devront prendre en compte de manière drastique la protection de l’environnement. L’artificialisation des terres, la déforestation, la surexploitation des océans doivent s’arrêter rapidement. La poursuite de la dégradation environnementale de la planète n’est plus envisageable. Mettre fin à l’érosion de la biodiversité, réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le respect de l’accord de Paris, maintenir la fertilité des sols sont des objectifs aussi incontournables que celui de produire plus d’aliments. Est-il possible de suivre des objectifs aussi opposés ? Lutter d’abord contre les pertes et le gaspillage alimentaires L’Organisation des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO) estimait la disponibilité alimentaire mondiale moyenne à 2950 kilocalories par personne et par jour pour la période 2018-2020 Une étude menée par le Groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition Les pertes ne se situent pas aux mêmes stades dans les pays du Sud et dans ceux du Nord. Au Sud, elles se produisent plutôt au moment de la récolte et du stockage, alors qu’au Nord elles ont davantage lieu aux stades de la distribution et de la consommation. Source Pertes et gaspillages de nourriture dans un contexte de systèmes alimentaires durables, Groupe d'experts de haut niveau sur la sécurité alimentaire et la nutrition (FAO), 2014.
Selon cette étude, les pertes et gaspillages dans le monde représenteraient approximativement 1,3 milliard de tonnes par an. Les pertes sont plus élevées dans les pays du Nord : 280 à 300 kg de nourriture perdue ou gaspillée par an et par personne en Europe et en Amérique du Nord ; 120 à 170 kg par an et par personne en Afrique subsaharienne et en Asie du Sud et du Sud-Est). En France, chaque année, près de 10 millions de tonnes Source "Pertes et gaspillages alimentaires : l’état des lieux et leur gestion par étape de la chaîne alimentaire", Income Consulting et AK2C pour l’ADEME, mai 2016.
Il est clair qu’un réel effort pour limiter les pertes alimentaires aurait un impact non négligeable et permettrait d’assurer l’alimentation d’une partie de la croissance de la population. Produire plus mais comment ? Au cours des dernières décennies, l’intensification de l’agriculture a permis d’augmenter les rendements et de faire progresser la production alimentaire plus vite que la croissance démographique. Selon la FAO, pour répondre à la demande de près de 10 milliards d’êtres humains, « l'agriculture devra produire en 2050 près de 50 % de denrées alimentaires, d'aliments pour animaux et de biocarburants de plus qu'en 2012 » La poursuite du modèle actuel à base d’intrants (fertilisants, fongicides, pesticides, eau…) et d’amélioration variétale pourrait, à première vue, répondre à cette hausse de production. Il est cependant peu probable que la poursuite des tendances soit possible. La moindre disponibilité en eau et en énergies fossiles (pétrole ou charbon) ne permettra pas l’accroissement des rendements que nous avons connu. Le modèle actuel consommateur d’espace, d’énergies non renouvelables et de chimie est à bout de souffle. Il a de nombreux impacts sur l’environnement et la santé humaine : perte de biodiversité, dégradation de la qualité des sols, épuisement et pollution des réserves en eau, augmentation de maladies liées à l’utilisation accrue des produits chimiques dans l’agriculture et l’alimentation. On pourrait alors imaginer de trouver plus de terres. Il est cependant difficile d’envisager de nouvelles déforestations dans le monde, source d’émissions de CO2 supplémentaires et de perte accrue de biodiversité. Au contraire, pour augmenter les puits carbone naturel, en vue d’atteindre les objectifs de l’accord de Paris (à savoir la neutralité carbone mondiale au cours de la deuxième moitié de ce siècle) il faut stopper la déforestation. Il est certes possible de trouver des terres arables non encore utilisées ou peu performantes. Mais la progression des surfaces de terre disponibles ne devrait guère dépasser 5 à 10%. Aujourd’hui, deux modèles d’agriculture s’opposent :
