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FICHE 1953 : l’annulation de la dette allemande
Fiche
1953 : l’annulation de la dette allemande
Exemples historiques
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Lorsque la crise de la dette grecque a éclaté, à la suite de la crise des subprimes de 2007-2008, l’Allemagne s’est signalée par son intransigeance et son refus catégorique de réduire le fardeau financier qui pesait et pèse toujours sur la Grèce. C’est pourquoi il peut être intéressant de revenir un peu en arrière et d’examiner de quelle façon la dette allemande a été abordée par le passé L’Allemagne très endettée après la Seconde guerre mondiale En 1951, l’Allemagne est encore tenue à de très lourdes obligations par les traités et autres accords en vigueur. Cette dette n'est pas uniquement due à la guerre de 39 - 45. En effet, l'Allemagne doit toujours rembourser les dommages de guerre liés au Traité de Versailles, conclu à la fin de la Première Guerre mondiale, ainsi que les emprunts internationaux contractés par la République de Weimar, dont le paiement des intérêts a été suspendu au début des années 1930. Elle doit aussi s’acquitter des aides versées par les Alliés afin de reconstruire le pays après 1945. En tout, le montant de la dette de l'Allemagne après la Seconde Guerre mondiale est proche de 40 milliards de marks : sa dette cumulée d’avant-guerre était d’un montant de 22,6 milliards de marks et celle de l’après-guerre de 16,2 milliards Dans ce contexte, le chancelier Konrad Adenauer, à la tête de la nouvelle République fédérale d’Allemagne depuis 1949, est à la fois soucieux du retour à la souveraineté de son pays occupé par les Alliés et de sa crédibilité face à ses créanciers internationaux. Il est en effet indispensable que les entreprises allemandes puissent se financer pour se développer, ceci alors que la balance commerciale est largement déficitaire à la suite de la reconstruction, notamment en raison des importations alimentaires. Les négociations avec les Alliés et les autres pays créditeurs (21 pays en tout) commencent en 1951 et sont tout d’abord marquées par les réticences des représentants de la France et du Royaume-Uni, qui réclament toujours le remboursement des dettes d’avant-guerre, jamais honorées par l’Allemagne. La capacité de négociation du chef de la délégation allemande, Hermann Josef Abs, est mise à rude épreuve, mais l’expérience montre qu’elle sera couronnée de succès. La dette allemande annulée à plus de 60 % En effet, c’est un accord historique qui a été signé à Londres le 27 février 1953. Il concernait alors une réduction considérable de la dette de l’Allemagne de l’Ouest, la République fédérale d’Allemagne (RFA). L’objectif était de permettre le développement de l’appareil de production allemand. La dette contractée par l’Allemagne en dehors des deux guerres mondiales a ainsi été réduite de plus de 60 %, le remboursement des dettes de guerre et des réparations aux victimes civiles et aux Etats étant repoussé à une date indéterminée. Ces dernières sommes ne seront finalement versées qu’en 1990, lors de la réunification de l’Allemagne. Près de 40 ans après, l’inflation étant passée par là, les dettes allemandes étaient de fait fortement réduites. Les raisons de cet arrangement sont assez simples. Conscientes que la demande de réparations considérables après la Première Guerre mondiale avait créé un climat social qui a favorisé l'essor du nazisme, les puissances occidentales n'ont pas voulu répéter cette erreur et risquer de générer une instabilité en Allemagne. De plus, elles souhaitaient que la RFA soit puissante du point de vue économique face au bloc de l’Est : c’était là notamment le point de vue des Etats-Unis, qui a fortement pesé. C’est pourquoi, le fardeau de la dette allemande a été fortement allégé en 1953, mais ce n’est pas tout : des aides économiques sous forme de dons lui ont été versées et l’Allemagne a été autorisée à adopter une politique économique très favorable à ses grands groupes industriels, quel qu’ait été leur rôle durant les deux guerres mondiales. Le pays a ainsi pu développer de solides infrastructures publiques et soutenir à la fois son marché intérieur et ses débouchés à l’export. En 1953, c’est finalement la volonté des créanciers de l’Allemagne (Etats-Unis, Royaume-Uni, France, etc.) qui a été la condition de sa reconstruction rapide. Sa dette cumulée d’avant-guerre était d’un montant de 22,6 milliards de marks et celle de l’après-guerre de 16,2 milliards : l’accord conclu à Londres ramène respectivement ces montants à 7,5 milliards et à 7 milliards, soit une baisse de 62,6 %. Il prévoit aussi la possibilité de suspendre les paiements pour renégocier leurs conditions en cas de difficulté. Et les taux d’intérêt appliqués à la dette restante sont limités à un montant compris entre 0 et 5 %. De fortes mesures d’accompagnement pour l'Allemagne de l'Ouest De plus, l’objectif étant que le pays soit en mesure de rembourser sa dette tout en améliorant les conditions de vie de sa population, les Alliés créanciers ont accompagné cette remise de dette d’un ensemble de mesures favorables à l’Etat et aux entreprises de la RFA :
L’ensemble de ces mesures permet d’alléger considérablement le fardeau de la dette de la RFA ; elles sont en outre prises après le plan Marshall où l’aide apportée directement par les Etats-Unis au titre des dons 1948 et 1952, s’est élevée à un montant de 1,17 milliard de dollars courants de l’époque. Plus de 200 millions de dollars seront aussi apportés par l’agence de développement des Etats-Unis entre 1954 et 1961. Dans ces conditions très favorables, le « miracle allemand » peut se produire. De 1950 à 1958, le produit national est multiplié par 2,8, l’indice de production industrielle de 100 à 274 et les exportations de 8 à 153 milliards de deutsche marks Un accord dont il faudrait s’inspirer aujourd’hui La remise de dette massive dont a bénéficié l’Allemagne à travers l’accord de 1953 montre que contrairement à une idée reçue, il est possible et parfois souhaitable de libérer un pays du poids de son endettement. Souhaitable pour le débiteur (l’Allemagne en l’occurrence, dont l’économie s’est développée fortement) mais aussi les créanciers. Certes, ces derniers acceptent une perte à court terme, mais retrouvent un débiteur solvable et un « partenaire » avec qui échanger. Au total l’accord de Londres a été clairement gagnant pour tous. Une posture moraliste mettrait en avant l’argument selon lequel accepter un tel moratoire pourrait inciter d’autres débiteurs à ne pas régler leurs dettes. La dette publique, en particulier, devrait toujours être payée. Ce serait la seule manière de « discipliner » les Etats, leur gouvernement et les populations. L’accord de Londres montre que ce raisonnement ne tient pas sur le plan économique. La situation était en outre exceptionnelle. : les créanciers auraient pu se limiter à considérer que l’Allemagne devait d’autant plus payer sa dette qu’elle était responsable d’une tragédie. Depuis, cet accord a souvent été évoqué comme un possible modèle lors de multiples crises d’endettement. Cela a, par exemple, été le cas dans les années 1980, lorsque qu’a été révélé le niveau des dettes auxquelles devaient faire face nombre de pays en voie de développement. Ce cas historique a aussi été rappelé lors des débats autour de la crise grecque, notamment de 2010 à 2012 : la comparaison montre que le sort réservé à la dette grecque est loin d’être celui dont a bénéficié la dette allemande en 1953. Mais c’est une autre histoire... Notes |