Nauru, de l’hyperconsommation à l’économie de subsistance

  • Par Alain Grandjean
  • Mis à jour le 24 novembre 2021

Nauru est une petite île du Pacifique de 21 km2, d’environ 10 000 habitants, où furent exploités au XXème siècle d’énormes gisements de phosphate. Ses habitants, dont les revenus étaient parmi le plus élevés au monde dans les années 1970, sont à présent pauvres et malades. L’histoire dramatique de l’île, connue depuis la publication de l’ouvrage de Luc Folliet, est riche d’enseignements sur les liens entre économie et ressources naturelles.

Des investissements ostentatoires et délirants

Découvert au début du XIXème siècle, le phosphate, produit sur l’île, est l’un des plus purs au monde et bénéficie d’une explosion de la demande après la Seconde Guerre mondiale, du fait des besoins croissants de l’agriculture. La production nauruane est de l’ordre du million de tonnes annuelles pendant plusieurs décennies. Les revenus du phosphate sont engrangés par une compagnie d’Etat et en partie retransférés aux habitants de l’île, indépendante depuis 1968. Ceux-ci n’ayant plus besoin de travailler, ils sombrent dans l’hyperconsommation, deviennent obèses et diabétiques, ne se déplacent plus qu’en 4*4 qui arrivent par bateaux entiers, et bénéficient des services d’employés de maison payés par l’Etat.

Les dirigeants se lancent en parallèle dans des investissements ostentatoires et délirants : compagnie aérienne surdimensionnée au service d’un projet politique mégalomane entendant faire de Nauru le « hub du Pacifique », complexes immobiliers en Australie ou aux États-Unis… Tous ces « investissements » sont des échecs pour l’île et ses habitants, même s’ils ont enrichi au passage quelques personnes.

Vers la faillite totale

Le réveil est brutal lorsque les réserves de phosphate s’épuisent dans les années 1990. La production passe de 1,67 million de tonnes au milieu des années 1980 à moins de 200 000 tonnes au début des années 2000 pour cesser totalement en 2003. Nauru s’endette pour maintenir un niveau de vie qu’elle ne parvient pas à réduire et cherche tous les expédients possibles. Le micro-État devient un paradis fiscal placé sur la liste noire du Groupe d’action financière (GAFI) 1. Il vend aussi des passeports au prix fort : deux terroristes liés à Al-Qaïda sont arrêtés en 2002 avec des passeports nauruans. Il tente de monnayer sa souveraineté internationale et obtient un prêt du Japon en échange de sa voix à la Commission baleinière internationale (CBI). Il noue des relations diplomatiques avec Taipei au moment de son entrée à l’Organisation des Nations unies en 1999. Il accepte, à la demande de Canberra, d’accueillir des boat people qui tentaient de se réfugier en Australie dans un centre qui constitue une manne financière importante. À partir de la fin de l’année 2003, Nauru est en faillite totale et ses habitants se rapprochent du seuil de pauvreté. En 2009, l’île a l’un des taux de chômage les plus élevés du monde, atteignant les 90 %.

Quels enseignements sur les liens entre économie et ressources naturelles?

L’histoire dramatique de l’île de Nauru illustre ce que les économistes appellent la « malédiction des matières premières » 2 : l’abondance de ressources naturelles n’est pas une condition suffisante pour le développement car elle crée des conditions propices à la corruption et aux gaspillages. La rente tirée de la ressource (minière ici) peut être captée par une oligarchie au lieu d’être investie dans l’économie du pays.

Elle montre aussi à quel point le PIB, totem de la plupart des gouvernements du monde en matière d’objectif économique, est aveugle aux ressources naturelles et à leur épuisement. Pendant des décennies le PIB par habitant de Nauru a été l’un des plus hauts du monde avant de s’effondrer brusquement à la suite de l’épuisement des mines de phosphate.

Enfin, elle peut être vue comme un apologue de ce qui pourrait arriver à nos sociétés dans leur ensemble : notre mode de vie dépend des ressources naturelles, leur destruction s’accompagne fatalement de notre appauvrissement.