Le modèle d’intensification raisonnée de l’agriculture souhaite conjuguer augmentation des rendements et respect de l’environnement Le modèle agricole futur devra, en plus de la hausse de la population, tenir compte du changement climatique qui fait peser de nombreux risques sur les productions agricoles : aridité accrue, fréquence accrue des catastrophes naturelles, propagation des maladies dans des zones non encore atteintes Pour beaucoup, y compris le syndicat agricole majoritaire en France, la réponse aux enjeux climatiques et à la progression de la population passe par l’augmentation des rendements en production végétale et par l’innovation technique. Pour atteindre ces objectifs, les tenants de l’intensification raisonnée mettent en avant l’amélioration génétique des variétés (y compris les OGM), la fertilisation à la juste dose et la poursuite de la protection des cultures par des fongicides, insecticides, herbicides mais ajoutent également les techniques de biocontrôle. 3.1 Un modèle qui s’appuie sur l’innovation technique
Pour les partisans de cette agriculture intensive raisonnée, la technologie numérique transformera l’agriculture et aidera les agriculteurs à conjuguer rendements et protection de l’environnement. L’innovation génétique permettra, quant à elle, de proposer des plantes adaptées aux milieux et aux nouvelles conditions climatiques. 3.2 Cette agriculture technique est-elle applicable au Sud comme au Nord ? Ne faudrait-il pas envisager des solutions différentes pour les pays du Nord où les rendements sont élevés, la main d’œuvre agricole peu abondante et l’agriculture très capitalistique, à l’inverse des pays du Sud ? Concernant les pays du Sud, la généralisation des technologies numériques conduirait à ne soutenir que l’agriculture industrielle ou les latifundia. Les pays où l’agriculture familiale reste la norme (Afrique, Inde) seraient de fait exclus car le coût des matériels n’est pas envisageable pour les paysans pauvres. Par ailleurs, les cultures OGM n’ont pas donné les résultats attendus dans des pays comme l’Inde et ont entrainé la faillite d’un grand nombre d’agriculteurs (voir encadré). L’échec des OGM en IndeEnfin, augmenter les fertilisants et les pesticides dans les pays africains ou en Asie du Sud-Est ne risque-t-il pas de déséquilibrer un milieu fragile où la régulation des prédateurs se fait aussi de manière naturelle. Pour certains agronomes favorables 3.3 Un modèle agricole qui reste très émetteur de gaz à effet de serre Si l’agriculture intensive raisonnée peut apporter des réponses techniques et permettre un accroissement des rendements sans pression supplémentaire sur l’environnement, son défaut principal est de reposer toujours sur une économie dépendante du pétrole et de la chimie. La production et l’épandage d’engrais sont fortement émissifs de gaz à effet de serre, les technologies numériques augmentant également la consommation d’énergies fossiles. Enfin, la production de pesticides est aussi consommatrice d’énergie et ceux-ci ont un impact fort sur la biodiversité. Ainsi, cette agriculture, même si elle réduit son bilan carbone, reste très émissive de gaz à effet de serre tout comme elle maintient les agriculteurs dans une grande dépendance, autant en amont (approvisionnement en intrants dont la fabrication repose sur quelques firmes internationales) qu’en aval (ex : exigence en termes d’homogénéité des productions par les firmes de l’agro-alimentaire) de la chaine de production. 3.4 Un modèle qui vise l’augmentation des rendements pour répondre à des comportements alimentaires de plus en plus carnés au niveau mondial L’augmentation des rendements portée par l’agriculture intensive raisonnée repose sur le constat des limites en matière d’augmentation des surfaces cultivables et sur l’évolution prévisible des comportements alimentaires. Si la FAO estime qu’il faut augmenter la production de l’ordre de 50% d’ici 2050 pour une augmentation de la population de 25%, c’est pour tenir compte de l’influence des comportements alimentaires. En effet, la hausse du niveau de vie dans plusieurs pays du Sud et l’urbanisation accrue entraînent une hausse de la consommation de viande. Selon un rapport de la FAO, la consommation moyenne dans le monde est passée de 30 à 41 kg par personne/an entre 1980 et 2005 Si le régime « carné » se développe, il n’y a guère que deux solutions : déforester pour ouvrir de nouvelles terres à l’élevage (ce que fait le Brésil de manière accrue depuis l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro) avec les conséquences très négatives sur la biodiversité et le changement climatique, ou augmenter les rendements agricoles de manière importante. Une autre voie est possible, nécessitant une modification du régime alimentaire actuel au Nord et une limitation de la croissance de la consommation de viande dans les pays du Sud. Une agriculture agroécologique et un changement de régime alimentaire : une autre réponse pour nourrir 10 milliards d’humains 4.1 Quel impact d’une généralisation du bio à l’échelle mondiale ? Des chercheurs européens ont publié une étude dans Nature Communication Comment produire autant mais autrement ? En se basant sur les données de la FAO, les chercheurs, financés par l’institution onusienne, ont modélisé les surfaces agricoles qui seraient nécessaires pour obtenir le même nombre de calories (2 700 par jour et par personne) en 2050, avec différentes proportions d’agriculture biologique (0 %, 20 %, 40 %, 60 %, 80 % ou 100 %), et en tenant compte de plusieurs niveaux d’impacts du changement climatique sur les rendements (nul, moyen, élevé). Première conclusion : convertir la totalité de l’agriculture au biologique nécessiterait la mise en culture de 16 % à 33 % de terres en plus dans le monde en 2050 par rapport à la moyenne de 2005-2009 – contre 6 % de plus dans le scénario de référence de la FAO, essentiellement basé sur l’agriculture conventionnelle. Car les rendements du bio sont plus faibles. En découlerait une déforestation accrue (+ 8 % à 15 %), néfaste pour le climat. Mais dans le même temps, l’option avec 100 % de bio entraînerait une réduction des impacts environnementaux : moins de pollution due aux pesticides et aux engrais de synthèse et une demande en énergies fossiles plus faible. L’un dans l’autre, les émissions de gaz à effet de serre de l’agriculture bio seraient de 3 à 7 % inférieures à celles du scénario de référence, un gain faible, notent les auteurs. Pour contrebalancer les besoins supplémentaires en surface agricole du tout bio, les chercheurs proposent d’introduire deux changements dans le système alimentaire :
Un tiers des terres cultivables de la planète est utilisée pour nourrir les animaux d’élevage avec du soja, du maïs, du blé, etc., alors que ces céréales pourraient servir à l’alimentation humaine. Un tel changement reviendrait à réduire la quantité de bétail et donc la consommation de produits d’origine animale (viande, poisson, œufs, laitages) qui pourrait être divisée par trois. 4.2 Les scénarios Afterres 2050 Un exercice de prospective similaire avait déjà été mené à l’échelle française : le scénario Afterres 2050 Ces études indiquent qu’un retour à une agriculture qui prend mieux en compte la diversité des écosystèmes est souhaitable. Une agriculture qui observe et intègre les qualités du sol, la spécificité locale du climat pour produire de manière plus économe en limitant notamment l’usage des énergies fossiles. Divers auteurs comme Marc Dufumier Cette agriculture qui peut se développer dans les pays du Nord montre aussi de nombreux avantages dans les pays du Sud où l’agriculture familiale est très présente. Ainsi, d’après la Plateforme de connaissances sur l'agriculture familiale, les exploitations agricoles familiales nourrissent et emploient les deux-tiers de la population africaine et travaillent 62% des terres. La bonne connaissance du milieu par les agriculteurs et l’abondance de la main d’œuvre constituent des atouts. Intensifier l’emploi à l’hectare ne coûte rien dans ces pays et permet au contraire de fixer à la terre des populations qui sinon migrent vers les villes où le chômage progresse. Il faudrait cependant que ce travail agricole soit mieux reconnu et valorisé pour inciter les jeunes à rester. Conclusion Nourrir 10 milliards d’humains à horizon 2050 est techniquement possible. Les décisions sont politiques. Le choix du système se fera par les Etats. Globalement au Nord, il ne s’agit pas de produire plus, mais mieux. Au Sud, une progression des rendements est possible par une bonne maitrise de l’agroécologie. La lutte contre les pertes de récolte et le gaspillage alimentaire est essentielle, mais c’est une bataille qui peut être gagnée assez facilement. Ce qui parait plus compliqué est de modifier le régime alimentaire dans les pays du Nord. Il faut cependant constater que ce régime a déjà très fortement évolué entre les années d’après-guerre et aujourd’hui. Dans les pays du Sud, quelle sera la tendance ? Là encore la réponse est aux mains des décideurs politiques. Une chose est sûre, si les deux modèles – intensif raisonné ou agroécologie/bio – peuvent répondre à l’accroissement de la population, ils n’auront pas les mêmes conséquences sur les émissions de gaz à effet de serre et sur la biodiversité. Pour en savoir plusNotes |